ARCANES, la lettre

Zoom sur


Chaque mois, les Archives présentent dans la rubrique "zoom sur" un document issu de ses fonds, nouvellement acquis ou bien un document exceptionnel. Retrouvez ici une petite compilation de tous ces articles.

ZOOM SUR


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Ardizas (Gers), 1946, chasse à la grenouille, dans le reportage « Quatre jeunes filles en vacances à la campagne ». Jean Dieuzaide, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi4/4.

À table !


mars 2024

Ce qui est incroyable avec le fonds Dieuzaide c’est que vous tirez sur un fil et toute la pelote se déroule. Un peu comme quand je cherche un titre à mon article. Par exemple, sur le thème de la grenouille, une première recherche nous permet de découvrir un reportage de 1946 intitulé « Quatre jeunes filles en vacances à la campagne » où une des photographies porte la légende « chasse à la grenouille ». C’est maigre pour un article Arcanes. A peine peut-on parler du fait que ce sont les premières vacances post-guerre et que Jean Dieuzaide, comme ses contemporains, souhaite passer à autre chose, montrer que la jeunesse française peut se détendre, profiter de la paix, sortir les bikinis et taquiner le batracien. Sorte de mantra pour conjurer la morosité. D’ailleurs, dès 1945 il avait photographié les premières vendanges en temps de paix après 6 années de répression. 


Mais en creusant plus avant, de frogs en rosbifs, s’impose la question de la cuisine traditionnelle ou, plus largement, de l’alimentation. Et là, il y a. Plus qu’on ne pense. Il y a de quoi illustrer une évolution de la production agroalimentaire et de sa communication pendant les Trente Glorieuses. 


Joie. Et frustration parce que l’exhaustivité est une illusion.  


Nous avons donc, pour la production, le gavage des oies à la main et avec le sourire (toujours en 1946 et visible en ligne), la transformation et le conditionnement du lait dont la production de beurre (Union laitière coopérative), de biscottes (Paré), la cueillette (alimentation de Provence). Le conditionnement n’est pas en reste avec un reportage sur la verrerie ouvrière d’Albi et la verrerie BSN. Signalons un reportage dédié à la production de berlingots pour le lait et des images de produits à fins publicitaires chez ULC.  


Et la commercialisation, on en parle ? Le fonds regorge de prises de vues dans les foires et les marchés, que ce soit autour de joueurs de rugby, de célébrités résidant ou de passage à Toulouse et bien entendu des reportages spécifiques sur les activités économiques. Cela nous mène inévitablement aux foires-expo ou au marché-gare, dont il a également suivi la construction, des maquettes (pour la municipalité de Toulouse) à la fabrication par les Ateliers de la Rive (nous en avions exposé un tirage aux Jacobins en 2021-2022) et l’entreprise Loupiac. Inauguré le 21 avril 1964, André Cros s’y trouve, alors que Jean Dieuzaide est à Arnaud-Bernard pour suivre sa dernière journée de vente. Rassurons-nous, il a suivi de près l’arrivée de l’Épargne et de Monoprix. Ceci nous permet d’affronter un choix cornélien : architecture ou industrie ? Mais si nous restons fidèles à notre idée de départ et que nous nous en tenons à l’alimentation, d’un marché à l’autre nous passons à Victor-Hugo et aux Carmes, dont Dieuzaide nous offre des avant/après reconstruction. Poussons encore d’un pas et partons dans le Gers, nous y trouvons le marché au gras de Trie-sur-Baïse ; continuons à l’étranger : la nourriture reste très présente dans les reportages au Portugal, en Turquie et en Espagne. Poursuivons plutôt vers le nord : même à Londres, il nous délecte d’étals. Nous voici presque au point de départ, un petit saut de grenouille et nous voilà sur nos pattes. 

[14 juillet - Défilé des pêcheurs]. Cliché Marius Bergé - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi1861.

Un certain sens de la fête


février 2024

Deux hommes – l'un muni d'une épuisette, un filet de pêche autour du cou, l'autre affublé d'un étonnant costume – encadrent un petit chien déguisé posant, sous une ombrelle, en équilibre sur une bicyclette. Une représentation de l'absurde ou de la fête, qui prend parfois un tour déraisonnable, extravagant. On notera l'air malicieux du personnage de droite et les sourires de ceux qui assistent à la scène, à l'arrière-plan. Sa casquette vissée sur la tête, le personnage de gauche essaye quant à lui de garder son sérieux, le temps de la photo s'entend. Sans élément de contexte, que dire de cette image sinon qu'elle illustre un certain sens de la fête ? 
Nos fonds iconographiques comprennent de nombreux clichés réalisés lors de cérémonies, banquets, foires, bals populaires, cavalcades et carnavals… qui nous offrent un témoignage unique de la façon de faire la fête, de célébrer et de commémorer les événements à Toulouse au fil du temps. Cette photographie extraite d'un reportage du photographe et homme de presse, Marius Bergé, montrant comment se déroulaient les festivités du 14 juillet dans les années 1920, n'en fait pas exception. Pendant l'entre-deux-guerres, la célébration de la Fête nationale donnait lieu à l'organisation de toute une série de manifestations : à la traditionnelle revue des troupes pouvaient ainsi succéder des Joutes Cettoises ou des régates sur la Garonne, des courses hippiques ou taurines, une fête de gymnastique, l'arrivée d'un critérium cycliste, un concours de bébés et voitures fleuries au Grand-Rond. Mais ce n'est pas tout.
L'image que nous vous présentons a été prise en marge du fameux concours de pêche initié alors sur les bords du Canal, chaque 14 juillet, par la Société des pêcheurs à la ligne de la Haute-Garonne. Concours qui était précédé d'un défilé costumé – et en musique – lors duquel les pescofis ou pêcheurs toulousains rivalisaient d'originalité. « Les pêcheurs à la ligne ont eu leur journée le 14 juillet » rapportait Le Cri de Toulouse du 28 juillet 1923. « Ils n'ont pas pris la Bastille… mais dans le canal de Brienne, une quantité notable de poissons. 800 lanciers avaient bravé une journée torride pour pincer un chevesne ou un barbillon, voire même un coup de soleil. »

Groupe de Lapons à Tromsø (Norvège) lors de l’expédition au Spitzberg, 1906, Maurice Gourdon - Mairie de Toulouse, Archives municipales, nc.

Job-ci Job-là


janvier 2024
J’ai fait, ces derniers temps, la très rapide connaissance (à travers une partie de son œuvre) du pyrénéiste Maurice Gourdon (1847-1941). Malheureusement, il me sera bien difficile de vous conter avec exhaustivité son parcours et son histoire, tant son activité me paraît si dense et diversifiée. Tout comme beaucoup d’amateurs éclairés de son époque, il est sur tous les fronts, inépuisable ; il multiplie les passions et domaines d'expertise : géologue, paléontologue, cartographe et dessinateur, il porte à lui seul bien des casquettes, menant avec beaucoup de talent ces jobs tous plus variés les uns que les autres.

Il s’intègre dans tout un pan de l’histoire de la photographie toulousaine de la fin du 19e siècle, celle d’hommes très éloignés de toute forme de préoccupations financières, pour qui la photographie n’est en aucun cas leur fond de commerce. Ces passionnés consacrent tout leur temps et/ou carrière à la science. Plusieurs auteurs me viennent rapidement en tête et, à leur évocation, je ne peux que vous inviter à découvrir ces images glanées sur notre base de données, signées des grands noms de cette époque : l’ancien directeur du muséum d’histoire naturel Eugène Trutat, l’archéologue Émile Cartailhac, le chimiste Charles Fabre ou le spéléologue Félix Régnault. Membres de sociétés savantes, amis et associés, ils s’accordent tous sur la place primordiale qu’occupe ce médium, encore bien récent qu’est la photographie, dans l’ensemble de leurs travaux. Cette invention permet enfin aux experts de rendre compte, fixer et reproduire des phénomènes naturels et humains avec une précision, une exactitude et une facilité jamais égalée auparavant. Tous les champs d’étude y passent : l’archéologie, l’anthropologie, l'ethnologie, la géologie, la paléontologie et bien d’autres... car laissez-moi vous dire que dans cette énumération déjà foisonnante, j’en oublie très certainement. Ils photographient non seulement les mutations que connaît la ville de Toulouse durant ces années-là, mais aussi les sommets et sentiers pyrénéens fraîchement découverts, autant que des expéditions dans des contrées lointaines. Nous avons l’exemple ici d’un cliché de projection, réalisé par Maurice Gourdon lors de son excursion en 1906 vers l’île du Spitzberg, sur lequel posent un groupe de Lapons à Tromsø en Norvège. 
 
Je ne sais pas vous, mais de mon côté, je ne cesse d'être fascinée par ce temps de l’histoire : là où la science, l’image, voire la poésie, se rencontrent et finissent par s’entremêler et s’alimenter l’une l’autre. Et oui, n’oublions pas que si la photographie se met avec brio au service de ces érudits, sa pratique nécessite quant à elle des compétences pointues en optique et en chimie pour en maîtriser les diverses techniques et procédés. Petit clin d’œil à Maurice Gourdon : ici, dans la peau d’un apprenti chimiste, il nous livre ses recettes, certainement expérimentées des heures durant dans une chambre noire, tout comme on tenterait de dégotter l’assemblage parfait des ingrédients pour cuisiner le gâteau de quatre heures le plus savoureux possible. Je pense aussi à Félix Régnault, qui dessine à même le négatif papier (ou calotype pour les intimes) pour retoucher avec précision son image et faire naître en nous toujours plus de magie et d’émerveillement.
Saint-Marcet (Haute-Garonne), 1945-1946, vue plongeante depuis la plateforme du derrick sur le puits de forage. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi1/901.

Total fuel experience


décembre 2023

Je vous amène aujourd'hui dans l'immédiat après-guerre, dans une photographie vivante, qui peut provoquer une sensation de vertiges en cascade. 
Des lignes horizontales sur la gauche confrontées à une soudaine verticalité puis à un enchevêtrement de barreaux sur la droite, aucune rondeur, pas d'humain : la lecture est malaisée au premier abord. L'œil cherche un appui, une référence et tout à coup la surface granuleuse du sol boueux apparaît. Alors suivent les tubes, les bacs où l'on voit couler la boue, l'échafaudage, puis le point de vue : le photographe perché au sommet d'une plateforme qui repose sur une tour étroite et vide nous oblige à sonder le trou vertigineux. On imagine la machinerie, les exhalaisons soufrées, le vacarme des moteurs avec leurs moyeux d'acier graissé, les mécaniciens contrôlant, changeant les trépans, têtes aveugles perforant l'intimité de la terre à des profondeurs encore jamais atteintes.
Une première percée à 1900 mètres en 1939 sur la commune de Saint-Marcet, dans le Comminges, permit à la France de s'approvisionner en gaz naturel « local » jusqu'à ce que le gisement soit réputé épuisé, en 2009. Avant d'avoir des idées, nous avions un peu de pétrole. 
Jean Dieuzaide réalise ses premiers reportages sur les hydrocarbures pyrénéens dès 1945-1946. Il documente le ravitaillement en gaz à Toulouse par wagons chargés de bonbonnes. Il se rend dans le Comminges où il photographie les chercheurs dans les laboratoires de géologie de Saint-Gaudens puis le site de forage, les installations et les ouvriers au travail.
Plus tard, il œuvre pour la Régie autonome des pétroles (RAP), se rend dans le Sahara algérien sur la base d'In Amenas, travaille pour la société nationale des pétroles d'Aquitaine (SNPA). Une partie non négligeable de ses photographies industrielles a été réalisée autour du pétrole et ses dérivés et en 1993 l'entreprise Elf achète la quasi-totalité des négatifs issus de ce travail*. Nous avons encore, aux Archives de Toulouse, tout ce qui concerne le client Heurtey, ainsi que les premiers reportages de 1945-1946, visibles en ligne. 

*Vous pouvez venir sur place consulter le contenu de ce reportage de 1964 en Algérie, cédé par l'auteur au groupe pétrolier.

[Album de la famille Marion-Brésillac - Château de Launaguet] Départ des Mauvaisin, 1912. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 83Fi58/64.

Un petit tour et puis s’en vont


novembre 2023
Les images d’archives documentant les « visites » sous leurs différentes acceptions sont légion, notamment celles d’hommes d’État venus à Toulouse s’entretenir avec les responsables politiques : la presse locale et les institutions ayant eu à cœur de relayer ces événements et d’en garder la trace. Ces photographies de visites officielles, souvent pleines de promesse et d’allant, ont quelque chose d’émouvant. Est-ce dû à leur caractère fugace ? Quoi qu’il en soit, leur enjouement me frappe. À peine arrivées, les personnalités défilent, sourire aux lèvres, dans la voiture automobile ou le fiacre qui les conduit solennellement à l’hôtel de ville, devant une foule en liesse. C’est l’enthousiasme des débuts. Tout est ouvert. Tout est possible. Ainsi de la visite à Toulouse du président Gaston Doumergue, le 9 juin 1929, défilant au côté du maire socialiste de l’époque, Étienne Billières, ou celle de Mohamed el-Habib, Bey de Tunis, le 22 juillet 1923, poétiquement photographié devant l’enseigne « Au Rêve » alors qu’il passe aux abords du Grand Hôtel. 
Voisinent avec ces clichés, des reportages plus prosaïques réalisés lors de visites de chantiers ou d’usines : visite de l’usine aéronautique de Saint-Martin-du-Touch par Valéry Giscard d’Estaing et André Turcat, le 20 mai 1969 ; visite du prince Philip d’Angleterre chez Sud Aviation, en novembre 1965. Sans compter les souvenirs des visites rendues par courtoisie, à la famille ou aux amis, souvent prétextes aux traditionnels portraits de groupe : ici réalisé dans une calèche, au moment du départ, car toutes les visites ont une fin.
Mes préférées entre toutes restent cependant les images prises lors de visites touristiques, quand l’on parcourt un pays à la découverte de ses curiosités et de ses sites. Tel le photographe toulousain Louis Albinet qui, à l’été 1920, a sillonné l’Italie lors de son voyage de noces, nous livrant des clichés d’une rare beauté. Pise, Milan, Rome, Florence, Venise… c’est toute l’Italie monumentale qui défile sous nos yeux. Le fil rouge ? La frêle silhouette de Juliette Albinet posant inlassablement devant la tour penchée, au sommet du palais Vecchio ou embarquée sur une gondole remontant le Grand Canal. Des vues stéréoscopiques sur plaque de verre récemment décrites et numérisées que vous pouvez désormais consulter en visitant ce lien.
Campagne d'Orient, Kirra (Grèce), Groupe devant le café, 1917. Louis Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 87Fi768.

Mauvaises manies


octobre 2023
Collectionneurs d’images et artistes hétéroclites, vous savez certainement que notre œil est souvent guidé, des fois bien à notre insu, par des petites obsessions et manies visuelles incongrues. En accompagnant le photographe toulousain Louis Albinet (1890-1938) à travers ses périples autour du globe, lors de la numérisation de ses plaques de verre, j’ai développé une toute nouvelle toquade. Prise d’une certaine sympathie pour le personnage, je me retrouve assez facilement à tenter de débusquer dans ses images toutes les traces qu'il a bien voulu nous laisser. Dans cette quête, j'identifie toutes ses apparitions - elles nous permettront de replacer dans l’ordre les différents bouts de son histoire - allant des plus évidentes, telles que des autoportraits et vues le mettant en scène, jusqu’aux intrusions bien plus accidentelles. On se souvient tous de ces portraits, ou paysages capturés, dont on est si fier, jusqu’à ce qu’on réalise qu’on a malencontreusement laissé traîner notre ombre dans le cadre. Oups. Ce sont bien ces maladresses qui ont tant éveillé mon attention, ces intrusions involontaires, par la lumière, de la silhouette du photographe se superposant au sujet initialement relaté. Malgré la distance géographique et l’écart des années, ces petites boutades provoquent en moi un certain amusement et attendrissement. Professionnel renommé ou simple amateur, nos ombres et reflets s’immiscent des fois si facilement dans nos clichés. Si vous trouvez ma nouvelle lubie peut-être un peu fantaisiste, sachez que ces mauvaises manies ont déjà pu être relatées et remarquées par plusieurs auteurs. L’historien de la photographie Clément Chéroux évoque ce phénomène d’auto-ombromanie dans ses ouvrages Fautographie et Ombres Portées, sans oublier leur place évidente dans le Manuel de la Photographie ratée de Thomas Lélu.

Au risque de passer pour un amateur, l’opérateur n’est habituellement pas invité à paraître à l’image mais, même quand il prend bien soin de rester en dehors du cadre, sa présence peut parfois être tout aussi malvenue. Confrontés à des sujets d’actualité sensibles ou à un modèle un peu récalcitrant, la pratique de cet art implique dans certains cas discrétion et patience. Elle peut mener son auteur à user de quelques subterfuges pour amadouer un sujet, voire le pousser à dégoter la cachette adéquate si la situation le nécessite. Pas toujours attendu, ou muni d’un laissez-passer, le photographe peut être perçu tel un intrus, et quand ses obsessions prennent le dessus, cet argument-là n’est pas toujours suffisant pour dissuader l’artiste. Dans l’ouvrage Rêves d’avions, Jean Dieuzaide nous conte une de ses mésaventures survenues sur le tarmac de l’aéroport de Blagnac. Pourtant bien habitué des usines de la SNCASE (Société de construction aéronautiques du Sud-Est) et passionné d’aviation, il n’obtient pas l’autorisation d’immortaliser le tout premier envol en 1949 de l’ Armagnac. Mais que nenni, cela ne va pas l’arrêter pour autant. Pour rien au monde il ne manquera l’événement. Toujours équipé de son Rolleiflex, mais cette fois dissimulé sous un long manteau, il s'introduit tout de même ce jour-là sur les pistes, bien décidé à illustrer le décollage du quadrimoteur. Il en saisit alors plusieurs précieux clichés, mais ces derniers lui causeront par la suite quelques sérieux ennuis : une arrestation, des suspicions d’espionnage, à deux doigts même, paraît-il, de lui coûter la prison.
Côte basque, 1947. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi5/267.

Meta


septembre 2023

Début des années 1950, le tourisme se développe à grandes enjambées dans une France où la voiture est une botte de sept lieues, sur un réseau routier qui se modernise. Michelin (pneus, cartes jaunes, guides verts et chefs étoilés) fait des émules : les guides touristiques se répandent, s’attachant une suite de spécialistes du patrimoine dans laquelle Jean Dieuzaide s’insère.

On sait qu’il rencontre Benjamin Arthaud dès 1950 lors d’une réunion du groupe des XV à Paris (groupe dans lequel le photographe Lucien Lorelle le fait entrer), et qu’il débute, à partir de 1953, une grosse décennie de collaborations avec l’éditeur isérois, après avoir fait ses preuves dans La Gascogne. On sait aussi qu’en 5 ans il illustre 13 volumes de la collection « La France illustrée » chez Alpina, petits ouvrages faciles à sortir du sac pendant les vacances ou à utiliser pour faire visiter la région aux amis de passage. Après Alpina il entame une collaboration avec Dom Angelico Surchamp pour les éditions Zodiaque. Une nouvelle rencontre marque l’œil de Dieuzaide, celle de l’art roman, et plus largement du patrimoine religieux médiéval, qui fait écho à sa spiritualité. Après une participation en 1956, il signe la photographie de 6 volumes entre 1958 et 1963 et obtient en 1961 le prix Nadar pour Catalogne romane. Parallèlement il œuvre aussi pour l’éditeur toulousain Privat avec des publications sur l’histoire régionale entre 1955 et 1967.

Ce sont les Trente Glorieuses et il faut alimenter l’appétit de découverte et de voyages avec des publications étoffées ou faciles d’accès mais toujours alléchantes. L’illustration, et particulièrement la photographie, y tient une place de choix. Majesté d’un monument, authenticité de traditions, mise en valeur de richesses locales, le photographe doit traduire l’atmosphère qui donnera envie de venir sur place, il séduit le chaland. En cela, Jean Dieuzaide est un métatouriste. Il parcourt une grande partie du sud de la France et de l’Europe, mais pas que, cahier des charges en poche et valise pleine de documentation sur les destinations pour lesquelles une publication est programmée.

Il visite ainsi une vingtaine de régions et pays en un peu plus de 15 ans, participe à une trentaine de publications et engrange une matière photographique qui remplit plus de 60 albums, consultables sur rendez-vous aux Archives. C’est en partie par ces pérégrinations que Dieuzaide se forge une patte. Son regard s’aiguise, son réseau se développe, il se forge une place notable auprès des directeurs d’entreprises et institutions et répond à leurs très nombreuses commandes, dont nous parlerons lors d’un prochain billet.

Bain de mer au Cap-Ferret, 1908 – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 69Fi223.

Bain de mer


juillet-août 2023

Sale/salle/salé… Je ne sais si cela tient à la saison estivale – propice aux voyages en tous genres et tous azimuts – mais le sujet abordé ce mois-ci dans Arcanes ouvre, aux rédacteurs et « passeurs de mémoire » que nous sommes, un vaste champ des possibles. Que de directions s’offrent à nous ! Alors pourquoi ne pas les emprunter toutes ?

C’est au bord de l’eau, sur les quais de la Garonne, que je m’engage. Là, sur le port Saint-Pierre, le port de la Daurade et le port Viguerie, les lavandières sont au travail. Leurs étendoirs de linge  (sale)  immaculé ponctuent de blanc les représentations anciennes que nous avons du fleuve, nous éblouissant encore de leur clarté et nous procurant une sensation de fraîcheur. Un peu plus loin, c’est sur une île que nous arrivons – Le Ramier – où, dans les années 1925-1930, l’architecte Jean Montariol conçoit, à la demande de la municipalité socialiste, le parc municipal des Sports, véritable palais d'éducation physique et d'hygiène. Une étonnante série de plaques de verre, réalisées en juillet 1931 à l’occasion de l’inauguration de la piscine d’été, nous montre la salle des Fêtes ou salle Jean-Mermoz encore en travaux, comme vous ne l’avez jamais vue.

De la salle Jean-Mermoz à l’aérodrome de Montaudran, il n’y a qu’un pas… ou qu’une association d’idées. A bord d’un avion Latécoère, mettons le cap vers le Sud. Après avoir survolé le détroit de Gibraltar, fait escale à Casa la blanche, longeons les côtes africaines en direction de Dakar en passant par le mythique cap Juby. Sur cette ligne, Saint-Ex, Mermoz, Reine… affrontaient quotidiennement la brume, la chaleur et le vent de sable pour acheminer le courrier au péril de leurs vies. Sale temps pour les pilotes, pourrait-on croire ! Or, pour beaucoup, comme Emile Lécrivain, il n’y avait pourtant de plus beau trajet. « On y grille, on y est pris par les Maures, on y reste. Mais on ne peut s’en détacher. Il n’y a pas de plus belle ligne que Casa-Dakar. Quand le temps est clair, qu’on a la mer bleue d’un côté, le sable tout fauve de l’autre et le ciel au-dessus, que le moulin tourne rond, tout chante à l’intérieur1. »

Ce voyage au fil de l’eau, à travers les époques et nos fonds photographiques, ne serait pas complet sans un bain régénérant dans l’eau salée. Ici, au Cap Ferret, en 1908. Plouf !

1. Joseph Kessel, Vent de Sable (Gallimard, Paris, 1966).

Tramways de Toulouse. Accident ligne 16 (1941). Pierre Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi828.

Quand les choses se gâtent [De l’accident en photographies]


juin 2023

En préambule à l’exposition Ce qui arrive (Fondation Cartier, Paris, 2002), imaginée par le philosophe et urbaniste Paul Virilio sur le thème de l’accident, le visiteur pouvait lire ces lignes éclairantes : "L’un des principaux phénomènes opposant la civilisation contemporaine à celles qui l’ont précédée est la vitesse. L’accident en découle. Il est une accélération qui affecte la vie, l’art… Les sociétés qui développent la vitesse développent l’accident." L'accident défini comme "ce qui arrive" et qui produit toujours un effet de sidération et de surprise  fait partie intégrante de l’histoire contemporaine. Et les photographies en sont les premiers témoins.

La recherche par mot-clé « Accident » dans notre base de données dédiée aux images donne lieu à une foule de résultats illustrant la diversité de la thématique. Depuis les catastrophes naturelles comme les inondations, aux sinistres artificiels de type industriels ou techniques, tous les aspects ou presque de l’accident y sont archivés : des accidents d'avions, de trains ou de voitures – plus attendus – à celui, plus rare, d'un attelage désuet renversé sur « l’ânodrome » des Amidonniers... Et comment évoquer les accidents à Toulouse sans parler de la catastrophe de la Dalbade, fait marquant de l'histoire locale, largement documenté par les photographes Louis Albinet et Marius Bergé ?

Sur le cliché que nous vous proposons, c’est pour les passagers du tram de la ligne 16, reliant Capitole à Guilheméry, que les choses se sont gâtées. Samedi 3 mai 1941, il est presque 14h30 quand un tramway remonte l’avenue Camille Pujol. A l’arrêt situé à proximité du Caousou, un court-circuit se produit. Alors que le wattman descend pour constater l’accident, relate La Dépêche du 4 mai 1941, la motrice fait subitement marche arrière et, prenant de plus en plus de vitesse, sort de ses rails, rentre dans la rue Jean-Goujon, traverse le boulevard de la Gare pour finir… dans les eaux du Canal. Certains passagers vont même jusqu’à sauter de voiture lors de cette course folle. « Jusqu’à une heure avancée, une foule considérable stationnait sur les bords du Canal, témoigne le journaliste. En ville, ce tragique accident a provoqué une profonde émotion ». De la sidération, sans doute.

Vignoble du Jurançon près de Monein. 1950-1955. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi85/nc/Bearn404

Vent d'anges


mai 2023

Une personnalité dont je n’ai pas retenu l’identité aurait déclaré que Dieu, dans sa grande clémence, a donné la soif aux humains pour qu’ils puissent profiter du raisin. Etrangement, dans ces moments, un grand verre d’eau me semble plus approprié et le raisin, je m’en empiffre sans modération lorsque la saison arrive (avec une préférence pour le muscat qui poussait sur la vigne grimpante dans le jardin de mes grands-parents). Je vous laisse tirer les conclusions que vous préférez quant au vin.

Vendanges dans le vignoble de Monbazillac. Saint-Jean-des-Vignes. 1964. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi95/nc/Périgord167

 

En revanche, je peux vous parler de ce que j’observe dans le fonds photographique de Jean Dieuzaide que j’ai la chance d’entretenir tous les jours comme une vigneronne cultive sa vigne. L’agriculture y tient une bonne place, notre photographe montrant une inclination pour le monde rural, ses paysages, ses habitats, ses productions, l’organisation et les gestes du travail de la terre par les animaux, les femmes et les hommes. Parmi ces sujets, la vigne et le raisin témoignent d’un intérêt persistant, mais aussi d’une commande constante de photographies viticoles.

 L’Armagnac, vendanges dans le Gers. 1955-1957. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi89/nc/Gers627

 

À partir de 1951 l’activité de Yan, qui se présente comme photographe reporter, se diversifie. Il pratique la photographie d’illustration pour plusieurs maisons d’éditions, travaillant ainsi pour Arthaud, Alpina, Zodiaque, Braun, Privat, entre autres. Il s’agit, dans ces années, de relancer le tourisme et de valoriser les richesses régionales : patrimoine religieux, industriel, mobilier, bâti, immatériel, paysages. La France est un pays de vin, chaque région productrice souhaite mettre en avant son terroir et ses pratiques ancestrales. Les commandes que Dieuzaide honore comptent inévitablement des passages dans les vignobles, de préférence au moment des vendanges. Nous conservons ainsi des reportages en Armagnac, Gascogne, dans le Tarn, en Gironde (notamment au Château Lafite), dans le Minervois, à Banyuls, Moissac, en Haute-Garonne, Charentes Maritimes, Anjou et en Alsace.

La plupart de ces photographies sont issues de reportages ou de commandes spécifiques réalisés pour des éditeurs, mais sont regroupées dans l’album « Agriculture », consultable sur place et sur rendez-vous.

Coteaux du Layon, vendanges au Château de Fesles. 1952. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi108/nc/Anjou100

 

Rex Stewart, Hugues Panassié et Jacques Morgantini dans les loges du Trianon-Palace, 1947. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84fi5/644.

Tourne-disque


avril 2023
Peut-être que parmi vous, chers lecteurs et amis des archives, se cachent quelques fins connaisseurs et grands passionnés de musique, des adeptes du tourne-disque, des petits disquaires cachés du centre-ville, et toujours à l'affût des moindres concerts et événements de la scène musicale toulousaine. Et quelle diversité, de quoi ravir infiniment les oreilles des mélomanes et noctambules de notre ville ! Mais aujourd’hui, c’est de jazz dont je vais vous parler. A travers une petite tournée historique, je vais tenter de faire résonner en vous toute la sonorité et la rythmique qui lui est propre, et peut-être même vous donner un peu l’envie de festoyer et danser sur des tempos syncopés et des notes bleues.
A défaut de farfouiller dans la discothèque de Jacques Morgantini, c’est du côté de nos collections photographiques que je vous propose de tendre l’oreille. On peut y dénicher de multiples clins d’œil faisant référence à l’engouement des Toulousains pour le jazz. Dans l’entre-deux-guerres, les badauds pouvaient découvrir de talentueux groupes sur les terrasses des cafés situés à proximité des allées Jean-Jaurès et de la place Wilson, Les Américains et l'Albrighi pour les plus connus. Après la Libération, c’est en partie sous l’influence du producteur Hugues Panassié, que la ville continue, encore et toujours, de vibrer et danser pour ce genre musical. Que ce soit sur les ondes de Radio-Pyrénées, ou à travers le cercle du Hot-Club de Toulouse, ce dernier participe très fortement à sa diffusion, envieux de partager son amour et sa connaissance du jazz avec la nouvelle génération toulousaine. Quant aux âmes les plus festives, elles pouvaient aussi se tourner du côté des clubs et dancing toulousains. Difficile alors de ne pas évoquer l'un des rendez-vous les plus prisés des amateurs de jazz, le Tabou, devenu en 1952 l’iconique Tournerie des Drogueurs. Depuis sa cave voûtée, située rue des Tourneurs, tenue par l’artiste et poète Jean Lannelongue, se produisaient lors de longues soirées de bœuf, des jazzmen connus tels que Guy Lafitte ou Philippe Brun. Pour rester dans l’effervescence de la période, je voulais aussi vous signaler les quelques images du célèbre Boris Vian lors de sa venue à l’occasion de la Nuit de l’Existentialisme en 1949.
Avant de conclure, dernier coup d’œil du côté d’un des événements marquants des années d’après-guerre. Le photographe Jean Dieuzaide, en 1947, à travers tout un reportage, immortalise un concert mythique lors duquel des légendes du jazz américain se produisent pour la première fois sur la scène toulousaine : le cornettiste Rex Stewart, accompagné du tromboniste Sandy Williams, le batteur Jo Jones et Vernon Story au saxophone. Sur l’image illustrant ce billet, on reconnaît de gauche à droite trois personnalités, toutes trois déjà évoquées un peu plus haut : Rex Stewart, Hugues Panassié, et Jacques Morgantini, plaisantant dans les loges du Trianon-Palace tout juste après cette mémorable représentation.
Enfin, pour les plus passionnés souhaitant plonger d’une manière plus assidue sur le sujet, je ne peux que vous conseiller de faire un tour dans nos collections, côté bibliothèque cette fois-ci, pour vous lancer dans la lecture du livre de Charles Schaettel qui dresse un panorama détaillé de l’histoire du jazz à Toulouse.
[Pont Saint-Pierre, avant reconstruction] 12/11/1927. Louis Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 7Fi34.

« Oh ! »


mars 2023

« Il est tout à fait d’un philosophe ce sentiment : s’étonner », déclare Socrate au début du Théétète, dialogue platonicien sur la science. « La philosophie n'a point d'autre origine ». Or l’étonnement ne saurait pourtant lui être réservé, loin s’en faut.
Ainsi est-il fréquent, dans les services d’archives figurées, d’entendre les uns et les autres s’étonner, s’émerveiller ou même s’émouvoir devant certaines images qu’ils voient défiler. Et l’interjection Oh ! de compter parmi les favorites des archivistes/iconographes.

Quelle n’est pas en effet notre surprise quand l’on retrouve, après maintes investigations, le contexte de prise de vue ou la localisation d’une série d’images d’abord énigmatiques, ou lorsque l’on voit ressurgir, au détour d’un cliché, un édifice, une place ou même tout un quartier aujourd’hui disparu, si non entièrement transformé. Parfois, c’est le sujet même qui nous interpelle par la rareté de sa représentation, son étrangeté ; parfois c’est son caractère désuet qui nous touche. Il arrive même que la beauté de certaines images vienne à nous couper le souffle. Le sentiment du sublime n’est pas loin. Comme cette photographie du pont Saint-Pierre, sur plaque de verre, prise en 1927 par le photographe toulousain, Louis Albinet, que je soumets à votre regard. 

Vue aérienne du pic du Midi pendant l’hiver 1952-1953. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/R7547coul_ret

Transparence


février 2023

Si le nom de Jean Dieuzaide évoque inévitablement la photographie en noir et blanc, beaucoup ignorent que dès la fin des années 1940 il s’intéressait déjà à la couleur. Lorsqu’il conçut les plans de son nouvel atelier1, rue Erasme, en 1964, il prévit même un laboratoire spécialement dédié. Les processus de développement des négatifs, des diapositives et des papiers couleur sont très spécifiques, les tirages doivent être effectués dans le noir total, les chimies employées pour les développements sont différentes de celles utilisées pour le noir et blanc. En entrepreneur dynamique, toujours à la pointe de la technologie et à la tête d’un laboratoire renommé dans tout le sud de la France, Jean Dieuzaide s’est naturellement lancé dans l’aventure.  

Christian Schmidt dessine avec la lumière en 1952. Diapositive couleur. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi12/nc/R7478coul

Diapositive ou négatif, les deux supports ont été utilisés pour des commandes de clients. En revanche de nombreux clichés à destination de la presse ou des éditeurs, illustrant des ouvrages sur Toulouse, sur les régions et les pays dans lesquels Jean Dieuzaide a été missionné, ont fait l’objet de variantes en diapositives. 

Vous n’avez pas encore vu de numérisations de photographies en couleur issues du fonds Jean Dieuzaide sur notre base de données, c’est normal, nous œuvrons en priorité pour rendre visible le noir et blanc. Cependant vous avez pu croiser des indications de leur existence. En effet, le fonds est très organisé, avec ses propres codes : couleurs, abréviations, vocabulaire. Ainsi, sur les albums de contacts vous verrez parfois des petits carrés de couleur en bas à droite des images. Le vert indique que pour l’image en question il existe un exemplaire sur négatif couleur, et le rouge pour les diapositives. Parfois ce sera exactement la même vue, parfois légèrement différente.

 

Vue aérienne du pic du Midi pendant l’hiver 1952-1953. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/R7547coul

Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet des duplications de prises de vues lors d’un prochain article, en attendant je vous invite à l’observatoire du pic du Midi pendant l’hiver 1952-1953, après la mise en service du premier téléphérique permettant au personnel d’y accéder plus facilement et tout au long de l’année. L’image illustrant cet article est une diapositive couleur, identifiée grâce à ce contact. Les diapositives, très sensibles aux altérations, ont généralement “viré”, c’est à dire que certaines couleurs ont complètement disparu, laissant des images presque monochromatiques, souvent magenta. Le reportage entier, et en noir et blanc, est consultable en ligne (pages 37 à 43). 

 

Avant de nous quitter, et juste pour le plaisir, voici une photographie issue d’un reportage sur les festivités du 14 juillet 1959 à Toulouse, dont vous avez sans doute déjà vu un tirage en ville, sous les arcades de la place du Capitole. 

Place du Capitole la nuit, les fêtes, 14 juillet 1959. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/T2158coul_ret

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 - Plans du 7 rue Erasme par Jean Montier, architecte, conservés aux Archives municipales de Toulouse sous la cote 115W737. 
 
[Escale de Barcelone - Amédée Jayet devant un avion de ligne aéropostale]. J. Gaspar (Barcelone) - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 5Fi69.

Bout à bout


janvier 2023

L’un des principes de base en archivistique est le « respect des fonds », selon lequel chaque document doit être maintenu ou replacé dans le fonds dont il provient. Un fonds est défini comme un ensemble de documents, de toute nature, constitué de façon organique par un producteur dans l'exercice de ses activités et en fonction de ses attributions. Un document d’archives ne revêt donc de sens et de valeur que par rapport à cet ensemble, à ce tout dont il procède. 

Il en va de même pour les photographies d’archives. Isolées, prises séparément, celles-ci pour la plupart – au mieux – nous interpellent, attisent notre curiosité ou nous séduisent. Elles ne finissent par faire véritablement « sens » qu’une fois appréhendées dans leur ensemble. Ainsi réunies, mises « bout à bout », les images s’éclairent soudain les unes les autres. Re-contextualisées, elles passent du statut d’œuvres quasi muettes à celui de témoignages délivrant des informations précises, documentant un événement, l’histoire d’un lieu, d’un individu, d’une entreprise, etc. 

Sur ce cliché : deux sacs postaux en provenance ou en direction de la France posés sur le sol, devant un avion. A son bord, un pilote supervisant la manutention du courrier assurée par deux hommes en tenue de mécano. Isolément, que nous dit cette image, sinon qu’il s’agit là d’un témoignage de l’Aéropostale ? C’est une fois replacée dans son fonds d’origine, mise « bout à bout » avec celles issues de la même série, que l’image va dévoiler ses secrets. On apprend alors qu’on est ici au début des années 1920, à Barcelone précisément, où « La Ligne » imaginée par Pierre-Georges Latécoère pour le transport postal, faisait alors escale.

Et l’on découvre que le jeune homme timide, dissimulé sous sa casquette, est Amédée Jayet (1899-1981) qui a connu dans l’aéronautique civile, un étonnant destin. Entré en 1922 aux Usines Latécoère de Toulouse-Montaudran comme simple mécanicien, il a gravi rapidement les échelons pour finir directeur-adjoint du Centre de Révision de Toulouse d’Air-France. Proche de Mermoz, d’ailleurs rencontré à l’Escale de Barcelone, à la même période que notre photo, c’est à lui que ce dernier aurait confié avant sa disparition : « Vivement que je reparte en courrier sur l'Atlantique ! Au moins, là-haut, on vit ! »… Si la consultation de ce fonds (5Fi) récemment traité vous intéresse, les images numérisées sont accessibles ici.  

Le mystère de Nérac, la fontaine de pétrole, 1947. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi5/618.

Siphonnés


décembre 2022

Novembre 1947, Nérac (Lot-et-Garonne), des robinets de la fontaine de Fleurette, se met à couler de l’essence. En deux temps trois mouvements, l’affaire occupe la presse locale et nationale qui voient deux avis s’affronter : les uns assurent qu’un gisement se réveille, arguant que le sous-sol recèle un filon pétrolifère, les autres restent sceptiques et s’en remettent aux experts.
En attendant le verdict, Dieuzaide, méthodique, revient donc de Navarre avec des clichés qu’il classe soigneusement en album. D’abord des vues générales de la bourgade, sa rivière la Baïse, son château de la maison d’Albret, puis la fameuse fontaine à conter des histoires. Mise en situation de la population devant les robinets, on montre que le liquide s’enflamme, on tente même une mise en scène « à la façon d’un laboratoire », où, installé à un établi, l’on fait manipuler une bouteille avec une pince… tout en tenant une cigarette allumée à la main. Chaque élément décrit dans les articles parus est illustré, l’ensemble est localisé, daté et organisé*, un personnage est identifié, le reportage est paré pour la vente. Nous avons découvert que France Soir a publié une des photographies dans un article du 6 novembre 1947.
Pendant ce temps, les analyses se poursuivent et les conclusions tranchent le débat : le liquide recueilli est bien raffiné. La voix de la raison corrobore une enquête de police qui atteste de la disparition, possiblement dans le secteur, d’un camion de carburant dérobé en 1940. La piste de l’enfouissement puis de la détérioration des cuves sous terre semble la plus sérieuse, selon plusieurs papiers en date du 7 novembre 1947.
De là à savoir qui était le plus siphonné du camion dérobé ou de certains spécimens de la population, il y aurait un pas que nous ne franchirons pas. En revanche, lorsque nous franchirons une frontière, ce sera sans doute à pied pour aller constater de nos propres yeux si réellement du vin rouge coule de la fontaine d’Irache. Siphonner ou conduire, on a toujours dit qu’il fallait choisir.


* cliquer sur la vignette puis chercher les vues 64 et 65 pour voir les pages de l’album

Observatoire du Pic du Midi de Bigorre, 1880-1908, négatif N&B, 12 x 17 cm. Émile Cartailhac – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 92fi76.

Vue des étoiles


novembre 2022

Pour aujourd’hui, vos lunettes et jumelles ne suffiront pas, je vous conseille de vous équiper d’une longue-vue, ou même d’un télescope, et vous invite à plonger la tête dans les étoiles, et dans une brève histoire de l’astronomie. De tout temps, et même à Toulouse, le ciel et ses mystères ont toujours fasciné les foules. Après des prémices au cours du 17e siècle, inspirées des mouvances et avancées scientifiques de l’époque, c’est au 18e siècle, où Toulouse, acquiert un début de renommée dans ce domaine. Le tout premier observatoire s’installe dans une tour des remparts de la ville, mais rapidement jugé peu adapté, plusieurs scientifiques de l’élite toulousaine décident d’aménager leur propre espace dédié à l’étude des astres. Parmi eux, la personnalité de François Garipuy se démarque tout particulièrement, il installe son observatoire, au rez-de-chaussée, puis au tout dernier étage de sa demeure, située au 16 rue des fleurs, en plein cœur du quartier Saint-Étienne et à deux pas du Palais de Justice.

Presque un siècle d’observations et de découvertes a passé, avant la conception de l'actuel Observatoire de Jolimont. A partir de 1839, il fallait gravir la longue rue du 10 avril, pour atteindre un des points culminants de la ville, la butte de Calvinet, depuis lequel on construisit ce tout nouveau site dédié à l’astronomie. En ces lieux, c’est toute une histoire des sciences, mais aussi d’hommes et de femmes, pour certains devenus célèbres, tel que Benjamin Baillaud, d’autres anonymes, mais œuvrant avec passion en tant que techniciens, calculatrices, ou auxiliaires, à l’étude des phénomènes célestes. C’est depuis ces coupoles, à l’époque isolées de toutes nuisances lumineuses, qu’ils usaient d’instruments pointus, ou bien mystérieux (tout dépend du point de vue), afin de scruter de plus en plus près, ce qui nous paraît encore et toujours si inatteignable.

De nos jours, les études astrales ne sont plus réalisées au sein de cet établissement. Il nous faut maintenant côtoyer des sommets, certes pas au point d’atteindre les étoiles, mais c’est bien depuis le Pic du Midi, à 2 877 m d’altitude, qu’une partie des travaux de l’observatoire astronomique de Midi-Pyrénées est menée. Sur cette photographie, issue du fonds du préhistorien Émile Cartailhac, il nous donne à voir le site à l’aube de ses premières années. On distingue à l’image, les bâtiments nouvellement conçus, depuis 1880, portant tous deux le nom des fondateurs : Charles du Bois de Nansouty et Célestin-Xavier Vaussenat. On remarque aussi l’absence de la coupole Baillaud, construite quelques années après, au tout début du XXe siècle, en 1908. Apparaît aussi sur ce cliché, un photographe, sur le point d’immortaliser ce moment historique, ou bien de capter l’admirable point de vue dont il est aussi spectateur.

[Marché aux puces de Saint-Sernin], années 1900. Pierre Henri Désiré Laffont – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 18Fi150.

Déballons !


octobre 2022
« Emballage » : nom masculin désignant, selon le Larousse, l’action d’emballer (le conditionnement, l’empaquetage) mais aussi le papier, le carton, la caisse, etc. ; bref, tout ce qui permet de réaliser cette action. Or, à l’heure du zéro déchet, du vrac, de la consigne... et de la lutte contre le gaspillage, nos emballages n’ont plus vraiment la cote. C’est pourquoi, en lieu et place, je vous propose un déballage mais un déballage « historique », préfigurant nos actuels vides-greniers : celui désordonné et, à même le sol, des marchands de fripes et vieilleries du marché de l’ Inquet.
Emblématique de Toulouse, ce marché de tradition ancienne a pris le nom d’ Inquet, « crochet » en occitan, pour désigner ce qui servait à fouiller la marchandise ou ce que le fripier utilisait pour suspendre ses vêtements. Il signifie également « hameçon », métaphore suggérant le fait d’attirer les chalands. Au début du 20 e siècle, comme en témoigne cette image, et depuis la fin du 19 e, ce marché aux puces était organisé chaque dimanche matin, autour de la basilique Saint-Sernin. Chiffonniers, pelharòts ou simples particuliers seront ensuite remplacés par des brocanteurs et antiquaires, et ce marché rythmera encore longtemps la vie des Toulousains.
Sur cette image, on en voit d’ailleurs flâner sous leurs ombrelles et canotiers devant l’ancienne Bourse du Travail. Mais que viennent-ils donc chercher ? « On se monte, on se meuble à l’ Inquet, racontait Paul Mesplé dans le Bulletin municipal du 1er janvier 1940. Certains y achètent leurs fauteuils, leur lit, leur bicyclette, leur auto même. On y trouve des alcoomètres, des revolvers, des bénitiers […]. J’y ai vu des titres de noblesse, des paquets de lettres d’amour. On y retrouve des souvenirs de famille, des portraits, des volumes dédicacés. On y sauve des épaves d’êtres qu’on a connus et estimés. » Des bienfaits parfois insoupçonnés de l’économie circulaire.
Rédaction du journal Vaincre, 1944-1945, Photographie N&B, 17 x 13 cm, Jean Dieuzaide, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi2231.

Fort en Thème


septembre 2022
Qui d’entre nous peut bien se vanter d’être un brillant « fort en thème » ? Élève assidu et étudiant très certainement exemplaire, Jean-Pierre Vernant fait bien partie de ces quelques rares érudits au parcours particulièrement fascinant. Né en 1914 dans une ville de région parisienne, Provins, il fréquente pour ses études les couloirs des lycées Carnot et Louis-le-Grand, puis ceux de la Sorbonne. Tout comme son grand frère Jacques, et seulement quelques années après lui, en 1937, il est reçu premier à l’agrégation de philosophie. Penseur pluridisciplinaire, mêlant à la fois l’histoire, l’anthropologie ou la psychologie, c’est pour la pensée et les mythes de la Grèce antique qu’il se passionne. Il devient d’ailleurs une des figures majeures de l’hellénisme moderne. Passeur de savoirs, tout au long de sa carrière, il enseignera dans de nombreuses institutions prestigieuses : au CNRS, à l’Ecole pratique des Hautes-Études, ou encore au Collège de France.
Si son nom ne vous dit rien, et si vous êtes féru d’histoire plus contemporaine, peut-être connaissez-vous l’homme sous une toute autre identité. Universitaire et professeur talentueux, il s'illustre aussi au travers de ses engagements politiques. C'est sous le pseudonyme de "colonel Berthier" que ce fort en thème se mêle à l’histoire de Toulouse lors de l’invasion des forces allemandes dans la zone sud. Depuis 1940, il est professeur de philosophie au lycée Pierre-de-Fermat, et c’est là qu’il s’engage dans une lutte clandestine au sein de la Résistance. Il rejoint le mouvement Libération-Sud et devient responsable de l’Armée secrète dans le département. Devenu par la suite commandant des Forces Françaises de l’intérieur de Haute-Garonne, il œuvre avec ses compagnons à la libération de Toulouse, le 19 août 1944, sous les ordres du colonel Serge Ravanel.
En cherchant dans nos fonds, il vous sera possible de retrouver quelques photographies du dit personnage au curriculum vitae bien fourni (comme ici, , ou encore là). En grande majorité, elles sont prises par Jean Dieuzaide. Sur l’image illustrant ce billet, on le reconnaît à gauche de l’image, en pleine discussion avec un autre homme, devant eux sont disposés des caractères d’imprimerie en plomb pour la composition d’un journal. Prise dans les années 1944-1945, ils se trouvent au 57 rue de Bayard. A cette époque, cette adresse abritait les locaux du journal Vaincre, hebdomadaire publié de 1944 à 1945. En fouillant dans l’œuvre du même artiste, il vous est aussi possible de découvrir certains de ses reportages et images iconiques sur la Libération de Toulouse.
Les ménagères pillent un magasin d’alimentation, Toulouse, 15 septembre 1945, Jean Dieuzaide Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi2/772.

Hors-champ


juillet-août 2022
Aujourd’hui, parlons photographie, parlons cadrage. Tout bon photographe vous le dira, la manière de cadrer et de composer son image est quelque chose de particulièrement primordial quand on tente de s’adonner à cette pratique artistique. Et si, pour une fois, nous regardions non pas ce qui se passe à l’image, mais à l’inverse, ce qui en est absent, ce qui se trouve au-delà des quatre marges du cliché ? Mais comment, me diriez-vous ? Et c’est justement là toute la complexité de ce qu'on appelle le hors-champ. Si par définition, il représente ce qui échappe au champ de la capture, il n’en reste pas moins une part importante de la narration et de la composition. Particulièrement utilisé au cinéma, il séduit aussi les photographes. Il peut résulter d’un hasard, d’une maladresse, ou de manquement technique, mais aussi d’une réelle volonté esthétique, artistique, voire documentaire. Si on est attentif, une photographie peut être ponctuée d’indices permettant de nous éclairer davantage sur son contexte. Mais, parfois, au contraire, la volonté de l’artiste peut être tout autre : celle d’interroger, d’intriguer, de captiver, et de susciter l’imagination de son public.
Sur ce cliché pris par Jean Dieuzaide, rapidement on se questionne. Mais que peuvent-ils bien regarder, ces badauds rassemblés sur nos trottoirs toulousains ? et pourquoi se tiennent-ils donc les mains croisés derrière leur dos ? Alors, en tant que spectateur assidu, on s’attelle d’abord à regarder tous les moindres détails de l’image : l’état du trottoir, la position des mains, les ombres qui s’impriment sur les façades, les tenues du groupe d’hommes ; tant d’éléments qui nous permettront peut-être de comprendre ce qui peut bien se passer ce samedi-là. Au demeurant, ici, seul le titre « Les ménagères pillent un magasin d’alimentation, Toulouse 15 septembre 1945 », donné par son auteur, nous permet réellement de lever le voile sur le mystère. Entre-temps, les plus inventifs d’entre vous se seront peut-être déjà raconté une tout autre histoire. 
En piochant dans nos fonds, on peut d’ailleurs trouver une tout autre manière d’invoquer le hors champ : des scènes et personnages coupés par le cadre de l’image, des ombres mystérieuses, des reflets multiples dans des vitres, des miroirs, ou même des regards passionnés sur des sujets pourtant invisibles. 
Le mode d’emploi en main, vous avez maintenant le champ libre pour vous livrer, vous aussi, à ce périlleux exercice photographique. Peut-être même que, tout comme Jean Dieuzaide, vous y arriverez, et avec brio bien sûr. En tout cas, de mon côté, j’y vais de ce pas.
Le Pré de la Fadaise à Bourg Saint Bernard, 1964, Photographie N&B, 6 × 6 cm. André Cros – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi3001.

Au pré de la Fadaise


juin 2022
Quand André Cros réalise ce cliché, nous sommes en 1964, et comme chaque lundi de la Pentecôte et ce jusqu'à perpétuité, tout le village de Bourg-Saint-Bernard, petite commune du Lauraguais, célèbre la fête du pré de la Fadaise. Son origine remonte au temps de la Croisade des Albigeois, au XIII e siècle. En 1211, pendant le siège de Lavaur, mené par Simon de Montfort, des Bourguignons délivrent un des leurs, le fils unique d'une riche veuve. Cette dernière, en récompense, offre aux courageux habitants une grande fête populaire et équestre dans une prairie qui lui appartient.
Ainsi, depuis plus de 800 ans, en toutes circonstances, la cité de Bourg n'a jamais failli aux traditions. Elle se pare, encore et toujours, de son coutumier défilé de cavaliers et organise d'étonnantes fadaises dans le Pré.
Le maire, à cheval, en tête du cortège, ouvre le bal suivi de près par la foule. Des chars sont décorés de fleurs, des jeunes portent costumes et piques légendaires ornés de drapeaux. L’ensemble se dirige vers le « Prat Contrast », situé à 2,5 km au nord de la commune, dans la vallée du Girou. Et le tout en musique, aux notes de « l'air du Pré de la Fadaise ».
Mais c'est à l'orée du pré, qu'enfin, les festivités commencent. Les jeunes gens s'adonnent à la cueillette de Briza Media, appelée aussi « Herbe d’Amour », et en font des bouquets. Puis a lieu le fameux concours de portage, lors duquel, traditionnellement les garçons dévalent le champ tout en portant délicatement les filles. Mais évidemment, les rôles peuvent aussi s’inverser. L'après-midi se clôt par l'épique course à cheval. Le vainqueur, devenu Roi de la Fête, choisit la Bourguignonne qui sera sa reine (si, bien sûr, ce dernier ne se fait pas envoyer paître par la demoiselle). Et c'est alors l'heure pour la joyeuse cavalcade, escortée du nouveau couple, de regagner la place principale du village, pour y danser et festoyer jusqu'à la tombée de la nuit.
Maintenant, il vous faudra un peu de patience, et attendre l’année prochaine, si jamais vous souhaitez vous aussi participer à cette réjouissance folklorique. Et peut-être, qui sait, pourriez-vous, pour les plus chanceux d’entre vous, espérer trouver l'amour dans le pré.
Portrait d’Alphonse Delpont, 1952, huile sur toile, 57 x 50 cm. Arthur Finemann - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 20Fi/nc ; casquette et médaille, 1Obj/nc.

La toile et le chapeau


mai 2022

En février 2021, les archives ont fait l’acquisition d’un ensemble d’objets ayant appartenu à un ancien gardien de la prison Saint-Michel : une casquette brodée d’une étoile, une médaille et un diplôme délivré par l’administration pénitentiaire. Sans oublier la pièce maîtresse du lot : un étonnant portrait en buste dudit homme. Sur cette peinture, décorée d’un cadre blanc et doré, le surveillant est vêtu de son uniforme et coiffé de son couvre-chef réglementaire en feutre.
Mais l’aspect le plus intriguant de cette œuvre s’avère être la signature peinte en noir en bas à gauche, indiquant le nom de l’artiste et la date : Arthur Finemann, 1952. La légende familiale raconte que le portrait aurait été réalisé dans l’enceinte de la prison et par un des prisonniers. Après moult recherches, le verdict est tombé (sorti du chapeau), Arthur Finemann, était bel et bien un ancien détenu de la maison d’arrêt de Saint-Michel.
En juin 1951, convoqué par le tribunal militaire de Toulouse, il est condamné pour des crimes de guerre perpétrés lors de la Seconde Guerre mondiale. Ancien membre de la Gestapo à Rodez, il est jugé responsable du massacre de Sainte-Radegonde d’août 1944. Appelé le « Grand Luc », il hérite aussi du sinistre surnom de « terreur de l’Aveyron ». Après trois années d’emprisonnement à Toulouse, il quitte la France et finit par rejoindre son pays natal, l’Allemagne, pour y poursuivre son activité de peintre et de marchand d’art.

Il est vrai que le portrait lui-même présentait certaines caractéristiques, pour ne pas dire un air de famille - notamment en termes de pilosité - qui auraient pu nous donner des indications sur la personnalité de son auteur.

Expositions Toulouse, 1907, Chrysanthèmes. L. Ader - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Fi/nc/inv21951/4

Fécule


avril 2022

- « Rhaaa… mais c'est plus du grain là, c’est des patates ! »
Parmi les photographes qui ont travaillé en argentique, celles et ceux qui ont entendu ou prononcé cette phrase sont légion. On fait alors référence à l'aspect granuleux des films qui s'observe sur les émulsions très sensibles à la lumière, comme les 3200iso, ou, bien sûr, les pellicules de mauvaise qualité ou mal traitées. Ce qu'on ne sait pas toujours, même lorsqu'on est né au temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, c'est que la pomme de terre a réellement été utilisée en photographie.
En 1907, Louis Lumière met au point un nouveau procédé qui permet de restituer les couleurs sur une plaque de verre : l’autochrome.  À la couche de gélatino-bromure d'argent désormais traditionnelle, il adjoint une couche de fécule de pomme de terre dont les grains ont été teintés en rouge, vert et bleu. Oui, je sais "that rings a bell", ou "ça dit quelque chose", comme on dit par chez nous. En effet, il s’agit du principe de restitution des couleurs par synthèse additive, dont les écrans de télévision cathodiques (que les moins de 20 ans, etc.), par exemple, utilisent le principe. C’est-à-dire que ce sont de petits points lumineux, alignés de manière régulière, qui reçoivent une quantité de lumière différente et la renvoient sur la rétine, le cerveau se chargeant d’analyser le mélange et de traduire l’information. L’espace colorimétrique restitué est donc très dépendant des teintes utilisées pour colorer la fécule, ce qui explique les couleurs surprenantes que l’on observe sur ces autochromes, difficiles à numériser.
La photographie qui illustre cet article est tirée d’une boite de 4 plaques montrant l’atelier de photographie de L. Ader, en 1907 justement. Outre les instruments et objets mis en scène et qui feront l’objet d’une autre publication, ce bouquet de fleurs est parfait pour montrer un grossissement de cette couche de poussière organique (ci-dessous).

Le percepteur d’impôts Charles Chevillot (1891-1980) a travaillé au Sénégal et au Mali ; il fut affecté à Aspet à son retour en France, puis dans la Sarthe, avant de revenir à Toulouse pour sa retraite. Il a pratiqué la photographie en amateur tout au long de sa vie. Son fonds compte près de 900 photographies, dont 160 plaques stéréoscopiques autochromes, réalisées entre les années 1910 et les années 1930, en Afrique, dans les Pyrénées et à Toulouse. Elles offrent une vision colorée rare de scènes et paysages que les moins de 90 ans…
Pour résumer, les premiers enregistrements en couleur de la réalité ont été rendus possibles avec de la poussière de pomme de terre. C'est patatique !

Raoul Berthelé, Paul Descoings et M. Lamoureux devant un avion biplan M. Farman, Amiens, 1915. Raoul Berthelé - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 49Fi169.

Descoings perdu


mars 2022
Paul Descoings, natif d’Angers et fils d’un général de l’Armée de terre, est mobilisé en tant que pilote au sein du premier groupe d’aviation durant la guerre 1914-1918. Il croise la route de Raoul Berthelé, officier d’approvisionnement et photographe amateur, sur un champ d’aviation, près d’Amiens, en 1915. Une amitié se noue. En résulte une cinquantaine de clichés réalisés par l’opérateur et représentant l’aviateur, que l’on peut trouver dans le fonds Berthelé-Faucher conservé dans nos collections.
A l’instar de son ami Raoul, Paul décède des suites d’une maladie contractée durant son service en 1920 et sera lui aussi honoré du statut de « Mort pour la France ». Son épouse, qui se remarie rapidement, n’entretient pas la mémoire du défunt, si bien que ses descendants perdent quasiment toutes traces de lui. Il aura fallu attendre plus d’un siècle, à l’occasion d’un travail mené par un enseignant et sa classe à Amiens, pour que le fil se renoue.
A la recherche d’informations sur la région amiénoise et plus particulièrement sur une manufacture installée à Saleux, Louis Teyssedou tombe, au fil du net, sur les images réalisées par Raoul Berthelé et consultables sur notre site. Explorant plus avant, il découvre la totalité du fonds et les nombreuses photographies figurant le chef-lieu de la Somme et ses environs. L’idée d’une valorisation via une exposition et la publication d’un ouvrage prend forme. Par lui contacté, notre service s’associe à sa démarche, d’autant que des projets de valorisation similaires avaient déjà été menés en 2008 (exposition « 1 guerre, 2 regards », et publication de Rémy Cazals, 1914-1918 : images de l'arriere-front. Raoul Berthelé, lieutenant et photographe, éditions Privat).
C’est grâce aux réseaux sociaux que M. Teyssedou parvient à entrer en contact avec le petit-fils et l’arrière-petite-fille de Paul Descoings. On peut imaginer leur émotion, lors de l’inauguration de l’exposition « La guerre de Raoul Berthelé » le 22 février dernier à l’espace Léo-Lagrange d’Amiens, à la découverte des photographies de leur aïeul perdu… et retrouvé. 
Portait d’une jeune femme, 1855, daguerréotype 1/4 plaque rehaussé de couleur, Franck & Furioux - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 17Fi43

Argent secret


février 2022
Dans chaque image, il y a un secret. Encore faut-il savoir le débusquer. C’est encore plus vrai pour le daguerréotype qui, de par son pelliculage d’argent poli,  tient à la fois du miroir et de la photographie. Laissons-nous donc entraîner de l’autre côté du miroir… c’est-à-dire au dos du cadre.  La jeune fille portraiturée, dont l’identité demeure secrète, y a écrit ces quelques mots : « J’ai posé le 16 juillet 1855 à l’âge de 23 ans. Franck Furioux peintre de Paris ». détail au dos du daguerréotype
Nous connaissons donc la date, l’âge du modèle et le nom de l’artiste. Ce dernier est qualifié de peintre, ce qui est assez courant dans les premiers temps de la photographie, établi à Paris, qui est un gage de qualité pour les premiers daguerréotypistes. Mais il y a un secret dans cette signature. Car il ne s’agit pas d’un seul homme, mais bien d’un duo qui créa un studio éphémère à Toulouse entre 1852 et 1855 au 61 rue de la Pomme : Franck & Furioux.
Du second nous ne savons pas grand-chose, hormis son activité professionnelle à Toulouse dans les années 1850. Quant au premier, c’est une autre histoire… en partie secrète. Car Franck est le pseudonyme de François Marie Louis Gabriel Gobinet de Villecholle. On imagine qu’il  a dû raccourcir quelque peu son nom pour des questions pratiques ou pour éviter au patronyme des seigneurs de Villecholle d’être associé à une profession jugée peu honorable en ces temps.
Mais il y a une autre raison. Orléaniste convaincu, le photographe parisien s’exila à Barcelone quand éclata la Révolution de 1848. Son retour progressif dans la France de Napoléon III, via Toulouse, s’est ainsi fait dans la plus grande discrétion, à tel point que les ouvrages de référence d’histoire de la photographie ne le mentionnait pas. Il a fallu attendre la publication du premier volume de l’Encyclopédie historique de la photographie à Toulouse. 1839-1914  de François Bordes en 2016 pour qu’il soit enfin documenté. Un secret de moins.
Toulouse, cathédrale Saint-Étienne, tuyauterie du positif de dos. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi_nc_Toulouse5186/4 (tirage issu de la série Les orgues), virage au sélénium

Viré


janvier 2022

Ce n’est pas ce que vous croyez. Il est vrai qu’un virage constitue un changement d’orientation, que le terme peut être pris à la lettre ou à la légère, même si un virage est souvent lourd de conséquences. Point de brutalité ici, restons délicats, comme les virages photographiques.
Le procédé consiste à « combiner le dépôt métallique (argentique donc) avec des métaux nobles comme l’or, le platine, ou des éléments comme le plomb, le sélénium, le souffre, etc. »1. Utilisé dès le 19e siècle pour améliorer la stabilité des tirages, cela permet également de donner une teinte (du jaune au brun, du bleu au rouge en passant par le pourpre) à des photographies monochromes. Si l’on peut pratiquer le virage sur la totalité du tirage il est également possible de se restreindre à certaines parties de l’image, mais cette technique n’est pas une colorisation pigmentaire et n’est pas considérée comme une retouche. 
Nous conservons peu de tirages virés aux Archives municipales. Le fonds Jean Dieuzaide en compte une trente-cinquaine, dont 8 sont actuellement exposés dans la rétrospective Jean Dieuzaide – 60 ans de photographie au réfectoire du Couvent des Jacobins. Parmi les autres, cette photographie issue de la très belle série Les orgues, initiée par une commande de l’État à l’occasion de l’Année du patrimoine en 1980.

 

1 Bertrand Lavedrine, (re)Connaître et conserver les photographies anciennes, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2007, p. 146.

Environs de Maguelone, Hérault. Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi/nc/Herault447

Aide-toi


décembre 2021
… et le ciel t’aidera, poursuit l’adage. Sans doute, cela signifie qu’il faut d’abord chercher en soi-même les ressources pour atteindre les objectifs que l’on se fixe. Sans doute, Jean Dieuzaide était un gisement d’énergie à lui seul pour entreprendre autant et pour édifier une œuvre aussi riche que celle que nous présentons au réfectoire du Couvent des Jacobins. Connu pour les moustaches fleuries de Dali dans l’eau, pour le reflet de sa chemise blanche dans le regard limpide de la petite fille au lapin, ou pour le sourire éclatant de la gitane allaitant après la danse ; connu pour ses clichés du Concorde ou ceux de la libération de Toulouse ; connu pour son approche moderniste de l’art roman... Dieuzaide était aussi un militant et un précurseur, un explorateur qui allait au-delà de l’événement, du paysage, de la photographie. Ce Dieuzaide est à découvrir. Et sans doute, ce Dieuzaide va vous plaire.
L’exposition Jean Dieuzaide – 60 ans de photographie montre le travail d’un artiste et d’un artisan,  d’un entrepreneur, d’un voyageur, d’un reporter, d’un contemplatif, d’un homme engagé, fédérateur, porté par sa foi, ses convictions, et son travail. Autant de facettes pour celui qui a consacré sa vie à la Photographie, l’a érigée au rang de discipline artistique, et qui a œuvré pour qu’elle intègre les collections et fonds des institutions patrimoniales.
Courez découvrir cette œuvre magistrale et sensible exposée jusqu’au 6 mars 2022.
Pyrénées. Groupe d'hommes autour d'un cabanon. 1910-1920. Ludovic Gaurier – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 67Fi158.

Haches dans l'axe


novembre 2021
Ludovic Gaurier fut abbé. Il fut aussi photographe, poète, aquarelliste et pyrénéiste. Ses photographies sont souvent fascinantes, au point que, en découvrant celle-ci, notre billet a complètement changé d'orientation par rapport à l'idée de départ.
Cinq hommes posent en habits de travail devant un cabanon et des outils, dans un paysage montagneux non identifié précisément, pendant les années 1910. Pas de quoi hacher un chat (fouetter, hacher, quelle différence). Mais regardons de plus près les éléments de cette image construite sur un axe parallèle à la plaque de verre. Faites-vous plaisir, vous pouvez zoomer avec la molette.
La composition en strates superposées (le sol au premier plan, la rangée d'ouvriers aux bérets alignés et la crête de la butte) relègue les hommes dans une bande d'image scandée d'un mélange d'outils, de corps, de jambes, de bras et de perches comme autant de mâts hérissés devant un abri de fortune dissimulé sous des mottes d'herbes sèches. Avez-vous vu comme ils se ressemblent ? Appuyés sur un manche de hache ou de masse, et poing sur la hanche, ou bien assis main sur le genou, moustache discrète ou charnue, ils nous feraient parier sur un assemblage de pères, oncles, frères et fils. En sabots ou souliers cloutés, en habits rapiécés, gilets de velours troués, arborant un fusil ou les mains dans les poches, ils posent. Que font-ils ? Dans quelle tâche l'abbé Gaurier les a-t-il interrompus, le temps de se glisser sous la toile noire de sa chambre photographique et de figer quelques centièmes de seconde de vie sur le verre de sa plaque ? Si je n'avais pas une tonne de travail en train de me regarder d'un air louche sur le coin de mon bureau, je resterais bien à les observer comme ils m'observent depuis l'autre bout du siècle passé.
Mettre le prix du sable dans la boîte fixée à la grue. Reportages entre le pont Neuf et le pont Saint-Pierre. Toulouse, années 1960. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi69/202.

Patrimoines


octobre 2021
Si aujourd’hui on en couvre la prairie des Filtres l’été, le sable à Toulouse était surtout au fond de la Garonne, voire sur les péniches du canal du Midi. Témoin insatiable de l’évolution de sa ville, Jean Dieuzaide a photographié les abords des voies d’eaux à de très nombreuses reprises... en plus du reste !
Ce reste, ce sont près de soixante ans de photographie au cours desquels le photographe a marqué de son œil, gravé dans les sels d’argent, les richesses de la France et de l’Europe des Trente Glorieuses, avant de s’engager dans la lutte pour la reconnaissance de la photographie et des photographes. Ce reste, c’est la majeure partie de son fonds photographique, patrimoine toulousain conservé aux Archives municipales, recelant plus de 400 000 pièces, dont la mise en ligne progressive permet déjà de consulter près de 6000 images décrites individuellement.
Vous avez sans doute remarqué, en centre ville, des photographies en grand format sur l’espace public. Relayée sur le portail Urban-hist, cette exposition est l’un des événements que la ville rose consacre à Jean Dieuzaide à l’occasion du centenaire de sa naissance. Une rétrospective sera présentée à partir du mois de décembre au réfectoire des Jacobins, ainsi qu’un catalogue, un cycle de conférences et des projections audiovisuelles. Programme à venir...
Portrait d'un homme à la moustache et aux favoris dont le visage a été retouché. 1864-1865. Eugène Burgard – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi10484 (détail).

Retouche


septembre 2021
Transformer, lisser, rehausser, corriger des imperfections pour répondre à une attente non atteinte au premier chef : force est de constater que la retouche photographique, qui ne date pas de Photoshop, est bien visible dans nos fonds iconographiques. Sans surprise, les portraits sont les principales victimes des pinceaux rectifieurs. Il s'agit d'améliorer la représentation des personnes, voire de la ville, puisque nous avons une vue de Toulouse dans le lot. Sur ces deux tirages, on note la volonté de pallier les imperfections dues au matériel employé. Les contours du visage de l'homme sont soulignés, tout comme ceux des bâtiments. D'ailleurs, c'est revendiqué haut et fort, en cette seconde moitié du 19e siècle, le photographe est aussi peintre et « auteur de l'éclairage et de la retouche en photographie » (verso, vue n° 2). Pas étonnant, donc, de voir des miniatures franchement peinturlurées ! Sommes-nous ici en présence d'un essai, d'un pastiche, d'une démonstration, ou simplement du résultat de l'évolution de deux matériaux différents, l'émulsion photographique et les pigments de retouche ?
Autres supports, autres techniques, autres effets. On retouche le papier, certes, mais également le négatif. D'ailleurs, on retouche ce dernier d'abord. Cela permet de corriger une bonne fois pour toutes, notamment les visages. Regardez-moi ce grain de peau ! N'est-il pas digne d'une publicité pour crèmes rajeunissantes ou pour cosmétiques magiques ?
Terminons ce billet en revenant à nos préoccupations archivistiques. Tout élément ajouté à un document, quel qu'il soit mais particulièrement iconographique, est une altération et présente le risque d'évoluer différemment de son support. C'est une des raisons pour lesquelles les restaurations doivent être réversibles. Aujourd'hui, elles sont réalisées à l'aquarelle mais les photographies que nous conservons ont la plupart du temps été retouchées par leurs producteurs dans un souci de durabilité, avec des pigments, des encres, du gris film etc.
Vue prise des toits de la cathédrale Saint-Étienne (circa 1900). Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi2459, fonds des Toulousains de Toulouse.

Rêver à Toulouse – Ô toi


juillet-août 2021

Ceci est une déclaration. Une déclaration à Toulouse, ma ville natale, que j’aime tant. 
Quelle vue le photographe nous en donne-t-il là ! Lui qui s’est péniblement hissé à l’aide d’un comparse, avec son appareil et ses plaques de verre, sur le toit de la cathédrale Saint-Étienne. Il a l’air de faire si chaud ce jour-là. Des canotiers les protègent du soleil de plomb. Sous leurs yeux ébahis, la ville comme elle s’offre rarement au regard et sur laquelle semble flotter comme un air de vacances et de dolce vita. Toulouse n’est-t-elle pas d’ailleurs célébrée – depuis Stendhal et Henry James – pour son allure italienne ?

Les silhouettes des Augustins et des Jacobins comme les coupoles du Grand Hôtel ou de La Grave nous ramènent cependant à Toulouse. Et cette image, empreinte de douceur, est une invite à la découvrir autrement. « Si vous voulez flâner à travers Toulouse, conseillait Pierre Cabanne, ne prenez pas de guide, empruntez le lacis de rues caillouteuses et fraîches qui part de la place Saint-Étienne… le long des demeures des parlementaires, des nobles, des parvenus ou des marchands, regardez les façades, levez le nez sur les porches, entrez dans les cours, montez les escaliers… et, si vous le pouvez, grimpez sur les toits et rêvez. C’est la chose la plus agréable du monde que rêver à Toulouse1. » 

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1 Pierre Cabanne, Toulouse (Paris : Éditions du Temps, 1963, coll. « Lieu-dit »).

Scènes composées : spectacle de magie (fin 19e). Mairie de Toulouse, Archives municipales, 46Fi1375.

Magie et... photographie


juin 2021

La magie aujourd'hui a la cote. Et pas seulement dans cette Lettre consacrée à l'attribut du magicien ! Alors que se tient l'exposition « Magies et Sorcelleries » au Muséum de Toulouse, me revient en mémoire un beau livre sur lequel, dans une autre vie professionnelle, j'ai travaillé : le catalogue d'une exposition sur la photographie spirite, organisée par le Metropolitan Museum (New York) et la Maison européenne de la Photographie (Paris), retraçant les liens entre sciences occultes et photographie1. Au fil de l'édition de l'ouvrage, je découvrais stupéfaite des clichés aussi étranges que fascinants. Transes, lévitations, visions fantomatiques, apparitions de fées (!), médiums faisant surgir de leurs corps de mystérieux ectoplasmes... Autant de manifestations de l'invisible que les photographes avaient réussi – avec plus ou moins de bonheur et souvent de trucages, diront les plus sceptiques – à capter. Sur cette image, point de médium en transe ni de tables qui tournent, mais un illusionniste, avec ses accessoires, proposant ses tours de magie à un public qui lui semble acquis.
Si la photographie entend documenter le réel dans toute sa matérialité, ses liens avec l'occulte sont plus nombreux qu'il n'y paraît. Les daguerréotypes n'avaient-ils pas, selon Walter Benjamin, le pouvoir de capturer l'aura ? Et de saisir cet inconscient optique qui échappe à notre regard ? « La nature qui parle à l'appareil photographique, écrivait-il, diffère de celle qui s'adresse à l'oeil »2... De même, la vision en relief de cette image stéréoscopique colorisée ne relevait-elle pas du tour de magie pour ceux qui, à la fin du 19e, la découvraient ? Et que dire enfin de ce médium qu'est la photographie qui permet, comme d'un coup de baguette, de nier l'espace et remonter le temps, nous mettant en présence de contrées lointaines et d'êtres disparus ou absents ?


1. Le Troisième œil : la photographie et l'occulte, Denis Canguilhem, Clément Chéroux et Pierre Apraxine (Paris, Gallimard, 2004).
2. Petite histoire de la photographie, Walter Benjamin (Paris, Allia, 2012).

M. Escudier gardien de musée gagnant de la Loterie Nationale (1952). André Cros - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi4923.

Gains


mai 2021
Le bonheur ne tiendrait qu’à un fil et pas à l’argent. Il peut aussi, semble-t-il, tenir à une boule. Que la vie nous secoue comme une lessiveuse, qu’elle nous ratatine comme un rouleau compresseur, qu’elle passe comme un boulet de canon, il arrive aussi qu’elle nous emporte sans prévenir dans un tourbillon grisant. Et la métaphore est encore circulaire, voire sphérique.
C’est fou comme une petite balle peut influer sur la perception de la vie. Une petite balle et un numéro. Signe arbitraire dessiné sur une surface. Quel vertige d’imaginer que, sur la colossale masse de la Terre, en 1952, dans la tête d’épingle qu’est Toulouse, un homme, dont la fonction est de veiller à la sécurité et à l’intégrité d’œuvres produites par d’autres hommes dans un passé plus ou moins lointain, a soudain changé de point de vue sur sa vie. L’espace d’un souffle son cerveau a reçu une stimulation qui a propulsé l’ensemble de ses tracas dans les profondeurs de son inconscient tout en faisant sauter les verrous de l’impossible que sa condition de veilleur d’œuvres lui imposait. Oui aux nouveaux costumes, oui aux mets raffinés, aux vins étourdissants et veloutés, oui à la voiture rutilante, oui à la maison confortable, oui aux voyages lointains. Et, oui à l’humain ?
Tant que la boule hésite, le rêve est en suspens pour l’éternité. Dès qu’elle tombe, elle frappe sa victime en pleine évasion et lui colle ses chimères sur le dos. Alors, insidieusement, celles-ci remplacent les songes par des châteaux et le gagnant, qui  pensait posséder la fortune au creux de sa main, y perd son innocence avec ses illusions.
Chantier avenue Marcel-Langer. Louis Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi10195.

Le grand absent


avril 2021

Qu’il s’agisse du cachet de la poste sur une carte postale, de celui d’un photographe, d’un organe de presse ou d’une administration au dos d’une photographie, le tampon est ce qui peut permettre de dater l’image, d’en révéler l’histoire, parfois la raison d’être mais surtout la provenance. Simple tampon au verso ou timbre sec apposé à même le cliché (cf. notre illustration), il reste un outil de choix qui nous renseigne sur l’auteur et les droits d’utilisation de l’image. Plus souvent qu’on ne croit, le tampon reste pourtant le grand absent des photographies que nous traitons, nous privant d’informations essentielles et transformant celles-ci en « images muettes », selon le mot de Semprun.

Comment savoir alors quel regard se cache derrière ces photographies ? Il est ainsi assez fréquent – ce qui rend notre métier encore plus exaltant – que nous menions un véritable travail d’enquête pour remonter, d’indices en indices, jusqu’à leur auteur. Des investigations parfois longues, minutieuses, pouvant aboutir à des résultats que l’on n’espérait pas !

Ainsi d’une série de 1300 plaques de verre documentant la vie toulousaine dans les années 1900-1920, mais aussi des opérations militaires menées en Afrique du Nord, notamment au Maroc, avant l’établissement du protectorat français. Des documents conservés dans nos fonds depuis plusieurs années et dont l’auteur demeurait une énigme. Aidés d’un petit carnet de notes – souvent sibyllin – attribué au photographe qui n’y livrait jamais son identité, d’une occurrence d’un nom de famille qui s’est avéré être celui de la femme qu’il avait épousée, ce n’est pas sans émotion que nous avons réussi, en épluchant les actes d’état civil, à retrouver notre homme. Ces photographies avaient maintenant un auteur dont nous connaissions désormais, grâce à l’acte de naissance et au matricule militaire de ce dernier, les grandes dates de la vie. Et quelle ne fut pas notre surprise de tomber un jour par hasard, en salle de lecture, sur l’arrière-petit-fils de ce dernier auquel nous avons eu la joie de faire découvrir ces clichés !

Fin 19e siècle. Portrait en pied d'un bébé, il porte une robe blanche et est assis dans un nid. Au dos : "Henry Delgay. Toulouse. 42, allées Lafayette". Henri Delgay – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi2151.

Choupinette


mars 2021

Un enfant dans un nid : pourquoi pas dans un chou ou une rose, tant qu’on y est ! Celui-ci est en robe de baptême ; ne lui manque qu’un ruban sur le crâne, et nous voilà avec un bel œuf pascal. Songez-y, parents, cette pauvre diablesse n’a rien demandé, et la voici pour la postérité, posant, le regard incrédule, mains sur les hanches et doigts de pieds en éventail. Ce bébé-là est habillé, mais à cet âge ils sont souvent représentés nus, ce qui est le cas depuis au moins le Moyen Âge si vous regardez bien. Il faut donc concevoir la nudité comme une incarnation* de la pureté, de la naïveté ou de innocence. Soit. Mais les choux, nids et autres rosiers, de quoi sont-ils l’expression ?

*Cet enfant n’est pas nu et je lui ai attribué le terme d’incarnation. Le coussin dans lequel il est calé forme deux petites ailes derrière lui, qui font de lui un ange. C’est une référence à l’Annonciation, qui, dès l’iconographie médiévale, marque l’incarnation divine.

Les Foires de Mai aux allées Jean-Jaurès, anciennement Lafayette (1937). Marius Bergé – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi1318.

Faites vos jeux !


février 2021

Et si l’on poussait nos sens jusqu’à l’étourdissement, jusqu’au vertige ? Et si l’on s’évadait, le temps d’un billet, sur les allées Jean-Jaurès quand elles s’appelaient presque encore « Lafayette » et que s’y déroulaient, chaque année, les populaires « Foires de Mai »… ?

C’est à une immersion totale et joyeuse dans une fête foraine bruyante, odorante, colorée, que je vous invite. Vous aussi êtes en manque de sensations fortes, de sourires et de promiscuité ?  Saisissez cette occasion de vous mêler un instant – du moins en pensée – aux visiteurs arpentant les allées. Que leur flot vous emporte et vous grise ! Entendez-vous le grondement de la foule ? Et cet air entraînant et désuet que jouent, à pleins poumons, les cuivres de la fanfare voisine ? A côté, c’est une autre musique : celle du rugissement des tigres de la ménagerie Pezon, dont se dégage une forte odeur de cuir... Vous y êtes ?

Un peu plus loin, après le coin des lutteurs et les baraques des marchands de bibelots, les magiciens font concurrence aux cartomanciennes et autres vendeuses d’espérance. Puis, ce sont les manèges et leur promesse de tourbillon vertigineux. Que ne laissez-vous transporter et découvrir le monde – sinon Toulouse – à l’envers, à bord d’un wagon lancé sur les montagnes russes ? Ne manquez pas non plus la fameuse roulette et autres jeux de hasard. Tout est prétexte pour tenter sa chance. Alors faites vos jeux !

Spectacle de danse au Théâtre du Capitole, 1965. Fonds André Cros – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi5095

Envol


janvier 2021
Les douze coups de minuit passés, nous nous sommes engouffrés dans une nouvelle année. Tels des danseurs, nous avons pris un envol, pleins d’espoirs, vers un futur pour le moins incertain. Corps planants quelques temps dans les courants descendants du couvre-feu, virevoltes acrobatiques entre l’ouverture de la salle de lecture et le télétravail des équipes... quand pourrons-nous retomber sur nos pieds ?
Et même, en tant qu’individus, quels choix ferons-nous, quelle direction donner à nos pas, à nos résolutions, à nos désirs ? Si vous êtes perdues, si vous souhaitez trouver des réponses aux questions les plus épineuses de votre vie de chercheuse, de toulousaine ou de curieuse (déclinez au masculin si besoin), rendez-vous sur notre base de données au chapitre «  Images » et explorez-donc ! Plusieurs modes de recherche permettent d’affiner les résultats, en sélectionnant un fonds spécifique par exemple, ou via l’accès typologique et thématique. Libre à vous de vous y lancer à corps perdu, telle cette danseuse lors d’un gala au théâtre du Capitole. D’ailleurs, pour voir qui était convié à cette représentation, il suffit d’utiliser le mode avancé, de renseigner « gala » dans le champ titre et « Cros » dans celui de l’ auteur, puis de visualiser les vignettes.
La Baie de Naples et le Vésuve. Eugène Trutat – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 58Fi87.

« Voir Naples et... »


décembre 2020

Notre lettre est donc ce mois-ci consacrée au « soupir ». Superbe occasion, me suis-je dit, d’évoquer Venise – à laquelle je suis aimantée – et son pont fameux. Une opportunité, ai-je pensé, de faire (re)découvrir à nos lecteurs les belles photographies sur plaques de verre réalisées par Eugène Trutat et ses confrères de la Société de Géographie de Toulouse lors de leur périple en Italie dans les années 1880-90. Et de conclure ce billet par une citation s’apparentant à un soupir : "Voir Venise et mourir"... L’affaire était dans le sac !

Or, après vérification… il s’avère que ce ne sont pas les charmes de la cité des Doges qui ont inspiré à Goethe cette citation. Loin s’en faut ! Le poète ayant été subjugué, comme il l’écrit dans son Voyage en Italie, par les magnificences de… Naples.

Me voilà donc partie pour rédiger cet article avec, pour seuls bagages, une citation et un soupir ! « Voir Naples et mourir ». Changement de cap, donc ! Quittons les canaux de la mystérieuse et brumeuse Venise pour la lumière de la Campanie. A nous l’Italie du Sud, ses routes escarpées, la côte Amalfitaine qui n’est que poème, les ruines de Pompéi et le Vésuve dont la cime enveloppée de nuages surplombe le golfe de Naples. Cela ne tombe pas si mal, me direz-vous : Eugène Trutat et ses amis géographes nous ont laissé des souvenirs enchanteurs de leur séjour là-bas. Un album-photo que les voyageurs, désormais immobiles, peuvent consulter en un clic, sans sortir de chez eux.

Portrait en pied, debout, de 3/4, devant un décor peint, d'un artiste vêtu de son costume de scène composé d'un pourpoint orné d'une fraise, d'une cape et d'un chapeau. Eugène Merlin – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 3Fi1505.

Pourpoint


novembre 2020

Un pourpoint, une cape, une barbiche, des bas, des souliers, des froufrous, une fraise, un chapeau à panache, des gants : le costume est riche, et renvoie au 16e siècle. L’artiste, dans une attitude presque bouffonne, soigne son image. Mais quoi d’autre ? Nous avons peu d’informations : une notice descriptive, la numérisation du recto et celle du verso.

La photographie est collée sur un carton orné d’un cadre. Ce décor compte plusieurs motifs en référence à la musique, qui ne sont autres que les attributs des muses de la poésie et de la danse. Sans chercher très loin, on peut supposer qu’Eugène Merlin, qui comptait des artistes dans sa clientèle, avait aussi de quoi présenter ses travaux. Nous avons trois portraits de petit format montrant trois personnages dans le même studio à décor peint, mis en évidence sur un carton avec cadre, destiné lui-même à être encadré. Quelle mise en abîme !

Jeune femme assise sur une banquette, accoudée. Toulouse, vers 1900. Cliché Delon-Moreau – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi10589.

De la délicatesse


octobre 2020

Il est des détails qui peuvent passer inaperçus ou que l’on croit insignifiants. Et pourtant… 

Quand on examine un portrait ancien conservé dans les fonds, on regarde généralement le tampon du photographe, l’arrière-plan et son décor, la tenue vestimentaire ou encore la coiffure du personnage. Autant d’indices qui vont nous aider à dater l’image, à la contextualiser et à la faire parler. Or, à se concentrer sur ces seuls éléments, on peut manquer l’essentiel : un geste, un regard, une posture, qui pourtant nous font signe(s). Jeune femme assise sur une banquette, accoudée. Toulouse, vers 1900. Cliché Delon-Moreau – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi10589.

Ainsi du geste, tout en délicatesse, de cette jeune femme posant dans le studio d’un photographe toulousain. Elle est assise, accoudée à une banquette, la main – à première vue – nonchalamment posée sur le dossier. A y regarder de plus près, il n’en est rien. Approchez-vous. Aiguisez votre regard. Voyez cet avant-bras et la texture de la peau. Percevez-vous, dans cet instantané, comme un frémissement – savant mélange de tension et d’abandon, d’appréhension et de confiance devant l’objectif du photographe ?

« Rien de ce qui semble furtif n'est négligeable car il révèle ce souffle de l'air qui entourait ceux qui nous ont précédés et qui nous effleurent encore » témoigne l’historienne Arlette Farge citant Walter Benjamin, qu’elle apprécie tant. Pour elle, certaines photographies sont une « forme de vibration ». Alors que l’histoire officielle passe sous silence les singularités, ces photographies de l’intime exhument les personnages invisibles et les âmes oubliées.

Grève SNCF voyageur seul. Dans les environs de Toulouse. Le 23 octobre 1963. Vue d'un voyageur avec sa valise marchant seul sur la voie ferrée dans les environs de Toulouse. André Cros – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi3142.

Gare


septembre 2020

Le monde se partage en deux catégories de personnes : celles qui aiment le mois de septembre et celles qui ne l'aiment pas. Toutes les raisons sont valables, quel que soit le groupe dans lequel on se trouve. On peut déplorer la fin des vacances ou apprécier que leur interminable longueur ait enfin trouvé un terme. On peut se réjouir de retrouver les camarades de classe, les enseignants, les collègues, les entraînements de rugby, de porter enfin ces jolis vêtements neufs mais un peu trop épais pour le mois d'août, ou pas. Les bouchons se reforment gentiment sur des axes trop fréquentés, ce qui conduit à des décisions fracassantes : « puisque c'est comme ça, je vais prendre les transports en commun ! ».
Eh bien, il était temps. Cette possibilité est offerte aux toulousains depuis le milieu du 19e siècle, lorsque la ligne de chemin de fer ralliant Bordeaux et poursuivant vers Sète dépose ses paquets de voyageurs, leurs valises, malles, mallettes et boîtes à chapeaux dans le quartier Matabiau. Le réseau de tramways d'alors, conçu pour convoyer les voyageurs entre les différents quartiers de la ville et le chemin de fer, est très bien représenté sur le portail UrbanHist, avec ses 4 lignes au départ de la gare. Vous apprendrez notamment que celle-ci est agrandie tout juste 50 ans après son inauguration. Des plans indiquent l'emplacement prévu pour les consignes à bagages, ce qui vous permettait de laisser votre bagagerie sur place le temps de faire un tour en fiacre pour rapporter quelques souvenirs, puis de repartir fissa : direction l'étang de Thau, le port de Sète, les tielles et le muscat. Parce que oui, il y a d'autres avantages au mois de septembre : celui de partir en congés sans emporter la foule dans son balluchon, les familles bruyantes, les bambins criants, les voisins de plage envahissants, et autres désagréments pour juillettistes et aoûtiens.
Quant aux joies de la circulation à la rentrée, certains semblent leur avoir trouvé une parade : marcher sur les voies, mallette en main. Il n'est pas certain que ce soit efficace, ni confortable, ni sûr.

[Pyrénées. Campement au bord d'un lac]. Ludovic Gaurier – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 67Fi141.

« Là, tout n'est qu'ordre et beauté… »


juillet-août 2020

Parfaite illustration du vers de Baudelaire, cette photographie des années 1910-1920 est une invitation au voyage. Un voyage aux Pyrénées. Celui-là même qu'a entrepris Ludovic Gaurier né à Bayon-sur-Gironde en 1875, descendant d'une longue lignée de marins, entré dans les ordres avant de devenir professeur de sciences naturelles. Alors qu'il n'a pas 30 ans, la surdité le frappe et l'isole : il s'installe alors à Pau et décide de consacrer son temps aux Pyrénées qui le fascinent depuis l'adolescence. A lui, désormais, les grandes explorations solitaires – le surnom d'« ours » lui est attribué –, l'ascension des sommets, l'étude des glaciers, la limnologie… 

C'est d'ailleurs sur les rives d'un lac pyrénéen que l'abbé Gaurier a installé ici son campement, réduit à l'essentiel : deux simples tentes de toile. Juste à côté, les mains posées sur les hanches, un chapeau vissé sur la tête, un homme contemple ce paysage grandiose. S'agit-il de notre pyrénéiste communiant avec cette nature ordonnée ?

Dans son journal, celui-ci relate une nuit d'été passée au clair de lune, au bord d'un lac de montagne. Un éblouissement que je vous partage, en vous souhaitant de bonnes vacances : « Décidément, il fait trop chaud dans mon sac en peau de mouton... Si j'allais faire un tour de canot ?... Quelle nuit magnifique !... Calme complet. Je détache le bateau et me voilà parti sur le lac. La lune à droite du petit Pic se reflète d'une rive à l'autre. Je nage dans la lumière et chaque coup de rame soulève des paillettes d'argent… Longtemps, je vogue ainsi, goûtant avec ivresse le calme divin de cette nuit. » Ordre, calme et beauté.

Gare Matabiau, quai et voie. 4 octobre 1899. Vue d'ensemble d'une locomotive à vapeur en gare. Eugène Trutat – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi13

Souffler


juin 2020

Le doux verbe, dont la seule pensée alimente chez moi des rêves d'autre-part ! Souffler, partir loin, à plus de 100 km, plus loin que la station spatiale internationale, pour plus longtemps que 55 jours, sans masque d'où les sourires ne peuvent plus jaillir que d'yeux, ni mètre, sans télé, sans travail, sans injonctions à la rentabilité du vide, sans école et sans maison. Partir juste dans un grand jardin ensoleillé, à bicyclette avec la liberté sur le porte-bagages. Soyons patients, ce sera pour bientôt. Nous retrouverons peut-être la même émotion qu'Eugène sur le quai de la gare Matabiau devant la fière mécanique fumante prête à l'embarquer vers les flots sétois en un éternuement !
Si nous ne pouvons attendre, il reste une solution : le visio-dépaysement. Cela consiste à se rendre sur une base de données bien garnie d'images, comme celle des Archives municipales, et à y entrer ses propres invites à la rêverie.

Les Jeux Floraux, la Fête des Fleurs (1936). Marius Bergé – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi1084.

Dans les pas du poète


mai 2020

Nous sommes en mai 1936. Et, comme chaque année depuis des siècles, l'Académie des Jeux Floraux célèbre sa « fête des Fleurs ». L'éloge de Clémence Isaure, figure inspiratrice mystérieuse, ayant été prononcé en salle des Illustres, une délégation de membres de la plus ancienne société savante d'Europe se rend à la Daurade. Les fleurs d'orfèvrerie désormais bénites, il n'y a pas de temps à perdre.
C'est à pied et à un rythme soutenu – en témoignent les visages un peu flous saisis au premier plan – que les « mainteneurs », comme il est d'usage de les appeler, quittent la basilique, leurs fleurs de poésie en main. Après une halte à l'hôtel d'Assézat où la société a établi son siège, ils sont attendus au Capitole pour remettre aux lauréats du concours poétique leurs récompenses.
En 1819, c'est à un poète naissant – le jeune Victor Hugo, âgé de 17 ans – que l'Académie décerna, lors de ce même concours qui l'opposait à Lamartine, la plus haute distinction qui soit. Son « Ôde pour le rétablissement de la statue d'Henri IV » déchaîna, paraît-il, l'enthousiasme quand elle fut déclamée dans les salons du Capitole : elle méritait bien un Lys d'or ! Les années passant, Hugo n'oublia pas l'Académie des Jeux Floraux qui, la première, sut reconnaître et encourager son talent. Ces quelques vers extraits de son recueil, Les Feuilles d'automne, se font l'écho de ce passage toulousain : « Toulouse la romaine où dans des jours meilleurs, j'ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs ».

Immeuble situé 2 rue de Metz abritant le « Parfait Jardinier », commerce de graines et de fleurs, 1949. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi5452.

Eclore !


avril 2020

Ceci n'est pas une injonction, seulement un titre – choisi avec soin – pour désigner cet article. Et il est de saison ! Que nous donne à voir cette image prise en 1949, peut-être un jour de printemps ? Une devanture de magasin, celle du « Parfait jardinier », institution toulousaine proposant depuis près de 150 ans aujourd'hui, aux numéros 2 puis 16 de la rue de Metz, des graines potagères, fourragères et de fleurs.
Difficile me direz-vous, en cette période de confinement, de se procurer fleurs et semences pour vaquer insouciant à sa passion du jardinage. Détrompez-vous…
Ce temps particulier, pour le moins distendu, n'offre-il pas l'occasion de cultiver d'autres jardins, cette fois intérieurs ? Ne peut-on transcender ce printemps confiné pour faire éclore, en « parfaits jardiniers », une créativité, des dons ou des ressources qui ne cherchent qu'à s'exprimer ? C'est à une éclosion de ce genre que je viens d'assister admirative, dans mon service : plusieurs de mes collègues et néanmoins amis s'étant portés volontaires pour prêter main-forte au personnel des centres médicaux avancés mis en place par la ville. Une action solidaire parmi tant d'autres qui me fait dire qu'en 2020, les qualités humaines font aussi le printemps !

La Défense de Toulouse contre les inondations (1937). Marius Bergé – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi23.

Variations autour des piles du pont... neuf


mars 2020

Cette photographie ancienne sur plaque de verre exerce sur moi un pouvoir mystérieux. Elle capte mon regard, retient mon attention. Pourquoi certaines images nous aimantent-elles autant ? 
Est-ce dû à leur sujet – à un événement, un visage, une attitude qui nous interpellent, à un endroit qui nous est familier ou que l'on affectionne ? Ou cela tient-il à des considérations esthétiques de forme : à une lumière, un contraste, une composition particulièrement léchée ? 
Sur ce cliché, tout y est – ou presque. Une combinaison parfaite de fond et de forme. La forme d'abord : la prise de vue, en plongée, d'un chantier sur la Garonne qu'encadrent élégamment, au premier plan, le muret du Cours Dillon et, à l'arrière, le tablier et les arches du Pont-Neuf. Le sujet ensuite. Nous sommes en été 1937 et, conséquence des récentes crues, d'importants travaux sont engagés pour défendre Toulouse contre les inondations et renforcer les piles du pont. 
En contrebas, des ouvriers s'affairent sur une machine noire aux cheminées fumantes : la sonnette, chargée d'enfoncer les palplanches qui isoleront les piles le temps des travaux. A l'arrière-plan, dissimulés derrière un nuage de fumée, le pont et ses arches revêtent un aspect étrange.
J'aime l'atmosphère qui se dégage de ce cliché. Et peu importent, en définitive, les considérations de fond et de forme, tant que les images continuent ainsi de happer notre regard. 

Bâtiment des Archives municipales de Toulouse (2016), magasin 12. Stéphanie Renard – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Num13/46

Récoleurs


février 2020

En ce moment, aux AMT*, il se passe de drôles de choses. L'équipe au quasi grand complet, c'est-à-dire 24 personnes (car il y a tout de même quelques exemptions), s'adonne aux joies du récolement.
- Mais qu'est-ce donc, mon cher ?
- Nous comptons, ma mie !
- Vous comptez, j'en suis fort aise ! (Ainsi donc chez ces gens-là on compte …qui l'eût cru, moi qui pensais qu'on s'y abîmait les yeux sur de vieux parchemins poussiéreux !)
- Absolument. Nous comptons ce que nous avons dans nos fonds. Un mètre ruban dans une main, un ordinateur dans l'autre, nous mesurons les boîtes, nous contrôlons, comme des fourmis, centimètre après centimètre, les près de 18 km de rayonnages (du Capitole à Montastruc en ligne droite). Et croyez-moi, des documents, il y en a tant et tant ! C'est un vertige de cotes, une danse de numéros sur des tableaux, des croix dans des cases, des heures dans un magasin réfrigéré à scander des incantations de lettres insensées, à chanter des successions de phrases sans verbe, une poésie de chiffres à vous faire prendre des lignes de code pour du Rimbaud. Et tout ça pour quoi ? Je vous le donne en mille, ma mie !

 


- Je suis toute ouïe, très cher.
- C'est réglementaire. Oui, c'est obligatoire. Une municipalité se doit de faire le compte de ses collections tous les six ans : ce qui est entré, ce qu'il y a, ce qu'il manque.
- Vous m'en direz tant !
- N'est-ce pas. Alors oui, ces temps-ci, on récole.

*Archives municipales de Toulouse, pour les intimes.

Th. Raynaud, représentant de fabriques. "34, route de Castres, 34. Toulouse". Vers 1910. Personnage en pied tenant un pot de chambre qui porte l'inscription: "En désirez-vous?". Carte postale publicitaire. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi6171.

Curieux


janvier 2020

Si vous avez été éduqués par ma mère ou ma grand-mère, vous connaissez sûrement l'expression « curieux comme un pot de chambre ». Si, comme je le soupçonne, vous avez grandi dans d'autres maisons, peut-être que la sonorité de cette phrase est nouvelle. Dans tous les cas, nous nous accorderons pour qualifier cette image de truculente. Inutile de poursuivre un master en histoire de l'art pour analyser l'iconographie : on comprend bien le propos.


Maintenant, imaginer qu'un homme, sûrement un soir de réveillon, s'est échauffé : « Moi, Môssieur, je peux tout vendre, et je le prouverai ! », puis le lendemain est allé trouver un photographe, lui a exposé son projet, et est revenu tirer les rois, brandissant fièrement sa nouvelle carte postale publicitaire, pourquoi pas ? C'est d'ailleurs forcément ce qui s'est passé. Mais je suis sceptique sur l'efficacité du résultat. Je serais même curieuse de savoir si les clients du sieur Raynaud ont apprécié.

 

Antoinette et Annette, années 1900. Pierre Henri Désiré Laffont – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 18Fi49.

Là !


décembre 2019
Mais à quoi ou à qui peut bien songer Toinette ainsi assise dans sa salle à manger, au coin de la cheminée dans laquelle un feu semble crépiter ? Le regard dans le vague et le poing droit (étrangement) fermé, elle est perdue dans ses pensées alors que sa petite fille, épuisée de fatigue ou de fièvre, s'est assoupie sur ses genoux. Une image de lassitude.

S'inquiète-t-elle de la santé de la jeune Annette, souffrante ? En a-t-elle assez de prendre la pose pour son photographe de mari, Pierre Henri Désiré, qui occupe un poste de rédacteur breveté à la direction des Postes et Télégraphes et qu'elle a épousé il y a quelques années ? Ou est-elle seulement lasse à l'approche des fêtes de fin d'année et de leur éternel retour ? S'interroge-t-elle – elle aussi – sur la composition du menu de Noël, sur le nombre d'invités ou même sur le plan de table ? Las… !

La vie est une fête, Toinette, et les événements festifs à venir dans la prochaine quinzaine ne pourront que le démontrer. Là !
Départ de la course rue du Moulin du Château. Toulouse 1910. Vue d'ensemble des concurrents avant le départ d'une course cycliste donné depuis la rue du Moulin-du-Château. L'un des concurrents s'appelle Jacques Leufroy. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi48.

Je mets les bouts


novembre 2019

J'enfourche, relève avec énergie la pédale avec le bout de mon pied droit puis pose sa pointe sur la petite plateforme mobile. J'aime la sensation que ce geste produit, il me galvanise. Je suis prête. J'attends de faire enfin tourner la transmission, de me balancer de tout mon poids sur une jambe puis sur l'autre. J'emmagasine l'adrénaline ; dès le coup de feu, je me jetterai avec elle et avec puissance sur mon guidon, le dos plat, le buste au-dessus de la roue avant. La vision en tunnel, je fixe déjà mon point de fuite, droit devant. Au bout de la première ligne droite, quand les autres prendront le virage, je prendrai la poudre d'escampette, et à moi la liberté ! Finie la course, vive les vacances, un bout de saucisson par ci, un grand bol d'air par là, je me poserai sur un bout de gazon et compterai fleurette aux coccinelles en regardant les nuages, les oreilles bercées par les grillons et chatouillées par les bourdons butinant leur trèfle.


Pas sûr que ces fiers cyclistes aient eu de telles pensées, ils ont l'air plutôt ravi, prêts à lancer leurs jambes droites par-dessus leurs selles comme dans un ballet classique, à virevolter de part et d'autre de leurs montures en poussant leurs corps au-devant des gravillons, un sourire à bouffer du moustique en travers de leurs gueules d'anges. Mais au bout du compte, pour eux comme pour moi, l'important est de prendre du bon temps et de revenir contents.