Arcanes, la lettre


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...

GRENOUILLE


mars 2024

DANS LES ARCANES DE


Enfants jouant dans la cour de la maternelle du Béarnais, 17 septembre 1979, photographie N&B, 18×24 cm. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 2Fi3513.

Les p’tits crapauds


mars 2024
Petit, j’aimais bien Kermit la grenouille, mais il a très vite  été détrôné par l’arrivée de Casimir en seconde partie de l’émission 1, rue Sésame. Ainsi, le dinosaure le plus sympa du PAF a raflé la mise et marqué plusieurs générations téléspectateurs français. Certes, ce dernier tenait plus du reptile géant que du batracien, mais ne sont-ils pas tous deux indéfectiblement liés à la jeunesse ?

Car je ne saurais expliquer pourquoi les bambins sont littéralement aimantés par les têtards, grenouilles et autres tritons. Sûrement un mélange de peur et de fascination, comme pour les tyrannosaures. D'ailleurs, à y regarder de près, le scénario de L'Île aux enfants est assez effrayant. Imaginez un groupe d'enfants séparés de leurs parents, isolés sur une île où sévit une bestiole préhistorique. On se croirait plus dans Jurassic Park que dans Oui Oui décroche la lune.

J’invoquerai donc votre âme juvénile pour aborder ce 151e numéro d’Arcanes en vous invitant d’abord à une chasse ranicole qui s’élargira ensuite à toutes sortes de produits de la nature, sous l’œil du jeune reporter Jean Dieuzaide.

Nous remonterons ensuite un peu plus loin dans le passé pour évoquer les perceptions météorologiques sous l’Ancien Régime. Elles varient, certes, dans le temps mais pareillement dans l’espace. Ainsi lorsqu’il y a de l’humidité dans l’air en Normandie, dans le Sud on appelle ça la pluie.

Quoi qu’il en soit, l’eau et les archives n’ont jamais fait bon ménage, car si nos têtes blondes aiment à patauger dans les flaques, c’est un peu moins le cas des archivistes. Pour prévenir ce type de déconvenues des travaux d’étanchéité sont actuellement en cours dans notre bâtiment. Ce qui est finalement assez logique pour un ancien réservoir.

Originellement construit en 1892, cet édifice faisait partie du système général d’alimentation en eau de la ville au même titre que les nombreuses fontaines publiques. Qui s’y intéresse pourra y découvrir, ici et là, des représentations grenouillesques.

De mon côté, je me souviens, enfant, avoir découvert sous quelques centimètres de terre, un gros crapaud vivant. L’expérience s’est avérée assez désagréable, contrairement, j’imagine, aux archéologues ayant fait une batracienne trouvaille sur le site gaulois de Vieille-Toulouse.

Et pour achever cette cure de jouvence, que diriez-vous d’un petit barbotage sur notre base en ligne ? Vous y pécherez sûrement quelques spécimens remarquables !

ZOOM SUR


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Ardizas (Gers), 1946, chasse à la grenouille, dans le reportage « Quatre jeunes filles en vacances à la campagne ». Jean Dieuzaide, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi4/4.

À table !


mars 2024

Ce qui est incroyable avec le fonds Dieuzaide c’est que vous tirez sur un fil et toute la pelote se déroule. Un peu comme quand je cherche un titre à mon article. Par exemple, sur le thème de la grenouille, une première recherche nous permet de découvrir un reportage de 1946 intitulé « Quatre jeunes filles en vacances à la campagne » où une des photographies porte la légende « chasse à la grenouille ». C’est maigre pour un article Arcanes. A peine peut-on parler du fait que ce sont les premières vacances post-guerre et que Jean Dieuzaide, comme ses contemporains, souhaite passer à autre chose, montrer que la jeunesse française peut se détendre, profiter de la paix, sortir les bikinis et taquiner le batracien. Sorte de mantra pour conjurer la morosité. D’ailleurs, dès 1945 il avait photographié les premières vendanges en temps de paix après 6 années de répression. 


Mais en creusant plus avant, de frogs en rosbifs, s’impose la question de la cuisine traditionnelle ou, plus largement, de l’alimentation. Et là, il y a. Plus qu’on ne pense. Il y a de quoi illustrer une évolution de la production agroalimentaire et de sa communication pendant les Trente Glorieuses. 


Joie. Et frustration parce que l’exhaustivité est une illusion.  


Nous avons donc, pour la production, le gavage des oies à la main et avec le sourire (toujours en 1946 et visible en ligne), la transformation et le conditionnement du lait dont la production de beurre (Union laitière coopérative), de biscottes (Paré), la cueillette (alimentation de Provence). Le conditionnement n’est pas en reste avec un reportage sur la verrerie ouvrière d’Albi et la verrerie BSN. Signalons un reportage dédié à la production de berlingots pour le lait et des images de produits à fins publicitaires chez ULC.  


Et la commercialisation, on en parle ? Le fonds regorge de prises de vues dans les foires et les marchés, que ce soit autour de joueurs de rugby, de célébrités résidant ou de passage à Toulouse et bien entendu des reportages spécifiques sur les activités économiques. Cela nous mène inévitablement aux foires-expo ou au marché-gare, dont il a également suivi la construction, des maquettes (pour la municipalité de Toulouse) à la fabrication par les Ateliers de la Rive (nous en avions exposé un tirage aux Jacobins en 2021-2022) et l’entreprise Loupiac. Inauguré le 21 avril 1964, André Cros s’y trouve, alors que Jean Dieuzaide est à Arnaud-Bernard pour suivre sa dernière journée de vente. Rassurons-nous, il a suivi de près l’arrivée de l’Épargne et de Monoprix. Ceci nous permet d’affronter un choix cornélien : architecture ou industrie ? Mais si nous restons fidèles à notre idée de départ et que nous nous en tenons à l’alimentation, d’un marché à l’autre nous passons à Victor-Hugo et aux Carmes, dont Dieuzaide nous offre des avant/après reconstruction. Poussons encore d’un pas et partons dans le Gers, nous y trouvons le marché au gras de Trie-sur-Baïse ; continuons à l’étranger : la nourriture reste très présente dans les reportages au Portugal, en Turquie et en Espagne. Poursuivons plutôt vers le nord : même à Londres, il nous délecte d’étals. Nous voici presque au point de départ, un petit saut de grenouille et nous voilà sur nos pattes. 

DANS LES FONDS DE


Parapluie. Facture néerlandaise. Vers 1770-1780, avec restauration visible d'éléments vers 1890-1910. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° BK-1967-92.

Il fait un temps de...


mars 2024

Nos fonds d'archives n’ont jusqu'à présent révélé aucun grand cataclysme comparable à cette pluie et invasion de grenouilles évoquée parmi les dix plaies d'Égypte ; mais on y trouve toutefois au fil des chroniques des capitouls nombre d'événements climatiques extrêmes qui ont frappé leurs contemporains."Pluviôse" - série des mois du calendrier républicain. gravure de Salvatore Tresca, d'après une oeuvre de Louis Lafitte, vers 1792-1794. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-2017-6023-5.
À Toulouse comme ailleurs, les chercheurs ont su mettre en évidence les grands cataclysmes, les dérangements du temps comme les cycles réguliers du climat. Cette histoire globale, qui a su mobiliser historiens et scientifiques les plus divers, a suscité depuis une quinzaine d’années un formidable écho dans nos préoccupations actuelles.
Mais il reste encore tout un pan à explorer, cette fois à une échelle microscopique. Quel était le ressenti de chacun devant une ondée, une grosse pluie, un orage, un coup de vent ? Comment prévoyait-on le temps avant l'invention de la grenouille du bocal et de l'échelle ? Comment s'habillait-on en cas de pluie ? Quelles activités cessaient en laissant passer l'orage et quelles autres en faisaient fi.
Après avoir posé des premiers jalons lors du VIe Congrès des archivistes de l’Arc Alpin1, les sources d'archives liées au ressenti climatique à Toulouse sous l'Ancien Régime ne cessent d’émerger : chroniques des Annales manuscrites, registres de délibérations, de comptabilité, des rondes du guet, sans oublier les procédures criminelles des capitouls qui révèlent des possibilités souvent insoupçonnées.
Le ressenti de nos aînés face à une météo aussi bien ordinaire que déchaînée attend désormais son chercheur ; un atelier public y sera d'ailleurs consacré en automne prochain, avec comme point de départ une mort suspecte dans une flaque...

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1 - Dont les actes ont été publiés dans La Gazette des archives, n°230, 2013-2. "Les sources d’archives pour l’étude du climat et de l’environnement", pour Toulouse, voir plus particulièrement p. 230-238.

LES COULISSES


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Toulouse. Février 2024. Vue de la partie sud-est du chantier d'imperméabilisation des toitures végétalisées du bâtiment des Archives municipales. Clara Javierre, Stéphanie Renard - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Num_nc.

Il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenouille !


mars 2024

D'importants travaux de rénovation de l'étanchéité de la toiture végétalisée des Archives ont commencé en début d'année, donnant lieu à un ballet de benne, pelleteuse, terre et chalumeau. D'ici l'été, la toiture sera comme neuve et le réservoir de mémoire préservé de tout risque d’infiltrations. Mais quel est le protocole en cas de sinistre ? Les archives, comme pour le risque incendie, ont mis en place un plan de traitement des documents qui seraient mouillés du fait d’infiltrations d’eau voire d’inondations.

Équipés de leur pull marine, les archivistes procéderaient ainsi :  
• évacuation des documents pour mise en séchage,
• identification par une étiquette indiquant leur cote,
• étalement des dossiers sur de grandes tables
• et pose de papier absorbant entre leurs pages.

 

Une semaine plus tard, lorsque le risque de moisissure est écarté, les documents secs sont reconditionnés et réintégrés dans les magasins d'archives. Si nécessaire il faudrait recourir à la congélation, solution inévitable lorsque des documents sont détrempés. Dans ce cas-là, les archivistes lutteraient contre le temps car ils n'auraient que 48h pour faire congeler les archives, qui seront ensuite séchées par lyophilisation.

DANS MA RUE


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Fontaine de l’immeuble 16 rue Valade. Phot. Krispin, Laure, 2003 (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie, IVC31555_20033100121NUCA.

La grenouille et le lion


mars 2024
On aurait imaginé que la grenouille, animal des mares et des étangs par excellence, serait fortement représentée dans l’iconographie des fontaines, il n’en est rien. L’animal le plus fréquemment rencontré sur les fontaines toulousaines est le lion : par son museau il crache l’eau qui s’écoule dans les bassins. Dès l’Antiquité, les bouches de fontaines, les gargouilles ou les vases sont ornés de mufles de lion, animal de feu qui s’unit ainsi à l’eau. Cette tradition perdure jusqu’aux pompes à bras de la 1re moitié du 20e siècle que l’on voit dans la campagne toulousaine.

Il est vrai que la grenouille a un côté sombre, lié aux ténèbres, qui pourrait expliquer cette mise à l’écart. Son cousin le crapaud n’est-il pas le compagnon de la sorcière ?

Grenouille de la fontaine Clémence Isaure. Phot. Soula, Christian, 1981 (c) Inventaire général Occitanie.
Il faut attendre le 19e siècle pour voir se multiplier les animaux aquatiques dans l’iconographie des fontaines toulousaines, comme dans les mises en scènes des places Salengro ou Olivier :
 hérons, tortues, enfants poissons et enfants libellules s’ébattent dans des jeux d’eau. Des poissons sont mêmes ajoutés aux marmousets de la fontaine Saint-Étienne qui jusqu’alors urinaient dans l’eau à la manière du Mannenken Pis, heurtant le goût de ce siècle qui ne saurait voir.

Mais la grenouille associée à une fontaine apparaît à Toulouse avec l’œuvre de Léo Laporte-Blairsy où le pittoresque règne : Clémence Isaure, la muse des poètes toulousains, surmonte la fontaine ornée de poissons, de tortues et de grenouilles, reine d’un monde aquatique.

On retrouve la grenouille, en béton cette fois-ci, décorant la fontaine d’un immeuble rue Valade, se démarquant parmi les fontaines de la fin du 20e siècle qui préfèrent plutôt la figure traditionnelle du mufle de lion.

SOUS LES PAVÉS


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Grenouille sculptée dans un bénitier de l’église Saint-Paul de Narbonne, photographie Frédéric Vialelle, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Fouille à la grenouille


mars 2024
Les Égyptiens ont produit, durant l’Antiquité, des lampes en terre cuite représentant une grenouille et l’une d’elles a été retrouvée à Bordeaux vers 1910. Elles restent malgré tout rares en Europe et aucune des fouilles effectuées jusqu’à présent à Toulouse n’a apparemment révélé ce type d’objet. Néanmoins, une petite grenouille en bronze, servant de pendentif, fut recueillie lors de recherches sur le site gaulois de Vieille-Toulouse.

Un archéologue médiéviste ou moderniste aura, quant à lui, peut-être tendance à rechercher des grenouilles dans les bénitiers d’église, influencé par la proverbiale expression. Mais il faut avouer qu’à Toulouse, ni même aux alentours, la pêche ne sera pas bonne. Il faudra qu’il explore le département voisin de l’Aude pour enfin trouver, dans l’église Saint-Paul de Narbonne, le joli batracien taillé dans le marbre dont nous présentons une photographie. Il pourrait d’ailleurs en trouver d’autres tout près de là, à l’abbaye de Fontfroide, ou plus loin dans les Corbières, dans l’église de Montjoi. Mais si vous tenez absolument à dégoter un amphibien toulousain, on peut vous suggérer d’aller examiner, au musée des Augustins, un chapiteau provenant de la Daurade qui représente l’histoire de Job. Le diable qui y est sculpté a quelquefois été décrit comme ayant les traits d’un crapaud. Mais c’est assez subjectif, comparé à la rainette narbonnaise.

EN LIGNE


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Bain de mer en famille. Début du 20e siècle. Négatif N&B sur verre, 9 × 12 cm. Raoul Berthelé - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 49Fi1579 (détail).

Grenouiller


mars 2024
Verbe intransitif. Familier. Se baigner, barboter dans l’eau.

C’est un peu ce que me donne envie de faire de faire le thème de ce mois-ci… : me plonger tranquillement dans les profondeurs de notre base de données, à la recherche d’une nouvelle idée, et remonter incidemment quelques trésors ensevelis du fond de la mare. Tout comme dans le grand classique de Disney, l’inégalable Merlin l’enchanteur, la grenouille se plaît à taquiner le jeune Arthur, alors transformé en petit poisson pour les besoins de la leçon du jour, voyons un peu ce que nous avons pu remonter dans nos filets, une fois les eaux redevenues calmes : une carte de visite illustrée, une photographie qui n’est pas encore numérisée, un article de presse publié dans un journal satirique réputé, et si l’on élargit encore un peu le cercle des batraciens concernés, un roman historique enflammé, à plus d’un titre semble-t-il. Une pêche miraculeuse, en somme.