Arcanes, la lettre

Dans ma rue


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici les articles de la rubrique "Dans ma rue", consacrée au patrimoine urbain toulousain.

DANS MA RUE


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La place Olivier et sa fontaine. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi4517.

Une fontaine en commémoration de la crue de 1875


juin 2025

Cette fontaine située sur la place centrale du quartier Saint-Cyprien a été élevée en souvenir de l’inondation survenue dans la nuit du 23/24 juin 1875 ; un texte gravé sur un de ses piédestaux en rappelle les faits. Elle a été offerte à la ville par le Comité d’intérêt local du faubourg Saint-Cyprien dont Hyppolite Olivier, entrepreneur et mécène, en était le président et l’un des principaux bienfaiteurs. En effet, cet homme était à la tête d’une manufacture familiale de confiseries, de liqueurs et de chocolats, établie depuis la fin du 18e siècle dans ce quartier (immeuble Olivier, 14 place Olivier). 

Les plans de l’ouvrage sont dressés par l’architecte Guillaume Dargassies en 1885. Il propose une fontaine d’agrément à trois bassins superposés - deux en fontes s’écoulant dans la cuve principale en pierre - et dont la nymphe des eaux, au sommet, était couronnée par un globe électrique permettant l’éclairage de la fontaine (installation démontée depuis).  De nombreuses figures décoratives complètent cet assemblage : des putti poissons soufflant dans une corne ainsi que des angelots dont certains arborent des ailes de libellules.

La fontaine est, à la demande de la Ville, associée à deux bornes-fontaines latérales pour fournir de l’eau aux habitants du quartier et à un abreuvoir semi-circulaire à l’arrière, permettant aux chevaux de se rafraichir. La place est renommée à ce moment-là : de place du Chairedon, elle devient place Olivier en hommage à son bienfaiteur. 

Lors du dernier réaménagement de la place en 2010, la fontaine a été déplacée et partiellement démontée : elle a perdu son socle, sa balustrade, son abreuvoir, ainsi que ses deux bornes-fontaines, rappelant un temps où l'eau n'arrivait pas encore directement dans les logements.

Rampe à balustres en bois de l’escalier de la maison d’Aldéguier, dite hôtel Marvejol. Phot. Hurault, Charles. Fonds photographique du Centre de recherches sur les Monuments historiques, APMH00141082.

De l'antique


mai 2025

Le garde-corps d’un escalier constitue son principal ornement à partir du moment où cet organe fonctionnel se dégage des murs du bâtiment qu’il dessert. À Toulouse, les plus anciens garde-corps repérés sont faits de balustres en bois adoptant une forme de vase avec un pied, un corps et un col, motifs qui peuvent se superposer et se répètent pour former des balustrades protectrices. Le terme « balustre » est de la plus haute Antiquité : il proviendrait de l’ancien italien balaustra, dérivé du latin balaustium et remontant lui-même au grec balaustion, signifiant « fleur et fruit du grenadier sauvage » selon François Blondel, auteur des Cours d’architecture édités en 1675-1683 (1).

 

Si on peut effectivement voir une certaine ressemblance entre les balustres ronds et cette fleur, les balustres toulousains sont eux plutôt de section carrée, assez élancés néanmoins du fait de la superposition de deux vases, tels ceux de l’escalier de la maison d’Adéguier au 47 rue Pharaon, qui aurait été édifié en 1609-1610. Ce dernier constituerait donc l’un des plus anciens escaliers en bois suspendus recensés à Toulouse lors de l’inventaire du Site Patrimonial Remarquable mené entre 2018 et 2021. À cette occasion, plus de 70 escaliers en bois pouvant dater du 17e ou du début du 18e siècle ont été répertoriés. En vis, rampe-sur-rampe ou suspendus, ils sont à près de 90% pourvus de ces balustres, aux dessins tous différents, motif qui disparaît ensuite au cours du 18e siècle.  

 

Ces escaliers constituent le sujet de la communication des chargées d’inventaire de Toulouse Métropole lors du 5e congrès francophone d’histoire de la construction qui se tiendra du 18 au 20 juin 2025 à Toulouse, où sont attendues près de 150 présentations portant sur les matériaux, les processus de construction, les chantiers ou encore l'histoire des techniques d'entretien et de restauration.

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(1) François Blondel. Cours d’architecture enseigné dans l’Academie royale d’architecture. Premiere [-cinquième] partie ..., A Paris, de l’imprimerie de Lambert Roulland ... Se vend chez Pierre Auboin & François Clouzier ..., 1675-1683, p. 158 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k85661p/f363.item 

Immeuble depuis la rue Rivals. Photo Krispin, Laure. (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie, 2025. IVC31555_20253100221NUCA.

"Il est l'or, Montseignor"


avril 2025

Comment ne pas penser, en regardant ce bâtiment, à cette célèbre réplique du film devenu culte de Gérard Oury, La folie des Grandeurs (1971), qui par un jeu de mots évoque l’heure et les tas d’or ! En effet, cet édifice, occupé par différentes institutions bancaires durant plus d’un siècle, se distingue par la présence d’une singulière horloge. Cette dernière déconcerte par son cadran peu commun affichant les 24 heures d’une journée.  

Elévation antérieure, détail de l’horloge. Photo Krispin, Laure. (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie, 2025. IVC31555_20253100223NUCA.

Cet édifice, portant la date gravée de 1895, a été bâti selon les plans déposés auprès des services de la Ville par l’entrepreneur Joseph Montariol (père du célèbre architecte toulousain, Jean Montariol) pour le compte du propriétaire Manuel. Il est venu remplacer un immeuble plus ancien, comme le montre l’élévation dessinée en 1890, et dont le réalignement de la rue de Rivals a entrainé la démolition. 

Ses façades, érigées en pierre de taille, s’appuient sur une maçonnerie de briques et une structure métallique rivetée, visible sur une carte postale ancienne, et qui est réapparue à l'occasion de travaux réalisés en 2023.

Cet immeuble révèle une architecture de style éclectique, au programme ambitieux, avec des élévations ornées de bossages, de nombreux décors sculptés - dont certains (frontons et médaillons coiffant les portes du rez-de-chaussée) ont disparu lors des réaménagements successifs -, une rotonde couronnée par un dôme d’ardoises mais qui, par ailleurs, manquant de hauteur, semble écrasé par ces mêmes éléments et les édifices voisins de la rue d’Alsace-Lorraine.  

Centre d’amplification des lignes à grande distance, détail du calepinage de brique. Phot. Tolsa, Maxime (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole (c) Inventaire général Occitanie, 2023. IVC31555_20233150557NUCA.

Où sont les femmes ?


mars 2025

Un an après l’exposition de la maison de l’architecture, Exposé·e·s : les architectes femmes oubliées — Maison de l’Architecture Occitanie — Pyrénées, reprenons le dossier des femmes architectes à Toulouse. 

La première femme architecte dont nous ayons la mention à Toulouse est Marguerite Moinault. Architecte des PTT, elle dresse les plans à partir de mars 1943 du centre d’amplification des lignes à grande distance. Elle les signe en conservant les nom et prénom de son mari (« Mme André Moinault ») qui exerce la même profession, ce qui en complique l’attribution. Elle est l’une des premières femmes en France à avoir obtenu un diplôme d’architecte. Son père, Georges Bowé, est également

Centre d’amplification des lignes à grande distance, élévation antérieure. Phot. Tolsa, Maxime (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole (c) Inventaire général Occitanie, 2023. IVC31555_20233150556NUCA. maître d’œuvre, ses enfants, Jacques et Jean-Pierre,le seront aussi. À Paris, Marguerite Moinault réalise notamment en 1965 le bâtiment au 31-35 rue Pastourelle (aujourd’hui protégé au titre des Monuments Historiques), au cœur d’un îlot emblématique de l’architecture des télé communications. 

Femme architecte ou femme d’architecte ? Il est souvent difficile de séparer leurs travaux de ceux de leurs époux. Marie-Louise Cordier est l’une des dix femmes exerçant après-guerre en France. Elle participe à la construction de la cité de Jolimont à partir de 1954 avec son mari, architecte également, ainsi qu’à plusieurs réalisations liées au mouvement coopératif des Castors, comme celles de la cité de Bagatelle. D’après l’ouvrage Toulouse, 1945-1975, au sein de l’agence, elle s’occupait plutôt de la conception, le chantier et les affaires étant plutôt du domaine de René Cordier1. Elle fait ainsi partie du « phénomène des agences de couples d’architecte » qui invisibilisa le travail des femmes architectes autant qu’il leur permit d’exercer ce métier. C’est le cas de Denise Scott-Brown, mariée à Robert Venturi, architectes de l’Hôtel du département. Devenue officiellement son associée en 1989, alors que cela faisait une vingtaine d’années qu’ils travaillaient ensemble, il obtient en son seul nom le prix Pritzker, équivalent du prix Nobel en architecture. Ils signent pourtant ensemble une importante œuvre construite et théorique, Learning from Las Vegas (avec Steven Izenour) paru en 1968, est considéré comme un manifeste de l’architecture postmoderne.  

Nicole Roux-Loupiac et Philippe Loupiac forment un autre couple d’architectes au sein de l’Atelier 13, leur agence fondée à Paris en 1973. Auteure avec son mari de bâtiments emblématiques de la 2e moitié du 20e siècle à Toulouse (on peut citer le théâtre Garonne ou encore le centre de congrès Pierre-Baudis), son œuvre administrative est également considérable. Elle a occupé en effet les charges d’architecte-conseil auprès de plusieurs départements (1984-1997) et du ministère de la Culture (2003-2012), de présidente de l’ordre des architectes de Midi-Pyrénées (1994-1996), une première pour une femme, ou encore de directrice de l’école nationale supérieure de Toulouse (2010-2013).  

Majoritaires au sein des écoles d’architecture, les femmes commencent (un peu) à sortir de l’ombre. Véronique Joffre, à la tête de son agence, a réalisé de nombreux édifices à Toulouse et dans la région, par exemple le groupe scolaire de la Cartoucherie, où elle réinterprète la brique toulousaine comme autant de briques de Lego multicolores. Citons encore l’agence oeco architectes composée de trois associées, qui ont réhabilité les halles de la Cartoucherie. Espérons que le prix Pritzker, attribué en 2020 à Yvonne Farrell et Shelley McNamara, cofondatrice de l’agence irlandaise Graftons Architect et auteures des plans de la Toulouse School of economy, associées aux architectes toulousains Vigneu & Zilio, bâtiment lauréat de l’équerre d’argent 2020, change la donne.

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1. Jean-Loup Marfaing dir. Toulouse 45-75, la ville mise à jour. CAUE Haute-Garonne. Nouvelles éditions Loubatières, 2009.p. 331

Salle du conseil municipal, Capitole, Le vent d'Autan d'André Lupiac, 1928. Phot. Renard Stéphanie (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Occitanie, 2016, IVC31555_20253100082NUCA.

L’Autan un vent local


février 2025
L'Autan, prolongement du vent marin soufflant sur les côtes du Languedoc-Roussillon, touche particulièrement le Midi toulousain et le Lauragais. Figure à part entière de la vie toulousaine, il a été représenté par un artiste local André-Pierre Lupiac sur une des toiles ornant la salle du conseil municipal du Capitole Capitole, salle du conseil municipal. Phot. Renard Stéphanie (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Occitanie, 2016, IVC31555_20253100076NUCA..
En effet, cette peinture, aux couleurs vives et aux formes simplifiées, présente au premier plan l'Autan, personnage joufflu, dégageant de son souffle les nuages obscurcissant le ciel, suivi de près par le char du Soleil.
Au loin Toulouse se révèle au travers du clocher de la Dalbade, du dôme de la Grave et de l'église Saint-Nicolas.
Cette toile mise en place en 1928, est une des dernières venues complétées le décor de cette salle dont le projet avait été approuvé trente ans auparavant. Au total, huit peintres sont intervenus pour exécuter ces œuvres monumentales prenant place sur les murs et au plafond.
Ce dernier, divisé en cinq caissons, est orné de cartouches peints dont deux sont restés vides jusqu'à nos jours. Or, dans le cadre d'une grande campagne de restauration des salons du Capitole, un concours a été lancé pour désigner les futurs artistes chargés d'effectuer les peintures manquantes de la salle du conseil municipal. Ce sont les artistes Ida Tursic et Wilfried Mille, associés au designer architecte Olivier Vadrot, qui ont été désignés comme lauréats par le jury. Ces nouvelles créations seront inaugurées en novembre prochain.
Église du séminaire du Christ-Roi puis église paroissiale, vue d’ensemble. Phot. Fouquet Julien (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Occitanie, 2016. IVC31555_20163100015NUCA.

Fans de roulettes


janvier 2025

Amis skateurs, lorsque vous vous rendrez au skate-park du quartier de la Terrasse, l’un des 10 skate-parks que compte la ville de Toulouse, n’hésitez pas à jeter un coup d’œil à l’église du Christ-Roi, située juste à côté. Ne serait-ce les vitraux dont elle est parée et le clocher qui la cantonne, elle a toute l’apparence d’un gymnase. Érigée selon des plans datés de 1965, au moment même où explose la construction d’équipements sportifs scolaires, elle utilise les mêmes innovations en termes de matériau, notamment le bois lamellé-collé, utilisé à la place du métal dans la charpente1. La redécouverte de cette ancienne technique de collage de nombreuses lattes de bois, modernisée et industrialisée2, permet la réalisation de charpentes légères et de grande portée offrant de vastes espaces, utilisées pour les stades, les halls de gares ou d’aéroport. Au Christ-Roi, les architectes Paul et Pierre Glénat font courir un large bandeau décoré de vitraux le long de la partie haute des murs, bandeau qui se développe ensuite verticalement en travées régulières, délimitées par des dalles de béton désactivé. Les murs pignons sont en brique et reposent sur un socle avec des piliers en béton armé. Église du séminaire du Christ-Roi puis église paroissiale, vue de la nef. Phot. Fouquet Julien (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Occitanie, 2016. IVC31555_20163100026NUCA.À l’intérieur, les arbalétriers de la charpente se poursuivant jusqu’au sol créent une large nef à un seul vaisseau. L’autel est placé contre le mur de brique, légèrement surélevé par un emmarchement mais proche des fidèles, suivant ainsi les consignes de la nouvelle liturgie apportée par le concile de Vatican II (1962-1965). Les premiers plans des frères Glénat, datés de 1962, montrent un tout autre programme : l’église de plan hexagonal place l’autel au centre de l’édifice, les façades sont percées de petites baies géométriques et la toiture est formée par un jeu de pans inclinés. Que s’est-il passé entre la pose de la première pierre, le 17 juin 1962, et sa consécration le 30 octobre 1966 pour un tel changement de parti ? On peut supposer que des questions de budget ont eu raison du programme original, plus ambitieux peut-être.

L’église du Christ-Roi se situe à l’entrée d’un ensemble paroissial, accueillant à l’origine un petit séminaire qui se composait, outre l’église, de salle de classes, de dortoirs, d’un réfectoire et d’un bâtiment pour l’administration. Les équipements sportifs compris dans les plans masses, et notamment le gymnase, n’ont en revanche jamais été construits.

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1 - Philippe Bonnet, « Les équipements sportifs des lycées bretons (1850-1985) », In Situ [En ligne], 44 | 2021, mis en ligne le 11 mai 2021, consulté le 22 janvier 2025.
2 - Portail en ligne du bois lamellé.

Cour Henri IV et le portail dit de Bachelier. Phot. Friquart, Louise-Emmanuelle, 2024 (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie. IVC31555_20243101641NUCA.

Sacré Henri IV !


décembre 2024

Le 13 décembre est la date anniversaire de la naissance d’Henri de Bourbon né en 1553, désigné roi de France et de Navarre sous le nom d’Henri IV en 1589 et sacré à Chartres en 1594. A Toulouse, le nom de ce souverain a été donné dans les premières années du 17e siècle par les capitouls à la cour d’honneur du Capitole.
Cette initiative peut être interprétée comme un geste politique. En effet, elle témoigne d'un désir d’apaisement après les affrontements des guerres de Religion, ainsi que d’une démonstration d’allégeance au pouvoir royal, faisant suite à un soutien inconditionnel à la Ligue catholique. Cette décision entérinée par mandement royal du 5 août 1605 signe la réconciliation. 

Statue du roi Henri IV de Thomas Heurtematte surplombant la cour. Phot. Friquart, Louise-Emmanuelle, 2024 (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie. IVC31555_20243101652NUCA. La cour, aménagée entre 1601 et 1611, est bordée par deux élégantes galeries à arcades alternant les assises de brique et de pierre. Celle située au nord porte les armes du souverain et côté sud, ce sont les armoiries du Dauphin, le futur Louis XIII, qui ornent le centre de la façade. De part et d’autre ont été également apposées des plaques de marbre noir sur lesquelles les Capitouls ont fait graver, en lettres d’or, des textes en latin en l’honneur d’Henri IV et de son fils.  

Deux portails monumentaux permettent l’accès à la cour. A l’est, protégé par un dôme, une statue en marbre d’Henri IV surplombe la cour. Vêtu de son armure de combat, portant originellement l’écharpe blanche des protestants et la croix du Saint-Esprit des catholiques, dans un esprit de réconciliation, son attitude reprend celle des portraits officiels du souverain vainqueur et pacificateur. 

Ce 13 décembre ont été dévoilées les plaques des dédicaces capitulaires nouvellement restaurées.
Par ailleurs, une signalétique proposant les traductions de ces textes en latin, complétées par des éléments de contexte, permet aux visiteurs de les découvrir en toute simplicité.

Quartier Saint-Georges. Creusement du parking. 27 février 1974. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 3Fi302.

Le bruit du marteau-piqueur


novembre 2024

Rares sont les opérations d’urbanisme qui se font à pas feutrés, en douceur et sans heurts, ce serait même plutôt le contraire. Ainsi, plus d’une cinquantaine d’années est nécessaire pour réaliser les percées de la rue d’Alsace-Lorraine, de la rue de Metz et de la rue Ozenne, la dernière d’entre elles, qui voit son achèvement au début du 20e siècle. Ces chantiers de longue haleine alternent des périodes d’intense activité et d’autres de profonde atonie, suscitant souvent de nombreuses oppositions. Des oppositions politiques, suspectant des spéculations financières (parfois à raison) ou cristallisant des désaccords idéologiques, mais aussi l’opposition des habitants, qui voient leur cadre de vie bouleversé.    

Immeuble construit sur les plans de Louis Hoÿm de Marien datés de 1974 et 1976. 241 logements en 1980 (AMT, 693W539/1 à 3). Élévation sur la promenade des Capitouls. Phot. Friquart Louise-Emmanuelle (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Occitanie, 2010. IVC31555_20243102539NUCA Plus près de nous, l’opération de rénovation urbaine du quartier Saint-Georges, menée entre 1958 et 1978 a considérablement bouleversé la configuration de ce quartier populaire, déclaré insalubre depuis les années 1920. La décision de tout démolir pour tout reconstruire, la fameuse « table rase » des Trente-Glorieuses, est prise lors de la séance du conseil municipal du 6 juillet 1959, afin de créer « un centre digne d’une capitale régionale ».  

Plus de 2000 personnes, issues d’une population souvent âgée et aux revenus modestes, sont à reloger. Le premier immeuble terminé au sud de la zone comprend une partie de ses appartements destinée au relogement des personnes expulsées (62 logements en HLM). Non loin, un petit immeuble comprenant 12 appartements est construit par une association d’anciens propriétaires du quartier. Cependant, la plupart des habitants est relogée dans les grands ensembles en cours de construction à la périphérie, à Bagatelle ou à la Faourette1. Dans l’ensemble, ce sont donc surtout des immeubles de standing qui sont élevés dans le nouveau quartier Saint-Georges, conçus par les architectes en vogue dans les années 1970 pour le compte de promoteurs privés.  

Le plan de masse, créé par Louis Hoÿm de Marien, architecte des bâtiments civils et palais nationaux, articule les édifices autour d’une grande dalle piétonne formant une place centrale animée par des fontaines, sous laquelle sont aménagés une galerie commerciale et trois niveaux de parking. La trésorerie générale, des bureaux, un groupe scolaire, un centre social et un hôtel de luxe complètent le programme. L’opération connaît un succès plutôt mitigé : autant les logements ont toujours trouvé preneur, autant la place Occitane et ses commerces, qui devaient remplacer la vieille place Saint-Georges, sont peu fréquentés, malgré d’importants réaménagements entre 2002 et 2007.     

1. Arnauné-Clamens Anne-Marie, 1977, « L’opération de rénovation urbaine du quartier Saint-Georges à Toulouse », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, vol. 48, no 1, p. 89-101.

Port de l’Embouchure, vue d’ensemble des trois ponts. Photo Noé-Dufour Annie, (c) Inventaire général Région Occitanie, 1996, IVR73_19963100966ZA.

Un doublé devenu triplette


octobre

Comme à la pétanque où l’équipe de trois joueurs est appelée triplette, le site du port de l’Embouchure pourrait porter ce nom au vu de ses trois ponts identiques situés dans une même continuité.Bas-relief de François Lucas, détail de la figure de l'Occitanie. Photo Renard Stéphanie, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 2016, 4Num14/10.

Au 18e siècle, les aménagements financés par les Etats de Languedoc sur les plans de Joseph Marie de Saget pour l’amélioration de la navigation et une meilleure communication entre la Garonne et le canal des Deux Mers ont notamment entraîné l’ouverture en 1776 du canal de Brienne. A cette occasion un port a été construit à l’embouchure des canaux vers le fleuve ainsi que deux ponts en remplacement de celui dit de Gragnague qui permettait, jusqu’alors, la poursuite de la route menant à Blagnac. Ces ponts jumeaux érigés entre 1771 et 1774 ont été parés d’un monumental bas-relief en marbre de Carrare. Signé du sculpteur toulousain François Lucas, il loue la prodigalité de la Province à l’origine de ces travaux.  

Au moment du creusement du canal Latéral à la Garonne à partir de 1839, l’érection d’un troisième pont a été nécessaire pour assurer la pérennité des cheminements. Le choix esthétique retenu a été la reprise des caractéristiques architecturales des ouvrages du 18e siècle, à savoir, une maçonnerie en brique soulignée par des éléments en pierre (arcs surbaissés, chainages d’angle, appuis des parapets). La largeur du pont est doublée en 1969, préfigurant les grands aménagements routiers des décennies suivantes avec la construction du pont de l'Embouchure sur la Garonne au début des années 1970 et 10 ans plus tard l’ouverture de la rocade. 

La revue Le Patrimoine dédie son dernier numéro à la statuaire publique dont un des articles est consacré à ce bas-relief, véritable placard publicitaire à la gloire des Etats de Languedoc.

Montrabé. (H-G) – La Mairie (à gauche). Années 1930. Carte postale colorisée. Ed. Lussan. Collection particulière © Droits réservés.

Abracadabra


septembre 2024

Par un tour de passe-passe dont seuls les informaticiens ont le secret, les communes de Montrabé et de Flourens sont désormais visibles sur UrbanHist+. À travers les données issues des diagnostics patrimoniaux, vous pourrez découvrir à Montrabé d’anciennes métairies dont l’origine peut remonter à l’époque moderne : Le Rivalet ou encore Marignac ; les vestiges d’un moulin à vent, ou encore une église de 1976 au clocher-mur résolument contemporain. L’éphémère ligne de chemin de fer électrique reliant Toulouse à Castres, en service de 1930 à 1938, rappelle aussi que les alternatives au tout routier n’ont pas fait long feu. 
Flourens, comme Montrabé, voit son urbanisation décoller au début des années 1970. Les premiers lotissements se concentrent autour de son lac artificiel, aménagé en 1966-1967 pour servir de base de loisirs. Mais Flourens est avant tout une terre agricole, et ce dès la fin de la période médiévale. Des livres-terriers du 17e siècle montrent les deux consulats de Flourens et de Péchauriolle assez densément peuplés, émaillées de grandes métairies appartenant au couvent des Chartreux ou au collège de Maguelonne, à des parlementaires comme le domaine du Chêne Vert, ou à des marchands toulousains, comme la ferme Bourguignon.
Et la magie continue : Cugnaux, Pibrac, Mondonville et Fonbeauzard sont nos prochains terrains d’étude, pour une mise en ligne en 2025 ! Et toujours en partenariat avec la Région Occitanie.

 

Monument au Sport et à Mayssonnié. Vue de face. Phot. Christian Soula (c) Inventaire général Région Occitanie, 1993, IVR73_93310218XA

Nulle part ailleurs


juillet-août 2024

Avant d’être l’instrument d’une discipline olympique, l’arc était utilisé comme arme de guerre et de chasse. C’est d’ailleurs grâce à ses flèches qu’Héraclès vient à bout des oiseaux du lac Stymphale, l’un de ses douze travaux. Antoine Bourdelle représente le corps musculeux du héros, tout en tension dans un déséquilibre savant, dans son Héraklès archer créé en 1909. Le succès de cette œuvre est très vite phénoménal et de nombreuses versions en bronze sont éditées : on peut la voir au musée d’Orsay, dans le jardin de Waldemarsudde à Stockholm, au Metropolitan Museum of Art de New York et dans bien d’autres endroits encore. Mais nulle part ailleurs qu’à Toulouse vous ne verrez l’Héraklès archer associé à un moment aux morts.  

Le long du canal de Brienne, au débouché du boulevard Lascrosses s’élève un petit temple antique en béton au centre duquel le héros grec représente l’hommage rendu au Sport et aux sportifs morts à la guerre de 1914-1918. La commémoration s’incarne dans la figure d’Alfred Mayssonié, « athlète le plus représentatif du rugby d’avant-guerre » […] « tué d’une balle au cœur à la bataille de la Marne, le 8 septembre 1914 ». Le médaillon du demi-d’ouverture du Stade Toulousain est également conçu par Bourdelle, tout comme l’architecture du monument à laquelle le sculpteur accordait une grande importance. Voici ce qu’il écrit le 17 juillet 1923 : « Je terminais mon premier monument d’architecture où la sculpture est mon souci de second plan ».  

Selon Pindare, c’est Héraclès qui aurait fondé les Jeux Olympiques ; à l’aube de la XXXIIIe olympiade, courez voir l’Héraklès archer à Toulouse, à Montauban, au musée-jardin Bourdelle d’Egreville ou à Prague !  
Lucie et Henriette Marquès et le commandant Dabry devant l'entrée du Grand Hôtel en 1949 au moment de la sortie du film « Au grand Balcon ». Jean Dieuzaide - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi8/32.

Vol de nuit


juin 2024
Quoi de plus évident que ce titre du roman de l'aviateur et écrivain Antoine de Saint-Exupéry pour rappeler ce lieu emblématique de la ville de Toulouse ? En effet,  l'hôtel du Grand Balcon, situé entre la rue Romiguières et la rue des lois, avec vue sur la place du Capitole est intimement lié aux noms des pilotes et mécaniciens de l'Aéropostale qui, durant une vingtaine d'années (1919-1939), ont logé entre ses murs lors de leurs séjours à Toulouse. Cet immeuble, bâti dans les années 1850, est le dernier aménagement qui parachève la place du Capitole dont la construction a démarré 100 ans plus tôt par l'érection de la nouvelle façade de l'hôtel de ville. 
Hôtel du Grand Balcon. Carte postale ancienne, vers 1920. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi7086.Il semble avoir abrité dès l'origine un hôtel comme le signale les annuaires de la Haute-Garonne dès 1856. Au tournant du 20e siècle, c'est la famille Marquès qui est à la tête de cet établissement. Les demoiselles Lucie et Henriette, gérantes après le décès de leur parent, sont même évoquées dans le film retraçant l'épopée de l'Aéropostale "Au grand balcon" tourné en 1949.

Dans les années 1920, l'hôtel est rénové et un ascenseur est installé au centre de la cage d'escalier. Une carte postale de cette époque, montre que ses façades sont enduites de blanc, comme celles des autres immeubles de la place du Capitole. Le rez-de-chaussée est occupé par une épicerie, l'entresol accueille le restaurant de l'hôtel et les chambres se répartissent sur les étages.

Protégé au titre des monuments historiques en 1999, l'immeuble a été entièrement rénové et modernisé entre 2003 et 2008. La chambre n° 32 dite d'Antoine de Saint-Exupéry a été remeublée dans le style des années 1930 gardant ainsi le souvenir du grand homme disparu en mer avec son avion, lors d'une mission, le 31 juillet 1944.
Projet pour Toulouse-Le Mirail de Candilis. 1961. Maquette n° 32. Concours ZUP le Mirail Toulouse. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 2OBJ90.

Une oie deux oies trois oies quatre oies cinq oies six oies c’est toi


mai 2024
Non, ce n’est pas en jouant à plouf plouf que sont choisis les architectes chargés de réaliser les grands équipements publics. Dernièrement, c’est à l’issue d’un concours international d’architecture qu’ont été désignés les maîtres d’œuvre de la future halle des mobilités de Marengo dans le cadre du projet d’aménagement urbain Grand Matabiau quais d’Oc.
Les premières traces concrètes du concours d’architecture apparaissent à Florence au 14e siècle pour la construction de la Loge des Priori en 1355. Au 17e siècle, le concours pour le palais du Louvre organisé par Colbert en 1664 est considéré comme le premier de ce genre en France. Depuis lors, cette procédure apparaît comme le meilleur moyen pour comparer les projets, le plus démocratique aussi, et le lieu de toutes les expérimentations possibles.
La pratique explose au 19e siècle et avec elle l’apparition d’une réglementation spécifique. À Toulouse, l’un des premiers concours de la période contemporaine concerne la création d’un réseau de distribution d’eau potable : en 1817, la municipalité met au concours l’alimentation en eau de la ville ; suivent ensuite des concours pour l’édification de fontaines (place de la Trinité en 1824), pour la construction de l’hôtel de la Bourse (1835), pour l’achèvement du Capitole (1840), pour l’édification d’un nouveau théâtre (1844), pour des églises (celui de l’église Saint-Aubin en 1843), pour les marchés (1889), etc.
Si les projets soumis à concours sont légion au 19e siècle, cela ne semble plus être le cas dans l’entre-deux-guerres : l’architecte de la ville règne en maître sur toutes les réalisations de la municipalité socialiste de 1925 à 1935 (écoles, bibliothèque municipale, parc des sports). Seuls les monuments ou les décors liés aux nouveaux édifices suivent alors la procédure du concours, le plus souvent uniquement ouverts aux artistes toulousains.
En revanche, la seconde moitié du 20e siècle voit le retour de cette pratique favorisant « la saine émulation et l’exploitation du potentiel créatif de toute une génération d’artiste ». En 1961, un concours est ouvert pour l’aménagement de la ville nouvelle du Mirail ; en 1981, c’est celui pour la zone d’aménagement concertée de Compans ; au début des années 1990, l’équipe des nord-américains Robert Venturi, Denise Scott Brown et associés remporte le grand concours international pour la construction du nouvel hôtel du Département. On pourrait en citer de nombreux autres encore.
Mis à l’honneur par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, le concours « participe à la création, à la qualité et à l’innovation architecturale et à l’insertion harmonieuse des constructions dans leur milieu environnant » ; son histoire à Toulouse reste à faire.
« La fête des Jeux Floraux » de Jean-Paul Laurens. Phot. Stéphanie Renard, 2016 (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Occitanie, IVC31555_20163100454NUCA.

Histoire de poésie, une célébration de la « fin'amor »


avril 2024

En montant les marches en pierre de l’escalier monumental du Capitole, le visiteur est immédiatement confronté à l’histoire locale grâce à un décor monumental sur toiles marouflées. Il se décline en trois panneaux illustrant un évènement fondateur pour Toulouse en tant que cité des Arts : la création des Jeux Floraux, concours de poésie en langue occitane.

Ces panneaux peints par le maître toulousain, Jean-Paul Laurens (1838-1921), illustrent la première cérémonie qui se déroula il y a 700 ans, le 3 mai 1324. Arnaud Vidal, le vainqueur de cette première joute poétique, debout sur une estrade, déclame ses vers devant les 7 troubadours créateurs du concours. Des tribunes débordant de spectateurs ont été installées dans le verger des Augustines, dont le couvent se situait hors la ville comme le dévoile la présence des hauts murs de l’enceinte. Sur la première volée de marches, les deux panneaux latéraux, de format réduit, servent d'introduction à la peinture principale.« Le couronnement de Clémence Isaure » (détail) de Paul-Albert Laurens. Phot. Stéphanie Renard, 2016 (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Occitanie, IVC31555_20163100461NUCA

Suite à cette séance initiale, le consistoire du Gai Savoir est formé et décerne au vainqueur une violette d’or, promouvant ainsi l’art poétique des troubadours.

Au début du 16e siècle, la figure de Clémence Isaure symbolisant la « fin’amor » et la tradition courtoise, apparaît. Cette femme qui aurait légué sa fortune à la ville pour l’organisation des Jeux Floraux, devient la muse de cette cérémonie. Le peintre Paul-Albert Laurens rend hommage à cette représentation légendaire en peignant « le couronnement de Clémence Isaure » sur le plafond de l’escalier.

Devenue Académie des Jeux Floraux en 1694 par décision royale, elle célébrera cette année le 7e centenaire du couronnement du premier poète occitan et donnera lieu à une exposition à la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine.