
Arcanes, la lettre
Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...
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« Il est tout à fait d’un philosophe ce sentiment : s’étonner », déclare Socrate au début du Théétète, dialogue platonicien sur la science. « La philosophie n'a point d'autre origine ». Or l’étonnement ne saurait pourtant lui être réservé, loin s’en faut.
Ainsi est-il fréquent, dans les services d’archives figurées, d’entendre les uns et les autres s’étonner, s’émerveiller ou même s’émouvoir devant certaines images qu’ils voient défiler. Et l’interjection Oh ! de compter parmi les favorites des archivistes/iconographes.
Quelle n’est pas en effet notre surprise quand l’on retrouve, après maintes investigations, le contexte de prise de vue ou la localisation d’une série d’images d’abord énigmatiques, ou lorsque l’on voit ressurgir, au détour d’un cliché, un édifice, une place ou même tout un quartier aujourd’hui disparu, si non entièrement transformé. Parfois, c’est le sujet même qui nous interpelle par la rareté de sa représentation, son étrangeté ; parfois c’est son caractère désuet qui nous touche. Il arrive même que la beauté de certaines images vienne à nous couper le souffle. Le sentiment du sublime n’est pas loin. Comme cette photographie du pont Saint-Pierre, sur plaque de verre, prise en 1927 par le photographe toulousain, Louis Albinet, que je soumets à votre regard.
Tout a débuté lorsqu'il y a quelques années, une demande nous a été adressée par une doctorante de l'autre bout de la France, quant à d'éventuelles archives d'oiseleurs du 18e siècle que nous pourrions conserver dans nos fonds.
Évidemment, nous n'en avions aucune. D'ailleurs, le seul oiseleur alors repéré dans nos fonds d'archives venait de succomber, victime d’une décharge de fusil en pleine face ; il n'avait laissé qu'un « petit apeau d'argent pour apeller les oiseaux », quelques piécettes et quatre pommes. Certes, nous avions bien croisé une autruche et un oiseau assifrago ; mais ça n'allait pas, car il fallait des oiseaux de compagnie, des oiseaux en cage dans une chambre ou sur le rebord d'une fenêtre, non des animaux de foire montrés par des opérateurs itinérants. Quant aux pigeons, ils ne pouvaient non plus faire l'affaire.
Encore une fois, ce furent les procédures criminelles qui vinrent à notre rescousse : peu à peu y apparaissaient quelques serins, canaris et chardonnerets dans leurs cages ou prenant leur envol. L'un d'eux fut même acheté à dessein en 1787 par Mlle D... afin de s'entraîner au tir au pistolet dans le but d'accomplir une vengeance. Le volatile s'en sortit pourtant, tout comme l'adversaire de Mlle D..., et ce ne fut pourtant pas faute de leur avoir tiré dessus à bout portant dans les deux cas.
À ces exemples qui restent somme toute assez anecdotiques, est récemment venu s'ajouter un procès exceptionnel mettant en scène trois drôles d'oiseaux : la fille – un tantinet volage – d'un marquis, un vicomte et descendant des empereurs d'Orient, et enfin un chevalier et fils de capitoul1. Dans ce ménage à trois, on vit sous le même toit, on y élève des canaris en cage (jusqu'à quarante dans une seule pièce) ou dans des volières. Bref, tout semble gazouiller dans le meilleur des mondes jusqu'à ce qu'une nuit, notre chevalier surprenne la belle au nid, batifolant avec le rejeton des empereurs d'Orient. Coup de sang et prise de bec, le chevalier dégaine son épée et tente d'occire son rival. Or, comme nous sommes dans la meilleure société, on fait tout pour étouffer l'affaire dans l'œuf, et les capitouls prononcent la relaxe du jaloux à l'épée, devenu... dindon de la farce.
Nous aurions pu nous contenter de noter cette véritable volée de canaris et d'en rester là.
Mais voilà, il se trouve que les Archives départementales de la Haute-Garonne conservent les archives de la famille de la marquise. L'on y découvre que, le lendemain-même de l'agression, on s'est hâté de marier la marquise au descendant des empereurs d'Orient2. L'affaire était donc close.
Ou pas, car les Archives départementales de l'Hérault nous apprennent quant à elles que le chevalier a, de son côté, pris son envol jusqu'au fort de Brescou, où il fut enfermé par ordre du roi ; ce qui ne l'empêcha pas de finalement récupérer son « bien », ravissant à nouveau sa tourterelle de marquise, et laissant à son tour le vicomte oriental le bec dans l'eau3.
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1 - Archives municipales de Toulouse, FF 817/5, procédure # 110, du 17 août 1773.
2 - Achives départementales de la Haute-Garonne,12 J 26.
3 - Achives départementales de l'Hérault, 1C 131.
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Au mois de novembre dernier, l’un de nos locaux a subi un dégât des eaux. Grâce aux mesures de conservation préventive mises en place, notamment une bonne aération du local et le positionnement des boîtes d’archives à plus de 10 cm. du sol, les dommages ont été de faible importance et les documents, après quelques semaines de séchage et de mise en quarantaine, sont à présent hors de danger. Malgré ces mesures de prévention, conserver des documents sur le long terme n’est pas une mince affaire et le risque d’inondation existe, quelle qu’en soit la cause. Pour cette raison, un archiviste doit connaître les mesures d’urgence à adopter face à un local d’archives inondé. Parmi ces dernières, la congélation est une méthode conseillée dès qu’elle est financièrement et techniquement possible.
Lorsque les documents papier sont détrempés, ils peuvent subir un gonflement, des déformations, leur encre peut couler ou pâlir jusqu’à devenir illisible. L’humidité ambiante devient en outre un terrain propice aux moisissures. La congélation est alors le meilleur moyen de stopper cette dégradation, le temps de réfléchir aux solutions de restauration les plus appropriées. Les documents sont placés dans des sacs en plastique – polyéthylène ou polypropylène – par petits paquets placés à une température inférieure à – 20°C, si possible dans un congélateur industriel. L’idée est de faire en sorte que toutes les épaisseurs soient congelées le plus rapidement possible. Dans un second temps, ils sont lyophilisés, c’est-à-dire déshydratés pour retrouver leur état d’origine.
Malheureusement, ce procédé ne répare pas les dommages que le document a déjà subi avant la congélation, comme la dilution des encres, raison pour laquelle il faut agir au plus vite. De plus, la lyophilisation n’est pas sans danger, notamment pour les reliures en cuir, qu’elle peut raidir de manière irréversible. De même, il n’est pas recommandé de congeler les parchemins et les sceaux, pour lesquels le séchage à l’air libre reste la meilleure solution.
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Oô. C’est ce que les visiteurs ont pu lire sur le cartel du bas-relief que nous présentons, quand il a intégré le musée de Toulouse en 1820. Car c’est dans les murs de l’église du village pyrénéen d’Oô qu’il avait été découvert. Drôle de nom qui se réfère à l’eau, puisque oô signifierait lac d’après les toponymistes. C’est d’ailleurs sur le territoire de cette commune que se trouve le lac d’Oô, l’un des sites les plus connus des Pyrénées.
Oh ! C’est ce qui a pu résulter d’une étude plus attentive de cette sculpture. Son sujet est effectivement surprenant : une femme nue avec un serpent qui, sortant de son sexe, vient s’allaiter à son sein. On a évidemment d’abord pensé à une divinité bizarre sortant du fond des âges, mais on a ensuite compris qu’il s’agissait probablement d’une production médiévale ou moderne. Dans ces communautés montagnardes qui n’avaient pas les moyens d’engager de véritables artistes, on pouvait alors s’improviser sculpteur ou peintre en toute naïveté. Mais pour raconter quelle histoire ? Une obscure légende locale ? Ou bien une péripétie trop grivoise de la relation d’Ève avec le Serpent qu’on aurait écarté du récit biblique ? Il serait, en effet, étonnant de retrouver l’histoire d’Oô dans la Bible.
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