
Arcanes, la lettre
Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...
Je me souviens d’avoir aperçu ce titre intrigant jouxtant un autre ouvrage de Boris Vian qu’il fallait acheter pour le cours de français. S’il paraissait un peu obscur, l’intitulé railleur m’évoquait une sorte de grand échalas en costume de bain rayé. Mais un ratichon n’était pas, comme je l’avais cru, un être aussi rachitique que maigrichon, mais un prêtre familièrement assimilé à un surmulot d’église. Ainsi, au lieu d’un Stan Laurel dégingandé dans un burlesque film de plage, il évoquait plutôt un Paul Préboist concupiscent dans Mon curé chez les nudistes. Voilà qui fleure bon les vacances pour cet opus estival d’Arcanes n° 166 placé sous le signe thématique et phonétique du rat qui, en astrologie chinoise est rattaché au signe de l’eau.
Boris Vian n’était pas un rongeur nyctalope, bien qu’habitué nocturne des caves de Saint-Germain, mais une sorte d’éternel adolescent touche à tout. On aimerait aussi redevenir parfois juvénile, vierge de tous préjugés, pour aborder une image comme si elle était la première.
Vain rêve, tel celui de Colin voulant guérir sa dulcinée d’un cœur nénupharisé dans L’écume des jours. L’eau de farfara, dont la composition est détaillée dans les comptes du Trésorier de 1652 et qui guérit à peu près tout, était peut-être l’antidote de ce mal mystérieux.
Remède miracle que l’on aurait pu acheter sur un stand de foire ou de fête foraine, vanté par un « Docteur Miracle », à côté d’un cire-godasse et d’un repasse-limace. Les archives de ces manifestations, versées par la direction des Marchés et Occupation du domaine public, sont actuellement en cours de traitement.
Vous n’y trouverez probablement pas l’attraction « Branko, l’homme fox-terrier qui tue les rats à main nue » qui semble sortir des rêveries du poète à la trompette qui se produisit à Toulouse en mars 1949. Il aurait pu faire retentir son instrument entre les murs de la discothèque « Le Ramier », ouverte un an plus tôt sur cette île qui fût successivement et parallèlement un site industriel, un jardin public arboré et un parc des sports et des expositions.
Dans une autre zone de loisir située sur les hauteurs à proximité du cours de la Garonne, les rongeurs font une nouvelle apparition, cette fois toponymique avant de devenir patronymique et nous faire redécouvrir une ruelle disparue du quartier de la Daurade à travers les cadastres anciens. Mais comme disait Boris : « Un chien vaut mieux que deux kilos de rats » et je commence en avoir un peu ras-le-bol de nos amis surmulots.
Je vous invite donc, par ces jours d’intense chaleur, à naviguer sur le gazon de nos espaces verts via Urban-Hist et à vous laisser guider dans la ville vers ses jardins secrets. Et je laisserai le dernier mot à l’écrivain : « Aussi longtemps qu'il existe un endroit où il y a de l'air, du soleil et de l'herbe, on doit avoir regret de ne point y être. » (Boris Vian, L’Herbe rouge).
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Parfois je rêve de regarder une image comme si c’était la première devant laquelle je me tenais. Comme si mon expérience du médium photographique consistait en une vision pure, intacte, une perception brute, sans que l’esprit et la mémoire ne se mettent en branle et ne transforment le voir en savoir. Ah l’illusion de la « tabula rasa » face aux images ! Il s’agirait de retrouver notre naïveté et de porter, sur les photographies, mais aussi les peintures, dessins et autres œuvres figurées, un regard vierge, remettant l’analyse à plus tard.
Nous qui vivons dans un monde d’images, ne savons plus les voir. C’est, assortis de nos catégories de pensées, nos souvenirs et connaissances, que nous les contemplons, n’ayant de cesse d’associer l’image qui se trouve sous nos yeux à d’autres images – parfois contemporaines, souvent anachroniques –, et de les interpréter en convoquant tout un f/lot de références culturelles, sociales, philosophiques, etc. L’ingénuité du regard n’est qu’utopique : il ne peut se passer de mots. « Il n’y a pas de paradis de l’image, ni en amont, ni en aval de la connaissance, déplore le philosophe et historien de l’art, Georges Didi-Huberman. Il n’y a pas d’innocence du regard qui préexisterait à ce regard-là que je pose sur cette image-ci. » 1
Peut-être alors, devant une peinture ou une photographie, pouvons-nous tout au moins essayer de faire « comme si » et balayer – autant qu’il est possible – d’un large revers de main, ce qui se trouve sur la table et parasite le voir ?
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1. L’Expérience des images, Marc Augé, Georges Didi-Huberman, Umberto Eco, Ina Editions, 2011.
En été, certains gambadent dans les prés pour conter fleurette, d’autres courent les champs afin d’herboriser. Avec la recette de l’eau de farfara, nous vous proposons d’aller cueillir, non pas les roses de la vie, mais bien des brassées de fleurs pour préserver cette même vie.
Car ce voyage botanique nous mène en novembre 1652, alors que sévit la dernière épidémie de peste à Toulouse. Tous les remèdes sont bons pour tenter de se prémunir du mal, et l’eau de Farfara en est un, à tel point que les capitouls n’ont pas hésité à mandater l’apothicaire Savinien Guéride pour en confectionner1.
Il vous faut d’abord trouver le farfara (Tussilago farfara) avec sa racine, c’est une évidence ; vous cueillerez ensuite de l’angélique odorante de Bohème (Angelica archangelica), de la tormentille (Potentilla erecta). Ajoutez à cela une bonne livre de coriandre préparée (Coriandrum sativum), autant de baies de genévrier (Juniperus communis), moitié moins de gentiane (Gentiana lutea).
Vous n’êtes pas au bout de vos peines, car sitôt revenu pour déposer votre cueillette, vous devrez repartir quérir de l’osmonde royale (Osmunda regalis), cette fois, juste la racine fera l’affaire. Ajoutez-y quelques bouquets de succise2 des prés (Morsus diaboli). Ces deux dernières plantes se trouvent non loin d’ici, entre Garonne et Touch, au château Saint-Michel. Si votre panier n’est pas encore rempli, poussez jusqu’à Blagnac où poussent campanules (Campanula), chardons bénis (Centaurea benedicta) et citronnelle (Artemisia abrotanum).
Repassez la Garonne et dirigez-vous vers Pech David d’où vous pourrez rapporter « les herbes nécesseres comme sont l’ulmaria, scabieuse, pimpinelle sauvage, romarin, rue, tussillaguo ».
On vous laisse remettre ces dernières jonchées de fleurettes en français moderne et en latin, si vous en avez le courage, car il vous faut désormais commencer la préparation et vous munir d’un fourneau, de bassines, de mortiers et d’un alambic.
Ah, une fois le feu allumé, rajoutez à la décoction frémissante six onces de clous de girofle (Syzygium aromaticum) et une demi-livre de cannelle (Cinnamomum).
Après huit bons jours de distillation, filtrez et mettez en bouteille.
Si vous souhaitez découvrir d’autres remèdes et leur composition, les capitouls ont pensé à tout, car cette même année, ils ont financé la réédition du “Bref recueil des remedes les plus experimentez, pour se preserver, & guerir de la peste”, par Jean de Queyratz3.
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1 . Comptes du trésorier pour l’année 1652, chapitre des dépenses pour la peste : CC 2098, f° 431v ; et détails de la confection de l’eau de farfara : GG 1004, n.f..
2 . Ne confondez pas avec de la saucisse, ça marchera beaucoup moins bien.
3 . Comptes du trésorier pour l’année 1652, chapitre des dépenses pour la peste, CC 2098, f° 210-210v.
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En avril 2024, après de longs mois de préparation et un passage en décontamination pour se débarrasser des champignons qui attaquaient certains documents, les Archives municipales de Toulouse ont réceptionné des archives de la direction des Marchés et Occupation du domaine public (DMODP), datant de la fin des années soixante au début des années 2000. Arrivé sur quatre palettes, le fonds mesurait 8 mètres cubes ou 100 mètres linéaires ou 666 boites d’archives standards. Son traitement a commencé en 2025 et occupera les deux archivistes chargées de traitement jusqu’au printemps 2026. Pour patienter, Arcanes de cet été 2025 vous donne un avant-goût de ce que vous pourrez y trouver.
Le fonds 2087W renferme, entre autres, des archives sur les célèbres fêtes foraines toulousaines Saint-Michel et Capitouls ; ainsi que des archives sur les fêtes locales de quartier comme Saint-Aubin, Croix Daurade et Saint-Simon.
C’est ainsi que pour la fête Saint-Michel, nous savons qu’en 1971, la demande de music-Hall « Sexy-Show », « une attraction moderne », ou celle de la station spatiale offrant la particularité « d’un passage des voitures en façade à 5 mètres du sol » n’ont pas obtenu de suite favorable, faute d’espace disponible. Le même sort est réservé à la déesse de la jungle, charmeuse de vipères (1971) et aux sœurs siamoises, Peggy et Betty (1970). En revanche, en 1980, dans la zone bleue réservée aux nouveaux métiers (terme utilisé pour désigner les attractions proposées par les forains), le « mur de la mort » et le « Round up » ont pu occuper un espace de premier choix.
Au-delà des anecdotes, les dossiers relatifs aux fêtes foraines permettront d’étudier l’évolution des attractions proposées par les forains, et notamment le processus de déclin des « freaks shows », exhibitions d’êtres humains. Ils contribueront également à l’histoire des quartiers de Toulouse.
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Située entre deux bras du fleuve, cette grande île doit son nom à un terme local se rapportant aux terres en bord de Garonne, le plus souvent couvertes de bois mais aussi cultivées, qui apparaissent ou disparaissent en fonction de la montée des eaux. Le ramier du château fait ainsi référence aux propriétés des Moulins du château narbonnais, importante société de meunerie en activité du 12e siècle aux années 1900. Détruits dans les années 1940, ils se trouvaient un peu plus au nord, au niveau de l’actuelle rue du Moulin-du-Château.
La vocation industrielle de l’île du Ramier s’affirme à la fin du 17e siècle, avec l’installation d’un moulin à poudre près de la chaussée de Banlève. Agrandie, détruite et reconstruite au gré des explosions qui se succèdent, la poudrerie déménage plus au sud à partir de 1848, afin de s’éloigner des zones d’habitation et d’étendre sa surface d’exploitation.
Quelques usines s’installent à sa place, entre le pont Saint-Michel et la chaussée de Banlève.
Ruinée à la suite de l’inondation de 1900, la société des Moulins du château vend ses possessions à la Ville de Toulouse : les moulins, mais aussi les terres qu’elle possède sur l’île du Ramier, celles cultivées comme celles louées à l’État pour la poudrerie ou à divers particuliers.
En 1902, la municipalité transforme la partie située entre l’ancienne et la nouvelle poudrerie, utilisée alors comme pépinière, en « parc toulousain ». Cet espace arboré devient un lieu de déambulation et de récréation populaire. C’est sur cet emplacement, qu’en 1925, la municipalité socialiste d’Étienne Billières s’engage dans un vaste projet de « parc municipal des sports » aboutissant à l’ensemble des piscines Nakache et Castex et du stadium, au cœur aujourd’hui de l’aménagement métropolitain du « Grand Parc Garonne ».
Haut lieu des loisirs et des sports depuis plus d’un siècle, c’est sur l’île du Ramier qu’a eu lieu mercredi 16 juillet le départ de la 11e étape du tour de France 2025, tandis que le 10 juillet 1958, le stadium voyait la victoire d’André Darrigade, emmené au sprint par Anquetil, après la crevaison de Louison Bobet lors de la 15e étape Luchon-Toulouse.
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L’été est bien arrivé, et ressort de ses valises les fortes chaleurs qui ralentissent autant les corps que les esprits. Dans cette situation, notre réflexion parfois ne vole pas bien haut… Ça tombe bien, on va continuer à ce niveau. C’est la tête dans les pétales que, ce mois-ci, les Archives vous invitent à flâner.
Il est midi passé. Le soleil impitoyable fait fuir les vitrines du centre-ville, et la motivation. Une cycliste ralentit sous l’ombre d’un tilleul. Une touriste se cale sur un banc du square Charles de Gaulle. Un chat noir se prélasse entre deux pots de géraniums dans une petite ruelle. Et vous ? La canicule a tout tari : les nappes phréatiques, comme les conversations. Toulouse cuit sous le ciel bleu, sans nuages à l’horizon. Un thermomètre voit rouge, il hésite entre 37 et 38 degrés. Vous tournez à droite, tout droit, puis encore à droite. Une grille, un grincement, et soudain… Un jardin. Un vrai. Pas immense, pas spectaculaire, mais vert, feuillu, rafraichissant. On entend le bruissement discret d’un jet d’eau, les pas trainants d’un retraité qui roumègue en traversant en diagonale. Il ne le sait sûrement pas, mais autrefois, ce jardin-là était un potager, ou un jardin d’agrément, ou tout simplement un jardin public.
Avec Urban Hist, vous pouvez déambuler d’un siècle à l’autre, d’un jardin à une annotation marginale. Et, pour accompagner ces refuges verdoyants, il y a les fontaines. Qu’elles soient ornementales, utilitaires, ou fournissant de l’eau potable, il y en a plus de 380 sur le territoire toulousain. De quoi rafraîchir ses poignets et ses pensées. Et parfois, pour battre le pavé, on passe d’un abri à un autre. Du voile d’ombrage de la place du Capitole au ruban suspendu rue d’Alsace-Lorraine. On se faufile d’une ombre à une autre, d’un souffle d’air à un semblant de fraîcheur. Le rat des villes doit se contenter d’un carré d’ombre et d’un brumisateur, quand les cousins des champs, eux, plongent dans les rivières, et se baladent en forêt.
Alors, que vous ayez le moral en berne ou l’esprit en ébullition, laissez-vous guider vers l’ombre ou par le frais. Un clic, une promenade, une anecdote historique. C’est parfois tout ce qu’il faut pour retrouver ses esprits, ou à défaut un peu d’air…