Arcanes, la lettre


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...

SEL/SELS/SELLE/SELLES


novembre 2025

DANS LES ARCANES DE


Affiche publicitaire illustrée pour les pastilles aux sels naturels d'Aulus (dépôt général chez Mr E. Gély pharmacien chimiste, 11 rue Lapeyrouse), 1890-1894. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 12Fi2854 (détail).

Sel que j'aime


novembre 2025

Dans une version à peine parodique d’une célèbre émission de rencontre des années 80 animée depuis une attraction foraine tournante, l’un des candidats masculins interrogeait la potentielle élue de son cœur dans les termes suivants : « Est-ce que tu resales le manger avant de le goûter pour voir si c’est plus salé ? ». La question avait de quoi déstabiliser, mais n’était pas totalement dénuée de fondement tant il est vrai que saler un plat est quasiment un réflexe conditionné chez certains ; réflexe, par ailleurs, souvent préjudiciable à la santé. Mais qu’y faire lorsque « le sel de la vie » représente ce qu’il y a de plus vibrant en elle. Vous l’aurez compris, ce numéro 169 d’Arcanes se place sous le signe de l’« or blanc » dans toutes ses acceptions thématiques et phonétiques.  

Et pour commencer, quoi de plus essentiel que les sels d’argent pour révéler les ombres et lumières de la photographie en noir et blanc. Un de ses maîtres incontesté, Sebastião Salgado (1944-2025), vint présenter ses œuvres, magnifiant l’humanité des plus humbles, à la Galerie du Château d’Eau de Toulouse en 1986. 

Deux cents ans avant la naissance du célèbre photographe, une bande aussi modeste que « dessalée » essaya, en vain, de s’évader des prisons du Sénéchal par les voies les moins ragoûtantes. Le même projet fût tenté, quelques années plus tard, depuis les geôles de l’hôtel de ville en déplaçant la pierre à selles des latrines féminines. 

Rien à voir avec les pierres à sel que l’on trouve dans les champs et écuries compensant les carences en sodium de l’alimentation du cheval. Et ce dernier en a bien besoin lorsqu’il faut suer en portant, sur son dos, l’avenir de la France, en la personne du futur François Ier, comme figuré sur une enluminure des Annales récemment prêtée au Musée National de la Renaissance. 

Il faut dire que la Renaissance est à Toulouse ce que le sel est à Guérande, essentiel. Et quoi de plus normal alors que la ville soit émaillée d’hôtels particuliers contemporains de cette époque. Parmi eux l’hôtel de Brucelles, célèbre pour sa galerie, sa tour et son nom rigolo.  

Il est un peu moins drôle d’être frappé par la mort, et encore moins dans une position peu avantageuse. Du moins pour l’intéressé ; pour les archéologues, c’est une autre histoire qui ne manque pas de selles. 

A vélo aussi, il est recommandé d’être pourvu d’une selle. Et pour éviter les pièges du trafic, le cycliste averti peut consulter les ressources vélocipédiques d’Urban-Hist. A bon entendeur, salé ! 

ZOOM SUR


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Sebastião et Lélia Salgado au Château d’eau. Toulouse, 5 décembre 1986. Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 84Fi156/nc/Photographes3696_33.

Le sel de la terre


novembre 2025

« Le Sel de la terre » est le titre du film documentaire que Wim Wenders a consacré en 2014 au photographe humaniste brésilien, Sebastião Salgado (1944-2025).  

Sur cette image, ce dernier prend la pose au côté de sa femme Lélia – qui l’a accompagné tout au long de sa carrière – lors du vernissage de l’exposition qu’il présente alors à la Galerie du Château d’eau, en décembre 1986. C’est Jean Dieuzaide, directeur des lieux, qui les photographie, souriants et échangeant avec lui un regard de connivence.  

Il faut dire que le photojournaliste brésilien partage avec Jean Dieuzaide un goût pour l’humanisme et un profond respect pour la terre, les traditions, et le travail de la main de l’homme. Dans cette exposition, ce sont les peuples d’Amérique latine que Salgado met en lumière et leurs conditions de vie qu’il dénonce. « Je n’ai pas voulu que mes images soient misérabilistes, explique-t-il, mais qu’elles célèbrent la dignité de ces gens […]. J’ai l’impression que les réalités les plus insoutenables doivent être approchées de la façon la plus douce. »  

Internationalement connu et reconnu, Sebastião Salgado – disparu en mai dernier –, a essuyé plusieurs critiques lui reprochant justement, par ses compositions soignées, ses clairs-obscurs et ses noirs et blancs séduisants, de vouloir esthétiser la misère. Or comme l’écrit Régis Debray, Salgado « exalte Prométhée », sous son objectif « ces humbles sont des géants »1. Et la série qu’il réalise la même année que sa venue à Toulouse, sur les mineurs héroïques de Serra Pelada, en Amazonie, l’illustre parfaitement. Avec ses grands projets thématiques (La Main de l’homme, Exodes, Genesis, etc.) qui ont abouti à la réalisation d’une fresque mondiale des injustices sociales, le photographe a joué un rôle de témoin, et son mérite aura été de diriger son objectif, et ainsi nos regards, sur ce que l’on n’aurait pu voir.  

« Je savais déjà une chose sur Sebastião Salgado, dit Wim Wenders d’une voix touchante, au début de son documentaire. Il aimait vraiment les êtres humains. » Et celui-ci d’ajouter : « Après tout, les hommes sont le sel de la terre. »

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1- L’œil naïf. Editions du Seuil, Paris, 1994.

DANS LES FONDS DE


"De algemeene drukkery" [Le besoin général], détail d'une vignette sur une planche de quinze, gravée chez Dirk van Lubeek à Rotterdam (vers 1800-1816). Rijksmuseum Amsterdam, RP-P-1936-522.

De la sellette à la selle, il n'y a qu'un pas


novembre 2025

Lorsqu'un accusé est interrogé par les capitouls sur la sellette, c'est un peu comme si son sort était déjà scellé ; en effet, ce dernier interrogatoire annonce généralement que l'individu est passible, au mieux d'une peine infamante, sinon d'une peine afflictive – qui va le toucher dans son corps. 

Cela dit, notre accusé, bientôt condamné, ne sait pas encore ce qui l'attend. Il ne sera même pas présent lors du prononcé de sa peine ; pour cela, il lui faut attendre, bien au chaud dans les geôles de l'hôtel de ville, qu'un greffier vienne lui lire la sentence. Ce temps d'attente dans les prisons n'est guère une invitation à la rêverie, et certains vont mettre à profit les dernières heures avant le fouet, la marque au fer rouge ou la corde, pour tenter de se faire la belle : c'est maintenant ou jamais. 

Là, deux solutions s'offrent à eux : soit percer un trou dans le mur, soit prendre la voie souterraine par les latrines. La deuxième option est certainement la plus périlleuse puisque Pierre Barthès, dans ses chroniques, relate un échec cuisant arrivé en 1742 : « La nuit du 4 au 5 de ce mois, troix prisonniers du Sénéchal [...] ayant formé le dessein de s'en aller, tentèrent leur évasion par les lieux communs de cette même prison, où, étant descendus l'un après l'autre, ils s'étouffèrent dans la matière contenue dans ce lieu, d'où on les sortit le lendemain dans l'état qu'on peut s'imaginer. On les lava et on les exposa pendant le jour, tout nuds à la veue du public dans la cour du Sénéchal, et la nuit suivante on les mit tous les troix dans un trou au cimetière du Taur »1. Bref, voie sans issue. 

Mais, quarante ans plus tard, ayant probablement su tirer des leçons de l'expérimentation malheureuse de leurs prédécesseurs, les nommés Coustele, Montagut, Bouquiès, Marie-Anne Rousse et Martine retentent l'expérience dans les prisons de l'hôtel de ville. Les hommes commencent par percer un mur qui les sépare des prisons des femmes, rejoignent celles-ci, puis se rendent incontinent dans les lieux communs à elles destinés. Là, unissant leurs efforts, la petite équipe de quatre déplace « la pierre formant les sièges pour lesdites latrines, qui est de six pams quatre pouces de longueur sur deux pams deux pousses de largeur et sept pouces d'épaisseur »2, enlève une « des barres de fer qui traversoit le trou du milieu de lad[i]te pierre où s'échapent les matières fécales ». Ils touchent presque au but, finissent d'agrandir le trou, se retrouvent dans une courette sans issue qui sert de poulailler3 et, par miracle, une échelle à bras s'offre à eux. Le reste est un jeu d'enfant : il suffit de grimper les barreaux, de pousser la fenêtre du logis des demoiselles Lozes, épouse et fille du bedeau des capitouls, de traverser leur appartement – devant des Lozes stupéfaites – et de là passer à la rue. Voilà, c'est fait : nos comparses doivent pousser un grand soupir de soulagement, ils sont libres4

Pour en savoir plus sur ces deux thématiques qui a priori n'ont rien en commun, n'hésitez pas à vous plonger dans la lecture des dossiers des Bas-Fonds : Le grand soulagement (n° 24, de décembre 2017), et La grande évasion (n°33, de septembre 2018).

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1- Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms. 699, p. 101, entrée du 5 septembre 1742.
2- FF 826/7, procédure # 151, du 24 décembre 1782.
3- Oui, un poulailler au cœur de l'hôtel de ville !
4- Sauf que la seule Martine n'en profitera guère, elle sera reprise peu après.

LES COULISSES


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Couverture du catalogue de l’exposition À cheval, Le portrait équestre dans la France de la Renaissance présentée au musée national de la Renaissance - Château d’Écouen du 16 octobre 2024 au 27 janvier 2025. Cote bibliothèque 3784.

À cheval !


novembre 2025

Saviez-vous que parfois les archives voyagent ? Il leur arrive de partir au gré des sollicitations vers des horizons plus ou moins lointains... Ainsi, en l’an de grâce 2024, le dauphin François, immortalisé dans le second livre des Annales manuscrites des capitouls (BB274), a enfourché sa monture et sa plus belle selle, pour rejoindre le château d’Écouen et l’exposition À cheval ! Le portrait équestre dans la France de la Renaissance. Il se devait d’en être, aux côtés de plus de 160 cavaliers venus des quatre coins de France et même de Windsor !  

Mais on vous rassure tout de suite : il est, depuis lors, bien rentré au bercail, sain et sauf. Il a réintégré son box, ou plutôt sa boîte de conservation, où il prend un repos bien mérité, loin des strass et des lux des projecteurs. Depuis, nous gardons la trace de son escapade, et de celle des autres globe-trotteurs de nos fonds, notamment dans notre bibliothèque, qui abrite leurs récits de voyage (autrement dit : les catalogues d’exposition publiés par nos partenaires). 

DANS MA RUE


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Buste couronnant la 3e fenêtre de la tour pouvant représenter Arnaud de Brucelles. Photo. Fradier, Sophie © Ville de Toulouse ; © Toulouse métropole, 2020.

Brucelles à Toulouse


novembre 2025

 

Les Brucelles composent une famille dont le nom a figuré à quatre reprises dans les annales capitulaires, entre le 15e et le 16e siècles. Arnaud de Brucelles est le dernier de cette lignée à occuper cette fonction en 1534/1535. Cet homme a laissé, par ailleurs, son nom à un hôtel particulier de la rue des Changes

 

Dissimulé par une façade sur rue en pan de bois de style gothique, proche de celle de l’hôtel Boscredon mitoyen, l’édifice s’organise sur une parcelle de taille réduite autour d’une cour centrale. Malgré cette emprise modeste, tous les éléments prestigieux d’un hôtel particulier sont là : deux corps de bâtiment reliés par une spectaculaire galerie en pierre et une tour d’escalier considérée comme étant l’une des plus hautes de Toulouse. Cette dernière se distingue également par l’abondance de son décor sculpté. Ses fenêtres, aux encadrements en pierre flanquées de colonnes cannelées, sont coiffées de bustes féminins et masculins en haut-relief dont deux, vêtus à la mode du 16e siècle, pourraient représenter le commanditaire et sa femme.  

 

Selon l’historien Jules Chalande, Arnaud de Brucelles, marchand drapier, achète l'hôtel en 1527 et le fait largement reconstruire dans un style Renaissance vers 1532-1533. Il se base, pour proposer cette date, sur l'augmentation subite du montant de la taille l'année suivante. Toutefois, la date de 1544 est gravée sur l'arc du deuxième étage de la galerie sur cour. Il pourrait s'agir là du souvenir d'une seconde campagne de travaux concernant la construction des galeries en pierre, réunissant le bâtiment sur rue et la tour, venues remplacer d’anciennes structures en bois très courantes à la période moderne.

SOUS LES PAVÉS


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Fragment de pot de chambre en faïence découvert en 1998 à l’hôtel Saint-Jean de Toulouse, photographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Mort en selles


novembre 2025

Les archéologues découvrent parfois les vestiges d’une cave plus petite que d’habitude. Puis on s’aperçoit qu’elle est remplie d’un sédiment plus fin que d’habitude. On réalise alors qu’il s’agit d’une fosse de latrines et que sa fouille, à moins d’être spécialiste des parasites intestinaux, va être quelque peu fastidieuse. Heureusement, on y déniche parfois quelques objets. En général des monnaies qui, à force de baisser son pantalon, ont fini par glisser de sa poche et tomber dans le trou. En dehors de ces structures particulières, on retrouve aussi souvent, dans des milieux du 18e siècle ou postérieurs, des latrines portatives, c’est-à-dire des pots de chambre. Le fragment qui illustre cette note a été recueilli lors d’une intervention menée dans l’hôtel Saint-Jean de Toulouse en 1998. Il se caractérise par une base très large pour limiter le risque de renversement. Et il s’agit d’une faïence stannifère, c’est-à-dire d’une poterie recouverte d’un vernis opaque à base d’étain offrant de nombreux avantages : épais, il empêchait la pâte de s’imprégner de mauvaises odeurs ; clair, il permettait de cartographier aisément les zones bombardées ; lisse, il assurait un nettoyage aisé. 

Si l’on s’intéresse plus au geste qu’à ses conséquences, certaines sculptures ou peintures montrent, dès le Moyen Âge, des personnages cul nu. Pourtant il est souvent difficile de savoir s’il s’agit d’une simple posture de provocation, d’un dégagement gazeux en cours ou d’une livraison imminente d’un colis. Mais une découverte exceptionnelle attend les archéologues de notre région : celle du squelette d’un individu « mort en selles », pour ainsi dire. Un registre conservé dans nos archives municipales, contient une chronique de faits mémorables advenus aux 16e et 17e siècles. On y apprend qu’en 1597, un soldat participant au pillage d’une église en Espagne s’accroupit et fit ses besoins sur une image de la Vierge qu’il avait jetée à terre1. Mais il ne put jamais se relever, instantanément et définitivement figé dans cette position délicate par la vengeance divine. Il réussit néanmoins à revenir, sûrement très péniblement, en France mais décéda peu après, probablement de honte.

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1- Livre des criées de Mathieu Micheau, BB 153, f° 82-82v.

EN LIGNE


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Inondations à Toulouse (14.09.1963), un homme à vélo, André Cros, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi1011.

Tous en selle !


novembre 2025
La légende raconte qu’il y avait un trafic routier très dense à Toulouse (e que s’apelerio Bouchons). A cette époque, sortir sa voiture revenait à partir dans l’inconnu d’arriver à l’heure ou de mettre sa patience à rude épreuve. La courtoisie laissait place à l’individualisme, avec le bruit des klaxons en musique de fond. Tous les matins, les voies et les regards qui se croisaient laissaient place peu à peu  à l’exaspération qui se lisait sur les visages. “Encore un matin qui cherche et qui doute, matin perdu cherche une route...” passe à l'autoradio. Soudain, un éclair de génie : “Mais oui c’est clair !”. Au moment de partir de chez soi, d’abord la jambe gauche, chaussette, chaussure, puis la jambe droite, puis… Urban Hist ! “Urban Hist ?” Oui, Urban Hist, mon bon monsieur (ou ma bonne dame, il n’y a pas de sexisme ici). A quoi bon se prendre la tête, alors qu’on peut se déplacer et ne pas rester bloqué dans les bouchons. Âh, mon vélo ! Sur Urban Hist vous pouvez avoir les localisations des stations Vélo Toulouse et visualiser  les pistes cyclables ! Ni une, ni deux, on se dirige vers la station la plus proche et on prend son vélo, électrique ou non. On enfourche la selle et en avant. Les cheveux dans le vent, doublant toutes les voitures qui avancent mètre par mètre. La bonne humeur revient, l’esprit est léger comme le pied sur la pédale… Quand on partait de bon matin, quand on partait sur les chemins... On chantonne, et on se dit : “Si seulement j’étais allé sur Urban Hist plus tôt.”