
Arcanes, la lettre
Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...
Le décompte des jours s’accélère. Nous l’attendons depuis des mois et il est désormais tout près. Quelle excitation ! Quand il sera là, le temps disparaîtra, comme figé. Quoique disparaître ne soit pas le bon mot... Au contraire, il s’affichera en gros, en TRES GROS ! S’imposant à nous à travers des images fixes et mouvantes. Un temps f(l)ou mis à l’honneur de cet événement.
Pendant deux soirées, les vendredi 1er et samedi 2 juillet, projections, musiques, installations, expositions, ateliers, conférences empliront vos yeux et vos cœurs. Un beau défi que d’accueillir et de nous associer à l’association Les Vidéophages pour ce 21e festival Faites de l’image !
Nous ne vous prêterons rien ces soirs-là. Bien modestement, nous vous donnerons juste à découvrir autrement ce lieu, gardien de la mémoire du temps. Jusqu’à la dernière minute, nous nous apprêtons dans l’ombre à vous révéler les faces cachées des archives. Nous sommes presque prêts… Et nous nous amusons comme des petits fous à vous concocter ces surprises !
Si vous êtes curieux, si vous êtes joueurs, si votre âme, à l’image du temps, est un peu folle, ce rendez-vous est fait pour vous !
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L'occasion nous est enfin donnée de nous pencher sur la notion de vitesse, et les mots pour la décrire et peut-être même la mesurer. Attention : ici, point de bolide vrombissant, puisque nous resterons ancrés dans l'Ancien Régime, bien avant l'arrivée du cheval-vapeur.
Il n'empêche que les procédures criminelles nous permettent quelquefois d'assister à des spectaculaires accidents de la circulation où la vitesse est à mettre en cause1. Prenons par exemple celui du 13 octobre 1780, qui fut fatal à Louis Mascot2. En fait de cheval, ce sont là des mules attelées, à une charrette « allant fort vite ». Et c'est donc inévitablement que le malheureux Mascot, « aiant été surpris par la rapidité » avec laquelle alloient les mules, a été renversé, foulé et mis à plat. Les témoins de l'accident insistent tous sur cette idée de vitesse. L'un nous explique que l'équipage « s'en alloit bien précipitament vers le chemin de Saint-Martin, lesdites mulles étant aiguillonnées par les coups de fouet réitérés qu'un des trois hommes qui étoit sur ladite charrette leur donnoit ». L'autre confirme que les grands coups de fouet poussent les mules « à aller avec tant de rapidité » ; un troisième parle de « rapidité étonnante », un encore « d'une rapidité sans égale ». Bref, Mascot n'avait aucune chance face à cet équipage mené à un train d'enfer.
Deux ans plus tôt, c'est une course poursuite à pied entre un cuisinier et un postillon qui tourne à l'avantage du second car il « avoit meilleure jambe que » le premier3.
Les galopades sur deux jambes sont aussi légion dans les affaires criminelles ; cela s'imagine aisément tant elles contiennent de courses poursuites par des assaillants ou de fuites éperdues par leurs proies apeurées. Quand Marcel s'en prend à Comet, cela se passe tambour battant : « Comet ayné courroit pour s'enfermer, ledit Marcel(le) l'auroit rejoint à coursse avec son épée nue à la main et luy a dit de nouveau qu'il vouloit luy arracher la vie ». On imagine bien Comet, filer à la vitesse de la lumière, tellement qu'il « monta à toute coursse, tout esoufflé »4.
Cinq ans plus tôt, Bertrand Faget n'est pas tranquille lorsque, dans la nuit, il croise trois jeunes gens place du Salin, « comme il avançoit le pas pour […] se garantir des mains desdits trois jeunnes hommes » ; ceux-ci l'interpellent et lui disent « de s'arêtter et de ne marcher pas sy vitte, à quoy le plaignant leur répartit qu'ils n'avoi[en]t qu'à marcher s'ils voulet eux-mêmes »5. Ils le prennent au mot et manquent de l'écharper. Quand Margouton dit « hautement » vouloir rosser Marie, on pense d'abord à une fanfaronnade ; mais attention, elle est vive comme l'éclair et, incontinent, elle s'élance « à toute course » sur sa proie, sur laquelle elle se jette « comme une furie »6.
Les sources écrites nous offrent des éléments liés à la vitesse, quelquefois de manière inattendue : ainsi, en 1730 le jeune Bitis qui, trouvant son chien empoisonné « auroit accouru » chez son grand-père puis lui emprunter de l'orviétan en guise d'antidote7. Une fois la fiole en ses mains, « il seroit revenu promptem[en]t à la maison » pour tenter de sauver l'animal. Mais, par un concours de circonstances, son cousin et une sienne tante prenant la mouche contre sa mère (vous suivez ? Ça va vite, trop vite peut-être) « auroint couru après [elle] et, l'ayant jointe, se seroint jettés sur elle à corps perdu ».
Ne nous quittons pas sans évoquer ces « courses du mouton », régulièrement organisées dans la ville. Là, la jeunesse s'affronte et rivalise de vitesse (non le mouton ne participe pas, c'est le lot du vainqueur). L'épreuve la mieux documentée (à ce jour) prend place le dimanche 25 août 1782 ; « le lieu du départ étoit de l'allée de Lapujade », c'est-à-dire au quartier de Croix-Daurade, et l'arrivée jugée à la croix de la porte Matabiau. « Celui qui remporta la victoire fut un valet d'un nommé Capou »8 ; nous n'avons malheureusement pas son chrono.
Et puis, il n'y a pas que la vitesse pure. Notons par exemple cette prouesse de Joseph Claustres, qui quitte les Flandres pour rejoindre Toulouse en vingt-quatre jours seulement, et à pied s'il vous plaît9. Attendez, c'est qu'en arrivant, notre Ariégeois natif de Lapège a encore assez de souffle pour faire un enfant à Marie Escarnot – ce qu'il regrettera amèrement par la suite. Ah, si seulement il avait traîné en chemin, a-t-il dû gémir...
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1- Les curieux pourront aussi lire le dossier n° 28 des Bas-Fonds (avril 2018) : « Les charrettes de la mort. Chevaux emballés, petits écrasements et mortelles mises à plat : les accidents de la circulation à Toulouse au XVIIIe siècle ».
2- FF 824/8, procédure # 144, du 13 octobre 1780.
3- FF 822/3, procédure # 055, du 7 avril 1778.
4- FF 784/3, procédure # 092, du 20 juin 1740.
5- FF 769/1, procédure # 004, du 16 janvier 1725.
6- FF 810/4, procédure # 069, du 23 mai 1766.
7- FF 774/2, procédure # 069, du 20 mai 1730.
8- FF 826/6, procédure # 105, du 26 août 1782.
9- FF 794/2, procédure # 026, du 17 mars 1750.
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Aujourd’hui cette expression évoquerait immanquablement le surendettement provoqué par l’abus des prêts à la consommation, la perte de sa maison, et la précarité de la vie à l’hôtel. Au filtre de la Renaissance toulousaine, le sens peut être tout différent : les liquidités accumulées par de riches marchands, une fortune que l’on peut multiplier en accordant des prêts à intérêt, et l’acquisition de riches demeures au centre de notre cité. C’est ainsi que Jean de Bernuy put faire construire au début du 16e siècle l’hôtel particulier qui porte son nom, devenu par la suite collège des Jésuites et aujourd’hui lycée Pierre-de-Fermat. L’argent qu’il avait gagné grâce au commerce du pastel lui avait permis d’assumer la caution de la rançon de François Ier en 1525 et plus tard, en 1539, d’être l’un des principaux contributeurs d’un important prêt « consenti » par les Toulousains au roi de France.
L’image ci-contre représente la partie supérieure de la porte d’entrée de son hôtel que l’on peut encore admirer dans la rue Gambetta, telle qu’elle a été publiée en 1842. Si l’on est prêt à y regarder de plus près, la comparaison avec une illustration donnée par l’archéologue Alexandre Du Mège, dans les Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France édités en 1837, montre des évolutions révélatrices de quelques restaurations.
Tout d’abord le médaillon central contient un mascaron d’Apollon alors qu’il montrait auparavant un monogramme du Christ. Au-dessus, le bandeau tenu par un ange porte manifestement une inscription alors que Du Mège semblait indiquer que celle-ci avait disparu. Actuellement on y lit très clairement la devise gravée SI DEVS PRO NOBIS, Si Dieu est avec nous, or cette sentence orne une autre porte de l’hôtel située dans une cour d’où on l’a manifestement prise comme modèle vers 1840. Enfin, les deux médaillons supérieurs portent des bustes alors que Du Mège les avait vus vides. Très bizarrement ces deux bustes dessinés ressemblent « presque » à ceux que l’on peut voir aujourd’hui : il faut néanmoins les intervertir et, de plus, retourner leur image en miroir pour enfin les faire correspondre à la réalité. L’humour est dans l’à-peu-près…
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Comme vous le savez déjà, aux Archives on n’emprunte pas, on consulte sur place. C’est encore la meilleure façon de permettre à tous d’accéder à « nos » documents, tout en les préservant le mieux possible. Mais il existe tout de même quelques exceptions… limitées, particulièrement encadrées et appuyées par de solides garanties : les prêts pour restauration, numérisation ou exposition.
Dans les deux premiers cas, les documents sont confiés à une entreprise qui procède à leur enlèvement dans le cadre d’un contrat dûment notifié, et assorti de pénalités (échelonnées et majorées) en cas de retard, défaut de manipulation ou de conditionnement, détérioration ou même destruction. Bien sûr, un document d’archives, unique et irremplaçable, ne se résume pas à une valeur d’assurance. Mais la balance bénéfices/risques reste positive : l’entreprise en question a tout intérêt à prendre grand soin de « nos » documents pour reconduire des marchés arrivés à échéance, convaincre de nouveaux clients, bénéficier d’une bonne réputation dans un milieu assez « feutré » ; et de l’autre côté, une fois restaurés et/ou numérisés, « nos » documents sont désormais prêts à affronter les prochaines décennies (voire les prochains siècles) avec sérénité (et nous avec). Un partenariat gagnant-gagnant.
Le prêt pour exposition relève quant à lui d’une toute autre catégorie : il fait voyager les documents pour les présenter à un public plus large que celui des Archives de Toulouse, et par la même occasion, faire rayonner l’institution un peu plus haut, un peu plus fort. Parfois, ce n’est pas (géographiquement) beaucoup plus loin : nous prêtons en effet régulièrement des documents à la Bibliothèque d’étude et du patrimoine, comme lors de l’exposition Émile Cartailhac (1845-1921). La vie toulousaine d’un illustre préhistorien. Parfois, le dépaysement est beaucoup plus complet, comme lors de l’exposition La renaissance européenne d’Antoine de Lonhy présentée au Palazzo Madama à Turin l’année dernière. Mais dans tous les cas, les conditions de transport, d’installation, d’exposition à la lumière et d’hygrométrie sont strictement définies dans un contrat spécifique, là encore assorti de contraintes financières non négligeables et offrant de solides garanties pour le prêteur. Car quand on prête, on ne le fait pas à la légère.
Rendez-vous donc en salle de lecture pour consulter « nos » documents qui ne sont pas prêtés, et sur nos réseaux sociaux pour suivre ceux qui ont été autorisés à s’échapper (temporairement) !