Arcanes, la lettre
Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...
J’évite les fêtes foraines depuis que je ne porte plus de culottes courtes. Il s’en dégage une atmosphère un peu déprimante qui, pour moi, n’est pas étrangère au commerce du merveilleux. Un jour on réalise que les étoiles dans les yeux ce sont aussi des pépites dans les poches. Quelle désillusion !
Mais un jour aussi on se retrouve, on ne sait comment, dans le train fantôme d’un Luna Park éphémère. On se pince, mais on ne rêve pas, assis dans un wagonnet traversant une forêt de toiles d’araignées géantes, de squelettes cliquetants et de masques grimaçants, où résonnent rires hystériques et hurlements bestiaux. Hélas ! Un seul frisson vous étreint alors que votre mini-voiture passe brièvement au vu de tous et que vous croisez le regard d’une connaissance dans la foule. Vergogne ultime !
Mais laissons-là les démons du passé et pour les exorciser je vous invite donc au grand barnum du 159e numéro d’Arcanes.
Chères Mesdames, écarquillez bien les yeux devant l’interdit ! Un lieu dont votre sexe est banni depuis des siècles ! L’époustouflant photographe Louis Albinet va vous faire découvrir l’incroyable mont Athos où ne résident que des hommes.
Vous serez ensuite initiés par l’étrange Cazo-Bongo aux mystères des cinq vertèbres sacrées, autrement appelées sacrum (et des différents dégâts qu’on peut y faire). Sans oublier les pléthoriques et magiques reliques de saint Edmond le Martyr, de saint Symphorien et de saint Castor.
Quant aux plus jeunes, ils pourront défier les lois de la physique en utilisant l’extraordinaire machine à remonter le temps du professeur Candido-Negri. Ils assisteront ainsi à un ébouriffant défilé d’images fantastiques et argentiques venues des siècles passés.
Et devant vos yeux ébahis, dans la cour de l’hôtel de ville du Capitole, vous assisterez à la stupéfiante apparition du plus célèbre des suzerains de France et de Navarre en armure de combat. Suivez son panache blanc !
Vous ne partirez pas sans avoir rêvé aux mille feux de l’or maudit de Toulouse, immergé dans un lac sacré. Un consul romain l’a volé, l’infortune l’a poursuivi. Nombreux sont ceux qui ont perdu la raison en le cherchant.
Et pour finir, concentrez-vous sur ma voix, rien que ma voix et imaginez un monde singulier, un monde de chevaliers sans chevaux, de vaches volantes et de lapins tueurs. Vous y êtes, vous touchez le graal. Maintenant je vais compter jusqu’à trois et quand vous entendrez le chiffre trois vous vous réveillerez et vous aurez tout oublié de cet édito. Un, deux, trois...
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Décidemment, on pourrait dire de lui qu’il est partout ! Mais, « de qui parlez-vous ? », allez-vous me demander. Du photographe toulousain Louis Albinet (1890-1938), bien sûr. Lequel, s’il n’est pas à Toulouse en train de documenter des meetings aériens ou la venue du président Poincaré, est tantôt en Afrique du Nord, dans un campement de Zouaves à Batna, Jendouba ou Bizerte, tantôt à Constantinople ou Odessa, fixant quelques années avant Eisenstein, les marches de l’escalier Richelieu… Et je ne vous parle pas de Gênes, Turin, Milan, Venise… qu’il visite à l’été 1920 au lendemain de son mariage avec Juliette Gauthier. Autant de pérégrinations qu’illustrent ses nombreuses plaques de verre que nous avons la chance de conserver et qui sont, en bonne partie, traitées.
Ici, c’est au Mont Athos, petit état monastique autonome du nord de la Grèce, qu’on le retrouve. Parti à l’Armée d’Orient en août 1916, Louis Albinet est présent à Salonique en 1917 où il documente la vie dans le camp de Zeitenlik, les quartiers et l’architecture de la ville et le terrible incendie qui la ravage. Sur ce cliché pris en mai 1917, ce sont les pentes escarpées du Mont Athos – la montagne sacrée –, culminant à plus de 2 000 mètres et plongeant dans les eaux de la mer Egée, qu’il nous donne à voir. Et c’est une chance ! Ce site millénaire est réservé aux seuls visiteurs majeurs de sexe masculin…
Centre spirituel orthodoxe depuis le 10e siècle, le Mont Athos rassemble vingt monastères au patrimoine artistique exceptionnel – peintures murales, icônes, objets orfévrés, manuscrits enluminés. Et Louis Albinet ne s’y est pas trompé quand il témoigne, dans ses vues stéréoscopiques, de l’architecture singulière de ces églises et de la richesse de leur décor. La visite qu’il nous offre du monastère de Saint-Pantéleimon et de ses espaces fermés est unique : après le salon de réception et le réfectoire déserts, nous pénétrons dans l’église Pokrov et découvrons l’assemblée de moines réunie pendant l’office. Un reportage en Macédoine-Centrale à découvrir, dans le fonds Louis Albinet, en suivant ce lien.
Pas pire ou probablement pas mieux que nous, nos aïeux avaient tous en eux quelque chose de sacré. Quand on y touchait il risquait d'y avoir un os, et cela pouvait faire bien mal, gêner, voire empêcher tout mouvement.
Avec l'os sacrum, nous touchons en effet le sanctum sanctorum. Voyez Bertrand Sentous, racher de son état, ou radger (bref, il est radelier), basé au port Garaud. Et ce matin du 8 août 1710, il y a bagarre. Un coup d'arpette sur les reins lui laisse une vilaine « equimose ou contusion sur la vertèbre supérieure de l'os sacrum, de la largeur de deux travers de doit »1. Et le chirurgien qui le soigne de déclarer que la « susdite blesseure empeschant la souplesse des muscles[s] des lombes, ce qui peut empescher aussi le blessé de ce courber pour travailler jusqu'à la dissolution du sang épanché(s) ». En d'autres termes, Bertrand est au repos forcé pour huit jours.
En 1755, Raymonde Aubaret, veuve d'un sculpteur a des mots avec un colocataire. De verbe au geste il n'y a qu'un pas et elle reçoit un coup qui l'étend au sol. Le chirurgien qui vient la voir note qu'elle se plaint « d'une grande douleur à l'extrémité inférieure de l'épine, vers l'os sacrom »2 ; après l'avoir examinée, il lui trouve « une rougeur qui n'étoit pas bien considérable ». Cependant, ajoute-t-il, « elle ne pouvoir pas supporter que j'y touchasse sans ressantir de vives douleurs ». Cinq ans plus tard, c'est Simon Prohenque qui se fait ausculter après une rixe. Le chirurgien trouve « une contusion de la grandeur de la paulme de l[a] main sur l'os sacrom »3, le saigne illico et estime que le patient pourra être guéri « dans quizaine, sauf autres accidents qui pouroit ce déclarer, jusqu'au soisentième jour ». Il est vrai qu'outre le sacrum, Prohenques a aussi été cabossé à la tête.
Et ceux qui ont pris de la hauteur et qui ne s'intéressent guère au commun des mortels, pourront se délecter à la lecture de la « Description des ossemens du glorieux St Emond, martir, roy d'Engleterre, qui feurent tr[o]uvés dans son sépulchre à la voûte des corps saincts de l'église St Sernin le 16e juillet 1644 »4. La chronique des Annales manuscrites des capitouls y consacre quelques pages5. Nous livrons le squelette en l'état afin que les sceptiques puissent s'assurer qu'il n'y a pas eu mélange ou fraude avec un côte ou un fémur de trop.
De toute façon, l'important pour nous aujourd'hui est de retrouver le sacrum :
- la teste toute entière avec trois dents de la mâchoire supérieure,
- la mâchoiere inférieure avec sept dents,
- cinquante pièces des costes, faisans les vingt-quatre,
- la partie supérieure de l'os sternum,
- autre grande pièce de l'os esternum,
- deux clavicules,
- l'os sacrum,
- les deux os cleon avec le pubis,
- six pièces d'os faisans les homoplates,
- deux os dits humérus,
- un os de l'avant-bras dit cubitus, quasi entier,
- autre os dit cubitus, d'un demi-pied de long,
- un os dit radieus, coupé,
- huit os des métacarpes,
- trante os des phalanges des doits des deux mains,
- les deux os des cuisses, dits fémurs,
- les deux os des jambes, dits fémurs,
- les deux os des jambes dits tibias
- les deux autres os des jambes, dits rayons ou peronné ou fibula,
- les deux os dits rotula, ou pateles des genous,
- quatorse os des tarsses de deux pieds, sçavoier deux caléanes, deux caboïdes, deux astragales, deux naviculaires, et les six anonimes,
- dix os aussy anonimes,
- vingt huit os des phalanges des orteils.
À y être, on en profita aussi pour faire l'inventaire d'autres reliques. Ainsi parmi les ossements de saint Symphorien et saint Castor, se trouve « l'os sacrum avec le coccis » ; nous ne saurons précisément auquel des deux saints cet os fondamental appartenait. Plus compliqué encore, la caisse qui contenait les saints Clavele, Nicostrat et Simplicien : là, pêle-mêle dans un monceau d'osselets, gisent un os sacrum entier, les fragments d'un autre, et enfin un troisième en quatre morceaux.
Ceux qui voudraient invoquer tel saint en particulier risquent de tomber sur un os ; ils ont une chance sur deux, voire sur trois, d'invoquer le bon sacrum.
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1. FF 754/3, procédure # 039, du 8 août 1710.
2. FF 799/4, procédure # 124, du 28 juin 1755.
3. FF 804/1, procédure # 018, du 28 janvier 1760.
4. L'élévation de ses reliques avait été décidée 14 ans plus tôt, alors que le corps de ville avait invoqué l'assistance dudit Saint-Edmond afin de sauver la ville ravagée par la peste ; cela a donné lieu à de grandioses célébrations narrées par le menu dans la chronique de cette année 1644.
5. BB 279, chronique 316, année 1644, p. 376-377.
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A travers l’atelier (En)quête d’images, « Ma ville en noir et blanc », nous proposons désormais de montrer aux collégiens et lycéens comment Toulouse inspire les photographes au 19e siècle, de Provost à Trutat en passant par Ancely. Une occasion d’étudier en images le milieu urbain sous toutes ses formes : lieu de travail, d’approvisionnement, d’évasion, de périls, de transformation...
L’objectif de l’atelier, organisé en deux séquences pédagogiques de 2h30 avec des élèves répartis en binômes, consiste à analyser des sources photographiques d’un point de vue archivistique et technique, à s’approprier les outils de recherche de l’iconographe, et à comprendre – en vue d’une production écrite et orale –, comment l’image raconte et représente.
Cet atelier s’articule autour de sept thématiques : l’inondation de 1875, les grandes percées toulousaines, les modes de transports, les grands magasins & petites industries, les pêcheurs de sable & bateaux-bains, les métiers de rue et les marchés. Tant de témoignages de la vie toulousaine au 19e émergent de ce paysage photographique !
Mené conjointement par une médiatrice culturelle, une iconographe et une photographe, cet atelier propose une approche pluridisciplinaire et permet de croiser des thématiques du programme scolaire de français, d’histoire et d’histoire de l’art.
Plus d’informations auprès du service éducatif des Archives municipales.
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Le 13 décembre est la date anniversaire de la naissance d’Henri de Bourbon né en 1553, désigné roi de France et de Navarre sous le nom d’Henri IV en 1589 et sacré à Chartres en 1594. A Toulouse, le nom de ce souverain a été donné dans les premières années du 17e siècle par les capitouls à la cour d’honneur du Capitole.
Cette initiative peut être interprétée comme un geste politique. En effet, elle témoigne d'un désir d’apaisement après les affrontements des guerres de Religion, ainsi que d’une démonstration d’allégeance au pouvoir royal, faisant suite à un soutien inconditionnel à la Ligue catholique. Cette décision entérinée par mandement royal du 5 août 1605 signe la réconciliation.
La cour, aménagée entre 1601 et 1611, est bordée par deux élégantes galeries à arcades alternant les assises de brique et de pierre. Celle située au nord porte les armes du souverain et côté sud, ce sont les armoiries du Dauphin, le futur Louis XIII, qui ornent le centre de la façade. De part et d’autre ont été également apposées des plaques de marbre noir sur lesquelles les Capitouls ont fait graver, en lettres d’or, des textes en latin en l’honneur d’Henri IV et de son fils.
Deux portails monumentaux permettent l’accès à la cour. A l’est, protégé par un dôme, une statue en marbre d’Henri IV surplombe la cour. Vêtu de son armure de combat, portant originellement l’écharpe blanche des protestants et la croix du Saint-Esprit des catholiques, dans un esprit de réconciliation, son attitude reprend celle des portraits officiels du souverain vainqueur et pacificateur.
Ce 13 décembre ont été dévoilées les plaques des dédicaces capitulaires nouvellement restaurées.
Par ailleurs, une signalétique proposant les traductions de ces textes en latin, complétées par des éléments de contexte, permet aux visiteurs de les découvrir en toute simplicité.
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La péripétie la plus fameuse de l’histoire antique de Toulouse est certainement sa soumission en 106 avant notre ère, par le consul romain Q. Servilius Caepio. Non seulement celui-ci mata la révolte des Toulousains, mais il s’empara aussi de leur or qui était caché en partie dans des lacs sacrés, orthographiés λίμναι ἱεραί (limnai hierai) par l’historien grec Strabon citant Posidonios. On sait que Caepio perdit ensuite une grande partie de son butin et sombra dans la déchéance, donnant à ce trésor un parfum de malédiction qui devint proverbial.
Certains archéologues contemporains auraient plutôt tendance à localiser ces plans d’eau quasi-légendaires au niveau d’une ancienne zone marécageuse qui existait en bordure sud de la ville actuelle. Les historiens du 19e siècle ont, quant à eux, cherché à des endroits plus improbables. Pour preuve le courrier de 1808 que nous présentons, dans lequel le maire de Toulouse avertissait les fabriciens de Saint-Sernin que les antiquaires de l’Académie des sciences allaient débarquer dans leur basilique pour y rechercher un lac…
Au mieux ont-ils pu visiter, pendant leur balade, un puits à eau dérobé qui se trouve effectivement sous cette église. Aménagement certes curieux mais certainement sans rapport avec la topographie lacustre antique.
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Un thème audacieux ce mois-ci qui va nous amener dans les méandres des fonds iconographiques consultables en ligne. La base de données est déjà bien fournie et comme le duo numérisations-descriptions va bon train (#MesColleguesSontRedoutablementEfficaces), son enrichissement est exponentiel. Au point qu'un jour il est hautement probable que vous y dénichiez votre graal. Aucun doute que l'équipe des Monty Python y a puisé ses principales sources d'inspiration pour les scènes cultes de Holy Grail*. Jugez vous-même.
Dès la scène d'ouverture, la parodie arthurienne loufoque mettant en scène la quête des chevaliers de la Table ronde présente un roi sans monture affublé d'un palefrenier qui imite le bruit des sabots au moyen de deux moitiés de noix-de-coco** frappées en rythme l'une contre l'autre. Il se trouve, comme c'est curieux, que nous possédons justement l'image d'une magnifique pipe en coco. Il se trouve également, tiens-tiens quelle coïncidence, que ce roi est interprété par Graham Chapman, lui-même grand fumeur de pipe, ce qui lui coûta en partie sa vie, soit dit en passant, parce que fumer tue.
Les personnages devisant sur la présence de ce fruit en pleine Angleterre médiévale, ils en vinrent à l'évidence que seules des hirondelles pouvaient l'avoir transportée au cours d'une migration. Nous proposons une explication plus pertinente, celle de l'hirondelle comme véhicule terrestre pour l'acheminement de cargaisons lourdes). Avouez que tout ceci devient intriguant.
Les "chevaliers qui disent Ni" ne vous auront pas échappé, bien sûr. Savez-vous que, grâce à mes intenses recherches, j'ai trouvé moult informations à leur sujet dans notre base ? Les deux seuls éléments dont nous disposons à leur sujet est qu'ils sont les gardiens des mots sacrés "peng" et "wom" et qu'ils demandent qu'on leur fournisse un jardinet, joli et bon marché. Reprenons cette énigme ensemble. Dans "peng", entendez la prononciation méridionale du mot "pain". Pour une oreille britannique non avertie la confusion est logique et excusable. La requête des chevaliers devient alors plus claire, puisqu'elle concerne assurément de jolis pains à trouver dans un marché de bonne qualité. Nous en avons sur le marché Arnaud-Bernard dans les premières années du 20e siècle, en vue stéréo s'il vous plaît. Quant à "wom", notez que ce mot se lit de la même façon si nous renversons physiquement les lettres (w devient m et vice-versa), ce qui nous ouvre la métaphore du cercle. Et je vous le donne en mille, nous avons un jardinet circulaire ! Oui, en haut des allées Jean-Jaurès, entourant la statue de Riquet, dont vous aurez noté la coiffure... que nous retrouvons, presque à l'identique dans cette publicité pour les papiers à cigarette JOB, dont la punchline est "sans colle NI gomme". Nous avons retrouvé nos chevaliers "Ni-phones", la boucle est bouclée.
Nous pourrions poursuivre ainsi pendant des heures, comprendre l'hyperbole de la sorcière qui flotte avec cette représentation du canal de Palarin ou partir à la recherche Chevalier Noir, puis rédiger une thèse de 2000 pages comme celle de mon ami, sur cet autre sujet sacré et médiéval qu'est la représentation du décollement de Jean-Baptiste entre les 9e et 13e siècles, mais comme je ne veux pas abuser de votre temps, je terminerai simplement avec cet hommage caché au Lapin tueur.
*Pour une plus grande compréhension de ce billet, je vous renvoie au visionnage du chef d'œuvre cinématographique de l'humour anglais sorti en 1975, qui a bercé ma période de jeune adulte.
**(Notons en aparté qu'avec cet ingrédient nous pouvons aussi réaliser des pâtisseries et que sans doute nous y reviendrons lors d'un prochain numéro)