Arcanes, la lettre
Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...
L’autre jour j’ai vu mon pote Roger avec un drôle de feutre sur le crâne. « C’est un Homburg » qu’il me dit. Ça toujours été un excentrique le Roger, mais un expert du barbotage, d’où son blaze La Pogne. « Question exotisme, tu aurais pu faire mieux, sortir en fez, à l'orientale » que je lui réponds. Là, il rit jaune et je lui explique : « Mon Roro il n’y a qu’un seul couvre-chef pour les vrais bonhommes, les affranchis comme nous, c’est le Borsalino. Les autres galurins c’est pour les caves. Tu imagines Al Capone avec un béret ? » Alors faites comme Roger ouvrez bien vos esgourdes et filez doux, bicause je vais vous rencarder sur la 158e d’Arcanes.
Primo, on ne va pas vous causer du roi des gangsters, mais du roi des clichetoneurs toulousains : Jean Dieuzaide, alias le Boss, Yan, ou Monsieur Jean. Lui, quand il scribouillait quelque part, il utilisait toujours le même stylo. Gare à celui qui ne suivait pas les consignes...
Secundo et tertio, on va baragouiner bizness. Mornifle tarte et chourave, et c’est pas de la graille. Vous avez pigé ? La fausse monnaie et la fauche quoi ! Il faut croire que ça ne date pas d’hier vu qu’il y en avait déjà pas mal du temps des Bourbon. C’est dire !
Quarto, le Louis XV c’était aussi un rade près de la place Lucas tenu par un certain Oliveau. La spécialité du chef : la châtaigne ; le Marteau-Piqueur qu’on l’appelait. Aujourd’hui, il en reste que dalle, c’est tout le coin qui est passé au marteau-piqueur. Fallait faire place nette pour le nouveau quartier Saint-Georges.
Quinto, je ne radote pas question mornifle mais y’en a, et pas des moindres, qui auraient carrément jeté le bébé avec l’eau du bain, ou plutôt le présentoir avec la marchandise. Résultat : de la thune de collection dans la nature. Pas jouasse !
Sexto, Paulo Quat’Zyeux m’a donné un bath tuyau pour accéder de sa piaule à tout un tas d’informations sans lever le petit doigt. Le site internet des Archives de Toulouse que ça s’appelle. On y trouve même des trucs sur la boutique de doulos Brosson. Je leur tire mon chapeau à ces zigues !
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J'aimerais dire que "les photographes, ça ose écrire sur leurs photos ! C'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnaît", mais je n'oserai pas. Ceci dit, je pourrais vous le montrer, notamment chez Jean Dieuzaide.
Il a toujours écrit, ainsi que ses équipes, sur ses albums et ses tirages. On pourrait croire qu'il remplissait des champs de métadonnées : lieux, personnes, légendes, dates, éléments de contexte, ou encore indications de cadrage, à des fins de publication ou d'exposition. Quand on est au cœur de l'œuvre, on sent la présence de son auteur au travail, ses choix, ses directions. Parfois la voix est claire, très claire, parfois elle l'est moins, voire beaucoup moins.
Dès 1944, Jean Dieuzaide écrit, d'abord à l'encre bleue, puis noire, au crayon à papier, au feutre, qui est l'un de ses outils favoris, notamment le fameux feutre marron. J'en trouve partout : dans les albums, sur les contacts, au dos des tirages de presse, des tirages d'exposition ou de collection, dans les dossiers, sur les courriers. La main est omniprésente à l'atelier Dieuzaide, celle de Jacqueline bien entendu, mais aussi celles de toutes les personnes qui y ont travaillé. La seule* qui utilise le feutre marron, c'est celle de Jean.
* à l'heure où vous lisez ces lignes, j'ai repéré des contre-exemples mais je me garderai bien de vous les exposer. Explorez, explorez, vous finirez par les trouver :)
« Le faux talbin, messieurs, est un travail qui se fait dans le feutré » annonce Jean Gabin dans Le cave se rebiffe.
Nous saisissons cette citation au vol pour aborder ici le délicat sujet de la fausse monnaie. Les archives de la justice des capitouls nous livrent en effet quelques affaires çà et là tout au long du 18e siècle, parmi lesquelles nous nous limiterons aujourd’hui à deux particulières en 1784.
Le but du jeu étant de faire passer de fausses pièces pour des vraies, tous les moyens sont bons. Il est difficile d’estimer le nombre de naïfs qui se font ainsi tromper.
Dans le courant du mois d’avril1, Catherine, à qui l’on a présenté un faux écu de six livres pour l’achat d’un saucisson, remet sans se méfier le saucisson à l’acheteur et lui rend la monnaie, c’est à dire « un écu de trois livres et quarante-deux sols de monoye » (vous avez fait le calcul, le saucisson se monte à 18 sols). Bernée, elle explique aux magistrats que jamais elle n’aurait pu réaliser qu’il s’agissait d’un écu faux « attendu qu'elle est d'un âge avancé et qu'elle a mal aux yeux, mais elle reconnetroit le saussisson », c’est déjà ça.
Mais, me direz-vous, quand on n’a pas la vue, on a l’ouïe.
Effectivement, en novembre de même année2, Pierre Bouzigues examine un écu de six francs « et, ayant remarqué qu'il n'y avoit point de cordonet autour, il le laissa tomber sur le comptoir sans qu'il rendit d'autre son que celui d'un écu fendu » ; celui qui le lui présente insiste et assure que la pièce est bonne, Pierre lui rétorque : « Laissès-le tomber sur le pavé », ce que l’autre se refuse à faire et repart avec la pièce litigieuse, qu’il arrive finalement à changer dans une autre boutique, « quoi qu'il n'eut pas un bon son ».
Et si la vue ou l’ouïe font défaut, il reste encore le toucher. C’est ainsi que Jean-Pierre est alerté car il trouve « cet écu plus doux au tact que ne sont ordinairement les écus », il le frotte alors « avec son doigt et il s'aperçut que son doigt se chargeoit d'une crasse noire ».
François à qui l’on présente des pièces de même facture les reconnaît fausses « au seul tac », mais lui est doté d’un autre sens supra développé puisqu’il assure encore que l’odeur de l’écu le met en alerte. Là, on aimerait qu’il nous explique, puisque tout le monde sait que l’argent n’a pas d’odeur.
Bref, si vous avez bien suivi, il manque encore un des cinq sens à l’appel, visiblement personne n’a songé à léchouiller un écu en cette année 1784 afin de savoir s’il était vrai ou faux.
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1. FF 828/3, procédure # 051, du 28 avril 1784.
2. FF 828/8, procédure # 156, du 9 novembre 1784.
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En 1779, Joseph-François Gounon-Loubens, ancien capitoul, est en plein déménagement. Avant de s’installer dans sa nouvelle maison place d’Assezat, les ouvriers procèdent à des travaux visiblement d’ampleur : charpentiers, maçons, plâtriers, peintres, tous s’affairent pour rendre le nouveau logis habitable, confortable, sinon luxueux. D’ailleurs, l’architecte Philippe Hardy est signalé sur le chantier, il est probablement chargé du suivi des travaux de rénovation.
Après avoir fait transférer une partie de ses meubles, linge de maison, argenterie et autres provisions de bouche, monsieur de Gounon a pris la précaution de tout serrer à l’abri, sous clef, avant de partir à sa campagne (au château de Loubens) pour laisser tout ce petit monde vaquer à ses occupations.
Las, de retour en ville le 29 novembre, « il trouva qu’il avoit volé une grande partie de son linge de service blanchi, des draps de lit, napes, servietes, essuy-main, un jambon de Bayonne la moitié d’un lard et autres petits effets ».
L’enquête révèle rapidement que c’est Rey fils, l’un des peintres, qui aurait, au moyen de fausses clefs, ouvert les armoires et buffets pour en piller le contenu. Les capitouls le recherchent activement et pour cela se mettent sur les traces de sa maîtresse. Chou-blanc ! Mais elle apprend tout de même aux magistrats que son amoureux entretient visiblement une autre galanterie avec la nommée Bourre, proxénète1 de son état. Le métier rêvé pour écouler le linge volé en toute discrétion.
Si Rey reste introuvable, la maréchaussée arrive à localiser la Bourre (alias Catherine Clamens) qui s’était d’abord cachée à Bordeaux, puis à Montauban. Quasiment un an après les faits, elle est déférée à Toulouse devant les capitouls.
Le procès se fait, par contumace pour l’un, et « en présentiel » pour l’autre. Le 31 janvier 1781, les capitouls rendent leur sentence et mettent finalement les deux amants hors de cour et de procès. Ce qui n’est visiblement pas du goût du procureur du roi qui fait appel.
Le parlement tranchera en sa faveur et condamnera Rey aux galères pour dix ans (en son absence, l’exécution sera faite "figurativement"), quant à la Bourre, convaincue de recel, elle sera exposée au carcan durant quelques heures lors de trois marchés consécutifs, avant d’être fouettée, marquée de la lettre V. au fer rouge sur l’épaule droite et de passer dix années enfermée au quartier de force de l’hôpital de la Grave.
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1. Attention, sous l’Ancien Régime, une proxénète (à Toulouse) est une revendeuse de hardes, une fripière quoi.
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Rares sont les opérations d’urbanisme qui se font à pas feutrés, en douceur et sans heurts, ce serait même plutôt le contraire. Ainsi, plus d’une cinquantaine d’années est nécessaire pour réaliser les percées de la rue d’Alsace-Lorraine, de la rue de Metz et de la rue Ozenne, la dernière d’entre elles, qui voit son achèvement au début du 20e siècle. Ces chantiers de longue haleine alternent des périodes d’intense activité et d’autres de profonde atonie, suscitant souvent de nombreuses oppositions. Des oppositions politiques, suspectant des spéculations financières (parfois à raison) ou cristallisant des désaccords idéologiques, mais aussi l’opposition des habitants, qui voient leur cadre de vie bouleversé.
Plus près de nous, l’opération de rénovation urbaine du quartier Saint-Georges, menée entre 1958 et 1978 a considérablement bouleversé la configuration de ce quartier populaire, déclaré insalubre depuis les années 1920. La décision de tout démolir pour tout reconstruire, la fameuse « table rase » des Trente-Glorieuses, est prise lors de la séance du conseil municipal du 6 juillet 1959, afin de créer « un centre digne d’une capitale régionale ».
Plus de 2000 personnes, issues d’une population souvent âgée et aux revenus modestes, sont à reloger. Le premier immeuble terminé au sud de la zone comprend une partie de ses appartements destinée au relogement des personnes expulsées (62 logements en HLM). Non loin, un petit immeuble comprenant 12 appartements est construit par une association d’anciens propriétaires du quartier. Cependant, la plupart des habitants est relogée dans les grands ensembles en cours de construction à la périphérie, à Bagatelle ou à la Faourette1. Dans l’ensemble, ce sont donc surtout des immeubles de standing qui sont élevés dans le nouveau quartier Saint-Georges, conçus par les architectes en vogue dans les années 1970 pour le compte de promoteurs privés.
Le plan de masse, créé par Louis Hoÿm de Marien, architecte des bâtiments civils et palais nationaux, articule les édifices autour d’une grande dalle piétonne formant une place centrale animée par des fontaines, sous laquelle sont aménagés une galerie commerciale et trois niveaux de parking. La trésorerie générale, des bureaux, un groupe scolaire, un centre social et un hôtel de luxe complètent le programme. L’opération connaît un succès plutôt mitigé : autant les logements ont toujours trouvé preneur, autant la place Occitane et ses commerces, qui devaient remplacer la vieille place Saint-Georges, sont peu fréquentés, malgré d’importants réaménagements entre 2002 et 2007.
1. Arnauné-Clamens Anne-Marie, 1977, « L’opération de rénovation urbaine du quartier Saint-Georges à Toulouse », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, vol. 48, no 1, p. 89-101.
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Les archéologues d’aujourd’hui sont les héritiers des antiquaires d’autrefois qui étaient, avant tout, des numismates. Ils possédaient donc une collection de monnaies anciennes appelée médaillier, terme qui désigne aussi par extension le meuble qui sert à les conserver. Celui-ci est composé de plateaux en bois montés en tiroirs et divisés en cases. Ils sont de plus couverts de feutre. La raison ? C’est assurément plus joli et cela minimise les frottements. Isoler les pièces du bois peut probablement aussi éviter une altération, surtout pour les monnaies en bronze sujettes à l’oxydation.
Le bruit court qu’une société savante de notre région aurait mis au rebus, il y a quelques années à l’occasion de la réorganisation de ses locaux, un vieux meuble-médaillier devenu trop encombrant. On aurait évidemment pris soin de le vider au préalable, mais on ne fut peut-être pas assez prudent. En effet, plusieurs monnaies dissimulées, qui avaient glissé inopinément sous le feutre déchiré et décollé par endroits, auraient pu alors être jetées. Désolante histoire que l’on préfèrerait imaginaire. Mais si quelqu’un pouvait témoigner de sa véracité, cela voudrait dire que ces monnaies n’auraient pas été perdues pour tout le monde… À l’occasion d’un prochain récolement de sa collection numismatique, cette société pourrait alors indiquer dans son inventaire, à propos des pièces disparues, non pas la classique mention « non retrouvée » mais plutôt « disparue dans le feutré ».
Dans l’illustration que nous présentons, il est difficile de distinguer, faute de couleurs, le feutre qui garnissait les tiroirs du médaillier. Son auteur, Franz Ertinger, n’est pas étranger à notre ville. Il a gravé plusieurs scènes de l’histoire de Toulouse, commandées par les Capitouls en 1683 et dessinées par Raymond Lafage.
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La consultation de notre base de données offre aux lecteurs un incroyable confort. Depuis leur salon ou leur table de bureau, ils peuvent ainsi accéder, sans se déplacer, à l’ensemble des notices descriptives des documents qui sont chez nous conservés. Et, quand on interroge ladite base en renseignant par association d’idées « feutre, chapeau chapellerie » en mots-clés, s’ouvre alors tout un champ des possibles laissant entrevoir la variété des sources archivistiques disponibles sur un sujet – et ce, quelle que soit sa thématique ou son originalité.
L’on apprend ainsi que dans les magasins des Archives de Toulouse est conservé le fonds de la Chapellerie Brosson, du nom de Joseph Brosson qui possédait, en 1923, un magasin de chapeaux au numéro 43 de la rue d’Alsace-Lorraine, avant que celui-ci ne soit repris par son fils. Petit fonds d’archives privées qui se distingue notamment par les objets singuliers qu’il comprend : une dizaine d’outils et de gros fers utilisés pour mettre en forme chapeaux de feutre ou de paille. Les images de chapelleries toulousaines sont également légion dans notre base : on les trouve rue d’Alsace-Lorraine, au numéro 8 ou au numéro 30, mais également 26 rue Saint-Rome, où en 1928, en témoigne une carte postale des frères Labouche, était située la « Fabrique de chapeaux ». Parmi les résultats de recherche figure aussi la notice image d’une carte d'adhérent à l'Union des syndicats des Petits Marchands Détaillants de Toulouse, syndicat chapellerie, délivrée en 1931 aux frères Faure, 7 rue Constantine. Et, sans surprise, une multitude de portraits individuels – photographie ou dessin – ou de groupe nous montrant des messieurs élégamment chapeautés de leur feutre-melon.