ARCANES, la lettre

Dans les fonds de


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Dans les fonds de", dédiée à la présentation de documents issus de nos fonds.

DANS LES FONDS DE


Le double meurtre de la place Armand Leygues ; policiers sortant le corps d’une des victimes. Cliché André Cros, nuit du 18 au 19 décembre 1972. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi1187.

Deux morts pour un seul corps


octobre 2024

L’édition 2024 du festival Toulouse Polars du Sud vient de s’achever. Les Archives de Toulouse, associées à cet événement, ont proposé cinq ateliers successifs (aux trois initialement programmés, nous en avons rajouté deux supplémentaires à la hâte) où plus de 100 personnes se sont inscrites afin de venir se pencher sur les archives d’une étrange procédure criminelle des capitouls remontant à janvier 1733. 

Tout commence par la découverte du corps d’un inconnu sous le pont de Tournefeuille. Après une autopsie dans les règles, il s’avère que l’homme a d’abord été frappé de plusieurs bourrades (coups de crosse) au visage, puis tué d’un coup d’arme à feu. Exposé sur la pierre morne de l’hôtel de ville, il est rapidement identifié le jour-même. Il s’agit indéniablement « du nommé Pierrot, cy-devant vollaille[r] de proffession, habitant au mazague de Naugé en Gascoigne, près du village ou marquisat de S[ain]t-André ».
Sauf que voilà, le lendemain, d’autres personnes identifient formellement le corps comme étant celui « de feu Raymond, voiturier, habitant du lieu de Lhaas en Gascoigne ».
Les capitouls, interloqués par la double personnalité du cadavre, décident d’envoyer un de leurs assesseurs en Gascogne, à la recherche d’indices permettant de trancher quant à l’identité de ce corps, décidément bien dérangeant. En passant par Colomiers, Léguevin, Pujaudran, le magistrat s’enquiert d’une éventuelle disparition en donnant le signalement du maintenant fameux Raymond et Pierrot. À Auradé, il a un coup au cœur car on lui annonce qu’un certain Kéron aurait été assassiné à Toulouse ledit jour. Fausse alerte, Kéron se présente, il est toujours vivant.
Poussant plus avant dans la Gascogne profonde, le magistrat questionne inlassablement les consuls des communautés traversées.
C’est enfin à Lahas qu’il obtient des réponses. Ici, quelqu’un manque effectivement à l’appel. Mais est-ce Raymond ou Pierrot ?
« Hé bien », lui dit-on, « Pierrot ou Raymond c’est pareil ! » Pour les locaux, l’homme mort s’appelait Raymond, mais on le nommait plutôt Pierrot, comme son père. Oui, il est bien natif de Lahas, mais il réside à Naugé depuis son mariage. Une évidence gasconne qui a certainement déstabilisé un tantinet notre homme de justice toulousain.
Mais l’important étant là ; on a enfin la certitude sur le mort, mission accomplie. Il ne reste plus à l’assesseur qu’à rendre visite à la veuve, une simple formalité.
Sauf que là... Bref, vous comprendrez qu’il y a à nouveau un hic, et que la double vie (ou double mort) de Pierrot-Raymond va offrir de nouvelles surprises au magistrat. 

Passeport délivré à Rennes en faveur d'Aimé Chapotin, lapidaire de son état, natif de la paroisse de Saint-Pierre de Chablis. Mairie de Toulouse - Archives municipales, FF 785/6, procédure # 165, du 23 septembre 1741.

Passeport pour l’aventure


septembre 2024

Où que l’on aille dans le royaume, il est souhaitable d’avoir sur soi des papiers, et pas n’importe lesquels. Des certificats de bonne vies et mœurs peuvent faire l’affaire, mais on préfère des passeports. Pour les anciens galériens, on se contentera de regarder leur certificat de congé1.
Ainsi, que l’on vienne de Paimpol ou bien de Mazamet, voire de Blagnac, on doit s’attendre à ce que les capitouls exigent qu’on leur exhibe ces documents, particulièrement s’il l’on est un peu vagabond, ou simplement d’allure suspecte.
Aimé Chapotin est natif de Paris. Après quelques soucis avec la justice toulousaine en 1739, il prend sagement le parti de se faire oublier et de retourner sur les routes de France. Le 17 mars 1741, il en prend un à Caen, avant d’en obtenir un nouveau à Rennes (voir illustration ci-contre) le 7 avril, afin de se rendre en Provence. Il complète sa collection en juillet alors qu’il obtient du vice-légat du pape un dernier passeport à Avignon avant d’en ajouter un nouveau à sa collection. Il n’a visiblement pas le temps de compléter sa collection, et pour cause, l’homme est pressé: le 23 septembre 1741, à peine arrive-t-il à Toulouse qu’il lui prend l’envie saugrenue de marcher droit à la Garonne, d’y patauger jusqu’à s’y enfoncer à mi-corps et puis, tant qu’à y être de s’y noyer, non sans prononcer au préalable une dernière phrase : « Mon Dieu il y a bien de l'eau icy »2. Son corps sans vie est ramené sur la berge le lendemain et, rassurez-vous, les trois passeports serrés dans ses poches n’ont pas pris l’eau. Nous les conservons précieusement3.
Ils ne sont pas les seuls puisque les archives de la justice des capitouls offrent à voir une belle collection de passeports délivrés des quatre coins du royaume, et voire d'Espagne ou encore de Sardaigne (via le consul à Marseille) (lien sur le passeport de Barcelone). Les raisons pour lesquelles ils ont été gardés dans les pièces des procès ne sont pas toujours faciles à déterminer. Pour certains on sait que la route s’est brutalement arrêtée là (pendaison, envoi aux galères, etc.). Pour d’autres, on peut estimer que les capitouls leur auront remis un passeport tout neuf afin qu’ils quittent la ville et pour aller se faire pendre ailleurs.

Il serait logique que les Archives de Toulouse ne conservent aucun passeport délivré par les capitouls, mais nous avons eu le bonheur de découvrir celui d’Antoine Rivière en 1776 ; bonheur qu’il n’a certainement pas été partagé, puisque ledit Rivière se l’est fait subtiliser et qu’il a été retrouvé sur le voleur.
Les comptes de l’imprimeur de la ville font état du nombre de passeports commandés chaque année par les capitouls ; ce sont environ 500 pièces qui sont livrées à l’administration municipale pour être octroyées à ceux qui souhaitent prendre la route en toute légalité (ou tranquillité).

Pour ceux curieux d’en savoir plus sur les passeports, certificat de bonne vie et mœurs ou autres titres de circulation, un atelier Au fil des chroniques des capitouls y sera entièrement consacré le 23 novembre ; mais si vous étiez vraiment pressés, venez-donc à la session du 26 octobre où nous traiterons des épidémies de peste, ce qui nous conduira naturellement à évoquer la question des sauf-conduits.

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1 - Oui, de nos jours, le nom donné à ce document semble un peu ironique.
2 - Phrase qui, si elle avait été médiatisée à temps aurait pu devenir historique, et n’aurait pas manqué de faire pâlir d’envie le maréchal-président Mac-Mahon qui, lui, s’est contenté de passer à la postérité en prononçant face à la Garonne en 1775 : « Que d’eau, que d’eau ».
3 - FF 785, procédure # 165, du 23 septembre 1741.

[la jeune femme à la tabatière]. Gravure de Bernard Picard, 1715. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-51.367.

En poudre c’est tout aussi nul


juillet-août 2024

Nous avions précédemment discouru sur le tabac et les risques mortels qu'il entraîne chez ceux qui fument négligemment la pipe dans les cabarets (voir Arcanes de juin 2020). Certes, on pourrait toujours nous opposer que l'affaire d'avril 1781 que nous donnions alors pour illustrer ce propos, était extrême et unique, d'autant plus que depuis le décret du 15 novembre 2006 interdisant de fumer dans les lieux publics, les pouvoirs publics y ont mis bon ordre. Mais le législateur, en bannissant cigares, cigarettes et pipes, n'a pas cru nécessaire de se pencher sur un mode particulier de consommation du tabac, celui qui consiste à priser. 

Or, malgré ce que Molière a pu faire dire à Sganarelle dans la scène 1 du premier acte de Don Juan ou le Festin de Pierre (voir citation complète en bas de l'illustration), ce tabagisme-là nuit aussi gravement à la santé… Mais, peut-être pas toujours de la façon dont on se l'imagine. 

Sous l'Ancien Régime, la fureur du tabac touche bien évidemment aussi les femmes. Marie Bonnet, qui ne répugne pas à priser, aurait pu gagner quelques années de vie supplémentaire et ainsi profiter pleinement de son veuvage puisqu'elle se fait subtiliser sa tabatière en argent au sortir de la messe un jour de février 1735. Las, celle-ci est retrouvée (et le voleur avec), et Marie pourra à nouveau s'adonner à son vice et s'en mettre plein le nez1. Quarante ans plus tard, en 1775, on trouve Toinette Menville qui, à l'île de Tounis, offre des prises à qui veut ; Jeanne Boué ne se fait pas prier et, béate, elle s'en barbouille les naseaux. Sauf que la générosité de la Menville masque un tout autre dessein. Discrètement elle profite de l'extase de Jeanne pour saupoudrer de tabac les bacs où se tortillent ses vers à soie, ainsi que les tas de feuilles de mûrier que cette dernière revend. Geste délibéré « quy a occasionné une prompte mort de grande partie desdits vers à soye »2 de l'élevage.

En juillet 1756, Jean Sales, négociant du lieu de Verfeil, se fait accoster sur le grand chemin en arrivant à Toulouse ; l'inconnu lui demande une prise de tabac. Trop confiant, Sales s'apprête à présenter sa tabatière à l'homme, mais c'est alors que des complices cachés surgissent et détroussent le malheureux, le délestant ainsi de sa perruque, de sa « tabatière de carton où il y a pour devise un capucin qui sort de sa grotte, donnant la main à une demoiselle ayant derrière elle une figure qui luy tient un parasol sur la teste »3, et surtout de son portemanteau chargé de deux sacs contenant la coquette somme de 1 374 livres. Sales retournera sur les lieux le lendemain. Certes, il y retrouvera sa perruque et un étrier, mais il aura la douleur de voir tout son tabac répandu à terre.

Il a fallu attendre la fin du 20e siècle pour que les autorités nous apprennent que le tabac et le vin ne font pas bon ménage ; pourtant on le savait déjà depuis 1778 au moins, car l’association des deux donna lieu à de mémorables vomissements au nommé Léger lorsque le mélange fut fait à son insu4, ou encore à cette rixe sanglante dans un cabaret à Lardenne trois ans plus tard : certains des protagonistes ayant mis par deux fois du tabac dans le gobelet de vin de Bernard Cayrole5.

Les risques liés au tabac à priser se présentent quelquefois de manière plus détournée. Ainsi, en 1735, Marie-Anne Bourgella qui fait profession de fournir du tabac en poudre pour alimenter le marché toulousain, commande un moulin à râper le tabac au maître tourneur Marin Baby6. Celui-ci lui vante les performances de l'objet permettant, assure-t-il, de râper deux carottes de tabac de deux livres chacune en moins de trois heures. Or, après plusieurs essais, Marie-Anne doit se rendre à l'évidence, le moulin ne peut râper qu'une livre en trois heures. Rapportant ledit moulin à son concepteur, elle en est pour ses frais : celui-ci l'agresse violemment et elle doit s'enfuir le visage en sang.

Enfin pour Pierre Ferré qui, visiblement, prisait un peu trop le tabac, cette addiction fut fatale. Après avoir dévalisé la boutique de la buraliste de la place Royale une nuit d’avril 1764, il se fait pincer avec un pochon rempli de « deux boettes ou tabagies de fer blanc remplies de tabac rappé, une paire de petites balances avec un demy marc, un grand pot de terre vernissé en jaune couvert d'un parchemin, rempli de tabac rappé » et encore « trois parchemins servant à froisser le tabac » ; condamné aux galères par les capitouls, le parlement cassera le jugement en appel et l'enverra priser les pissenlits par la racine via la potence. 

Voilà, après avoir passé en revue les risques du tabac, d'abord celui inhalé en combustion, puis aujourd'hui celui reniflé en poudre, attendez-vous à ce que nous abordions un jour le cas du tabac à chiquer.

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1. FF 779/1, procédure # 024, du 22 février 1735. « une tabatière d'argent, fabrique de Paris, à façon de coquille, ayant au-dessus une devise qui est deux paquets de flèches, un cœur enflammé et deux tourterelles ».
2. FF 819/5, procédure # 108, du 16 juin 1775.
3. FF 800/5, procédure # 187, du 15 juillet 1756.
4. FF 822/9, procédure # 207, du 28 octobre 1778.
5. FF 825/1, procédure # 023, du 8 février 1781.
6. FF 779/2, procédure # 045, du 21 avril 1735.
7. FF 808/3, procédure # 046, du 2 avril 1764.

De nachtwacht [la ronde de nuit]. Gravure de Lambertus Antonius Claessens (1797), d'après le tableau de Rembrandt van Rijn. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1883-A-7355.

Ronde de nuit


juin 2024

4 000, c'est à peu près le total des procès-verbaux des rondes de nuit effectuées par le guet soigneusement couchés dans de fort volumes de la série justice et police entre le 16 juin 1539 et le 4 septembre 1649. Bien entendu nous ne nous sommes pas amusés à en faire le compte exact.

À chacune de ces sorties, l'on a renseigné le nom des soldats du guet présents (voire de capitouls qui n'hésitent pas à payer de sa personne), l'heure de départ de l'hôtel de ville, le parcours suivi ce soir-là (il change tous les jours), les lieux où l'on fit « escoute »1 et puis, bien évidemment, les faits notables s'il y a lieu : courses poursuites, arrestations, découvertes de corps plus ou moins inertes (il y a ceux ivres-morts et ceux bien morts), « ressercs »2, descentes dans des cabarets ou des maisons particulières, jusqu'à quelquefois la narration – penaude – d'une retraite précipitée du guet sous une grêle de pierres et son retour sans tambour ni trompette au corps de garde de l'hôtel de ville.

Les registres de rondes du guet, soigneusement tenu par des notaires de permanence, recèlent des richesses rarement exploitées par les chercheurs3 et leur récente numérisation intégrale devrait permettre à tous de s'en emparer et de se plonger dans un siècle de rondes endiablées.

Alors, n'hésitez plus, entrez dans la ronde de nuit.

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1. La troupe s'arrête, se fond dans la pénombre, retient son souffle, écoute et attend, une sorte de guet-apens mais du côté de la loi et de l'ordre.
2. Perquisitions.
3. Par exemple, ils ont été utilisés comme source complémentaire à l'appui d'une recherche sur le ressenti climatique – en effet, les soirs de grêle ou de grand'pluie sont évidemment indiqués pour justifier que la troupe reste sagement à l'abri des colères du vent.

[le cygne menacé], huile sur toile de Jan Asselijn, vers 1650. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° SK-A-4.

Qui fait la loi du collège de Foix ?


mai 2024

Lorsque Françon va s’occuper de ses oies parquées dans le collège de Foix, cela fait généralement des étincelles.

On sait qu'elle a déjà eu des mots avec le nommé Foich, l’un des collégiats, qu'elle aurait copieusement insulté. Et le 18 décembre 1745, alors qu'elle vient pour panser ses oies et leur puiser de l'eau au puits dudit collège, la voilà hélée depuis une fenêtre par le nommé Laroture, aussi collégiat, qui l'enjoint à déguerpir. Mais Françon qui n’est pas une oie blanche, n'a cure des injonctions de l’étudiant ; elle lui répond vertement.
Ce dernier, quitte la fenêtre et descend rapidement de sa chambre afin de chasser l'impudente. Par deux fois il la secoue et finit par la jeter à terre, d’abord dans le jardin, puis dans la cuisine du collège où se poursuit la rixe.
Mais Françon ne va passe se laisser dicter la loi d'un jeune blanc-bec ; elle se relève, lance des coups de poings sur la poitrine de Laroture et lui assène même des coups au visage avec sa capote. Pour faire face à cette grêle de coups, le jeune coq va se saisir d'une bûche ou d'une barre pour enfin corriger Françon. Erreur, cette dernière bondit jusqu'à l'âtre de la cuisine, et la voilà maintenant armée d'un tison ardent qu'elle porte au visage de Laroture...
Comme dans la plupart des rixes, des âmes charitables viendront s'interposer et mettre fin au combat avant qu’il ne dégénère ; chacun se retirera finalement plus furibond que mal en point.

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Sources : FF 789/7, procédures # 159 et # 160, toutes deux du 18 décembre 1745.

[Fou, ou possédé, cabriolant sur son lit]. Gravure anonyme, vers 1659. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-81.862.

… à dormir debout


avril 2024

Dans l'inépuisable fonds d'archives des affaires criminelles des capitouls, nombre de situations décrites, tant par les plaignants que les témoins, nombre d'excuses fournies par les accusés, donnent quelquefois matière à de véritables histoires à dormir debout sorties tout droit de l'imagination des uns et des autres.
Les plus flagrantes se trouvent dans les plaintes pour cas (supposés) d'adultère. Là, les plaintes portées par les maris1 donnent déjà le ton : invariablement leurs épouses volages se prostituent outrageusement, dilapident les biens du foyer et, pour la bonne mesure, s'arment de poignards, de pistolets et de poison afin se débarrasser de ces maris gênants. Tout ceci n'est que rhétorique attendue, bien loin de la réalité et, finalement, assez peu efficace.
Lors du procès fait à Honorée C. en 1772 ; la plainte portée par Joseph Dardene, son mari, est en tout point conforme à cette norme, si ce n'est qu'en plus l'épouse, un temps enfermée au couvent du Refuge2, s'en est évadée « par le secours de ses draps et de quelques personnes inconnues qui lui tinrent la main pour cet effet »3.

Mais le meilleur reste à venir : en effet, les témoins soigneusement choisis par les plaignants, s'en donnent à cœur-joie. C'est à qui inventera avoir assisté aux scènes les plus scabreuses, presque orgiaques. La chose est d'autant plus perceptible lorsqu'il s'agit de jeunes témoins qui, quelquefois peu au fait des choses de l'amour, s'ingénient à inventer des situations qui défient les lois de la mécanique des corps et de la gravité.
Nous vous en ferons grâce ici, nous bornant au seul cas de mademoiselle de L, fille d'un conseiller au parlement, et épouse de monsieur de P., substitut du procureur général au parlement4.
En 1741, après avoir quitté son mari pour la deuxième ou troisième fois dans l'année, supposément pour rejoindre un comédien, elle aurait vidé les armoires de la maison conjugale. Jusque là, tout reste plausible. Et voilà que les témoins viennent déposer. Ils se complaisent à lui attribuer une troupe entière de galants, mais cela reste timide, on ne leur rien vu faire ensemble. Voilà qui est gênant dans un tel procès. Heureusement pour monsieur de P., la déposition de Jeanne G. vient à point : selon elle, mademoiselle de L. serait enceinte du fameux comédien, mieux, ils auraient fait cela au nez et à la barbe du mari alors qu'il dormait profondément. Et puis vient le pompon : « elle avoit toujours eu des galans depuis l'âge d'onze ans , auquel tems elle étoit penssionnaire à Grenade. Que pour sortir du couvent elle se frottoit les bras et les mains avec des orties pour se faire venir du mal, dizant à la suppérieure du couvent qu'elle avoit la gale et qu'elle avoit besoin de s'aler baigner ».
D'autres témoins, plus timides pourtant, évoquent qui un escalier dérobé, qui une porte condamnée que l'on fait rouvrir, qui un déguisement d'amazone ; bref, nous sommes littéralement transportés dans un roman ; à tel point que l'on pourrait presque imaginer que ces témoins ont lu l'Histoire de dom B…, ouvrage licencieux précisément édité en cette même année 1741.
Trois siècles plus tard, nous ne pouvons qu'être fascinés par ces contes souvent immoraux, mais qui finalement portent en eux une morale : le mensonge exagéré ne paie pas, puisque quasiment aucun de ces maris n'arrivera à obtenir gain de cause devant les capitouls ; pire certains se voient ensuite poursuivis pour diffamation et subornation de témoins.

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1. Les femmes ne peuvent pas poursuivre leurs époux sur ce chef d'accusation.
2. Lieu de « pénitence » pour les femmes mariées.
3. A.M.T., FF 816/2, procédure # 026, du 23 février 1772.
4. A.M.T., FF 785/3, procédure # 062, du 2 mai 1741.

Parapluie. Facture néerlandaise. Vers 1770-1780, avec restauration visible d'éléments vers 1890-1910. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° BK-1967-92.

Il fait un temps de...


mars 2024

Nos fonds d'archives n’ont jusqu'à présent révélé aucun grand cataclysme comparable à cette pluie et invasion de grenouilles évoquée parmi les dix plaies d'Égypte ; mais on y trouve toutefois au fil des chroniques des capitouls nombre d'événements climatiques extrêmes qui ont frappé leurs contemporains."Pluviôse" - série des mois du calendrier républicain. gravure de Salvatore Tresca, d'après une oeuvre de Louis Lafitte, vers 1792-1794. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-2017-6023-5.
À Toulouse comme ailleurs, les chercheurs ont su mettre en évidence les grands cataclysmes, les dérangements du temps comme les cycles réguliers du climat. Cette histoire globale, qui a su mobiliser historiens et scientifiques les plus divers, a suscité depuis une quinzaine d’années un formidable écho dans nos préoccupations actuelles.
Mais il reste encore tout un pan à explorer, cette fois à une échelle microscopique. Quel était le ressenti de chacun devant une ondée, une grosse pluie, un orage, un coup de vent ? Comment prévoyait-on le temps avant l'invention de la grenouille du bocal et de l'échelle ? Comment s'habillait-on en cas de pluie ? Quelles activités cessaient en laissant passer l'orage et quelles autres en faisaient fi.
Après avoir posé des premiers jalons lors du VIe Congrès des archivistes de l’Arc Alpin1, les sources d'archives liées au ressenti climatique à Toulouse sous l'Ancien Régime ne cessent d’émerger : chroniques des Annales manuscrites, registres de délibérations, de comptabilité, des rondes du guet, sans oublier les procédures criminelles des capitouls qui révèlent des possibilités souvent insoupçonnées.
Le ressenti de nos aînés face à une météo aussi bien ordinaire que déchaînée attend désormais son chercheur ; un atelier public y sera d'ailleurs consacré en automne prochain, avec comme point de départ une mort suspecte dans une flaque...

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1 - Dont les actes ont été publiés dans La Gazette des archives, n°230, 2013-2. "Les sources d’archives pour l’étude du climat et de l’environnement", pour Toulouse, voir plus particulièrement p. 230-238.

"Ventouse donnée à Ragotin", planche gravée [entre 1705 et 1772] d'après Jean-Baptiste Oudry, d'une série illustrant des scènes du Roman Comique de Scarron. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-71.706.

Fai(te)s-moi mal Johnny Johnny...


février 2024

Après l’atelier « Champs Troubles » du 3 février dernier – où les participants se sont penchés sur les déboires de Nicolas Ramondis, ce pauvre jardinier de Matabiau qui n’a pas vraiment été à la fête en 1741-1742 –, la prochaine session des Samedis des Archives est programmée pour le 2 mars prochain. Ça s'appelle « Corpus corporis » et ça va faire mal – Johnny ou pas !
Cette matinée sera exclusivement consacrée aux plaies et aux bosses sous l'Ancien Régime. En solo ou en duo, chacun des participants va pouvoir travailler sur de nombreux verbaux (certificats) de chirurgiens décrivant les maux de leurs contemporains qu'ils viennent panser après une rixe ou un accident. Transcrire il faudra, certes, mais cela nécessitera ensuite d'adapter l'information pour la restituer en la cartographiant sur le corps1. Ceux qui le souhaitent pourront aussi se frotter à des relations d'autopsie.
De la narration de simples ecchymoses pour le moins malheureuses de ces victimes, à l'écriture froide et précise des autopsies, voilà un programme alléchant qui réjouira petits et grands.
Ces trois heures intensives seront ponctuées de temps plus légers :
- on proposera une sélection de plaintes où les victimes racontent la violence subie et les maux engendrés, elle sera à comparer aux verbaux de chirurgiens correspondants, avec de drôles de surprises en perspective, on l'imagine ;
- on parlera des soins adaptés à toutes les blessures. Évidemment, il sera beaucoup question de saignée, mais pas exclusivement. On évoquera même cette importance capitale accordée au poumon de mouton ou au pigeon dans des cas bien spécifiques ;
- le chirurgien Bagnéris sera mis à l'honneur, pas tant pour ses compétences médicales que pour son dédain affiché pour toute forme d'orthographe connue. Transcrire le moindre de ses certificats relève du casse-tête linguistico-phonétique ; nous nous y essayerons tout de même ;
- enfin, en avant-première, vous aurez droit à une présentation de la version beta de « Corpus Corporis », un module actuellement en cours d'élaboration qui viendra enrichir Urbanhist.

Rendez-vous vite sur l'espace presse de notre site pour réserver vos places.

1- Nous ne fournirons pas de corps, juste des schémas - à remplir.

Varkensslacht [abattage de porcs - bien qu'il soit possible qu'il s'agisse là d'un veau]. Dessin à l'encre sur papier par Cornelis Ploos van Amstel (d'après une oeuvre de Jan Saenredam ?). Entre 1778 et 1787. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-1944-43.

Des femmes sans job ?


janvier 2024

Si on laisse de côté les légions entières de filles de service, de femmes de chambre et de moniales, bien malin qui saurait dire ce que font les femmes. Certes, on imagine que la femme du boulanger vend le pain de son mari à la boutique, que la femme du boucher fait risette derrière son étal et puis... c'est tout. Ah si il y a aussi les revendeuses, les blanchisseuses et les cabaretières.
Voilà, un Ancien Régime décidément bien pauvre lorsqu'il s'agit d'identifier les travail des femmes, de nommer leurs activités professionnelles. Point de corporation pour elles1, donc point de métier formellement identifié et reconnu.
Et si tout cela n'était qu'une simple question de langage? Un vocabulaire qui n'a pas pensé que le mot « métier » pouvait aussi se décliner au féminin ? Du coup les femmes que l'on découvre et que l'on lit dans les archives expliquent quelquefois (et timidement encore) leurs « activités », leurs « occupations », sans jamais employer le mot de métier. Pour les autres, la grande majorité préfère se présenter en mettant en avant le métier de leur époux ou de leur père ; c'est bien plus simple.
Dans ce courant actuel de l'histoire qui cherche à promouvoir la femme pour lui rendre sa place, il est évident que la tâche des chercheurs est malaisée quand il s'agit percevoir la réalité du travail au féminin.
Même les archives judiciaires, qui font habituellement plus de cas de femmes, ne peuvent rien faire face à cette pauvreté de langage. Il faut alors s'employer à débusquer leurs activités, leurs occupations, en s'acharnant à lire l'intégralité des interrogatoires, des plaintes, des témoignages, jusqu'aux arides exploits d'assignations délivrés par les huissiers. Là, à force de patience, voilà qu'émergent enfin peu à peu des garnisseuses de chapeaux, des tresseuses de cheveux (pour les perruques), des plieuses et couseuses de livres. Encore un petit effort et l'on découvre charrieuses de charbon, femmes portefaix (on n'a toujours pas inventé le féminin), grappes entières de couseuses ou brodeuses travaillant chez elles, seules ou en véritables ateliers. La fin du 18e siècle voit encore apparaître une nouveauté (mais ne serait-ce pas là que l'effet d'une nouveauté de langage ?) : les modistes, les coiffeuses de dames, sans oublier les cuisinières de grandes maisons ou de tripots huppés.
En un mot, l'absence de mots explique certainement en grande part ce vide, ce silence quant au travail des femmes, mais les chercheurs patients qui prendront cette tâche à brasse-corps sauront certainement redonner un équilibre à cet aspect de la société de la fin de l'Ancien Régime.

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1. En fait, on verra naître en 1781 une sorte de corporation ouverte aux femmes, il s'agit celle des proxénètes. Nous vous renvoyons là à la lecture du numéro d'Arcanes de décembre 2015 pour en apprendre plus sur ce métier qui n'est pas du tout ce que vous croyez.

[Intérieur d’un vieux four]. Dessin au crayon et à la craie de Maria Vos. Entre 1834 et 1906. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-T-1953-97.

Pain total


décembre 2023

Si l'idée de coups et de bagarre est bien souvent associée aux bars, aux cabarets et autres tripots où l'alcool coule à flot, il est d'autres lieux qui n'ont pas à rougir et peuvent faire bonne figure lorsqu'il s'agit d'explosion de violence. Puisque le mot « pain » est un des 140 synonymes de celui de « coup », profitons-en donc pour aller fureter du coté des fournils et des pétrins et y relever l'indice d'agressivité attaché à ces lieux.

Master & servant
Dans l'arrière-salle de la boulangerie B. au pont Neuf, en 1772, l'apprentissage du jeune Monty se fait à la dure. Tantôt B. lui jette des petits pains à la figure, tantôt il menace de lui lancer une marque entière de pain bis1. Ou encore l'apprenti Laffont, régulièrement maltraité par le boulanger P. et qui, en novembre 1780, se fait corriger à coup de pelle avant de recevoir une ravaille toute chaude sortie du four sur la face. Il s'en sort avec un saignement de nez2. Un siècle plus tôt, le compagnon boulanger Laurens Thoulouse aurait certainement préféré se prendre un simple pain, mais son maître a trouvé plus judicieux de le frapper avec marteau de fer ; forcément ça fait plus de dégâts et Thoulouse « auroit resté sanglant, grièfvement et mortellement blessé »3. Il s'en relèvera pourtant. En 1756, le petit Jean Carbonnier fait son apprentissage dans une boulangerie du faubourg Saint-Michel ; un jour d'août il reçoit un véritable déluge de coups et de projectiles. Il faut croire que D., son maître est un sanguin inventif : clefs, tailles4, balai, bûche « de la grosseur du bras et raboteuse » et fourche de fer ; bref, D. fait feu de tout bois pour passer sa colère5. Quant à Baptiste Soulan apprenti chez le boulanger L., il a droit de la part de son maître tantôt à des coups de bâton, tantôt à des coups de pelle, et jusqu'à cette mémorable séance de torture où L. le prit « avec des grosses cordes, le pendit par dessous les aisselles à une poutre du plancher de sa maison, où il le tint l'espace de demy-heure en le faizant tourner à force, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, le menaçant s'il dizoit mot de luy donner de coups de bâtons »6.
Parfois, on inverse les rôles. Là, c'est le garçon boulanger B. qui, tancé pour être arrivé en retard lors de la préparation des pains bénis, réplique en cognant tant son boulanger de maître que la femme de ce dernier7.

Au four et à la pelle
Les fours, généralement dissociés des boutiques de boulangers sont tenu par les fourniers. Le maître de pelle y règne en maître, et sa pelle est d'ailleurs un sérieux rappel à l'ordre pour ses apprentis et compagnons, comme pour les boulangers qui viennent y apporter la pâte à cuire.
C'est exactement ce que fait B., maître de pelle du four de la Capelle-Redonde, lorsque le boulanger Raby veut lui apprendre son métier. Il le prend « par la tête et l'a fait h[e]urter avec force et cruauté de la tête sur le mur, de manière qu'il luy a fait faire une cicatrice ou blessure très large et très profonde, et par laquelle il a répandu tant du sang qu'il en a été couvert à l'instant sur son habit. Ce qui a excité tant la consternation, même l'indignation, de ceux qui étoient dans led[it] four »8. Mais il en faut plus pour impressionner certaines. Et le fournier Larroque aura fort à faire pour venir à bout de Bernarde Tourens et sa fille, celles-ci ne quitteront son four qu'après avoir rendu coup pour coup9.

Penthotal
Finissons avec ce combat inégal place du Salin en 1745. Les armes de poing et de jet utilisées par Georges face à la malheureuse Jeanne (prête à accoucher) se déclinent d'abord avec un caillou, puis un poids en métal avant de s'achever sur « un gros pain double » qui atteint de ventre de Jeanne, « laquelle [...] tomba tout de suite évanouye et on la fit entrer chès la bouchère où de nouveau elle tomba comme morte »10. Presque de quoi lui faire passer le goût du pain. Or, en lisant la procédure récriminatoire, ce serait plutôt  Jeanne qui « prit un poidz d'une livre qu'elle jetta sur l'estomac » de Georges11. Alors, qui croire ? Si le Penthotal (ceci est un médicament, demandez conseil auprès de votre médecin traitant) avait été inventé, les capitouls n'auraient-ils pas été tentés d'y avoir recours ici afin d'essayer d'obtenir la vérité ?

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1-   FF 816/3, procédure # 069, du 14 avril 1772.
2-   FF 824/8, procédure # 151, du 24 novembre 1780.
3-   FF 729/1, procédure # 022, du 9 juin 1685.
4-   La taille de bois qui permet de suivre et de faire les comptes entre le boulanger et ses pratiques (clients).
5-   FF 800/6, procédure # 217, du 10 août 1756.
6-   FF 789/7, procédure # 148, du 20 novembre 1745.
7-   FF 775/2, procédure # 068, du 23 juin 1731.
8-   FF 819/2, procédure # 025, du 4 février 1775.
9-   FF 804/2 procédure # 037, du 15 février 1760.
10- FF 789/1, procédure # 001, du 9 janvier 1745.
11- FF 789/1, procédure # 002, du 9 janvier 1745.

"De maand april" [allégorie du mois d'avril]. Gravure de Frederick Bloemaert d'après un dessin d'Abraham Bloemaert, entre 1635 et 1670. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-BI-1555.

1603 ou les tribulations du syndic des visites


novembre 2023

Parmi les diverses opportunités de carrières proposées au sein de l'administration de la ville de Toulouse, il y en a (eu) une qui laisse songeur, celle de syndic des visites.
La fiche de poste ne nous est pas parvenue, rares sont les chercheurs qui se sont penchés sur cet emploi (réservé ?), et l'on doit se borner à considérer que le rôle de ce personnage était de faire des tournées d'inspection dans les affachoirs, boucheries et autres lieux de la ville où l'on se préoccupait de sécurité alimentaire (avant que le terme ne soit inventé). Ce poste de syndic des visites va d'ailleurs tout bonnement disparaître au cours du 17e siècle1.
En 1603, c'est Jean Chayde qui est pourvu de cet emploi, et il a fort à faire car une épizootie ravage alors le bétail à laine et à corne d'une partie du royaume2, à tel point que le parlement de Toulouse doit promulguer le 12 avril un arrêt portant inhibition à tous « gentilhomes, marchans & autres de ne trasduire aulcune quantité dudit bestail en Espaigne ny faire amas et achaptz d'icelluy »3. Cet arrêt a force de loi dans toute l'étendue du ressort du parlement, mais il reste encore à le publier, c'est à dire le porter à la connaissance des consuls des villes et bourgades, le crier à son de trompe et en afficher des exemplaires4.
Jean Chayde est missionné afin d'aller assurer la publication officielle de cet arrêt en Gascogne, puis en Languedoc.C'est là pour lui une occasion de rompre avec la monotonie de son travail, de lui permettre d'enfourcher une cavale et d'aller prendre l'air pour voir si l'herbe est plus verte ailleurs.
De ces trois semaines de routes, de chemins, d’auberges et de visites, il a laissé un état détaillé afin de pouvoir se faire rembourser des divers frais avancés pour ses repas, couchées, locations de chevaux et autres menues dépenses5.
Nous pouvons donc le suivre dans ses premières étapes qui le mènent successivement à Grenade, Beaumont de Lomagne, Cologne, Fleurance, Gimont et Lisle Jourdain. Tout se passe sans anicroche notable, les tables semblent bonnes et les auberges accueillantes. L’arrêt du parlement y est publié sans problème.
En revanche, il n'en sera pas de même pour son périple du côté du Languedoc. À Castelnaudary, son arrivée coïncide avec la Fête-Dieu : impossible de songer à publier l'arrêt, il lui faudra le faire lors de son retour. Ensuite, il ne fait que passer par Carcassonne avant d'échouer à Narbonne. Là, les consuls y mettent de la mauvaise volonté, on le renvoie vers le maître des Ports, puis vers le contrôleur des droits forains, sans oublier le procureur du roi. Après une partie de ping-pong entre institutions diverses qui se partagent la ville, l'arrêt est finalement publié à son de trompe et affiché. Mais Jean Chayde n'en a pas fini avec les tracas administratifs : à Carcassonne, c'est la même rengaine, et il en repart sans avoir pu rien publier – mais avec la promesse qu'on le fera pour lui. Il ne lui reste plus qu'à repasser par Castelnaudary afin de compléter sa mission. Cette fois, il tombe un jour de marché, et la publication peut se faire avec célérité et dans les règles.
Jean Chayde va terminer cette tournée par un solide souper dans une auberge de Villefranche de Lauragais avant de retrouver le train-train de ses visites à Toulouse, qui, finalement ne doit pas lui sembler si désagréable au vu des ennuis rencontrés dans la seconde partie de son périple.

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1- On ne trouve encore trace en 1628, lors de la destitution d'Antoine Février, accusé de concussion avec les bouchers et boulangers – BB 29, f° 99v-110, conseil des capitouls du 9 octobre 1628.
2-  Nous pensons qu'il pourrait s'agir de la maladie dite « le mal de langue », déjà signalée cette année-là à Avignon, et citée dans l'étude de François Vallat : « Une épizootie méconnue : le “mal de langue” de 1763 », Histoire et Sociétés rurales, vol. 20 (2e semestre 2003), p. 79-119.
3- AA 21, acte n° 118.
4-  Nous savons que cet arrêt a été imprimé en grand placard mais nous n'avons malheureusement pas pu en trouver d’exemplaire.
5- CC 2579, pièces n° 415-431.

Annales manuscrites des Capitouls, chronique de l'année 1437-1438. Le nom du 3e capitoul en partant de la droite (Bertrand de Holmeda) a été effacé au profit de celui de "Bertrand Puget". Ville de Toulouse, Archives municipales, BB 273, chr. 132.

Petits arrangements entre grosses huiles


octobre 2023
Les Annales manuscrites des capitouls, que l'on ne présente plus, sont une formidable source pour la connaissance de la ville, de ses institutions, et elles se présentent encore comme un laboratoire d'observation du discours politique des élites urbaines et des évolutions et mutations d'une cité sur presque cinq siècles.
Les portraits des capitouls qui y sont insérés, réalisés chaque année, contribuent à donner à ce monument écrit (composée d'environ 5 000 feuillets en parchemin très grand format, rassemblés sur 12 registres) un lustre certain, d'autant plus que ces Annales manuscrites sont uniques en leur genre, tant par la richesse de leur contenu que par leur permanence dans le temps (1295-1787).
L'attrait de ces registres n'a pas échappé aux contemporains qui, au cours des siècles, sont allés y puiser des éléments précieux pour nourrir leurs écrits historiques ou politiques.
Si nous n'en retenons généralement de nos jours que l'aspect historique et artistique, d'autres, peu scrupuleux, y trouvèrent autrefois une opportunité beaucoup moins louable.
L'exemple le plus marquant reste celui des faux capitouls de la famille Puget. Au cours du 16e siècle, un faussaire s'est ingénié à gratter les noms de certains capitouls dans pas moins de seize chroniques annuelles afin d'y substituer plus ou moins habilement le nom de « Puget ».
Un peu d'astuce, d'espièglerie et voilà comment on se construit une généalogie remontant à des temps anciens. Grâce à ces altérations volontaires, les descendants de ces prétendus capitouls purent non seulement s'enorgueillir d'une illustre lignée et, plus prosaïquement, s'autoriser à briguer des charges prestigieuses et lucratives. Les Puget ne sont pas seuls en cause, d'autres familles, plus mesurées dans leurs ambitions frauduleuses, s'y sont aussi essayées.
Et si certains de ces intrus avaient déjà été débusqués dès le 17e siècle tellement les surcharges du faussaire étaient grossières (voir illustration ci-contre), d'autres ont échappé à la sagacité d'historiens anciens tel que Germain de Lafaille ou bien encore Abel et Froidefont. On doit à l'archiviste Ernest Roschach un premier état de ces falsifications, repris, corrigé et complété par François Bordes son successeur, en 2006.
Canal de Brienne, l'arrivée sur l'écluse de Saint-Pierre - cliché Stéphanie Renard - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Num14/40.

Tourisme fluvial aux archives


septembre 2023

La pause estivale a été l’occasion pour nous de collecter un nouveau fonds d’archives. Et celui-ci va vous donner envie de pratiquer le tourisme dans la région toulousaine et plus précisément dans les abords du Canal du Midi. En effet, le fonds Maguès, classé et conservé sous la cote 144Z, aborde en grande partie la vie de deux grands toulousains du XIXe siècle : Urbain et Henry Maguès.
Ceux-ci, particulièrement connus pour leur gestion du Canal du Midi durant plusieurs années, ont aussi participé au développement de l’urbanisme toulousain à la fin du XIXe siècle. C’est ainsi que Urbain Maguès propose l’ouverture de la rue d’Alsace-Lorraine entre 1869 et 1873.

Outre ces documents particulièrement intéressants sur l’urbanisme toulousain, ce fonds constitue aussi un véritable témoignage de la vie d’une famille aisée à cette époque-là. Nous retrouvons une correspondance familiale importante, mais aussi des documents généalogiques permettant de retrouver les différentes familles alliées.
Mais surtout, nous conservons de magnifiques plans concernant différents cours d’eau, tels que le Girou ou le Canal de l’Agout, nous donnant quelques fois envie de voguer vers de nouveaux horizons.

"Dikke nar met een worst" [Gros bouffon avec une saucisse]. Gravure de Caspar Merian d'après un dessin de Hans Holbein. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-21.839.

Petit salé, grands effets


juillet-août 2023

Voilà l'été, occasion rêvée pour nous d'aborder une thématique souvent en retrait dans nos archives : les salaisons.
Archives criminelles anciennes obligent, nous allons prendre des détours et en voir de toutes les formes et de toutes les couleurs, certaines à faire rougir.
Promenons-nous d'abord dans le bucolique quartier de Lespinet où, en 1774, nos voleurs ne sont guère en veine. À la faveur de la nuit, ils ont fait main-basse sur deux jambons et deux épaules de cochon et un lard, mais le métayer du domaine et ses aides réagissent immédiatement et ne font pas dans la dentelle. Résultat, un des filous reste sur le carreau, la cervelle fracassée à coups de crosse (un vrai pâté de tête diraient les cyniques) ; quant à son complice, une décharge de fusil dans le c… l'empêchant de se mouvoir avec vélocité, il sera cueilli au petit matin1. Jugé et pendu, il finira de sécher suspendu aux fourches patibulaires, un peu comme un jambon.
Quatre ans plus tôt, des trublions en quête de filles de joie font irruption dans la maison Talexy. Ne trouvant personne d'assez appétissant à leur goût, ils repartent avec cinq tours de saucisse sèche ; il n'y a pas de petit plaisir2. Évidemment, ces derniers font assez petits joueurs à côté de ces personnages qui pénètrent par effraction chez le charcutier Pérès, et dont leur butin s'élève à plus d'une trentaine de saucissons, des boules de graisse et du vieux lard3. Les perquisitions vont bon train dans le voisinage et l'on retrouve nombre de salaisons cachées dans une couette, d'autres enfouies sous la terre dans une cave, jusque même ce saucisson dissimulé dans le canon des latrines (et ça c'est vraiment sale !). Salées aussi sont les morues que l'on escamote d'une barrique laissée dans la cour de la maison de la veuve Jonquières4. Elles ne referont jamais surface.[Pierrot à la saucisse]. Gravure de Jacques Louis Copia, d'après Louis Marie Sicardi, entre 1774 et 1799. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-2007-470.
D'un sans-gêne, ces clients de cabaret qui, malgré l'interdit du vendredi, réclament à manger du lapereau, rien que ça ! Devant le refus de l'aubergiste, ils dénichent de la saucisse, se servent et la font griller eux-mêmes ; ils ont même le culot d'exiger de la moutarde5. Devant leur impudence, on souhaiterait presque que ce soit de la saucisse des sœurs Laguens, réputée être faite avec les restes de charognes jetées à la voirie6.
Le malheureux Raymond-Charles Robert est lui victime de l'indélicatesse de sa domestique qui quitte soudain son service en emportant un pot contenant cinq oies confites, qu'elle offre à son galant présumé7. Ce dernier, visiblement homme de peu de goût, revend le cadeau pensant que c'est de la... confiture.
Terminons en remontant encore un peu dans le temps, pour nous transporter en 1702, dans l'alcôve (ou presque) de Toinette8. Son mari parti à la campagne, elle fait prévenir son amant par une petite voisine. L'homme arrive au galop. Sauf que voilà, Toinette a ses règles. Qu'importe, la petite voisine fait aussi bien les affaires de l'amant. Mais Toinette trouve finalement à se rafraîchir, et la voici prête à entrer dans la danse. Craignant toutefois que le bellâtre ait perdu quelque vigueur dans l'assaut précédent, elle lui recommande de reprendre des forces en mangeant un morceau de salé de son mari. Une fois restauré, le voilà visiblement à nouveau d'attaque. Las, attaque il y a, mais surprise celle-là. Le mari, qui était resté caché entre des lits dans la chambre, surgit tel un diable de sa boite, armé d'un sabre et d'une serpe9, et il s'ensuit une galopade effrénée jusque dans la rue. La note ne sera pas si salée : aucun mort à déplorer.

Comme quoi, petit salé, grands effets.

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1- FF 818/3, procédure # 065, du 26 mai 1774.
2- FF 814/2, procédure # 030, du 13 février 1770.
3- FF 818/1, procédure # 013, du 12 février 1774.
4- FF 794/2, procédure # 068, du 26 mai 1750.
5- FF 756/2, procédure # 077, du 30 décembre 1712.
6- FF 753/1, procédure # 009, du 23 avril 1709.
7- FF 789/2, procédure # 041, du 3 avril 1745.
8- FF 746/1, procédure # 020, du 26 avril 1702.
9- Las, on ne saura jamais si la moutarde lui est montée au nez lorsqu'il a entendu les gémissement de sa femme, ou bien si c'est son salé donné à l'amant qui lui est plus resté en travers de la gorge.

Les capitouls de l'année 1779-1780. On reconnaît Bernard-Henry-Thomas Ginisty (3e en partant de la gauche), père du petit « Toulouse-Louis-François-Pierre-Jean-Augustin-Jean-Joseph-Pierre-François-Ignace-Jean-Florent-Nicolas-Paul », dernier filleul de la ville, « baptisé officiellement le 24 mai 1779 ». Huile (fort gâtée) sur parchemin, par Lambert-François Cammas. Mairie de Toulouse, Archives municipales, Annales Manuscrites, livre XII, BB 284.

Itinéraire d’un enfant gâté


juin 2023

En 1715, madame Despinasse, née Cassaignau, a accouché deux fois dans l'année. Est-ce là un accident pour son couple, réglé et habitué à avoir un enfant tous les deux ans ?
Probablement pas. En fait, tout a été conditionné par ce premier enfant né en janvier1. Il nous semble évident que le papa, François-Raymond Despinasse, a été très déçu : Marie-Anne, une fille, pensez-donc !
Il fallait donc s'y remettre, au risque de fatiguer madame. Mais, peu importe, monsieur Despinasse se devait absolument d'avoir un fils avant la fin de l'année.
Les efforts de monsieur (et de madame – même si elle n'a pas nécessairement eu son mot à dire) se révèlent payants : le 22 décembre naît un enfant mâle. Quatre jours après, ce nourrisson est oint du Seigneur et reçoit les prénoms de Louis-Paul-Raymond-Toulouse2. Rien que ça.
Il faut expliquer que monsieur Despinasse père est alors capitoul, et son empressement à avoir un garçon dans l'année de sa charge est motivé par le fait que la naissance d'un enfant mâle (les filles ne comptent pas) entraîne un baptême « officiel »3. Des cadeaux offerts par la ville, une médaille gravée en or, une belle cérémonie et tous les capitouls qui tiennent l'enfant au nom de la ville.
Filleul de la ville, Louis-Paul-Raymond-Toulouse bénéficiera sa vie durant de privilèges, dont celui de pouvoir porter l'épée dans l'hôtel de ville.

Sauf que voilà, l'enfant gâté va commencer par se signaler à l’âge de 23 ans4. Effronté trublion, il cause presque une émeute à la salle du spectacle le soir du 1er juillet 1738. Et lorsque l'on cherche à le conduire dans les prisons de l'hôtel de ville, il en fait tellement que la jeunesse s'agite, ce qui va entraîner la mort tragique du baron de Pordéac, l'un de ses amis. Seulement condamné à « s'abstenir pendant deux ans de la ville et gardiage, avec déffences d'y rentrer pendant led. tems à peine de punition corporelle »5, on le retrouve très vite à pied d'œuvre, en juillet 1740, accusé d'assassinat par l'épouse d'un cuisinier6 ; il contre-attaque en portant plainte contre cette dernière pour prétendues insultes, diffamation et menaces7. Personne n'est dupe.
En 1745, Louis-Paul-Raymond-Toulouse se fait grossièrement traiter d'« espion de jeu à douze sols par jour » et même un petit peu secouer puisqu’un chirurgien qui le soigne estime que « la violence du coup se fait sentir sur les membrannes du cerveau »8. Cette fois il devient plaignant. Mais tout ceci ne serait pas arrivé s'il n'avait pas fréquenté des cercles de jeu interdits. Visiblement, la leçon ne porte pas, puisqu'en 1753 il organise lui-même des parties d'argent ou les héberge9. Dans sa lancée, il maltraite l’année suivante, à heure nocturne, la femme d'un fournier et la menace de son arme10.
À 65 ans, il se signale une dernière fois dans une affaire d'agression – verbale seulement –, preuve que l’âge de la retraite n’a pas encore sonné11.

Enfant choyé, enfant gâté, Louis-Paul-Raymond-Toulouse fait plutôt figure de fruit pourri et, au vu de ses exploits connus, il n'a guère fait honneur aux prénoms qui lui ont été généreusement donnés : ceux du roi, des comtes de Toulouse et de la Ville.

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1 - GG 292, f° 15.
2 - GG 292, f° 133v-134.
3 - M. Perny, « L’invention d’un rituel urbain toulousain : la ville de Toulouse et ses filleuls à l’époque moderne », in Toulouse, une métropole méridionale, Vingt siècles de vie urbaine. Sous la dir. de B. Suau, J.-P. Almaric et J.-M. Olivier. Ed. PUM, Méridiennes, 2009, p. 317-333.
4 - Mais certainement avant. Il pourrait déjà être l'auteur de ce vol commis l’année précédente et attribué à un nommé « Despinasse fils ayné ». FF 781/1, procédure # 032, du 9 avril 1737.
5 - FF 782/3, procédure # 058, du 1er juillet 1738.
6 - Ce procès a été intenté devant la cour du sénéchal, dont les archives des procédures criminelles sont désormais perdues. Rappelons qu'un assassinat est une agression préméditée.
7 - FF 784/4, procédure # 119, du 17 juillet 1740.
8 - FF 789/1, procédure # 023, du 16 mars 1745.
9 - Mais c'est son frère cadet, François-Joseph, qui se fera pincer, avec de nombreux autres fils de la jeunesse dorée - FF 797/1, procédure # 003, du 8 janvier 1753.
10 - FF 798, (en cours de classement), procédure du 17 juillet 1754.
11 - FF 824/6, procédure # 096, du 10 juillet 1780.

 

 

Beurrier en faïence, ornementé de fruits. Faïencerie de Delft, De Grieksche A. et Jan van den Briel, entre 1768 et 1785. Rijksmuseum, Amsterdam, inv n° BK-NM-12202.

Banquet fruité du mois de mai


mai 2023

Messieurs les capitouls ont l'honneur de vous convier au somptueux festin organisé en l'honneur de madame la Première Présidente1, qui se tiendra dans les salons l'hôtel de ville de Toulouse, ce 28 mai 1770.
Au menu, nous proposons des pâtés et entremets froids, des jambons glacés, des galantines… Vous avez déjà l'eau à la bouche ? Ce ne sont pourtant là que les amuse-gueules.
Poursuivons donc cette farandole de saveurs avec les « grosses entrées », les salades variées, les plats de rôtis, les entremets chauds, les vins…, sans oublier les desserts.
Imaginez-vous devant une immense table longue de 60 pieds, où, aux quatre coins figurent des croquandes représentant les chasses au sanglier, au cerf, au lion et au lièvre. Une table ornée de beaux « plateaux montés en figures de cristal et porcelaine »2. De cette vaisselle d'exception, étincelante d'aventurine et de poudre de verre de différentes couleur, débordent et ruissellent agrumes divers et variés tels qu'oranges, citrons, cédrats, bergamotes...
Poursuivons dans cette lancée juteuse avec nos toutes dernières compotes qui se déclinent avec abricots, pêches, coings rouges, reines-claudes, mirabelles, poires, cerises, pommes, groseilles, amandes vertes, fraises3, et autres encore.
Et comme nous sommes complètement givrés, vous pourrez enfin vous laissez griser sans modération par les fabuleux fromages glacés ainsi que les succulentes glaces aux fruits. Bien entendu, « orgeat et limonade à discrétion ».

En espérant que cette invitation vous donnera la pêche.
Que les festivités commencent !

Plan de table pour le banquet de la première Président, 1770. Mairie de Toulouse, Archives municipales, CC 2800, pièce n° 117 (détail)

Dernière minute : veuillez noter qu'en raison d'une météo peu amène, le sieur Bertally, artificier, se voit contraint de repousser au 4 juin le feu d'artifice initialement prévu à l'issue du banquet.

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1 - Anne-Marie-Charlotte Leroy de Sanguin, épouse Drouyn de Vaudeuil.
2 - Les devis et factures des fournisseurs de ce banquet se trouvent dans le registre de pièces à l'appui des comptes du trésorier de la ville, CC 2800.
3 - Ces dernières, « s'il y en a », nous précise aimablement le fournisseur.

[sainte Cécile, patronne de la musique sacrée] – Gravure par Gaspard Duchange, d'après Antoine Coypel, entre 1672 et 1757 – Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-43.249.

Te deum en faux-bourdon et cacophonie à Saint-Pantaléon


avril 2023

Du monastère des Onze-Mille Vierges établi en l'abbaye de Saint-Pantaléon, il ne reste plus rien. À tel point qu'il nous est désormais difficile d'imaginer que résonnaient en ces lieux les voix angéliques de moniales adressant leurs louages au Divin.
11 000 ? Ce chiffre est évidemment un tantinet exagéré puisque, vers les années 1750, il ne reste désormais plus que onze religieuses. Il est vrai que le Roi a depuis quelques années défendu à la communauté de recevoir de nouvelles novices. Mais cette interdiction est levée le 16 mars 17551, et le monastère peut à nouveau résonner des voix claires des jeunes novices et des pensionnaires de la meilleure société de la ville. Ceux qui passent alors par la rue Saint-Pantaléon savent-ils goûter à ces merveilleux échos purs des chants célestes ?
D'autant plus que le 25 mars, le monastère fait illuminer son clocher et que les jeunes pensionnaires y sont aussi perchées afin de louer le Seigneur par un te deum chanté en faux bourdon. Les badauds connaisseurs se massent dans la rue et, plusieurs d'entre eux
« ayant bateu des mains pour les aplaudir, lesdittes pensionnaires en firent de même »2. Et, lorsqu'un jeune homme se met à siffler, une des jeunes servantes de Dieu lui répond de même. La cacophonie va crescendo, certains « criant à haute-voix devant la porte de laditte églize qu'il falloit que les religieuses fussent yvres ou folles, les uns donnant de grands coups de sifflets et les autres batant des mains en criant : À bas la chandelle ! »
Le te deum vire au charivari. Or, l'un des amateurs de musique sacrée n'est autre que monsieur Pijon, avocat du roi auprès de la cour de justice des capitouls. Depuis son balcon, il s'insurge contre « pareil escandalle qui marque un mépris souverain pour la religion dans un tems aussy saint que celuy-cy ». Les témoins de la scène nous dépeignent un Pijon qui trépigne, qui vitupère et qui s'étrangle presque en haranguant la foule « d'un ton colère » et en menaçant les trublions. En vain, « lesdits jeunnes hommes s'en furent en riant et disant qu'il falloit que cest homme feut fol ».

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1 - G. Caussé. Notes sur le monastère des Onze-Mille Vierges de Saint-Pantaléon de Toulouse, in Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, tome XI (1874-1879), p. 108-118.
2 -  Archives Municipales de Toulouse, FF 799/2, procédure # 053, du 26 mars 1755.

Cadastre de 1680-1794, lettre ornée en tête du moulon 1er, article 5 de la matrice du capitoulat du Pont-Vieux, ville. Mairie de Toulouse, Archives municipales, cote CC 92 (détail).

Oh le bel oiseau !


mars 2023

Tout a débuté lorsqu'il y a quelques années, une demande nous a été adressée par une doctorante de l'autre bout de la France, quant à d'éventuelles archives d'oiseleurs du 18e siècle que nous pourrions conserver dans nos fonds.
Évidemment, nous n'en avions aucune. D'ailleurs, le seul oiseleur alors repéré dans nos fonds d'archives venait de succomber, victime d’une décharge de fusil en pleine face ; il n'avait laissé qu'un « petit apeau d'argent pour apeller les oiseaux », quelques piécettes et quatre pommes. Certes, nous avions bien croisé une autruche et un oiseau assifrago ; mais ça n'allait pas, car il fallait des oiseaux de compagnie, des oiseaux en cage dans une chambre ou sur le rebord d'une fenêtre, non des animaux de foire montrés par des opérateurs itinérants. Quant aux pigeons, ils ne pouvaient non plus faire l'affaire.
Encore une fois, ce furent les procédures criminelles qui vinrent à notre rescousse : peu à peu y apparaissaient quelques serins, canaris et chardonnerets dans leurs cages ou prenant leur envol. L'un d'eux fut même acheté à dessein en 1787 par Mlle D... afin de s'entraîner au tir au pistolet dans le but d'accomplir une vengeance. Le volatile s'en sortit pourtant, tout comme l'adversaire de Mlle D..., et ce ne fut pourtant pas faute de leur avoir tiré dessus à bout portant dans les deux cas.
À ces exemples qui restent somme toute assez anecdotiques, est récemment venu s'ajouter un procès exceptionnel mettant en scène trois drôles d'oiseaux : la fille – un tantinet volage – d'un marquis, un vicomte et descendant des empereurs d'Orient, et enfin un chevalier et fils de capitoul1. Dans ce ménage à trois, on vit sous le même toit, on y élève des canaris en cage (jusqu'à quarante dans une seule pièce) ou dans des volières. Bref, tout semble gazouiller dans le meilleur des mondes jusqu'à ce qu'une nuit, notre chevalier surprenne la belle au nid, batifolant avec le rejeton des empereurs d'Orient. Coup de sang et prise de bec, le chevalier dégaine son épée et tente d'occire son rival. Or, comme nous sommes dans la meilleure société, on fait tout pour étouffer l'affaire dans l'œuf, et les capitouls prononcent la relaxe du jaloux à l'épée, devenu... dindon de la farce.
Nous aurions pu nous contenter de noter cette véritable volée de canaris et d'en rester là.
Mais voilà, il se trouve que les Archives départementales de la Haute-Garonne conservent les archives de la famille de la marquise. L'on y découvre que, le lendemain-même de l'agression, on s'est hâté de marier la marquise au descendant des empereurs d'Orient2. L'affaire était donc close.
Ou pas, car les Archives départementales de l'Hérault nous apprennent quant à elles que le chevalier a, de son côté, pris son envol jusqu'au fort de Brescou, où il fut enfermé par ordre du roi ; ce qui ne l'empêcha pas de finalement récupérer son « bien », ravissant à nouveau sa tourterelle de marquise, et laissant à son tour le vicomte oriental le bec dans l'eau3.
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1 - Archives municipales de Toulouse, FF 817/5, procédure # 110, du 17 août 1773.
2 - Achives départementales de la Haute-Garonne,12 J 26.
3 - Achives départementales de l'Hérault, 1C 131.

Portrait de Henri IV représenté dans le registre des titres du Moulin du Château pour les années 1602-1665. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 14Z5.

La reine et le Vert-Galant


février 2023

En 1578, Catherine de Médicis se rend dans le sud du Royaume de France en ayant pour objectif de signer un nouvel accord de paix avec son beau-fils, le roi de Navarre, le futur Henri IV, aussi connu sous le nom de Vert-Galant. En effet, depuis 1562, les guerres de Religion font rage entre catholiques et protestants.
Tout un voyage est donc organisé, Catherine de Médicis, la reine-mère se déplace avec une suite de plus de 200 personnes !! Après un long voyage, la suite française se rend à Toulouse. Elle y arrive le 10 octobre 1578.
Les Annales des capitouls relatent l’entrée de Catherine de Médicis dans la ville. Il semble que celle-ci ait été particulièrement bien accueillie par le corps municipal. A la porte Saint-Etienne les honneurs lui sont rendus par le duc de Joyeuse, le sénéchal de Toulouse, les notables les plus en vue, ainsi que les capitouls. Il faut souligner que recevoir la famille royale est un honneur pour la ville. Elle est donc souvent parée et embellie pour impressionner ses hôtes couronnés. Nous pouvons retrouver le détail des dépenses extraordinaires parmi les registres des pièces à l’appui des comptes que nous conservons dans les fonds anciens des Archives municipales de Toulouse. En effet, le registre que nous conservons sous la cote CC2498, nous relate divers préparatifs. En outre, vins et victuailles ont dû être achetés en grande quantité.
Malheureusement, Henri de Navarre la fera patienter pendant un mois et ne viendra finalement pas. Cette situation fait enrager la reine-mère qui écrit à son fils le roi de France : « Mais à ce propos, il fault que je vous dye que je suis merveilleusement faschée et ennuyée d’avoir este desjà icy trois jours sans avoir eu aucunes nouvelles de mon filz le roy de Navarre 1» ou encore : « je m’esbahissois comme il n’avoit aultre respect et affection à moy 2».  Finalement, la rencontre se fera à Auch le 22 novembre 1578, puis l’accord de paix sera négocié dans la ville de Nérac à partir du mois de février 1579.
Vert-Galant de réputation, Henri IV a manifestement aussi su se faire attendre, même par la femme la plus puissante du Royaume.

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1 - Correspondance de Catherine de Médicis, Lettres de Catherine de Médicis, publiées par Hector de La Ferrière : Catherine Médicis, consort of Henry II, King of France, 1519-1589 : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive
2 - Correspondance de Catherine de Médicis, Lettres de Catherine de Médicis, publiées par Hector de La Ferrière : Catherine Médicis, consort of Henry II, King of France, 1519-1589 : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive

"Vrees" [la crainte]. Aquarelle sur papier par Pieter van den Berge, entre 1675 et 1737, d'une série de "Représentations de personnages, de traits, de vertus et de vices", entre 1675 et 1737. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-T-1887-A-1352.

Bouh !


janvier 2023

Nous avons déjà traité de la peur dans un précédent numéro d'Arcanes (février 2021), ainsi que dans deux "Procédures criminelles à la carte" (n°18, octobre 2020 et n°23, mai 2022). Nous allons donc ici dévier légèrement afin d'évoquer une autre facette liée à cette émotion : la peur liée à la surprise et, par ricochet, les syncopes, évanouissements et pamoisons qu'elle entraîne. Les archives criminelles des capitouls sont en cela toutes indiquées.

La mésaventure de François Faramond en est une illustration : harponné par des inconnus rue des Tourneurs, conduit sans ménagement l'épée dans les reins dans un lieu inconnu et séquestré une partie de la nuit les yeux bandés, puis enfin relâché au petit matin, on le retrouve défaillant, hagard, presque en syncope. Ses amis parlent même du « grand trouble où il est qui luy oste presque la raison »1.
En 1738, Jeanne Marie Goume se voit affreusement insultée par le curé du Taur. Sa surprise est telle, « qu'après avoir amèrement pleuré, elle tomba en pamoison », au point «  qu'elle en a été réduite aux bouillons pendant cinq ou six jours »2.
François Labeirie est en état de choc ce 28 mai 1772, tellement qu'il se trouve mal en sortant de l'appartement de sa femme et de l'amant de celle-ci, et que l'on est obligé de le soutenir. Les voisins « le mirent sur un fauteuil et lui jettèrent de l'eau sur le visage, qui le remit à lui-même ». Il faut dire que son état vacillant tient autant de la surprise de trouver sa femme avec un autre homme, que de la tentative de strangulation dont il vient d'être victime3.
En 1782, lors d'une course organisée entre Croix-Daurade et la porte Matabiau, le ton monte entre certains des spectateurs, et il laisse vite place à une explosion de violence. Anne, assiste à la scène, et « elle se troubla beaucoup » ; quant à Marie, elle « se troubla & fut s'asseoir »4. Trois ans plus tard, Jacques Monna reçoit une décharge de fusil en pleine face, sans surprise, il tourne de l'œil, tout comme un témoin de la scène qui « se troubla si fort qu'il perdit presque connaissance »5.
Les faiblesses peuvent évidemment être causées par une action mécanique où la surprise et la peur n'ont rien à faire ; à l'exemple de Peyronne Bétignol abordée par Cappelou et ses insinuations salaces, auxquelles elle répond qu'ils n'ont « pas gardé les cochons ensemble ». Vexé, Cappelou lui décoche un magistral coup de poing. Et « on eut toutes les peines du monde à la faire revenir de l'évanouissement dans lequel elle estoit tombée »6. Ou encore Guillaume Rigal qui, en 1769, « tomba à terre en cinqoppe, à demi-mort, sans mouvement et sans parolle victime d'un coup judicieusement placé dans ses parties nobles »7.

Le rideau tombe sur cet éventail sommaire de sources, il tombe d'ailleurs un soir d'opéra en 1772, où l'on joue La fée Urgelle. Le sieur Bourdette y tient le rôle de la Hire. Dès qu'il paraît, les sifflets venant du parterre ont raison de ses nerfs : « il s'est évanoui et a quité la scène »8.

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1 - FF 747/1, procédure # 021, du 1er avril 1703.           2 - FF 782/3, procédure # 088, du 18 août 1738.             3 - FF 816/4, procédure # 094, du 2 juin 1772.
4 - FF 826/6, procédure # 105, du 26 août 1782.           5 - FF 829/6, procédure # 122, du 22 juillet 1785.           6 - FF 785/4, procédure # 115, du 17 juillet 1741.
7 - FF 813/4, procédure # 099, du 1er juin 1769.            8 - FF 816/6, procédure # 136, du 9 août 1772.

"Plan et eslévation du pont de chasteau St -Michel, sur le chemin qui va de Tolose à Cornebarrieu et autres lieux". Encre et rehauts. Plan annexé à un devis non retrouvé, 1684. Non signé [attribué à Jean-Pierre Rivalz]. Mairie de Toulouse, Archives municipales, DD215/1.

Une Touch de fantaisie aquatique ?


décembre 2022

Il est dans nos fonds un document n'a qui a cessé de perturber des générations de lecteurs et de chercheurs, jusqu'à même pousser certains à croire qu'il s’agissait là d’une fantaisie, d’une vue imaginaire et absurde, et par là-même les inciter à se détourner de son étude.
Si l’on observe ce plan, non daté et non signé, mais truffé d'inscriptions, de notes et de cotes, l'on doit inévitablement se rendre compte qu'il est lié à des travaux sur un pont qui enjambe la rivière du Touch. Or, le Touch n'est finalement qu'un maigre affluent de la Garonne et ne peut nullement se targuer de présenter de chutes d'eau bouillonnantes ou de cascades comme le plan semble nous le faire croire.
Alors, si ce n'est pas une escroquerie, serait-ce là le produit d’un très mauvais dessinateur – brouillon de surcroit ?

Après plusieurs années d'oubli, c'est à la faveur de sa numérisation que ce plan à de nouveau attiré l'attention. Et là, en le proposant comme document de travail pour un cours de paléographie, nous nous sommes naturellement penchés sur la graphie. Et soudain, la lumière se fit par un détail des plus insignifiants : au centre, sur le tablier du pont, des mesures sont données, on peut ainsi lire "32 ca[nnes]". Or voyez-vous, il n'y a qu’une seule personne à Toulouse qui, cette époque (l'écriture peut aisément être datée du dernier tiers du 17e siècle), fasse de tels "2", des "2" qui ressemblent à de petit canetons stylisés voguant sur l’onde. Et cette personne est Jean-Pierre Rivalz.
Du coup, fini la fantaisie : l'homme étant avant tout un peintre maîtrisant parfaitement la perspective, son plan ne peut donc pas être un vulgaire dessin raté et difforme. Nous touchions au but, nous frôlions la réponse à ce petit mystère sans pour autant arriver à le résoudre.
La touche finale est venue d'une enfant qui, en deux pliages et trois mouvements (d'une copie imprimée on vous rassure), a restitué devant nos yeux ébahis un plan aux proportions harmonieuses, faisant instantanément disparaître la cascade démesurée et rendant au Touch son cours paisible.
Car, en effet, ce plan a été dessiné en trois dimensions. Enfantin, direz-vous, mais pourtant, on ne vous donnera ici aucune indication du comment ni du où faire les pliages pour obtenir une belle maquette de ce pont au lieu-dit du Château Saint-Michel sur le Touch. En revanche, nous vous engageons à le télécharger, à l'imprimer (en A3 si possible) et à le donner au premier enfant venu. Ainsi, en lui expliquant que c'est une maquette à monter soi-même, vous vous épargnez un éventuel échec et vous lui offrez surtout à un cadeau inestimable qui illuminera son Noël.

« Na het feest » [après la fête], dessin à la craie noire avec rehauts de blanc. Jac van Looij, vers 1890. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-T-2009-6. (détail).

Tu t’es vue quand t’as bu


novembre 2022

En détournant imperceptiblement la graphie de ce slogan datant du milieu des années 90, nous allons traiter de l’ivresse, et vous l’aurez compris, au féminin uniquement. Pourquoi au féminin ? Tout simplement parce que les études de genre qui fleurissent depuis quelques années portent les femmes au devant de la scène, au risque de basculer parfois dans une idéalisation. Or il apparait que l’alcoolisme et les femmes est un thème qui peine à être abordé par les historiens, peut-être parce qu’il irait à contre-courant de cette tendance.

Levons-donc un tabou (nous ne sommes certainement pas les premiers), celui des femmes et du vin, et allons à la rencontre des ivrognesses toulousaines du 18e siècle. Les débusquer n’est pas toujours aisé car on ne les trouve que rarement dans les cabarets, bouchons, tavernes et autres lieux de perdition, certainement parce qu’elles boivent plus volontiers chez elles. Mais c’est dans la rue, à l’occasion de crêpages de chignons, que les mots des unes et des autres se font l’écho et le révélateur des effets de la boisson. Au port Garaud, si les femmes attendent les bateaux et radeaux, c’est avant tout pour décharger, soulever, porter et charrier tout ce qui est convoyé sur le fleuve. Ces fortes femmes ne crachent pas sur le vin et, lorsque les vapeurs les gagnent, elles se traitent allègrement « d’ivrognes » entre elles1

En 1755, Françoise et Marianne ont maille à partie contre la nommée Carcy, elles en profitent pour glisser là que si celle-là marche toujours en s’appuyant sur un bâton c’est précisément parce qu’elle est toujours ivre2
En 1766, l’épouse Lasserre intervient dans une querelle entre son mari et Barthélemie Martin. Elle tente d’abord d’apaiser son tendre, par « Lesse cette g[u]euze et cette ivroggne », avant de se tourner elle-même vers l’adversaire et de lui assener « Va-t-an au caffé, tu manges les bécasses au chevet de ton lit ! »3 
En 1771, rien ne va plus entre Françoise et Perrette4, et on ne mâche pas ses mots : « Bonsoir f… yvrogne, f… gueuse, f… gueuzarde ! » « Ouy, c'est à toy que je parle, […] coquine qu'on lève chaque jour yvrogne dans ta boutique. Je veux f… gueuze te mettre la broche dans le ventre ou te tirer un coup de pistolet ».
En 1778, des gens du quartier affirment que le cuisinier Pierre Olivier est « un homme très doux, très poly et très honête, complaisant pour sa femme, au point que lorsqu'elle étoit hyvre – ce qui lui arrive journellement, il la promenoit sous le bras jusques ce que les vapeurs fussent passées »5 . D’ailleurs, lorsqu’on lui demande s’il maltraite sa femme, cet homme répond ingénument « qu'il l'a batue trois ou quatre fois depuis trente-deux ans qu'il est marié, et cela parce que que sa femme est un[e] yvrogne ; fait dont il offre la preuve par tout le voisinage ».

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1- voir par exemple le FF 766/2, procédure # 083, du 26 novembre 1722 – on notera l’utilisation du mot au masculin, mais peut-être est-ce là une intervention intempestive du greffier
2- FF 799/6, procédure # 163 et # 164, toutes deux du 16 août 1755
3- FF 810/1, procédure # 009, du 16 janvier 1766
4- FF 815/3, procédure # 037, du 28 février 1771
5- FF 822/3, procédure # 055, du 7 avril 1778

Livre matricule des notaires, 1530-1536. Mairie de Toulouse, Archives municipales, BB 213. Ici détail de la p. 45, (seing manuel entourant la signature de Pierre Villetard, créé notaire « ubique terrarum » par les capitouls le 18 août 1530).

Décodage d’un emballage juridique suspect


octobre 2022

Les chercheurs ont depuis longtemps su utiliser avec profit l'inépuisable ressource que constitue le fonds ancien d'archives notariales. Ils y trouvent là matière à penser, à faire revivre des pans entiers du passé, plus particulièrement quant aux transactions d'ordre privé, qu'elles soient purement commerciales ou qu'elles régissent des transmissions de biens au sein de familles (dots, successions et autres). Or, si le notaire, acteur essentiel de la société de l'Ancien Régime, est garant du bon droit des parties, il a aussi pu faillir à son devoir, en pensée, en parole, par action, ou par omission1.
Certes, direz-vous, de quoi nous mêlons-nous ? Les fonds des notaires sont conservés dans les Archives départementales et, de fait, nous ne sommes guère légitimes pour évoquer les minutes, le travail et éventuellement les manquements des notaires. Cette ingérence de notre part s'explique par le fait que nous nous trouvons quelquefois confrontés au travers la justice des capitouls à plusieurs copies d’actes notariés, parfaites en tout point, mais dont le vernis se craquelle soudain à la lecture de la procédure criminelle qui leur sert d'écrin2.
Ainsi, le notaire Richard ne peut guère plaider l'innocence lorsque la nuit du 30 octobre 1779 il rédige un acte de vente « fleuve » entre Antoine Bors et l'agent de change Sevènes3. Le premier cède au second la totalité de ses biens meubles et immeubles, c'est-à-dire toutes les maisons en construction rue Lakanal (note : suite au rachat et à la démolition d'une partie conséquente de l'ancien couvent des Jacobins), un immeuble rue Saint-Rome, etc., le tout pour la coquette somme de 62 000 livres. Un acte passé en pleine nuit peut déjà surprendre : aurait-on quelque chose à cacher ? Il se révèle que le montant de la vente est fictif, puisque Sévène ne paie pas un sol à Bors. Et pour cause : l'acte est passé sous la contrainte, Bors, alors attaché et gardé à vue, n'a guère d'autre choix que de le signer. Évidemment, les capitouls ne vont pas être contents du tout quand ils l'apprendront, mais ils ne pourront finalement que marquer leur désaccord et se consoler en faisant le procès au « vendeur », Antoine Bors, que l'on apprend à cette occasion être un artiste du percement des coffres-forts4.
Le notaire Entraigues ignore certainement qu'il fait un acte de pure convenance ce 11 janvier 1785, lorsqu'il retient la vente de deux bœufs, consentie par Guillaume Piquot à Pierre Lestrade pour la somme de 400 livres. D'ailleurs on ne peut guère le lui reprocher : les bœufs n'ont pas voix au chapitre et ne sont donc nullement tenus d'être présentés en l'étude. C'est aussi bien car ces bestiaux ont déjà été tués et dépecés depuis quelques jours déjà. Et cela dans le plus grand secret puisqu'ils ont précisément été volés à Piquot, en sa métairie de Gagnac, qu'on leur a fait gagner à marche forcée les environs de Croix-Daurade où, Lestrade, aubergiste et boucher, lié à tout ce qui est peu recommandable dans le voisinage, s'est empressé de les tuer et d'en cacher les quartiers et les peaux. Ce n'est qu'après des recherches poussées que Piquot a finalement réussi à le démasquer et à le confronter. Afin d'éviter un procès5, les deux parties s'entendent, et cet acte de vente « de façade » vient sceller leur accord.
D'autres affaires portées devant les capitouls laissent entrevoir des actes soit de complaisance ou soit forcés, généralement dressés lorsqu'une des parties est illettrée ou en position de faiblesse. C'est du moins ce qu'assurent ces plaignants, dont certains disent même avoir été séquestrés et avoir agi sous la contrainte.
La morale de cette histoire n'est pas nouvelle : l'écrit est aussi trompeur que l'oral. Ainsi, lorsqu'il est loisible, l'on doit tenter de vérifier les informations contenues dans les archives en cherchant d'autres pièces ou éléments qui permettront de croiser et de confronter les données collectées.

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1- Exemple extrême, le notaire Dominique Capelle, coupable de malversations dans ses actes, est pendu en place publique en août 1689. Voir : Daniel Rigaud. Florilèges d'actes notariés d'Ancien Régime en région toulousaine (1539-1789). Édition Les amis des Archives, 2017, 129 p.
2-  On lira avec bonheur : Claire Dolan. « La déclaration notariée en Provence à la fin du XVIe siècle : la preuve écrite, révélatrice de l'oral et du privé ». In : Bibliothèque de l'École des Chartes, 2010, tome 168, p. 441-445. [en ligne sur Persée]
3- FF 823 (en cours de classement), procédure du 3 novembre 1779.
4- Un avant-goût de cette affaire rocambolesque est donné dans un article publié par Agnès Fraysse et Pierre Fraysse, « Entre psychiatrie et histoire des mentalités : le cas d'Antoine Bois (sic), médecin pendu à Toulouse en 1780 ». In : Annales du Midi, 1996, tome 108, n° 214, p. 189-199. [en ligne sur Persée]
5- Procès qui aura tout de même lieu, mais en demi-teinte : FF 829/1, procédure # 010, du 10 janvier 1785.

 

 

[alpages, labourage et pâturages…], le temps des labours dans les Pyrénées. Cliché Atelier Municipal de Photographie, 1975. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 2Fi 5552

Thème ou version ?


septembre 2022

Rassurez-vous, nous n'allons pas réveiller de vieux souvenirs douloureux de ce temps révolu sur les bancs rugueux de l'école, alors que nous faisions nos humanités. Il ne sera nullement question de thème ou de version latine – voire encore d'autres langues pour ceux qui n'ont pas eu le bonheur de s'arracher les cheveux sur du Virgile dans le texte.
Notre thème de septembre reste inchangé par rapport à celui de juillet : tout l'été, nous avons couru la campagne toulousaine (enfin, les archives y relatives) afin de pouvoir vous présenter le premier volet du chantier actuel lié à l'agriculture agricole. Voici donc Champs troubles, dont la première version est en ligne depuis quelques heures à peine.
Élevage et pâturage, cultures et maraîchages retrouvent le premier plan. Les humbles métayers, bordiers, solatiers, estachants, pâtres, laboureurs et autres brassiers y sont à l'honneur ; mais on y retrouve aussi des noms connus : ceux de propriétaires de domaines qui, quelquefois, ont légué leurs noms à des rues ou des quartiers.
"Merci Cerise", "Albus tiré comme un lapin", "Busca d’Amours", "Oignons frits et ail fumé", "Animal carnage", "Trois sacs de coque" ou encore "Effeuillage…", voilà quelques-unes des procédures criminelles, petites ou grandes, qui permettent en un clic de se mettre au vert et découvrir certains aspects d'une Toulouse au 18e siècle, une Toulouse rurale, longtemps ignorée, voire boudée.
Évidemment, à l'image de Meurtres à la carte1, la carte interactive de Champs troubles ne va cesser de s'enrichir au gré des affaires de justice aux champs qui abondent2. Certaines restent encore malheureusement en jachère car le plus difficile est de localiser avec précision le lieu exact des faits avec trois siècles de retard3.
Nous vous laissons maintenant vous évader avec Champs troubles. Sautez donc sans crainte haies et fossés, piétinez et foulez les pâtures et les champs : il n'y a désormais plus aucun risque à prendre la clef des champs.

Et comme un champ peut en cacher un autre, nous n'avons pas fini de battre la campagne toulousaine puisque Toulouse aux champs, est un autre vaste chantier d'Urbanhist. Là, on s'intéresse plus particulièrement à la vie (et à la mort) des domaines et métairies depuis leur première trace dans nos archives jusqu'à leur démembrement au cours des âges – et quelquefois leur persistance actuelle. Cette future couche thématique d'Urbanhist a d'abord été pensée afin que les chercheurs (quels qu'ils soient, il n'y a pas d'appellation contrôlée) se l'approprient et en utilisent le cadre pour le nourrir de leurs données ; pour ensuite restituer les résultats de ces travaux et les rendre publics en ligne. La première version de Toulouse aux champs est prévue pour Noël.

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1- Rappelons que Meurtres à la carte se module aussi sous la forme d'ateliers participatifs chaque premier samedi du mois ; celui du 3 septembre (en anglais s'il vous plaît) a donné lieu à "Ivre-mort pour l'éternité" ; celui du 1er octobre est ouvert aux inscriptions.
2- L'atelier du samedi 5 novembre sera dédié à Champs troubles, et entraînera les participants dans les champs de millet et à la métairie du domaine de Glassier (où déjà deux points sont présents) au travers de plusieurs courtes affaires, dont l'une d'entre elle donnera lieu à une course-poursuite à faire perdre haleine.
3- À ce sujet, si quelqu'un pouvait nous indiquer où se trouvait le domaine de la comtesse d'Esparbès à la fin du 18e siècle (vers Cagueloule certes, mais où précisément ?), cela nous serait d'une aide très appréciable.

Vue de l'avion Bréguet 941 stationné dans un champ en bordure de forêt de Bouconne, un troupeau de moutons paissant à côté de l'appareil. Photographie André Cros, 24 mai 1965, mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi2251.

Champs troubles / Toulouse aux champs


juillet-août 2022

Voilà, vous avez lu les deux titres ci-dessus ; il vous suffit donc de bien les mémoriser, et vous pouvez ensuite retourner à vos moutons, activités, fourneaux ou, pour les plus chanceux qui se sont acquittés d'une longue carrière, de partir en croisière sur le canal ou les mers australes.
Pendant que vous vaquerez/voguerez, nous allons divaguer et courir la campagne toulousaine afin qu'à votre retour à la rentrée, vous puissiez découvrir deux nouvelles couches thématiques d'UrbanHist, où l'aspect rural de la ville sera mis à l'honneur.
Celle de Champs troubles sera consacrée à revisiter les anciens faubourgs et le gardiage de la ville entre 1670 et 1790. Elle proposera de nous arrêter dans de grands domaines, des métairies ou de simples carrés de vigne à la faveur d'un crime ou d'un délit : vol de choux ou de poules, bétail qui saccage les cultures, querelle autour d'un abricotier, jusqu'à ces parties fines qui semblent se tenir régulièrement dans le très chic domaine du B…, dont nous tairons le nom pour le moment. Bref, il suffit d'un lieu champêtre, d'une affaire criminelle soigneusement sélectionnée et résumée de façon plaisante, et le tour est joué : voilà Champs Troubles.
Quant à Toulouse aux champs, il s'agit d'un travail de plus longue haleine qui vise à reconstituer l'histoire de ces lieux sur un temps long, et à inciter les chercheurs à se pencher sur la ville hors la ville. De notre plus ancien cadastre (1478) jusqu'au 20e siècle pour les endroits les mieux documentés, c'est ainsi que seront présentés en ligne au travers de fiches détaillées les domaines, demeures, maisons aux champs, châteaux, avec une attention particulière portée à leur évolution au cours des âges (et morcellement jusqu'à entière disparition bien souvent)1, leurs propriétaires successifs, leurs divers édifices2, les types de cultures qui s'y faisaient ou des troupeaux qu'on y élevait et des volailles qui y caquetaient.

Voilà, ce sera peut-être une ville plus verte qui va ressurgir sur vos écrans d'automne, une ville où cet aspect oublié et pourtant essentiel des activités agricoles va retrouver sa place et reprendre le devant de la scène, ne serait-ce que virtuellement.

Avant de vous libérer et de vous laisser prendre la clef des champs, sachez que Champs troubles a aussi été conçu pour pouvoir se décliner sous forme d'ateliers participatifs… Pour cela, nous vous donnons aussi rendez-vous lors des Samedis des Archives, à l'automne encore !

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1 - Quoique les toponymes perdurent généralement et aient laissé leurs noms à des quartiers, à des rues ou à des cités en béton.
2 - Avec des renvois sur les fiches de l'Inventaire du patrimoine.

« Le mari cocu, battu et content ». Gravure par Noël Le Mire d'après Charles Eisen, publiée à Paris, Basan, 1762. Illustration pour les « Contes et nouvelles en vers », de Jean de la Fontaine. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-69.242.

…, partez !


juin 2022

L'occasion nous est enfin donnée de nous pencher sur la notion de vitesse, et les mots pour la décrire et peut-être même la mesurer. Attention : ici, point de bolide vrombissant, puisque nous resterons ancrés dans l'Ancien Régime, bien avant l'arrivée du cheval-vapeur.
Il n'empêche que les procédures criminelles nous permettent quelquefois d'assister à des spectaculaires accidents de la circulation où la vitesse est à mettre en cause1. Prenons par exemple celui du 13 octobre 1780, qui fut fatal à Louis Mascot2. En fait de cheval, ce sont là des mules attelées, à une charrette « allant fort vite ». Et c'est donc inévitablement que le malheureux Mascot, « aiant été surpris par la rapidité » avec laquelle alloient les mules, a été renversé, foulé et mis à plat. Les témoins de l'accident insistent tous sur cette idée de vitesse. L'un nous explique que l'équipage « s'en alloit bien précipitament vers le chemin de Saint-Martin, lesdites mulles étant aiguillonnées par les coups de fouet réitérés qu'un des trois hommes qui étoit sur ladite charrette leur donnoit ». L'autre confirme que les grands coups de fouet poussent les mules « à aller avec tant de rapidité » ; un troisième parle de « rapidité étonnante », un encore « d'une rapidité sans égale ». Bref, Mascot n'avait aucune chance face à cet équipage mené à un train d'enfer.
Deux ans plus tôt, c'est une course poursuite à pied entre un cuisinier et un postillon qui tourne à l'avantage du second car il « avoit meilleure jambe que » le premier3.
Les galopades sur deux jambes sont aussi légion dans les affaires criminelles ; cela s'imagine aisément tant elles contiennent de courses poursuites par des assaillants ou de fuites éperdues par leurs proies apeurées. Quand Marcel s'en prend à Comet, cela se passe tambour battant : « Comet ayné courroit pour s'enfermer, ledit Marcel(le) l'auroit rejoint à coursse avec son épée nue à la main et luy a dit de nouveau qu'il vouloit luy arracher la vie ». On imagine bien Comet, filer à la vitesse de la lumière, tellement qu'il « monta à toute coursse, tout esoufflé »4.
Cinq ans plus tôt, Bertrand Faget n'est pas tranquille lorsque, dans la nuit, il croise trois jeunes gens place du Salin, « comme il avançoit le pas pour […] se garantir des mains desdits trois jeunnes hommes » ; ceux-ci l'interpellent et lui disent « de s'arêtter et de ne marcher pas sy vitte, à quoy le plaignant leur répartit qu'ils n'avoi[en]t qu'à marcher s'ils voulet eux-mêmes »5. Ils le prennent au mot et manquent de l'écharper. Quand Margouton dit « hautement » vouloir rosser Marie, on pense d'abord à une fanfaronnade ; mais attention, elle est vive comme l'éclair et, incontinent, elle s'élance « à toute course » sur sa proie, sur laquelle elle se jette « comme une furie »6.
Les sources écrites nous offrent des éléments liés à la vitesse, quelquefois de manière inattendue : ainsi, en 1730 le jeune Bitis qui, trouvant son chien empoisonné « auroit accouru » chez son grand-père puis lui emprunter de l'orviétan en guise d'antidote7. Une fois la fiole en ses mains, « il seroit revenu promptem[en]t à la maison » pour tenter de sauver l'animal. Mais, par un concours de circonstances, son cousin et une sienne tante prenant la mouche contre sa mère (vous suivez ? Ça va vite, trop vite peut-être) « auroint couru après [elle] et, l'ayant jointe, se seroint jettés sur elle à corps perdu ».
Ne nous quittons pas sans évoquer ces « courses du mouton », régulièrement organisées dans la ville. Là, la jeunesse s'affronte et rivalise de vitesse (non le mouton ne participe pas, c'est le lot du vainqueur). L'épreuve la mieux documentée (à ce jour) prend place le dimanche 25 août 1782 ; « le lieu du départ étoit de l'allée de Lapujade », c'est-à-dire au quartier de Croix-Daurade, et l'arrivée jugée à la croix de la porte Matabiau. « Celui qui remporta la victoire fut un valet d'un nommé Capou »8 ; nous n'avons malheureusement pas son chrono.
Et puis, il n'y a pas que la vitesse pure. Notons par exemple cette prouesse de Joseph Claustres, qui quitte les Flandres pour rejoindre Toulouse en vingt-quatre jours seulement, et à pied s'il vous plaît9. Attendez, c'est qu'en arrivant, notre Ariégeois natif de Lapège a encore assez de souffle pour faire un enfant à Marie Escarnot – ce qu'il regrettera amèrement par la suite. Ah, si seulement il avait traîné en chemin, a-t-il dû gémir...
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1- Les curieux pourront aussi lire le dossier n° 28 des Bas-Fonds (avril 2018) : « Les charrettes de la mort. Chevaux emballés, petits écrasements et mortelles mises à plat : les accidents de la circulation à Toulouse au XVIIIe siècle ».
2- FF 824/8, procédure # 144, du 13 octobre 1780.
3- FF 822/3, procédure # 055, du 7 avril 1778.
4- FF 784/3, procédure # 092, du 20 juin 1740.
5- FF 769/1, procédure # 004, du 16 janvier 1725.
6- FF 810/4, procédure # 069, du 23 mai 1766.
7- FF 774/2, procédure # 069, du 20 mai 1730.
8- FF 826/6, procédure # 105, du 26 août 1782.
9- FF 794/2, procédure # 026, du 17 mars 1750.

[Meunier coiffé à Cahuzac-sur-Vère]. Négatif sur plaque de verre, Cliché Eugène Trutat (entre 1890 et 1907) – Dépôt de l'association "Les Toulousains de Toulouse et Amis du Vieux Toulouse". Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi 290.

Bonnet d’âne


mai 2022

Que faire, lorsque vous prend l'envie de savourer un mois sabbatique et ne plus entendre parler d'Arcanes, que ce soit parce la thématique ne vous convient pas, ou encore parce que… zut !
Sauf que voilà, il paraît qu’il n'y a personne d’autre pour le faire à votre place, et que là, à la dernière minute il vous faut faire un billet incontinent (écrire « sur les chapeaux de roues » aurait-on pu dire, mais non, le jeu de mot ne prend pas, cette thématique n’est décidément pas pour moi).
Pourtant, me direz-vous, les couvre-chefs, on en trouve tout le temps dans les fonds d'archives anciennes, ça ne doit pas être bien difficile.
La perruque par exemple – oui, mais c'est du déjà vu, on l'a traitée à l'occasion d'un dossier des Bas-Fonds.
Pareil pour la coiffe des maquerelles lors de leur châtiment de la course ou de l'« asinade ». Coiffées les unes d’un chapeau de paille agrémenté en ridicule, d'un bonnet à grelot, ou encore dépeint comme un casque à plume – voire d’une mitre peinte, pour les Genevois.
Le bourreau de la ville et sa cagoule ? Ah non ! Oublions cette image romantico-débile de l'exécuteur de la haute justice ; relisez-donc les Bas-Fonds qui lui est consacré, et vous verrez qu'il n'est pas masqué – d’ailleurs, il a un chapeau comme tout le monde.
Les chapeaux des capitouls ? C'est bien joli tout ça, mais ces derniers n’ont pas de chapeau ou de couvre-chef dédié ; chacun a le sien : les nobles l'ont plutôt à tricorne avec plumet. Pour les marchands, il est plat et rond, et les robins (avocats, procureurs) portent le bonnet carré. Mais alors, leur chaperon ? Zut, lisez l’article jusqu’au bout, et vous verrez que ça n'a rien à voir avec un chapeau.

Non, rien à faire, en ce mois de mai, j'en ai ras la casquette, et la thématique du chapeau ne me dit vraiment rien, vous le voyez bien : j'en suis contraint à recycler au risque de me voir décerner un bonnet d'âne.


Ah, si ! A la limite – mais là c'est un peu tiré par les cheveux – on peut de faire du neuf en vous livrant le dernier numéro des Bas-Fonds, mais attention : dans « Pis que pendre », vous trouverez des insultes et menaces non équivoques, à vous faire hérisser les cheveux.

 

Lettre de Brice-Joseph Cavaré adressée à …, princesse de France. Mairie de Toulouse, Archives municipales, FF 725 (en cours de classement), procédure 9 janvier 1681 (détail).

… et poussière tu resteras


avril 2022

Se savoir être un être insignifiant n'empêche pas de vouloir – et de pouvoir – s'adresser aux grands de ce monde. Nous avons ainsi conservé plusieurs lettres d'humbles sujets adressées à des têtes aux perruques parfaitement poudrées et, de surcroît, couronnées.
En toute logique, notre premier choix nous mène en 1781 où le nommé Bravat est retenu dans les prisons de l’hôtel de ville car on le trouve un peu fou. On attend de savoir si on doit le faire enfermer en conséquence. Nul ne sait si Bravat tourne en rond dans sa cellule, mais il ne tourne pas bien rond et se met en tête d’écrire au Roi1. À défaut d'encre pour écrire sa supplique, il en est réduit à mélanger de la poussière de brique à sa propre salive. Le résultat est, somme toute, fort lisible et correct. Las, le bon Louis n’aura pas eu le loisir d’apprendre les malheurs de son brave sujet, car sa lettre étant restée à quai entre les mains des capitouls, tout comme celle qu'il rédige à l’attention Monsieur, comte de Provence.
Un léger bond en arrière nous projette un siècle plus tôt, en 1681 où, cette fois, c'est un sujet libre qui s'adresse à cette princesse de France dans une lettre toute en rondeurs et déliés2, un véritable amour de calligraphie qui ouvre sur un océan de suavités à l'attention de la princesse, à tel point que, perdu dans ses ronds de jambe et ronds de lettres, Brice-Joseph en oublie le sujet de sa supplique. Car il se contente de débiter niaiseries ; sa lettre n’est finalement qu’un étalage de superfluité à la dérive. Mieux encore, il oublie même d'envoyer son humble supplique qui – comme d'autres encore, est finalement retrouvée dans ses poches lors de son arrestation par les capitouls (oui, à ses heures il écrivait aussi des affiches diffamatoires contre une jeune fille de la ville qu'il n'omettait pas d'aller placarder sur les murs).

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1- FF 825/5, procédure # 118, du 24 juillet 1781.
2- FF 725, en cours de classement, procédure 9 janvier 1681.

Bourdaloue [pot de chambre adapté pour un usage féminin]. Manufacture de Meissen, porcelaine peinte par Philipp Ernst Schindler, vers 1730-1735. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° BK-17439.

Petits coins


mars 2022

Si vous avez lu l’édito, vous savez désormais que chaque tronçon de rue de notre ville était autrefois plus au moins désigné par le terme de « coin ». On pourrait donc imaginer qu’il était aisé ainsi de se trouver un petit coin pour y faire sa petite affaire ou sa grosse commission, cela en toute quiétude.
Or, à en croire les baux à besogne concernant des réparations de bâtisses ou les entreprises de constructions neuves, la grande vogue des « privés » (ou latrines) dans les maisons toulousaines ne date pas d’hier ; on même serait tenté de la situer juste après la grande peste de 1628-1632. Ainsi, un siècle plus tard, on estime que la plupart des maisons de la ville sont équipées du dernier cri de la technologie hygiénique (le dernier cri étant les toilettes à l’anglaise, et là, il faudra encore attendre). On penserait donc que les gens font cela en toute intimité dans ces petits coins privés, d’autant plus que les chaises de commodité (ou chaises percées) se trouvent partout et permettent à chacun de se vider incontinent, sans même cesser son activité du moment – il en existe évidemment pour les enfants, et cela n’est certainement pas l’apanage des classes aisées, puisqu’on en note une parmi les meubles de l’appartement du portefaix (et criminel récidiviste) François Cassé1.
Le père de la petite Thérèse a certainement dû en faire des cauchemars la nuit, puisqu’il ne possédait pas un tel équipement, ou bien qu’il ne l’a pas utilisé le jour où sa fillette de quatre ans a demandé à se vider, et qu’il lui a levé les jupes en la déposant dans la rue sur le pas de la porte. L’enfant n’a certainement pas eu le temps de dire ouf ni de se soulager qu’elle s’est trouvée aplatie par un lourd charroi qui passait par là
Mais non, les intestins du Toulousain de l’Ancien Régime sont plus libres qu’on ne le croit et, à l’évidence, ils ne peuvent résister aux sirènes du grand air, à l’appel de la nature, à l’attrait d’un coin de verdure, d’un pavé luisant de pluie ou d’un mur judicieusement placé, ce qui les pousse irrémédiablement au relâchement et à déposer çà et là en plein air, dans tous les coins et recoins.
Certes, les capitouls veillent au grain et font crier puis afficher des ordonnances qui interdisent ces dépôts sauvages et nauséabonds. Sans grand succès, il faut l’admettre, d’autant plus que les adeptes des pots de chambre – « bourdalous » pour les dames (modèle spécialement adapté à l’anatomie féminine)2, pourtant créés pour un usage intérieur, s’en mêlent aussi en s’ingéniant à en vider allègrement le contenu dans la rue, directement depuis leur fenêtre, quelquefois même sans crier gare.
Nul doute que Newton serait passé dans un coin de rue toulousain, il n’aurait pas attendu qu’une pomme lui tombe sur le coin de la tête pour développer sa fameuse théorie.
En attendant, ceux qui veulent en savoir plus trouveront matière à réflexion en se plongeant avec délectation dans le dossier des Bas-Fonds n° 24 intégralement consacré à cette thématique.

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1- FF 784/9, procédure # 220, du 11 mars 1740, supplément (pièce n° 28)
2- Du nom de père jésuite Louis Bourladoue, dont les sermons étaient très courus mais particulièrement longs, ce qui nécessitait d’emporter avec soi son pot d’aisance.

[femme enceinte guidée par un homme appuyé sur un bâton]. Dessin à l'encre sur papier, Giovanni Battista Piranesi, vers 1750. National Gallery of Art, Washington, inv. n° 1985.70.2.

... de polichinelle


février 2022

Vous trouverez bien chez nous l'acte de baptême de la petite Suzanne-Éléonore1. On y indique qu'elle est née le 21 octobre 1741, et a été baptisée le 24 dudit, en présence de son père, Ignace Ayral et de ses parrain et marraine. On n'y précise pas si Marie Ruffat, la maman, se porte bien, mais je peux vous assurer que oui.
Si Suzanne est effectivement un vrai nourrisson, Marie est en revanche une... fausse maman.
Allons-donc ! me direz-vous, mais tout le monde dans le quartier a pu voir son ventre rond ces derniers mois. Elle tricotait même le bonnet de son enfant à naître. Et puis, n'a-t-on pas entendu ses cris lors de l'accouchement. Et ce sang sur les draps de son lit après la délivrance, qu'est-ce donc, si ce n'est pas là la marque indéniable d'un accouchement ?
Perdu. Les hommes sont peut-être naïfs en cette matière, mais les femmes savent reconnaître quand une de leurs congénères met un coussin ou un panier sous son ventre pour paraître enceinte. Et même si toutes les femmes n'ont pas l'œil de taupe, elles savent bien qu'un ventre rond ne tangue pas tantôt à droite, tantôt à gauche.

Nous sommes là devant un cas de « supposition de part », c'est-à-dire que l'enfant a été acheté et qu'on le fait passer pour sien2. Instinct maternel exacerbé d'un couple stérile ? Certainement pas : il y a de l'argent en jeu, beaucoup d'argent même : 20 000 livres à récupérer d'une donation, si les époux Ayral venaient à avoir un enfant.
Sauf que voilà, le secret a été éventé ; non seulement à cause de ce ventre décidément bien ballant, mais encore, il a fallu trouver une sage-femme et la mettre dans la confidence (d'un pour dénicher un nourrisson tout frais, prêt et emballé le jour J, et de deux pour prétendument assister la « mère » lors de son accouchement feint).
Et lorsque le pot aux roses est découvert, c'est d'abord la sage-femme qui trinque, puis la vraie mère de l'enfant, le couple Ayral bien entendu, et d'autres complices encore. L'affaire est d'abord jugée par les capitouls3, puis le parlement y met son grain de sel, et, en conclusion, « Ayral et sa femme furent condemnés à faire amande honorable, la sage-femme, Suau, son épouse et la nommée Villaret à assister à lad. amande honorable, et ensuite lesd. Ayral, son épouze et Cazeneuve au banissement du ressort de la cour pour dix ans, Suau et sa femme au banissement de la sénéchaussée pour cinq ans »4.

Et le petit polichinelle dans tout ça ? Manifestement le sort de Suzanne-Élonore n'intéresse pas les magistrats, et nous ne savons rien de son devenir.

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1 - GG 318, f° 141. Paroisse Saint-Étienne, registre des baptêmes, mariages et sépultures de l'année 1741.
2 - On peut aussi le voler, l'enlever ou simplement le trouver sur le pas de sa porte.
3 - FF 785/7, procédure # 190, du 10 novembre 1741 (91 pièces).
4 - Annales manuscrites des capitouls, BB 283, p. 461.

Au prochain virage, à droite !


janvier 2022
 

Dans les années 1960-1970, Toulouse disposait d’une piste de « Prévention Routière » avec fausses signalisations, faux parking, fausses stations essence, mais vrais gendarmes pour faire la circulation !
 

La commune s'investissait dans cette opération en prenant à sa charge le transport des élèves des écoles jusqu’à cet équipement d’utilité publique.


Les plus jeunes des toulousains, à bicyclettes, et les moins jeunes, à motobylettes, pouvaient ainsi y apprendre en toute sécurité les fondamentaux de la route.


De quoi éviter quelques déconvenues au prochain virage !

[Le génie retrouve la folle Julie sous un arbre au bord de la route]. Gravure de Daniel-Nikolaus Chodowiecki, Berlin, 1780. Illustration pour l'ouvrage "Histoire d'un génie", Leipzig, Weygandschen Buchhandlung, 1780. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-14.213.

Les yeux dans les Dieux


décembre 2021

Lorsque Jeanne-Marie Dupuy se couche, « elle sent qu'on lui prend le bout des pieds et qu'on lui grate le chevet du lit »1. Jusque-là, il n'y a pas à s'inquiéter, mais c'est qu'elle ne s'arrête pas là ; elle rajoute entendre aussi des voix par la cheminée, en particulier cet appel pressant : Actuelement tu ez à moy, je te prens ! Et là, Jeanne-Marie est convaincue que c'est le Diable qui l'interpelle ; d'ailleurs, ajoute-t-elle, celui-ci lui jette même de l'eau bénite (!) par la cheminée. Seul remède, et « quoyque elle ne sache point lire : elle prent tous les jours et à certaines heures un alphabet de Bordeaux et, en l'ouvrant, le Bon Dieu lui donne les lumières nécessaires pour lire ce qui est contenu dans l'alphabet, qu'elle répète tout haut. Elle ajoute encore qu'elle a conversé pleuzieurs fois avec le Bon Dieu tant dans sa chambre que dans la rue ».
Nous n'en saurons pas plus des entretiens célestes ou des tourments infernaux de Jeanne-Marie, parce que les capitouls jugent plus prudent de clore là l'audition de la jeune femme (23 ans, veuve, un enfant) pour s'en remettre à la décision des deux experts. Ceux-ci estimeront qu'elle n'est pas entièrement folle, mais qu'elle est toutefois prête à basculer dans la démence.
Ce n'est là qu'un exemple parmi de nombreux autres de cas de folie – ou bien de ses prémices, où les capitouls se trouvent confrontés à des individus qui leur font état de considérations mystiques. Car, en cette fin de 18e siècle, les magistrats municipaux toulousains ont désormais à « juger » sur les cas potentiels de démence qui leurs sont présentés. Ainsi, chaque affaire donne lieu à des dépositions de témoins, une audition de l'individu, et surtout une expertise médicale dont le résultat paraît sans appel2. Trouvé dément, l'individu est retranché de la société pour être envoyé au nouveau quartier des fous de l'hôpital de la Grave.

À Dieu corps et âme
Hélène de Valette n'est peut être pas folle, mais elle refuse de se laisser troubler pendant qu'elle s'adonne à ses dévotions dans sa chambre. Ce qui fait qu'elle entend parfaitement le voleur qui pénètre dans la pièce et qui lui prend sa montre en or, mais elle ne réagit pas, entièrement absorbée par sa prière. En revanche, une fois le signe de croix final effectué, elle revient à elle, carrément furieuse. Un peu tard, car le voleur est déjà reparti... Ite missa est3.
Marianne Viguier est (un peu) religieuse postulante et (surtout) bonne à tout faire dans le couvent du Bon-Jésus. On la dit « entièrement dans la démence, tenant des propos singuliers et contraires à la raison, disant qu'elle est la parente du Roi, de monsieur de Périgord, quelle est la supérieure du présent couvent, qu'elle voit Dieu, qu'elle l'entend parler, qu'elle le voit travailler, que tous les hommes qui viennent dans le présent couvent comme le médecin, le chirurgien et ouvriers sont des apôtres »4. Mais comme le témoignage ci-dessus vient d'une consœur et pourrait être taxé de partialité, rendons sa voix à Marianne et laissons-la s'expliquer elle-même :
« Elle s'occupe à balayer toute la maison, qu'elle est la servante du Bon Dieu, qu'elle s'est adonnée entièrement à lui, qu'elle voit quelquefois le Bon Dieu en personne, vêtu d'un habit couleur d'olive, dans l'église du présent couvent et à sa main gauche, auquel elle adresse les prières pour toute l'Europe, pour les nègres, pour les esclaves, en un mot pour tout.
Elle ajoute qu'elle est la ville de Jéruzalem, autrement dit l'arbre de vie ; que son intention est de sortir de ce couvent qui est actuellement bien en règle pour aller joindre le Sr Bichon, son confesseur, Trinitaire, qui est à cinq lieues au-delà de Bordeaux, pour se joindre à lui afin d'établir un autre couvent, que c'est le Bon Dieu qui lui a inspiré pareille chose et de se dépêcher vite pour cela ; qu'elle est de grande condition et parente de la famille royale et de monsieur de Périgord, à consulter les écritures.
Elle ajoute que lorsqu'elle entra dans le présent couvent, le Bon Dieu la nomma supérieure, mais comme il est venu une autre supérieure et chanoinesse, les religieuses du présent couvent ne regardent en rien la répondante, ce qui fait que le Bon Dieu lui a dit de quiter cette maison pour aller joindre son confesseur au-delà de Bordeaux. La répondante dit de plus que saint Pierre, apôtre, est venu dans la présente maison et a seigné au bras droit la répondante ainsi que plusieurs autres religieuses ; saint Jean de Kirielison est venu aussi dans la présente maison pozer des vitres ».

Devant ce flot de paroles d'une incohérence manifeste pour le magistrat, celui-ci met fin à l'audition, mais Marianne parvient toutefois à glisser une dernière phrase, saisie in-extremis par le greffier : « elle est le bon Lazare, qu'elle est ressuscitée ». De la couleur des habits de Dieu à la saignée mystique opérée sur elle par saint Pierre, les capitouls n'ont aucun doute : Marianne a bien l'esprit aliéné, les experts vont le confirmer, et elle sera donc envoyée aux quartier des fous jusqu'à résipiscence – s'il plaît à Dieu.

Quatre-vingt-sept, année mystique
Qu'est-ce qui fait qu'en 1787 nous trouvions plus de cas de personnes tourmentées par le Ciel et/ou les enfers ? Nous n'en saurons jamais rien. En voici une sélection de quatre seulement, évidemment choisis pour la pertinence des citations.
Tourmentée par une voisine, Marie Descazeaux « s'en fut devant Dieu pour l'implorer de lui tracer la conduite quelle devoit tenir pour se mettre à l'abri des tracasseries qu'on lui fait. Et Dieu s'étant fait entendre à elle d'une manière très intelligible, elle suivit de point en point ce qu'il lui avoit dit ». C'est-à-dire qu'elle fut acheter un pistolet, le chargea, et le déchargea à bout portant sur sa voisine ! Ô miracle, cette dernière en sort quasiment indemne5.
Magdeleine se confie à un voisin « d'un ton et d'un air évaporé ; lui dit qu'elle venoit du fauxbourg St Michel où elle avoit vu dans une grange le Bon Dieu avec St Joseph et la Ste Vierge et toute la Ste Trinité ainsi que ses père et mère ». Peut-être est-elle effectivement l'Élue car, se rendant ensuite « dans l'église de St Etienne pendant que M. le curé disoit la messe, elle lui avoit crié Papa, papa, tant elle étoit charmée de le voir »6.
Quiterie passe son temps dans l'église des grands Carmes, elle n'en sort quasiment pas de la journée. De telles marques de dévotion indisposent grandement lors des offices car elle « donne des marques de démence, tantôt chantant et riant, et pour ainsi dire dans le même moment, pleurant, tantôt se plaçant au milieu du chœur, fixant certains religieux auxquels elle fait des signes au moyen du doigt qu'elle met sur le nez, ce qui a troublé très souvent le service divin »7.
Quant à Blanche Chapel, on la voit prendre « avec les mains une poignée de braize du feu, qu'elle répendoit ensuite dans la chambre, voulant se jetter sur les personnes qui se présentent à elle pour les mordre, criant Alléluya, alléluya »8. On peut avancer sans crainte que le feu de Dieu l'habite – ou la dévore.

Et nous réalisons maintenant qu'aucun homme ne figure dans cette petite sélection. Que l'on se rassure, ils peuvent eux aussi être atteints de folie, mais leur mysticisme semble moins se manifester dans leurs accès de démence ; peut-être sont-ils plus adeptes de dialogues intérieurs, noyés au fond d'une bouteille…
Nous nous efforcerons toutefois de clore avec un cas masculin, car il y en a bien un, et qui de surcroît a certainement vu Dieu avant les autres. Certes, pour atteindre cette première place, Bernard Tesseyre a dû recourir à une méthode extrême – et pas très catholique : en septembre 1775, « fêlé par trop de dévotion »9, il se pend au plafond de son appartement10.

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1- A.M.T., FF 826/7, procédure # 146, du 15 décembre 1782.
2- extrêmement concis, ce rapport d'expertise laisse portant quelquefois percevoir un réel intérêt pour le « patient » et de touchantes notes de compassion.
3- A.M.T., FF 805/5, procédure, # 135, du 29 août 1761.
4- A.M.T., FF 829/5, procédure # 078, du 21 mai 1785.
5- A.M.T., FF 831/8, procédure # 155, du 11 août 1787. Cette procédure est intégralement reproduite en fac-similé des Bas-Fonds n° 42 : « Le fer et le feu ».
6- A.M.T., FF 831/12, procédure # 237, du 31 décembre 1787.
7- A.M.T., FF 831/8, procédure # 150, du 6 août 1787
8- A.M.T., FF 831/4, procédure # 069, du 26 avril 1787
9- Mémoires manuscrite de Pierre Barthès, 7e volume. B.M.T., Ms 705, p. 81-82.
10- A.M.T., FF 819/8, procédure # 154, du 5 septembre 1775.

[L'enchaîné déchaîné ou, hachée-menu dans les prisons], gravure de Jan Luyken, 1698. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1896-A-19368-1396.

Axe for girls (and girls only)


novembre 2021

À décliner ou graviter aujourd'hui autour d'un axe un tantinet problématique, c'est tout naturellement que nos attaches anglo-germaniques – autant généalogiquement complexes qu'affectives –, nous renvoient vers ce mot qui, décliné dans les langues de Boris et d'Angela, est entendu et compris pour le mot hache.
Et voilà qui tombe à pic (un pic n'étant pas une hache, mais il s'y apparente tout de même par certains aspects – ou effets), car nous nous sommes vus récemment reprocher par des esprits chagrins de n'avoir jamais traité de la hache dans un numéro des Bas-Fonds (plus précisément dans le quintet consacré aux diverses armes du crime) alors même que nous avions consacré un numéro entier au marteau et au maillet, qui manquent singulièrement de classe lorsqu'il servent à perpétrer un crime.
Pour notre défense, cette lacune s'explique aisément. En effet, aucun pourfendeur à la hache ne semble émerger de nos fonds d'archives anciennes. Certes, les Annales manuscrites des capitouls content bien la mésaventure du seigneur de Saint-Simon, dont le crâne est fendu à la hache en son château du même nom par des voleurs1. Las, nous sommes en 1607, et Saint-Simon ne fait pas encore partie de Toulouse. Il y a bien ce Pierrot qui, devenu fou, partage en deux avec une hache la tête d'une sienne voisine ; mais là encore, l'affaire a lieu hors de la ville, en Gascogne, près de Lahas, et nous est seulement connue car ledit Pierrot se fait rattraper et occire à son tour – au pistolet, sur le pont de Tournefeuille, un pied dans Toulouse (ouf, il était moins une)2.
Les mémoires Manuscrites de Barthès fourmillent d'affaires sanglantes à la hache jugées par le parlement3, mais toutes ont été perpétrées par ceux du Quercy, ceux des Cévennes et du Vivarais, par des Gascons (tiens, encore) ou même des Audois, mais jamais par un Toulousain.
Voilà qui est rageant, et d'autant plus lorsqu'on sait que même notre bourreau très officiel ne possède pas un tel instrument dans sa panoplie. Avouez que cela rend les décapitations bien moins chic et moins solennelles (pour Montmorency, personne n'y était – le roi avait chassé les capitouls le temps de faire sa petite cuisine tranquille, les portes de l'hôtel de ville étaient fermées et gardées par les troupes, donc personne ne sait et tout le monde raconte ce qu'il veut ; quant aux trois frères Grenier, exécutés place Saint-Georges en 1762, ils ont eu la tête tranchée avec un couteau long, un damas à décoller).
Les Toulousains bouderaient-ils la hache ? Est-ce une arme trop barbare à leur yeux ?
Et pourtant, à mieux y regarder on trouve quelques menaces ou agressions réelles avec une hache. Mais là, surprise ! Ce sont uniquement des femmes qui brandissent l'arme-outil.
En première ligne, la Blondine. Ce n'est pas une tendre, et elle n'a besoin de rien pour se faire craindre, mais lorsqu'elle arrache une hachette (une pigassa) des mains de Gaspard Lustron pour la retourner contre lui4, il y a de quoi trembler, d'autant plus que la Blondine est « masquée en diable ». Et voilà que la Soubiroune se joint à elle et menace à son tour de trancher la tête du malheureux Lustron dont la nuit de noces a bien failli tourner court.
Et que penser de la Dumaine, qui « jure, blasphème, sacre, appelle tout l'enfer à son secours, prend un bâton, vient se jetter [sur] son mari pour lui fendre la tête, le traite indignement et le charge des outrages les plus sanglants que la fureur puisse inspirer »5. Le pire est à craindre quand « elle s'arme d'une hache », au point que son tendre époux prie les magistrats de le délivrer d'une telle furie.détail d'un croquis au verso d'une pièce de procédure civile de 1547, impliquant Jean de Bernuy. Mairie de Toulouse, Archives municipales, FF 95, pièce non foliotée (détail).

Le classement des procédures criminelles des capitouls n'est pas fini, loin s'en faut, et il nous réserve bien des surprises. Peut-être allons nous trouver, un jour, une femme qui castre son mari (ou tout autre coq de village) avec une hache. C'est qu'avec le dernier « graffiti d'époque »6 repéré récemment au revers d'une pièce de procédure civile du 16e siècle, on doit s'attendre à tout !

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1 - Annales manuscrites des capitouls, BB 277, chronique 280, année 1607, p. 127-154.
2 - FF 777/1, procédure # 008, du 23 janvier 1733.
3 - Mémoires manuscrites de Pierre Barthès, 1737-1780, 8 volumes. Bibliothèque d'études et du Patrimoine, Mss 699 à 706.
4 - FF 812/1, procédure # 020, du 6 février 1768 – en fait c'est un charivari organisé pour son mariage. La Blondine est identifiée pour être Claire Jonquières, dite Blondine. Sa sœur et elle sont des "habituées" de nos procédures criminelles.
5 - FF 830 (en cours de classement), procédure du 5 mai 1786.
6 - FF 95, liasse non foliotée.

Un triple crime sur le sable chaud en été ? Scène de sieste à l'ombre d'une cabane au Cap-Ferret ; villégiature de la famille Pauilhac à Arcachon en 1907. Cliché positif noir & blanc sur plaque de verre - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 69Fi163 - Fonds photographique famille Pauilhac.

Entre l'âge du bac à sable et celui de la déraison


octobre 2021

Aux Archives, lorsqu'il s'agit de remplir notre salle de lecture, nous n'avons pas nécessairement l'habitude d'aller piocher des bambins de l'âge du bac à sable. Or, cette année, nous faisons une entorse à la règle à l'occasion des vacances de Noël. En effet, nous ouvrons exceptionnellement un atelier spécial destiné aux enfants de 7 à 12 ans.
Entre archives, histoire et enquête, « Les petits détectives des capitouls » vont revivre une procédure judiciaire vieille de trois siècles. En déchiffrant les divers documents qui composent cette affaire portée devant la justice des capitouls en janvier 1725, ils se replongeront dans l'atmosphère du marché de la Pierre, retiendront leur souffle lorsque l'épée est dégainée et brandie (en pure perte d’ailleurs), découvriront des invectives désormais bien désuètes, avant d'être en mesure de rejuger l'affaire par eux-mêmes.
 - Les petits détectives des capitouls, ateliers (7-12 ans)
Détails, dates et modalités d'inscription aux ateliers

Quant aux adultes, eux, on le sait, ne sont plus éligibles au bac à sable ni aux mêmes vacances scolaires. En revanche, les samedis d'octobre et de novembre leur sont exclusivement consacrés afin qu'ils puissent s'adonner à un loisir honnête et respectable, au travers des ateliers « Tu ne tueras point, mais... tu peux toujours essayer ! ». Là, plus de place au rêve : il faut trancher dans le vif en rouvrant des affaires de meurtres ou de morts violentes, reprendre des autopsies, déterminer l'endroit précis du crime ou de la découverte du corps, faire appel à toute une variété de documents issus des archives afin d'éclairer l'événement, ses circonstances et ses acteurs.
- Tu ne tueras point, mais... tu peux toujours essayer !, ateliers (ados-adultes)
Détails, dates et modalités d'inscription aux ateliers.

Comme nous pensons aussi à ceux qui ne pourraient pas se déplacer, le crime vient jusqu'à eux au moyen d'une arme tout à fait étonnante : l'anguille ! Ou, plus exactement, la peau d'une anguille que l’on aura remplie de sable. Lorsqu'on en frappe un adversaire, on dit qu'on le « sable ». Ne souriez pas : l'arme peut se révéler fatale, même entre les mains d'un enfant. C'est là le quatrième volet des Bas-Fonds consacré à l'arme du crime ; il sommeillait depuis 2019 et vient juste d'être achevé, mis en ligne et... antidaté.
"L'arme du crime, acte quatre – l'art de sabler. Malicieuses anguilles des sables, ou simples sacs de sable, terre ou plomb : la redoutable matraque molle à la toulousaine". Dans les Bas-Fonds, n° 41.

"Le mari heureux", gravure de Noach van der Meer le jeune, d'après un dessin de Jacobus Buys, entre 1778 et 1785. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1907-4665.

Les enfants déchus de Titivillus


septembre 2021

Certes, on ne connaît pas leur(s) mère(s), mais leur paternité ne fait point débat : ils sont autant de rejetons de Titivillus. Mais, tels des anges déchus, ces enfants de notre démon facétieux ont suivi une voie légèrement différente. Au lieu de susurrer des paroles qui induisent le copiste, le scribe ou le greffier en erreur, ils ont choisi de tenir eux-mêmes la plume et de créer sciemment ces erreurs – afin d'en tirer un substantiel profit, c'est entendu.
Qu'ils s'appellent Allaux, Bors, Cabos Chamillard, Crébassa, Danjoy ou encore l'envoûtante Charlou (et pour la bonne mesure, il nous faut agréger à la bande l'éclectique et talentueux cartographe-graveur Marqué, bien que sa palette dépasse ce simple registre et s'étende à de multiples autres arts dans le fait de voler, escroquer, duper), ces enfants ont hérité de leur père d'un goût prononcé pour l'espièglerie et se sont donc naturellement orientés vers l'escroquerie, plus précisément les faux en écriture.
Leur inclination naturelle les pousse à imiter à la perfection les lettres de change ou les billets à ordre prétendument cautionnés par de gros établissement parisiens, lyonnais, rouennais, genevois, pour ensuite les présenter tantôt à Toulouse, tantôt à Bordeaux, afin d'encaisser des sommes colossales ou d'engranger des marchandises. Bien entendu, ils ne répugnent pas à aller duper les négociants de Bayonne, Agen, Gaillac, Albi, Villefranche de Rouergue ; certains poussent jusqu'au Puy, ou encore à Sète.
En ces décennies 1770 et 1780, on les appelle chevaliers d'industrie, quelquefois escrocs (le mot commence à peine à se faire une place), le plus souvent affronteurs publics ou filous. Les nôtres opèrent sur une ligne allant de Bordeaux à Montpellier.
En 1780, le procureur du roi Charles Lagane, explique que ce type de crimes est « des plus graves comm'il est devenu très commun dans le royaume et, par conséquent, mérite d'être poursuivi à la dernière rigueur »1. Il n'a pas tort, car ces bandes connaissent parfaitement les rouages des circuits commerciaux et des échanges monétaires dématérialisés entre gros négociants, et leur passion dévorante pour l'or aurait tôt fait de mettre à genou les plus solides maisons.

D'autant plus qu'ils sont diablement bien organisés : dans leurs poches, portefeuilles ou portemanteaux, on y trouve des collections de signatures, sagement alignées, prêtes à servir ; des papiers aux format des lettres de change, prêts à être noircis. Cabos a même un attirail composé de « pleuzieurs compas et autres petits outils »2 qui lui permettent de mieux contrefaire les signatures. Cette passion de l'écriture et du faux leur est tellement chevillée au corps qu'Allaux ne trouve rien de mieux en prison que d'améliorer son ordinaire en se procurant un petit travail ; naturellement, on lui fait rédiger des actes de... justice pour le corps de la Bourse des marchands, rien que ça !
Comment identifier de tels escrocs ? Cela relève presque de l'impossible, tant ils savent changer d'apparence et de nom. À Toulouse, un marchand se laisse subjuguer par le côté angélique de l'un d'eux, qu'il trouve « d'une politesse et d'une honêteté sans égale », ce qui lui laisse à penser « que c'étoit un homme de distinction »3 ; alors qu'à Gaillac, un de ses confrères est plus frappé par le côté démon de « deux messieurs, l'un d'assès mauvaise mine, et l'autre moins désagréable »4.
Mais, à trop tirer sur la corde (ou le diable par la queue), on peut finir par s'y balancer sans grâce. Mais, ne nous faisons pas d'illusion, les Allaux, Bors et autres seront vite remplacés par de nouveaux venus, et le chroniqueur toulousain Pierre Barthès, tel l'archange de l'Apocalypse, écrivait en 1768 que « la ville [...] n'en sera purgée qu'au dernier jour de sa destruction, tant cette vermine pullule, trouvant toujours de dupes qui se laissent prendre au filet »5.

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1 FF 824/9, procédure # 170 – supplément, du 18 octobre 1780.
2 FF 819/1, procédure # 009, du 16 janvier 1775. Ajoutons à cela que l'on trouvera encore dans ses tiroirs du papier transparent...
3 FF 824/1, procédure # 001, du 4 janvier 1780;
4 FF 820 (en cours de classement) procédure du 17 février 1776.
5 Bibliothèque municipale de Toulouse, fonds patrimonial, Ms. 704, p. 95.

 

Dépose des sculptures du toit du Capitole - afin d'en faire des moulages et de les remplacer par des répliques moins sensibles aux intempéries et à la pollution. Travaux effectués par l'Atelier de restauration de la ville de Toulouse. Cliché Atelier municipal de photographie, fin 20e siècle. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi6765.

Les toits du Capitole


juillet-août 2021

Moins connus que les oies du Capitole romain, les toits du Capitole toulousain valent certainement, sinon le détour, tout au moins que l'on s'y penche un peu.
Mais, à trop s'y pencher, attention à la chute ; celle du jeune Bournet sera fatale.
Reprenons. Nous sommes en 1766. La fièvre de l'évasion gagne les prisonniers enfermés dans les geôles de l'hôtel de ville et, le 12 mai, dix-sept d'entre eux décident de jouer les filles de l'air au cri de « Allons, il faut périr aujourd'huy ou s'en aller ! »1. Après avoir ménagé plusieurs brèches dans les murs et les planchers, ils gagnent les toits du Capitole et s'éparpillent. Hélas, le guet est vite alerté et tire quelques coups de fusil en leur direction. François Bournet, l'un des évadés qui galopait encore sur le toit, tombe dans le vide et va finir par s'écraser dans une des cours de l'hôtel de ville. On ne saura jamais si son décès a été causé par le coup de feu ou par sa réception brutale au sol (comme quoi, il est faux de prétendre qu'avoir 18 ans donne des ailes).
Bref, l'ambiance est quelque peu cassée, et le reste des prétendants à la liberté en oublie le cri fièrement lancé plus tôt, se fige instantanément et tente de se fondre, qui derrière une cheminée, qui encore derrière les sculptures monumentales du nouveau frontispice du Capitole en attendant que le guet vienne les cueillir là pour les renfermer de plus belle jusqu'à... leur prochaine tentative. Oui, car en juillet, nos prisonniers (sauf Bournet donc, out) remettront cela et, cette fois, en évitant des toits ; ils verront leur persévérance récompensée et leur évasion couronnée de succès.

Pour en savoir plus sur cette échappée belle par les toits, nous ne saurions que trop recommander la lecture du dossier des Bas-Fonds n° 33, La grande évasion. Et, comme nous avons une pensée pour ceux qui sont sujets au vertige, nous évoquons aussi des évasions plus souterraines dans le dossier n° 24, Le grand soulagement, mais là, les claustrophobes n'y seront guère à la fête, et surtout : gare aux vapeurs méphitiques.

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1 FF 810/4, procédure # 064, du 13 mai 1766.

[Fifty-one shades of wood], collection de 51 échantillons de bois provenant de l'archipel d'Indonésie, et destinés à l'examen et approbation par les chantiers navals hollandais, c.1850-1863. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° NG-MC-1160.

Des filles à la baguette


juin 2021

Non, le titre est trompeur ; nous n'évoquerons pas de malheureuses filles menées à la baguette par des parents sévères ou d'affreuses marâtres, voire de sordides souteneurs. En fait, nous allons deviser de bois, et plus particulièrement du bois de construction, du bois d'œuvre, sous toutes ses formes et ses dénominations.
En effet, qui, dans les archives anciennes, n'est jamais tombé sur des bastars, razals, puals ou pitrons sans se demander s'il s'agissait d'atroces insultes ou, au moins, de termes grossiers. Et ainsi de suite, en passant par la postille pour arriver jusqu'à la baguette. Lorsque le chercheur découvre dans le texte un « tas de filles »1 qui se fait planter allègrement au mail-mouton à la force de dix-huit hommes, il est en droit de s’interroger.
Pourtant, il n'est toujours question que de bois, et nous devons remercier Pierre-Hanneton Lebrun (vers 1702-1752), ingénieur de la ville, pour avoir publié à titre posthume "Les us et coutumes de la ville de Toulouse, avec des instructions pour connoître les matériaux…". Bien plus récemment, Michelle Éclache, a joint à son ouvrage "Demeures toulousaines du XVIIe siècle" un précieux glossaire des termes locaux de la construction en usage entre 1600 et 1630. Ainsi, le fust postam d'Aigud ou la fille de Barousse n'auront plus de secret pour le chercheur qui pourra désormais rentrer chez lui avec la satisfaction d'avoir enfin compris ce qu'il a lu dans le confort feutré de la salle de lecture et pourra enfin s'autoriser à partager le fruit de ses découvertes à table, sans avoir à rougir devant ses enfants.
Mais, pourquoi cet engouement soudain des Archives pour le bois ?
Parce que nous avons été invités à rejoindre le PCR Eaurigines2, dont un des axes de recherche est précisément celui des ressources forestières du bassin supérieur de la Garonne sur la longue durée, de ce bois venant de la montagne que l'on retrouve précisément à Toulouse.
En plus de mettre nos fonds textuels, cartographiques, voire photographiques, à la disposition des quatre chercheurs, créateurs et animateurs du projet (2 archéologues – dont une plongeuse, 1 géomorphologue, 1 dendrochronologue3 – bois oblige), et de la quarantaine de géographes, historiens, plongeurs-scaphandriers, archivistes, photographes (et j'en passe), y associés, les Archives vont aussi apporter leur pierre à l'édifice dans le but d'aider à mieux identifier les acteurs du monde du bois et de localiser précisément les gros chantiers du passé.Seing manuel du charpentier Jean Subreville en fin d'un contrat de cautionnement pour des réparations à faire au « pont suspendu sur la rivière de Garonne », 26 septembre 1596. Mairie de Toulouse, Archives municipales, DD48, f°135v.
Et vous allez voir de quel bois on se chauffe :
- un catalogue des marchands de bois, charpentiers, menuisiers, tourneurs, scieurs de long, voire des rachers ou ratgers4 entre le 16e et le 18e siècle est cours en d'élaboration ; il inclut évidemment les signatures, seings manuels ou marques de chacun, ces dernières pouvant éventuellement être confrontées aux signes ou marques gravés sur des charpentes ou tout autre ouvrage en bois encore subsistant.
- l'inventaire des devis de travaux publics commandités par la ville entre 16675 et 1790, réalisé à l'occasion du séminaire Mémurbis et déjà fort de 900 entrées, va être actualisé et étendu afin de remonter jusqu'au 16e siècle.

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1 Franchement, le terme de tas – comme ceux de groupe, troupe, gang, ou bande, n'est pas flatteur, c'est pourquoi nous préférons utiliser celui de « amazement of women », que propose Lawrence Durrell dans "MONSIEUR or The Prince of Darkness", Faber, 1974.
2 Un PCR est un Projet Collectif de Recherche. Le PCR « Eaurigines », exclusivement financé par la DRAC et le Service régional de l'archéologie (SRA), est quant à lui l'acronyme d'Études Archéologiques et géographiques Urbaines et Rurales des Implantations humaines sur le bassin supérieur de la Garonne. Intégration de la gestion de l'eau, des ressources Naturelles et de l'Environnement par les Sociétés sur la longue durée.
3 Pour comprendre ce qu'est la dendrochronologie en images, nous vous invitons à visionner une courte vidéo pédagogique avec en prime un charmant accent québécois, ou une autre, plus étendue, qui vous emmène en promenade dans le Mercantour, avec précisément le dendrochrologue du PCR Eaurigine.
4 Radeliers, conducteurs de radeaux sur la garonne.
5 Date de la nomination de Jean-Pierre Rivalz comme ingénieur de la ville.

[Jeux en arrière-cour de cabaret]. Encre sur papier rehaussée à la craie, dessin par Adriaen van Ostade, 1677. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-T-1886-A-621.

Gare, la boule !


mai 2021

Non, nous ne reparlerons pas de la boule de laiton ou la « pomme » qui servit en 1592 au moins pour insérer le mot de passe destiné à ceux préposés à la garde des portes et remparts (guerres de Religion obligent). On aurait aussi pu traiter ici des boulets de canon ; l’arsenal de Toulouse en fut particulièrement bien garni, jusqu'à ce que ceux-ci soient ensuite réquisitionnés et gaspillés par Louis XIII en 1621, lors de son cuisant échec devant Montauban, ville rebelle et décidément pas très catholique.
Quittons donc ces temps troublés et abordons la fin de l'Ancien Régime, que l'on aime à croire régie par des mœurs plus policées. Là, les boules peuvent toujours être offensives, mais encore récréatives et enfin quelquefois curatives. Les premières se trouvent naturellement à l'état glacé, les secondes roulent et peuvent s'entrechoquer, et les dernières, bien qu'on les dise d'acier, s'ingèrent.

La boule de neige, que l'on nommait alors « peloton », ce qui est autrement plus charmant, ne prend un caractère martial que si un gros malin décide d’y insérer un caillou ou de la glace. Nous renvoyons au dossier des Bas-Fonds formant le premier volume sur l'arme du crime (p. 14-15) où certains de nos aînés y narrent leurs malheurs et bosses suite à des jets de tels pelotons bien ajustés. Nous ne savons pas en revanche si les glaces que vend en 1777 Louis Marquant, confiseur place Rouaix, sont vendues à la boule1.

Les boules, celles du jeu de quilles, celles du jeu de mail ou encore celles de la courte-boule2, roulent à tous les coins de rue, sur les quais et dans les avenues et chemins. Les voilà qui heurtent quelquefois passants ou badauds. Si nous avons eu le loisir d'évoquer le maillet servant à frapper ces boules dans le second volume sur l’arme du crime, peut-être devrions-nous envisager un numéro spécial uniquement consacré à la boule comme moyen d’agression. Le menuisier Pierre Troy, victime d’une boule de mail qui vient lui frapper la jambe en bord de Garonne, déclare que « ledit coup est si dangereux qu'il risque d'en perdre la jambe »3. Il a même fallu carrément le treuiller « avec des sangles qui lui furent attachées au bras », afin de pouvoir le ramener sur le quai en surplomb tellement il tombait en pâmoison. Certes, l'on joue aux boules, aux quilles ou au mail sur l’espace public, mais ceux incarcérés dans les prisons de l'hôtel de ville ont aussi le loisir de taquiner la boule lors de leur récréation dans la cour4.

Passons enfin à ces mystérieuses boules aux vertus curatives, connues sous diverses appellations : boules vulnéraires, boules d’acier, boules de Nancy, voire les trois à la fois. Vendues par des colporteurs ou des chimistes qui les produisent eux-mêmes, elles sont composées de diverses drogues, dont de la limaille de fer.
La demoiselle Bourvart a quitté un mari un peu trop violent et dévergondé pour suivre, sur les routes, le colporteur Lanard ; ils vivent du commerce des boules d’acier, des saints-suaires et des lunettes5.
En 1769, Marguerite Richard démarche les maisons de la ville pour les vendre au prix de 20 sols l’unité, elle propose en outre aux clients potentiels des « bagues simphatiques » à 6 sols seulement. C’est son mari qui les fabrique, ils en ont un stock de 900, de quoi soigner toute la ville6. Quant à Grégoire, convaincu d'escroquerie en 1784, on retrouve parmi ses effets « différentes boules pour le mal vénérien »7.
Mais rassurez-vous, les capitouls, dans leur grande sagesse, imposaient que ces produits soient vérifiés avant d’être débités, et c'est ainsi que Pierre-Jean Bollin doit faire tester ses boules par le chirurgien-major de l’Hôtel-Dieu – le résultat ne semble pas avoir été convaincant et Bollin ira donc vendre ses boules à Montauban où il espère que les consuls seront moins à cheval sur la qualité de ses produits-miracles8.

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1. FF 821/7, procédure # 139, du 13 août 1777. Pour les gourmands, signalons qu'en été cet établissement reste ouvert jusqu'à onze heures du soir au moins, et il y a grand foule.
2. FF 802/3, procédure # 086, du 20 mai 1758 – aussi appelé « jeu des boches » (de bocho en provençal).
3. FF 805/2, procédure # 042, du 30 mars 1761. C'est ainsi que l'on apprend qu’il est de coutume « d'avertir en criant : Gare la boule ! toutes les foix qu'il estoit de tour de tirer son coup de mail ».
4. FF 829/10, procédure # 182, du 15 octobre 1785. Pour l'occasion, nous remettons en ligne une transcription des deux pièces de cette affaire, déjà proposée sur notre site lors du 1er confinement, sous le titre L'agité des prisons.
5. FF 800/5, procédure # 168, du 26 juin 1756.
6. FF 813/9, procédure # 232, du 28 décembre 1769
7. FF 828/7, procédure # 151, du 6 novembre 1784.
8. FF 813/9, procédure # 232, du 2 septembre 1747.

Fragment de cachet des capitouls apposé sur une des pièces à conviction lors du « suicide involontaire » de Torrofabes. Mairie de Toulouse, Archives municipales, FF 814/3, procédure # 047, du 13 mars 1770.

Les morts s’en tamponnent bien


avril 2021

Certes, la déclaration du roi de septembre 1712 impose de cacheter au front les cadavres d'inconnus trouvés au petit matin dans les rues ou ramenés sur les rives du fleuve. Mais pouvions-nous être certains que la chose soit strictement appliquée à Toulouse ? En effet, plus l'on se frotte aux sources de la pratique judiciaire, plus l'on découvre ces libertés prises avec « la loi », ces petits aménagements ou grands écarts faits par les capitouls dans leur pratique quotidienne de la justice criminelle, que l'on adapte aux contraintes du lieu et du moment.

La lecture des procédures criminelles des capitouls montre toutefois que, dans la majorité des cas, nos magistrats municipaux se plient de bonne grâce à la volonté royale en apposant non pas un tampon encreur, mais un beau cachet de cire ardente au beau milieu du front des corps morts.
Cela dit, l'affaire n'est pas toujours aisée, particulièrement lorsque le cadavre est retrouvé dans le gardiage (la campagne toulousaine), là où le capitoul dépêché sur place en urgence n'a pas toujours le cachet de la ville sur lui, voire le bâton de cire rouge. Il faut encore qu'il ait la possibilité de faire chauffer cette cire, ce que l'on imagine être une opération un tantinet compliquée.
Ainsi, en 1762, le danseur Dezaubry, percé à mort lors d'un duel au ramier du Bazacle, verra son front orné « d'un cachet, en déffaut d'autre, gravé de trois fleurs supporté par trois palmes, à la partie supérieure du front »1. Rien de très officiel, mais peu importent les armes, pourvu qu'on ait le cachet.
En revanche, en 1787, l'estampille officielle de la ville se trouve bien sur ce nouveau-né retrouvé caché sous la paillasse du lit de sa mère (donc déjà bien aplati), « sur le frond duquel nous avons fait apposer le sç[e]au des armes de la ville sur cire rouge & ardante »2. À défaut d'avoir reçu le baptême ni même un prénom, ce nourrisson pourra se réjouir au paradis d'avoir été l'objet d'un cérémonial dans sa vie, courte comme un souffle.
L'oiseleur Torrofabes, qui se serait suicidé « involontairement » selon les experts, est lui aussi scellé au front lorsqu'il est retrouvé dans la cuisine de l'ancien capitoul B…3. Dans la foulée, le magistrat ordonne que les scellés soient apposés sur le fusil et autres objets liés au tragique incident. Si le corps de Torrofabes repose désormais en paix avec ou sans son cachet de cire, celui appliqué sur l'arme du crime est toujours conservé et il vient illustrer ce court billet.

Pour aller plus loin : G. de Lavedan, « De l'identification à l'inhumation : les vicissitudes du corps des victimes dans la pratique judiciaire d'Ancien Régime », in M. Charageat, B. Ribemont, M. Soula, Corps en peines. Manipulations et usages des corps dans la pratique pénale depuis le Moyen Âge, Paris : Garnier, 2019, p. 141-154.

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1. FF 806/2, procédure # 036, du 29 mars 1762. Procédure La mort du cygne dans « Meurtres à la carte ».
2. FF 831/8, procédure # 167, du 31 août 1787. Procédure Le nourrisson était sous la paillasse ! dans « Meurtres à la carte ».
3. FF 814/3, procédure # 047, du 13 mars 1770. Procédure Un suicide vraiment involontaire ? dans « Meurtres à la carte ».

Pot-chou. Porcelaine de la manufacture de Meissen, attribuée à Johann Joachim Kändler, 1769. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° BK-1973-190.

Martin et ses 32 choux


mars 2021

Monsieur Martin est marchand de soie à Toulouse ; il a une petite campagne à Saint-Martin-du-Touch, dans le gardiage et, là, dans un enclos, s'ébattent gaiement poiriers, vignes et carrés de choux.
Déjà, durant l'automne 1712, on lui a pillé ses poires et raisins : mais voilà qu'en décembre on s'attaque à ses choux. Ce n'est peut-être pas le casse du siècle, mais cette fois les voleurs sont tout de même repartis avec pas moins de 32 choux sonnants et trébuchants1 – je ne sais pas si vous suivez le cours du chou, mais le butin n'est pas négligeable.
Bon, le dizenier de Saint-Martin-du-Touch mène l'enquête et va déjà retrouver 9 de ces choux fourrés dans un sac dissimulé dans le jardin du nommé C. Puis, chez M., le pot aux roses est caché dans une barrique. Là, 12 choux. On va ensuite comparer les choux saisis à ceux qui restent dans les carreaux du jardin de Martin (il a de quoi voir venir, car il en a planté l'équivalent de deux charretées entières). Aucun doute possible : ce sont les mêmes. Toujours est-il qu'il manque encore 11 choux à l'appel, et là... on fait chou-blanc ! Le reste du butin a certainement été discrètement écoulé ou cuisiné dans des marmites sans odeur.
Si Martin pleure ses choux (car un chou est un chou, on ne rigole pas avec çha), il n'est pas le seul. Et quand ce ne sont pas les voleurs, voilà que les animaux s'en mêlent. Ainsi, chèvres, ânes, bœufs2 ou autres qui divaguent dans les jardins s'attaquent volontiers aux choux qu'ils mordillent délicatement ou déplument carrément.
Peut-être pensez-vous que nous devrions nous arrêter là : on semble effectivement avoir fait le tour du chou. Et pourtant, non, car la grande famille des brassicaceae a plus d'un tour dans son bouquet : dans sa grande versatilité, voilà notre chou devenu une arme du crime. Une agression en 1732 commence par le jet d'un trognon de chou sur le jeune Imbert3. On connaît tous les malheurs de Perrette et son pot de lait, mais, comme si cela ne suffisait pas, la voilà maintenant attaquée par la nommée Couchère, qui « prit un gros chou dont elle luy donna un grand coup sur la tête »4.
Enfin, lorsque les cafés, bars et tripots rouvriront leurs portes, vous pourrez peut-être vous essayer à un petit jeu bête comme chou : celui « du chou, de la chèvre et du loup ». Il faut trois gobelets (l'histoire ne dit pas s'ils sont pleins) et, vous l'avez deviné, la chèvre mange le chou, le loup mange la chèvre. Malheureusement, celui qui nous conte cette partie endiablée n'a pas le loisir de nous donner plus de détails, car il est soudain entraîné dans une querelle, devenue rixe générale en plein cabaret, et un coup de bâton sur le crâne l'envoie vite dans les choux5.

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1 FF 756/2, procédure # 075, du 13 décembre 1712.
2 FF 812/9, procédure # 232, du 6 décembre 1768.
3 FF 776/4, procédure # 136, du 16 août 1732.
4 FF 792/3, procédure # 077, du 18 août 1748.
5 FF 799/2, procédure # 039, du 2 mars 1755.

"L'horreur". Gravure de Bernard Picart, 1713, d'après Charles Le Brun. Wellcome Library, Londres, inv. n° 33495i.

Les avoir... et trouver les mots pour le dire


février 2021

Ne vous paraît-il pas surprenant que les termes de « terreur » ou de « frayeur » n'apparaissent quasiment jamais dans les inventaires des pièces de justice d'Ancien Régime ? Le fait est flagrant, autant au sein des procédures criminelles des capitouls, que dans celles des sacs à procès du parlement, conservées aux Archives départementales de la Haute-Garonne.
Les Toulousains n'auraient-ils jamais connu la peur ? Ou bien serait-ce imputable aux archivistes qui classeraient ces fonds de justice en méprisant et occultant les craintes de leurs aînés ? Ni l'un ni l'autre, car en fait la peur – comme la joie, la tristesse – n'a rien à faire dans une notice d'inventaire, normée, calibrée, précise et froide comme une couleuvre.
Dans ce cas-là, il semblerait malaisé de lancer un étudiant ou un chercheur dans une étude sur la peur, les peurs…
Bien au contraire, car il suffit d'ouvrir n'importe quelle affaire pour se retrouver nez à nez face à des terreurs vraies ou feintes – certainement exagérées et amplifiées.
Pensez, lorsque dans la nuit vous vous retrouvez face à deux gaillards qui vous pressent de leurs épées, l'une aux reins et l'autre sur l'estomac, comment ne pas trembler de tous ses membres quand ils vous assurent d'une voix terrifiante « Si tu branles je te fais vomir l'âme ! »1. Une nuit toujours, Mathieu Lanes, l'organiste de Saint-Etienne, entend des personnages caillasser sa maison en agrémentant cela de bordées d'injures et de menaces, ce qui « auroit tellement épouvanté les voisins que ceux qui avoint quelque envie de le secourir n'osèrent sortir, creinte d'estre maltraités par ces scélérats »2. Même chose pour le menuisier Trilhe en 1777, qui explique que « l'épouvante s'empara » de lui et de son épouse, au point qu'ils « s'habillèrent à demi et, presque mourants, furent sortir par une autre issue qui répond au coin du Loup pour appeller du secours »3.
En 1720, lors d'une rixe à Tounis, Françoise Pelenc est saisie « d'espouvante », et rentre précipitamment chez elle pour ne pas assister à la scène4. François Roques aurait tourné de l'œil, autant de frayeur que de douleur, après les coups reçus alors qu'il était en train de conter fleurette dans un fossé – rendez-vous crapuleux et extra-marital, brutalement interrompu par des bouviers ; « il tomba en sincope tant par raport à la perte du sang qui reja[il]lissoit de ses blessures que de la frayeur qu'il avoit d'une mort prochaine »5.
Marie Lacombe, du haut de ses 17 ans, se prostitue et ce n'est pas gai tous les jours. Surtout lorsque sa maquerelle la pousse d'autorité dans les bras d'un homme « étranger laid comme un diable » ou encore de cet huissier « de fort mauvaise figure, petit en taille, mal vêtu, qui ressembloit à un volureau », et de ce marin « mal fait et de mauvaise mise ». Mais un jour, alors qu'on lui amène un procureur, Marie prend la fuite, « épouvantée de voir un pareil homme ». Il faut dire que là c'est le pompon : l'homme est « gros et grand comme un géant »6.
Comment la jeune marquise de Boissé a-t-elle pu se fourrer dans un guêpier pareil, et attirer chez elles des étudiants rouge-colère ? C'est à l'heure du souper, et elle en oublie l'artichaut qu'elle s'apprêtait à déguster. L'irruption est bruyante et violente ; « saizie par la peur de quelque attemtat en sa personne », la marquise s'en remet à ses nombreux domestiques pour faire barrage de leurs corps. Si certains font effectivement preuve de bravoure, d'autres n'en mènent pas large (on les comprend, les sabres sont au clair et un coup de feu est même lâché). Ainsi, Antoine B. « feut tellement épouvanté qu'il prit la fuite », Marguerite G. s'enferme dans la cuisine, et Marie L., la femme de chambre, « elle étoit si troublée qu'elle ne se souvient plus de rien »7.
Féréol Saint-Arailles ne conviendra jamais avoir pris peur, mais on peut tout de même le déduire de sa plainte. Les cris de son fils récalcitrant (alors qu'il se fait corriger) émeuvent le quartier, au point que certains voisins viennent tambouriner à la porte de Féréol « d'une si étrange manière que […], craignant qu'on ne lui enfonçât la boutique, dit à son épouse de sortir pour voir ce que c'étoit »8.
Même en l'absence de mots énonçant clairement l'angoisse ou la frayeur, la peur reste perceptible ; ainsi la réaction de cette foule à la promenade du Quay de Saint-Cyprien face à un individu qui « assomoit à coups de poings et à coups de pieds un misérable qui ne luy faisoit pas la moindre résistance et qui imploroit en vain le secours des spectateurs qui, forts touchés de la scène, se contentoint de prier pour la victime sans qu'aucun ozât se mêller de l'arracher des mains de cet homme qui n'écoutoit rien ». Celui qui raconte la scène n'est d'ailleurs pas en reste, car, « touché de commisération, mêlloit ses prières à celle de toute la populace »9.
Passons aux animaux. Ceux qui font peur ne sont pas nécessairement l'araignée ni la chauve-souris. Voici le singe de madame Birosse. Il met « si fort l'épouvante dans le cœur » de la voisine du dessous qu'elle « tombe en syncope », et pas qu'une fois. Si vous ne connaissez pas encore les facéties douteuses, voire lubriques de cet animal – courrez vite le rencontrer. Et encore ce malheureux huissier qui, en 1775, poursuivi par une « une troupe de chiens dogues » lancée à ses trousses par le boucher Lasserre, explique que, « voyant la furie de cest atroupement et la rage dud. Lasserre avec ses chiens, aurions été obligés de prendre la fuite à grand course »10.
Nous ne savons toujours pas si les animaux ont une âme, mais ils sont eux aussi sujets à la peur. Guillaume Moncabrier, du haut de ses 14 ans, est certainement un géant car, « marchant avec précipitation […] auroit épouvanté un poulet qui s'est trouvé sur ses pas »11. Certes, un poulet me direz-vous… En 1757, une paire de bœufs « ayant entendeu le bruit d'un tambour, ils auroint prins l'effroy et s'estant mis à galopper, traînant apprès eux la charrette », ils finissent par renverser un enfant12. Quant aux chiens que l'on terrorise, qu'ils soient gros ou petits, vous en retrouvez certains dans le dossier des Bas-Fonds consacré aux « Cabots, dogues, mâtins et bassets ».

Alors qu'il est bientôt l'heure pour les étudiants de licence 3 de penser à leur futur sujet de recherche en master, s'il se trouve parmi eux un amateur de sensations fortes, une fan d'épouvante, ils nageront avec bonheur dans les procédures criminelles, ils frétilleront d'aise en découvrant les mots qui content le ressenti de la peur, les exagérations subtiles ou grossières et les nombreuses syncopes ou vapeurs causées par l'effroi.

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1 FF 784/3, procédure # 092, du 20 juin 1740.[La foudre frappe, la panique se répand]. Gravure du 17e siècle, sans lieu, ni auteur, ni date. Wellcome Library, Londres, inv. n° 524640i.
2 FF 738/3, procédure # 059, du 29 décembre 1694.
3 FF 821/2, procédure # 023, du 16 février 1777.
4 FF 764/1, procédure # 022, du 11 avril 1720.
5 FF 781/3, procédure # 088, du 17 août 1737 – voir fac-similé intégral publié dans les Bas-Fonds consacrés aux « Premiers soins et derniers secours ».
6 FF 779/4, procédure # 090, du 8 août 1735.
7 FF 784/3, procédure # 089, du 14 juin 1740.
8 FF 789/1, procédure # 018, du 2 mars 1745.
9 FF 810/5, procédure # 093, du 25 juin 1766.
10 FF 819/10, procédure # 205, du 18 décembre 1775.
11 FF 789/3, procédure # 079, du 8 juillet 1745.
12 FF 801/1, procédure # 014, du 22 février 1757.

Les capitouls de 1452-1453 recevant l'Esprit Saint d'une colombe céleste qui les surplombe. Mairie de Toulouse, Archives municipales, BB273, feuillet 12 recto, chronique n° 141 (détail).

Patatras !


janvier 2021

Tant pis pour les prédictions de nos ancêtres les Gaulois : le ciel ne nous est finalement jamais tombé sur la tête – pour le moment. Depuis cette formidable météorite qui aurait éradiqué les dinosaures, depuis l'Esprit-Saint venu des hauteurs célestes et, plus tard encore, lorsque Cyrano prétendit avoir chuté « comme une bombe » depuis la Lune, les êtres et objets tombés et venus du ciel ne manquent pas.
Ils donnent lieu à toutes les interprétations possibles de la part de ceux qui veulent y trouver un sens, ou des plus grands dols envers ceux qui en subissent les conséquences directes.
Tenez, pas plus tard qu'en 1728, rue de la Maison Professe, Jeanne-Marie Dupuy est frappée de plein fouet par la chute d'un objet non identifié qui la terrasse presque et la renverse au sol. Tout compte fait, l'objet est vite identifié : il ne s'agit que d'un chien dont on a cherché à se débarrasser en le projetant depuis l'étage d'une maison voisine. Jeanne-Marie en est quitte pour une clavicule cassée – quant au sort du malheureux chien volant, personne n'en souffle mot. En revanche, nous sommes certains du devenir de celui de la petite chienne caniche noire de Bertrand Barbelane. De nombreux témoins l'ont vue projetée « en l'air […], laquelle tomba dans la rue et s'écraza ». Les habitants du quartier du Salin ont bien vu la nommée Jeanneton lancer la bête depuis le troisième étage, mais rien n'y fait, elle aura le culot de tout nier lors de son interrogatoire.
Avec de tels exemples, la tentation est grande de voir une origine toulousaine à l'expression anglaise It is raining cats and dogs... "Very unpleasant weather", par George Cruikshank. Gravure colorisée, 1820. National Gallery of Art, Washington, inv. n° 2013.170.7


Les voies du ciel sont décidément impénétrables. Il est indéniable que, dans sa grande malice, l'esprit céleste peut faire tomber les objets les plus divers : un cruchon, un mascot1, une balle de foin, des fagots de sarments, une armoire et même quatre citrouilles ont été aperçus venant des astres (ou des étages) dans Toulouse au 18e siècle.
À l'évidence, ce qui tombe du ciel peut aussi tuer. Marie Mouchan venue en ville depuis Aussonne est la dernière victime recensée2. Elle en a la tête en compote, « écrazée dans une comporte » et l'on met en cause cette pièce de bois « d'environ cinq pans de long sur environ un pam d'épaisseur » tombée du haut de la maison du traiteur Champaigne. Comme elle, c'est au quartier des Changes qu'Antoinette Dalet est victime de la chute d'un mortel chevron qui lui brise le crâne en 1777. Notons encore cet enfant aplati en 1785 par une fatale chute de bois à Tounis.
Quant à ceux qui font le grand saut eux-mêmes, volontairement ou pas, citons Elizabeth qui tombe à la renverse en 1727 et Jeanne qui s'envoie en l'air une dernière fois en 1731 de façon inexplicable puisqu'un témoin la voit un instant auparavant, « quy se chassoit les pusses au galetas de la maison ». Le cas d'Étienne Sabin est un peu différent : c'est probablement dans son sommeil (en se grattant les puces ?) qu'il roule sur la paille et dégringole depuis la rochelle jusqu'au sol de la grange où il avait élu domicile le 30 décembre 1750. Patatras, et l'histoire s'arrête là pour lui.

Alors, nous ne saurions trop vous recommander, avant de jeter votre sapin usagé par la fenêtre (si vous logez dans des étages supérieurs), de regarder s'il n'y a pas un quidam dans la rue et de crier Gare ! au préalable afin qu'il ait le temps de se ranger.
Mieux encore, c'est d'aller déposer votre sapin dans un des 57 points de collecte de la Mairie. Il y en a certainement un, à un jet de pierre de chez vous.

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1 désigne en général un couteau de cuisine, un tranche-lard – et semble n'avoir aucune relation étymologique avec le massicot moderne breveté par Guillaume Massicot (Massiquot) en 1844.
2 dernière en date car la procédure ne mentionnait absolument pas son décès (et ne poursuivait donc que sur un simple cas d'excès), mais nous venons juste de le retrouver dans le registre des sépultures de l'Hôtel-Dieu à la date du 1er octobre 1765.

Vue du sépulcre de marbre de la famille Buisson de Beauvoir, surmonté d’un gisant, sis dans le chœur de l’église des Cordeliers. Relevé et dessin réalisés le 17 juin 1671 par Jean-Pierre Rivalz, commissionné pour ce faire à l’occasion d’un procès. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 5S 166.

Un dernier soupir


décembre 2020

Lorsque vient le moment de mourir, il n'est pas donné à tous de déclamer une belle phrase qui restera gravée dans l’esprit de ceux qui assistent aux derniers instants du postulant aux hauteurs célestes. Ces derniers mots qui, empreints de détachement, élèveront l’âme de ceux qui les recueillent et bientôt les coucheront dans des manuels scolaires pour l'édification des générations futures.
Saviez-vous que les Archives municipales de Toulouse conservent un nombre conséquent de paroles prononcées dans un soupir ou un dernier râle ? Certes, vous n'y trouverez pas de « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font » ni même de « Tu montreras ma tête au peuple ; elle en vaut bien la peine ». Pourtant les phrases d'illustres inconnus toulousains qui vont suivre n’en sont pas moins touchantes, d'autant plus que, contrairement aux deux précitées, comme elles n’ont pas pu être préparées à l’avance, les nôtres portent en elles cette fraîcheur de la spontanéité…
« Mon Dieu il y a bien de l'eau icy » prononce Aymé Chapotin avant d’être entièrement englouti dans la Garonne en 1741 (il renvoie ainsi à ses chères études Mac Mahon avec sa pauvre phrase « Que d’eau, que d’eau » – mais, pour sa défense, le maréchal-président ne se noyait pas).


« Ha, mon Dieu, on vient de me donner un coup de couteau dans le ventre ! », dit Rapas avant de s'écrouler un soir d’août 1763. Clair et concis dans ses derniers mots, Rapas trépasse bientôt après. En cela, il imitait un prédécesseur, Pierre Dejean, qui en 1704, percé à mort par la broche d’un cuisinier, s'était exclamé d'une manière directe mais plus grossière : « Je suis mort ! Ce malheureux m'a crevé d’un coup de ladite broche ! »
En 1736, percé d’un coup d'épée à la joue, le jeune Duhaget lance à l'adresse des personnes qui assistent à son agression « Souvenez-vous de ce qui vient de se passer ! ». Ces derniers témoigneront après son décès et pourtant, malgré l'injonction du désormais défunt, ils semblent tous avoir un inexplicable trou de mémoire sur le déroulement des faits.
En décembre 1763, le cuisinier Carrère est à l’agonie, persuadé d'avoir été empoisonné par des religieux. Le médecin Jean Merlhes, qui est à son chevet, rapporte certaines de ses dernières paroles : « Mon Dieu je suis à vous, Satan, retires-toy ! ». Attentionné, le médecin « lui demanda si la têtte lui faisoit du mal ; il lui répondit avec le même ton furieux : Chiès-y monsieur ! ». Termes qui n'étaient assurément pas très élégants, mais qui lui ont peut-être apporté du réconfort dans ses ultimes convulsions.
En 1738, le jeune baron de Pordéac trompe d’abord son monde avec : « Ah mes amis, je suis mort ! ». Il lui faudra en effet patienter jusqu’au lendemain avant de passer l'arme à gauche, ce qui lui laisse assez de temps pour pardonner à l'auteur du coup de feu fatal mais peut être pas suffisamment pour réviser son latin de cuisine car il s'éteint enfin en prononçant un solennel « Diviettimus debitoubas nostris », ce qui n’est pas franchement correct.
C'est indéniablement le chevalier de Cortade qui a eu le plus à dire. En effet, après s’être fait sabler1 un soir de novembre 1772, il sait qu’il n’en a plus que pour quelques jours avant de succomber inexorablement à ses lésions internes. Il explique d’abord à son ami Louis-Roze de Gaye : « Aproche-toy, il me suffit de te dire que l'on m'a sablé ; ainsi tu vois toy-même que je suis sans ressource et que je n'ay que quelsques moments à vivre », puis à une cabaretière « Je suis perdu, je n'en reviendray pas ». Il se confie à d’autres encore « Mes amis, je vous ay beaucoup d'obligation mais je suis un homme mort ». Tous sont incrédules car Cortade est certes un peu ralenti mais il ne semble présenter aucune blessure, aucune ecchymose n’est visible. Et pourtant, l’écuyer va s’éteindre comme il l'avait prédit et ce n’est qu’après son exhumation qu'une autopsie révélera la réalité du crime commis contre sa personne.

Les procédures criminelles des capitouls rapportent ainsi directement ou par l'intermédiaire de témoins les dernières paroles de ceux que la mort va bientôt emporter. Quant à celles de condamnés, il est possible que certaines belles phrases soient couchées dans leurs testaments de mort (qui sont conservés aux Archives départementales de la Haute-Garonne), mais on en trouve aussi dans les mémoires manuscrites de Pierre Barthès (conservées à la Bibliothèque d'Étude et du Patrimoine).
Nous livrons un seul exemple, celui de François Vallier, qui aura bien amusé la galerie ce 6 juillet 1753 juste avant de se balancer au bout d'une corde. Condamné pour le viol d'une enfant dans les Cévènes, il va donc être pendu. Enjoint de monter sur l'échafaud, « ce qu'il fit avec grâce et sans trouble, riant au contraire, et disant au bourreau qui l'attachoit et le regardoit faire : Tu prends bien de[s] précautions ». Le confesseur qui cherche à convertir cet Huguenot goguenard en perd même son latin, Vallier se moque ouvertement de lui, demande à être pendu, puis fait semblant de se raviser et de vouloir parler à la Justice et à Dieu. Il en profite pour se faire servir un goûter. Puis, de guerre lasse, on le ramène à la potence, le prêtre ne « pouvant réussir à l'assujetir à ses exhortations, le bourreau de son côté perdant aussy son temps malgré sa ferveur et son zèle ». C’est là que Vallier s’adresse aux capitouls et leur clame : « Mess[ieu]rs je suis innocent comme l'enfant d’un jour ». L'exécuteur lui dit alors « qu'il alloit le faire sauter. Hé bien sautons, dit-il, et il s'élança luy-même »2.

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1 Le terme de sabler indique une agression avec, soit une peau d'anguille, soit de petits sacs remplis de sable ; une formidable matraque molle si vous préférez.
2 Mémoires manuscrites de Pierre Barthès, "Pendaison singulière et inouïe", entrée du 6 juillet 1753. B.M.T., Ms. 701, p. 46-48.

 

Bons points


novembre 2020
 
 

Durant la Première Guerre mondiale, les dépenses militaires n’en finissaient plus de creuser les finances publiques. Pour remédier à cette situation difficile, l’État fit appel à la population en l’enjoignant à souscrire à l’emprunt national. Le ministère de l’Instruction publique prit part à cette collecte de fonds en éditant des bons points thématiques pour récompenser les élèves les plus méritants.

Le message sous-jacent à ces petits carrés illustrés était simple : « En souscrivant à l’emprunt national, vous soutiendrez l’économie de guerre, sauverez les récoltes et redonnerez de l’espoir à la veuve et l’orphelin ». Rien de moins !

Personnellement, au cours de mon enfance, je n’ai reçu qu’une seule fois un bon point à l’école, mais je ne me rappelle plus pourquoi (à n’en pas douter, j’avais dû bien me comporter en classe ou exceller à la dernière dictée… !). Une chose est sûre : cette fois-ci, le destin de la nation ne s’en est point trouvé changé !

 

[Femme qui poignarde un homme dans son lit], gravure de Caspar Luyken, 1704. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1896-A-19368-2209.

Six d’un coup !


octobre 2020

Tout a commencé en douceur à l’occasion des Journées européennes du Patrimoine, où deux ateliers « Tu ne tueras point… mais tu peux toujours essayer ! » étaient alors proposés pour la première fois au public.
Il s’agissait de travailler ensemble sur les archives d’une procédure criminelle (différente pour chaque atelier) pour cas de meurtre, datant de l’Ancien Régime, et d’en extraire les données utiles pour finalement être en mesure de réunir tous les éléments nécessaires à la création d’une nouvelle entrée dans Meurtres à la carte sur Urban-Hist, et ainsi donner l’opportunité à chacun de pouvoir participer à l'enrichissement de la carte des morts violentes à Toulouse au 18e siècle.
Or, voilà : ces 19 et 20 septembre passés, la demande était telle que nous avons dû refuser du monde, mais en promettant aux malheureux éconduits de rééditer la chose au plus tôt.
Chose promise, chose due : nous sommes en mesure de proposer six nouveaux meurtres pendant les vacances scolaires de la Toussaint, rien que ça. Certes, cela fait une victime de moins que le vaillant petit tailleur du conte des frères Grimm (qui ne chassait que du menu fretin – des mouches, pensez-vous !), mais le menu proposé le ferait certainement pâlir d’envie : Jeanne qui prend son envol pour… s'écraser sur le pavé ; un mari qui poignarde son épouse devant leurs enfants ; un sacré coup de bouteille entre ivrognes au cabaret ; un nourrisson qui sert visiblement de yoyo ; un jeune garçon renversé et écrasé par une charrette rue du Sénéchal ; et enfin un plaisantin qui dépasse les bornes et se retrouve fauché d'un coup de fusil. Voilà en substance ce qui attend les participants lors de ces nouveaux ateliers « Tu ne tueras point… mais tu peux toujours essayer ! ».
Chaque session étant limitée à 9 participants, choisissez votre date et réservez vite vos places au 05 36 25 23 80 ou par mail à l’adresse archives@mairie-toulouse.fr.

 
jeudi 22 octobre

14h00 à 17h30

L'ivresse pour l'éternité un coup assené avec une bouteille se révèle fatal
samedi 24 octobre

9h00 à 12h30

Baby yoyo des maltraitances qui entraînent la mort d'un nourrisson
samedi 24 octobre 14h00 à 17h30 Jeanne s'envoie en l'air une dernière fois saut volontaire ou poussée dans le vide ?
jeudi 29 octobre 14h00 à 17h30 Les charrettes de la mort, roulé sous le fumier tragique accident de la circulation rue du Sénéchal
samedi 31 octobre 9h00 à 12h30 Pierre Ferret, un mari si doux et tranquille un homme sans histoire poignarde sa femme
samedi 31 octobre (complet) 14h00 à 17h30 Mardi-gras : le masque tombe le soir du Mardi-gras, des soldats tirent sur un trublion
[Le chirurgien du village pratiquant une incision à la tête d'un patient]. Gravure de Jan Baptist de Wael, entre 1642 et 1669. Rijksmuseum, Amsterdam, inv n° RP-P-1892-A-17380 (détail).

MAL À LA TÊTE


septembre 2020

C'est parce qu'elle a une amie souffrant de « maux de tête horribles » qu'en 1764, la marquise de Livry, écrivant de Paris, s'enquiert auprès de son amie toulousaine, la présidente Dubourg, « de sçavoir d'un médecin ou chirurgien la façon dont on applique un poumon de mouton sur la teste, et dans quel cas ce remède est salutaire »1.
Remède de bonne-femme ou de grand-mère, pensez-vous ? Que nenni ! Le monde médical toulousain, toujours à la pointe de la recherche, utilise régulièrement ce traitement en cas de traumatisme crânien.
Par exemple dans le cas de Marie Amblard, frappée à la tête d'un violent coup de caillou2 en mai 1753. Après lui avoir fait quatre points de suture, le chirurgien lui prescrit immédiatement la totale, c'est-à-dire une saignée au bras, une à la jugulaire, et une dernière au pied. Mais ce n'est pas tout : un traumatisme crânien étant à craindre, il ordonne l'application d'un poumon de mouton sur la tête de Marie. Las ! Elle décédera tout de même quelque vingt jours plus tard.
D'autres ont le poumon plus heureux. Ainsi, en octobre 1745, le chirurgien et docteur agrégé Bernard Carrière traite Jeanne Boulet, après une agression à « coups de poings et de bûche sur différantes parties de son corps »3, particulièrement à la tête. Si son rapport indique qu'il lui prescrit « une saignée au pied, l'usage du vulnéraire de Suisse intérieurement et de l'eau d'arquebusade extérieurement », on sait qu'il va aussi lui appliquer un poumon de mouton, car les experts nommés deux jours plus tard lui font enlever ce curieux cataplasme. Convaincu de l’efficacité de son traitement, Carrière pratique la même opération trente ans plus tard en soignant un confrère passé à tabac et ainsi décoré de deux belles bosses ayant « le volume d'un œuf de pigeon »4. Il explique : « je l'ai fait saigner au pied tout de suite et lui ai ordonné l'aplication d'un poumon de mouton sur la tête pour prévenir de plus grands accidens ». Avec succès certainement, puisque la victime, le chirurgien Sergeant dit Noël, est rapidement remise sur pied.
En septembre 1755, le chirurgien Bernard Darlès, constatant une tumeur traumatique sur la tête d'Antoine Vigneaux, indique qu'il faut faire des « apliccations propres pour prévenir les acxidants comme le peaumon de mouton sur la teste et les veulnereros intérrieurs et ostres »5.
Terminons ce rapide tour d’horizon de cures contre les traumatismes et maux de tête en juillet de cette même année 1755, où le chirurgien Rivière, appelé au chevet de Marie Dardignac6, cabossée dans une rixe, recommande d'appliquer des compresses imbibées d'eau de vie sur le crâne. Trois jours plus tard, ne voyant pas d'amélioration, il ordonne cette fois l'application... d'un pigeon ! Et par pigeon, il entend un pigeon entier que l'on « applique ouvert encore vivant sur la tête […] pour ouvrir les pores et pour faire transpirer les fuliginosités du cerveau dans les transports excités par la fièvre maligne, pour la phrénésie, pour l'apoplexie & pour la létargie »7.

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1 - 5S 456, lettre du 31 août 1764.
2 - FF 797 (en cours de classement), procédure du 2 mai 1753.
3 - FF 789/6, procédure # 122, du 4 octobre 1745.
4 - FF 819/5, procédure # 099, du 7 juin 1775.
5 - FF 799/7, procédure # 196, du 19 septembre 1755.
6 - FF 799/4, procédure # 126, du 3 juillet 1755.
7 - Voir « Les pigeons de la discorde », Dans les bas-fonds, (n° 35) novembre 2018, page 11, note 38.

Nécessaire à découper et démembrer (pour la chasse et non pour un meurtrier), travail anglais, 1560-1580. Wellcome collection, Science Museum, London. Attribution 4.0 International (CC BY 4.0).

Raymond Bley dans le désordre


juillet-août 2020

Arnaud Julia a fait ses premières armes dans le crime en 1703 lorsque, au moyen d'une fourcade (fourche ou bêche), il fracasse le crâne de son voisin, Bertrand Pessan, dit « Cor de Lion ». Mais, à cette période, Arnaud, s'il avait déjà de l'idée, manquait néanmoins de méthode.
En effet, l'idée de cacher le corps de sa victime dans une fosse timidement creusée, recouverte des branchages d'un mûrier émondé à la hâte au beau milieu de son jardin, c'est une erreur qu'il ne refera plus. Les magistrats découvrent le Cor de Lion en un rien de temps. Pensez !  Il y avait même une main qui dépassait.
Arnaud voyant ainsi le pot aux roses découvert décide de quitter la ville en toute hâte, ce qui est fort avisé de sa part, car un procès lui est fait – par contumace, et il est évidemment condamné et pendu par effigie (c'est-à-dire que le bourreau a pendu au gibet un tableau qui le représente).
Arnaud Julia bat donc la campagne ; on dirait maintenant qu'il a pris le maquis. Que fait-il ? Où erre-t-il ? Nous ne le savons pas. Laisse-t-il une trace sanglante partout où il passe ? C'est possible (il est égorgeur de cochons, de son état).
Après avoir passé quelques années au vert, Arnaud a eu le temps de peaufiner sa méthode. Il réapparaît à Toulouse en 1707, frais comme un bouton de rose : il rentre muni de lettres de grâce octroyées par l'évêque d'Orléans. C'est très pratique : ce crime de 1703 est entièrement pardonné. Il retrouve donc femme et enfants, ses couteaux de tueur de cochon et obtient même un petit emploi à l'hôtel de ville.
Mais, en décembre 1709, le goût du sang est visiblement le plus fort : il lui faut tuer à nouveau, c'était dans l'ordre des choses. Et voilà que l'on retrouve sa seconde victime, Raymond Bley, proprement découpée, et les morceaux dans le désordre le plus complet :
- le 30 décembre, la tête avec le crâne enfoncé, l'œil arraché et le bout du nez coupé, est découverte sur le ramier du moulin du Bazacle ;
- le 28 janvier 1710, son tronc est exhumé, il était caché sous des provins de vigne à la Hubiague près des Trois-Cocus ;
- finalement, le 8 février 1710, une chienne de la métairie du Miraillou (le Mirail du quartier Croix-Daurade) rapporte la main droite de la victime.

À ce jour, le puzzle pour reconstituer le corps entier de Raymond Bley n'est toujours pas complet. Et, si durant l'été il vous vient l'idée de planter des choux dans votre jardin ou de creuser un jacuzzi dans votre cave, de grâce procédez délicatement. Vous pourriez tomber sur les restes d'une main (gauche) ou bien gagner le gros lot en exhumant deux jambes complètes.
Las, il sera maintenant difficile de comparer votre macabre découverte avec les premiers restes de Bley : nul ne sait ce qu'est advenu de sa tête (un temps conservée au greffe de l'hôtel de ville dans une solution alcoolisée), ni de sa main droite. Le tronc quant à lui avait été inhumé au cimetière du Taur (maintenant disparu).

[Le buveur à la pipe]. Gravure hollandaise de Cornelis Danckerts, d'après Adriaen van Ostade, entre 1613 et 1656. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1925-69.

Fumer tue !


juin 2020

En ces temps où la sacro-sainte science ne fait plus recette, chacun se rendant compte qu'il existe peut-être autant de façon d'aborder les sciences qu'il y a de scientifiques - et d'intérêts, nous clamons haut et fort, sans aucune étude à l'appui, que fumer tue !
Comme tous les scientifiques peu scrupuleux (ou les historiens peu scrupuleux – il y en a aussi), nous mettons en avant notre preuve unique : l'affaire Caboue, qui remonte à 1781.
Rappelons d'abord que chez les Caboue, on a la tête dure : en 1742, Antoine Caboue est assommé à coups de soliveau (FF 786/6, procédure # 175, du 13 décembre 1742) et on le relève cabossé et ensanglanté mais finalement sans conséquence fâcheuse. Le point faible des Caboue – leur talon d'Achille – semble être au niveau de la jambe gauche.  Venons-en aux faits : le 12 avril 1781, Jean Bonix, ébéniste natif de Copenhague, s'était mis en tête de fumer la pipe dans son cabaret préféré (FF 825 (en cours de classement), procédure du 13 avril 1781*). Paul Caboue, frère d'Antoine (et, comme lui, maçon de son état), visiblement très en avance sur la réglementation relative au tabac dans les lieux publics, s'avise de faire quelques reproches au danois fumeur, avant de lui arracher la pipe et même de la casser. Les deux hommes sortent pour vider leur querelle et tenter régler ce délicat point de législation en devenir. On ne saura pas exactement comment Caboue fait son affaire, mais dans la rixe qui s'ensuit, il a certainement eu le dessous, car il se retrouve avec la jambe gauche fracturée et va en décéder quinze jours plus tard ! Fumeur passif, Caboue est ainsi mort des méfaits du tabac.


Remarquez, si j'avais voulu déplaire ou aller à contre-courant des grandes vérités médicales et scientifiques sur les dangers du tabac, j'aurais pu utiliser à ma convenance le cas de Jean-Pierre Piquemal qui, en 1766, est sujet à des « tournements de tête » à tel point qu'il « extravague ». Les douleurs sont telles qu'il tente même de se jeter dans la Garonne pour en finir. Heureusement, il peut trouver un peu de soulagement dans le tabac, seule médication capable d'apaiser ses maux (FF810/6, procédure # 117, du 29 juillet 1766).

* Certes, la procédure n'est pas encore classée ni disponible dans nos fonds, mais vous pouvez toujours aller la lire aux Archives départementales de la Haute Garonne ; une copie du dossier ayant en effet été transmise au parlement lors du jugement de Bonix en appel – condamné à la pendaison, il obtiendra toutefois des lettres de grâce du Roi.

Page de garde du livre VI des Annales manuscrites, 1618-1633. Mairie de Toulouse, Archives municipales, BB278.

Prendre son pied avec les Annales


mai 2020

Certains ont vu dans le confinement l'opportunité de reprendre des lectures mises de côté ou sans cesse repoussées par manque de temps. Le Décaméron me semblait fort judicieux, tout comme la trilogie du « Hussard »*. Mais voilà, en cinquante jours ou plus, on (re)devient insatiable : Boccace ou Giono sont vite croqués et ne suffisent plus.
Restait un morceau de choix que l'on aurait presque oublié : les onze volumes des Annales manuscrites des capitouls (oui, on vous a toujours seriné qu'il y en avait douze, mais le premier a été saccagé – il a toutefois été partiellement reconstitué par notre ancien directeur).
Dans les Annales, cette succession de chroniques manuscrites depuis la fin du 13e siècle jusqu'en 1787, tout le monde trouve son bonheur. En matière d'écriture, si les chroniques écrites par Guillaume de La Perrière sont un chef-d'œuvre d'éloquence – quoique truffées de digressions et d'histoires antiques que rares sont capables de connaître sans avoir recours à Internet. En revanche, certaines, plus tardives, ont été bâclées et leurs auteurs devraient en rougir de honte du fond de leur tombeau. Quant à celles de la fin du 18e siècle, elles perdent en spontanéité et deviennent de moins en moins digestes.
Alors, pour en revenir à la thématique d'Arcanes de ce mois-ci, les Annales font défiler des pieds de tous formats et de toutes les couleurs : depuis la chronique rimée de 1681 par Germain de Lafaille en vers de 12 pieds (vues 221 et suivantes), jusqu'aux capitouls qui se prosternent perpétuellement aux pieds du roi (plus souvent en paroles qu'en réalité, il est vrai), tout ne semble être plus que pied(s).
Mais les pieds qui nous ont le plus frappé sont indéniablement ceux de saint Edmond, roi d'Angleterre, qui, à défaut d'être précisément mignons, sont particulièrement bien décrits dans la chronique de 1644 et reposent parmi les corps saints du trésor de la basilique Saint-Sernin.


Bien entendu, si vous vénérez saint Castor, il vous faudra plutôt lire les pages suivantes, mais si vous ne jurez que par saint Thomas, vous pouvez toujours lire la chronique de l'année 1587 et y compter les ossements du dominicain.

* J'en connais même une qui est en train de lire les 21 volumes (pas un de moins) de l'ouvrage Le Consulat et l'Empire d'Adolphe Thiers. Autant vous dire qu'elle ne sera pas déconfinée d'ici demain.

[Évasion de la comtesse d'Aubigny de sa prison de Londres en 1643]. Gravure de Jan Luyken, publiée chez Pieter van der Aa, Leiden-Amsterdam, 1698. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1896-A-19368-1464.

Jouer les filles de l’air


avril 2020

Voilà, la première journée d'étude sur la justice capitulaire n'a pas eu lieu – du moins, pas encore… –  ; elle devait traiter des pratiques de la justice et des espaces du crime, mais ça, vous le saviez déjà. Ce que vous ignoriez encore est que l'an prochain, à pareille date, dev(r)ait se tenir une deuxième journée d'étude organisée par les Archives de Toulouse, toujours sur la justice capitulaire, mais qui aborderait cette fois la double thématique de l'arrestation et de l'enfermement.
Bon, qui vivra verra, et nous verrons bien ce qu'il adviendra de ce projet.

En attendant, aux Archives, l'enfermement sous l'Ancien Régime a déjà été traité – de manière très détournée, dans un dossier des Bas-Fonds (« La grande évasion », n° 33, septembre 2018), où, comme le titre l'indique, il est exclusivement question d'évasions des prisons.
Et ce n'est pas tout : l'évasion a de beaux jours devant elle, puisque deux étudiantes en histoire, Darcey à l'université de Durham (cherchez sur la carte d'Angleterre, en haut – non, plus haut encore) et Anaëlle à celle de Toulouse, poursuivent chacune des recherches approfondies sur le sujet et doivent, à l'heure qu'il est, être en pleine rédaction de leur mémoire de master.

Pourquoi un tel engouement pour les filles de l'air ?
Peut-être parce que Toulouse, ville de brique, n'a que des prisons de broc et qu'il est si facile de s'en échapper. Non pas que les serrures y soient moins solides qu'ailleurs, mais ce sont les murs qui se trouvent être plutôt … poreux.
Pensez, l'évasion la plus rapide qu'il nous ait été donné de trouver s'est faite en moins d'une heure ! Oui, vous avez bien lu, moins d'une heure pour percer le mur et retourner gambader dans de vertes prairies. Ça laisse songeur.
Ah, quelle aubaine pour certains criminels que Toulouse n'ait pas été construite en pierre !
Comme le sujet est loin d'être clos, ceux qui sont curieux de pénétrer dans les anciennes prisons de l'hôtel de ville pourront toujours le faire à distance. En effet, parmi les nouvelles (res)sources proposées en ligne depuis le confinement, vous trouverez deux procédures de 1785 : "Il avoit aussi mauvaise mine que la porte du Châtelet de Paris" et "L'agité des prisons" qui exauceront vos vœux de voyage virtuel dans le temps et, si vous retrouver ainsi enfermés dans les geôles ne convenait pas finalement pas, il n'y aurait qu'à appuyer sur la touche « ECHAP » en haut à gauche de votre clavier pour recouvrer votre liberté.

Cachet d'une lettre de la marquise de Livry au président Dubourg, mai 1784. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 5S457

Pile solaire


mars 2020

De quoi peuvent donc deviser deux dames de la haute société du 18e siècle lorsqu’elles échangent une correspondance soutenue pendant près de trente ans entre l’une à Paris (et à Soisy, l’été), et l’autre à Toulouse ?
De chiffons, oui. On se tient au courant des modes en vogue à la cour ou à la capitale, on s’échange des techniques de broderie, de couture. De cuisine, aussi, et autant vous dire que les canards engraissés « à la toulousaine » font fureur à Paris. De jardinage, bien entendu, avec des plantes nouvelles qui font fureur ou que l’on trouve simplement belles. Les cancans de Paris, Versailles ou de Toulouse n’y manquent pas, depuis le mariage espéré de telle fille de famille, les incartades de tel(le) autre, les grossesses et les accouchements, la fistule du marquis de N… et les maux d’estomac de Mlle N… que les purges ne suffisent pas à apaiser.
De telles informations, qui ne doivent guère surprendre entre deux amies d’enfance éloignées de deux cents lieues, sont le liant nécessaire de toute correspondance épistolaire.
En revanche, on doit accorder que ces deux dames affichent un intérêt marqué pour les arts : les pièces de théâtre en vogue sont, non seulement, décrites, mais encore critiquées, comme les ouvrages des philosophes ou des pamphlétaires.
Les avancées de la médecine éveillent aussi leur curiosité, particulièrement les voies parallèles comme le mesmérisme. Pour compléter le tableau, ces dames suivent avec intérêt les expériences des premiers ballons aérostatiques et ne se lassent pas d’en commenter les applications possibles. Et voilà même que madame Dubourg, la Toulousaine, parle à son amie d’une pile solaire, cette « découverte qui a été faite pour conserver la chaleur du soleil ».
Comme quoi, les femmes et leur intérêt pour la culture scientifique ne datent pas d’hier. Il y a même fort à parier que mesdames de Livry et Dubourg ont elles-mêmes participé ou fait des expériences, mais cela on ne le découvrira qu’en lisant l’intégralité de leur correspondance.
À cet effet, 446 lettres écrites entre 1774 et 1782 ont été rendues disponibles sur notre base de données en ligne. Et ce n’est qu’un début, car la correspondance échangée entre 1763 et 1773 devrait être numérisée l’an prochain.

Visuel pour l'accès à "Meurtres à la Carte" à partir du portail d'UrbanHist, femme poignardant un homme dans son lit, gravure de Caspar Luyken, 1704. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1896-A-19368-2209.

Tant s’en faut


février 2020

Certains de nos lecteurs le savent déjà, quelques-uns en sont même devenus des utilisateurs passionnés, d'autres n'ont jusqu'à présent entendu qu'une sourde rumeur bien inquiétante.
Oui, la carte de Toulouse sur UrbanHist a vu éclore depuis septembre dernier de mystérieuses icônes en forme de tête de mort qui la parsèment au gré des… meurtres !
Donc, cette nouveauté – Meurtres à la carte est son nom – se présente comme une couche cartographique interactive et interrogeable où l'on replace les lieux des meurtres ou de découverte de corps morts dans des circonstances suspectes.
Et si, parmi vous, certains ont de secrets inavouables et sanglants sur la conscience, il n'y a nulle sueur froide à avoir : nous ne nous intéressons qu'au crime entre 1670 et 1790 (pas qu'on ait les idées étroites, mais il faut se limiter aux sources disponibles de nos fonds).
Il y avait 59 meurtres pour commencer, 62 à ce jour, et ce n'est pas fini, tant s'en faut !
Les étudiants de master d'histoire du droit de l'université Toulouse-I – Capitole et ceux d'histoire de l'université Toulouse-2 – Jean-Jaurès travaillent pour vous, main dans la main avec les Archives, et exhument des fonds de la justice criminelle des capitouls les prochaines affaires de meurtres qui viendront s'ajouter à celles déjà référencées.

Alors, suivez-nous et plongez dans le crime.

"Samson s'approcha de Mme de la Motte et lui imprima un fer rouge sur la peau". gravure sur bois (détail), s.d., Bibliothèque Inter-Universitaire Santé, Paris-Descartes, réf : CISB0591.

À fleur de peau


janvier 2020

Si les tatouages les plus divers ont le vent en poupe depuis quelques années, il fut un temps où les marques sur la peau se portaient aussi – mais elles étaient toutefois réservées à une sorte d'élite : les criminels condamnés.
Généralement placées sur l'épaule droite, ces marques apposées au fer rouge par le bourreau (ce qui est autrement plus douloureux que l'aiguille d'un tatoueur) n'étaient guère variées : seule la fleur de lys venait orner les épaules des voleurs et autres malfrats.
Puis, la palette de cette marque d'infamie s'est élargie et, en 1738, fleurissaient désormais des V, des GAL et des W, quelquefois encore des M (pour cette dernière lettre, nous ne savons toujours pas si la marque était vraiment au fer rouge).
Marque indélébile ? Pas nécessairement, puisque l'on s'ingéniait à masquer, brouiller, voire enlever complètement ces marques, au prix de douleurs inconcevables et au péril d'infections aussi diverses que fatales.

Le fonds d'archives de la justice criminelle des capitouls offre un large éventail de cas, tant de coupables condamnés à la marque, que de rapports d'expertises d'épaules de suspects, jusques là même aux ratées du bourreau, et deux dossiers spéciaux des Bas-Fonds publiés en 2016 (« La marque de l'infamie » – n° 02) et 2017 (« Couvrez cette marque que je ne saurais voir » – n° 17) invitent les chercheurs à explorer plus avant les thématiques et problématiques liées à la marque de l'infamie.

Exemplaire vierge d'un diplôme du conservatoire municipal de Toulouse. Concours international de Musique. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 20Fi1195.

La, la, la, la, laaaaa…


décembre 2019
Ce rapide billet pour vous faire part, à l'occasion de la prochaine célébration du bicentenaire du Conservatoire régional de Toulouse (1820-2020), de la numérisation de l'ensemble des palmarès de l'Ecole. Cette opération d'envergure (dix registres, soit 4459 pages), actuellement en cours de réalisation, devrait être mise en ligne en début d'année prochaine. Elle viendra compléter les registres déjà numérisés au cours d'une précédente campagne ( 1R618, 1R619, 1R620, 1R621 et 1R622) et facilitera l'accès aux résultats des élèves de 1821 à 1979.
A S.A. Mohammed [sic] el Habib, Bey de Tunis et à M. Lucien Saint, résident de France, Toulouse a ménagé un accueil enthousiaste et franchement sympathique (1923). Marius Bergé - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi147.

Aboutissement


novembre 2019

Autant vous le dire tout de suite : le traitement des reportages photographiques du publiciste toulousain, Marius Bergé (1874-1959) – journaliste pour Le Télégramme, L'Express du Midi, Le Bulletin municipal, fondateur du Cri et de La Gazette de Toulouse – m'a occupée un bon bout de temps ! Plusieurs semaines en effet m'ont été nécessaires pour mener à bout la description et l'analyse de chacune de ces 1 900 plaques de verre documentant la vie toulousaine de l'entre-deux-guerres. Des semaines entières passées à parcourir et éplucher la presse de l'époque pour contextualiser ces photographies et retrouver les articles dont elles étaient souvent l'illustration. Un travail d'enquête immersif qui m'a permis d'identifier les lieux, les événements représentés, et d'exhumer parfois certains pans et personnalités de l'histoire locale, de la fin du premier conflit mondial à l'avènement du Front populaire.
Un traitement passionnant, dont l'aboutissement a été la conception d'un plan de classement permettant à chacun, selon ses envies et axes de recherches, d'accéder au fonds et de le prendre ainsi par le bout qu'il souhaite !
Cher Marius Bergé, cela a été un honneur et un plaisir non dissimulé que de passer ce bout de temps en compagnie de vos photographies que les lecteurs d'« Arcanes » peuvent désormais découvrir en suivant ce lien…

Homme poignardé dans son lit. Gravure de Caspar Luyken, 1704. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1896-A-19368-2209.

L'été meurTRIer


octobre 2019

À quoi avons-nous passé l'été, loin des plages bondées et des terrasses de cafés ombragées ?
À nous plonger dans les dossiers de procédures criminelles des capitouls pour trier, sélectionner et compiler un bel ensemble de meurtres de toute facture, de noyades accidentelles (ou quelquefois aidées par une main meurtrière), d'accidents de la circulation et de mises à plat fatales causés par des carrosses filants, des charrois pesants ou des chevaux emballés.

Voilà ! Tout ceci est désormais placé sur une carte interactive (on va dire un SIG, depuis le temps, vous le savez), sur UrbanHist pour être plus précis.
Là, sur cette nouvelle couche au nom évocateur de « Meurtres à la carte », chaque point signale et ouvre sur une fiche d'information, succincte sur la version grand public d'UrbanHist, ou extrêmement détaillée sur UrbanHist+. Cette dernière livre, en prime, les transcriptions intégrales des pièces majeures de la procédure, et un moteur de recherche. Ça fait rêver ou saliver.

Seulement 59 meurtres entre 1670 et 1790, c'est tout ?
Que nenni ! Chaque mois, de nouvelles affaires vont venir enrichir la base. Ainsi, 15 cas de morts suspectes ou accidentelles sont en préparation et devraient vous être servis incontinent.
De plus, le classement progressif des procédures criminelles (pour l'année 2019-2020, la décennie 1750 sera livrée dans son intégralité) nous promet la découverte de nouveaux crimes qui viendront peu à peu s'ajouter à ceux déjà référencés.

P.-S. en passant, si parmi vous se trouve un légiste (assermenté ou pas) disposé à donner un peu de son temps, nous sommes preneurs.

Délibération n° 228 du conseil municipal du 13 décembre 2002 (extrait). Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1217W49, vue 453.

Sceaux et usage de sceaux


septembre 2019

« SIGILLUM NOBILIS CAPITOLII TOLOSANI » : voilà ce que l'on peut lire sur le sceau qui clôt chaque délibération publiée par le conseil municipal de la mairie de Toulouse (comprendre, pour les non-latinistes : « Sceau du noble Capitole toulousain »).
Le sceau officiel de la ville est composé de cette devise encadrant ces célèbres armoiries, si connues des toulousains (un agneau nimbé, portant la croix de Toulouse en bannière, avec en arrière-plan le château Narbonnais et la basilique Saint-Sernin).

 

 

Loin d'être réservé à d'antiques parchemins, l'usage des sceaux est toujours d'actualité de nos jours. L'authenticité des délibérations étant garantie par un certain formalisme, la présence conjointe de la signature du maire, ou de l'un de ses représentants, et de la marque du sceau officiel de la ville, constituent un signe important de validation de ces documents officiels.

Quant à la délibération choisie pour illustrer ce billet, il semble que deux sceaux aient été nécessaires plutôt qu'un !

CARTULAIRES. Compilation générale des privilèges de la ville et de nombreux titres des archives, exécutée par ordre des capitouls de l'année 1539-1540, connue sous le nom de "Vidimé du Livre Blanc", Cartulaire de Jean Balard (1540). 1152-1539. Registre parchemin, 885 feuillets (vue 31). Ville de Toulouse, Archives municipales, AA5.

Préceptes centenaires


juillet 2019
Une chose est sûre, à Toulouse, la préservation des archives, c'est de l'histoire ancienne ! Il y a cinq cents ans, nos élus de l'époque, les capitouls, s'alarmaient de l'état déplorable de leur dépôt d'archives. Certes, la tour des Archives est à l'abri des effractions derrière son épaisse porte en fer aux serrures alambiquées, mais le bâtiment est tout bonnement insalubre. Les titres et privilèges de la ville sont rongés par les rats ou gâtés par l'humidité, et les sceaux chargés de les authentifier tombent en morceaux.
Les capitouls décident alors de prendre des mesures pour remédier à cette situation. Une nouvelle tour est construite (l'actuel Donjon du Capitole, qui accueille aujourd'hui l'office de Tourisme). Les documents y sont entreposés sur des supports adaptés : étagères, râteliers et coffres fermés à clés pour les pièces les plus précieuses. Les versements et les prêts sont consignés dans un répertoire, et le dépôt est visité une à deux fois par an par les membres du corps capitulaire. Vous retrouverez les prémices de cette prise de conscience archivistique toulousaine dans le cartulaire de Jean Balard, aux vues 31 et 32.
Le Minotaure. Cliché de P. Jacquelin, 2019. Mairie de Toulouse, Archives municipales.

L'envol des Géants


juin 2019
La piste des géants a pris son envol en fin d'année 2018 à Montaudran. Les créatures de la Compagnie La Machine ont été installées dans leur halle, et l'opéra Le Gardien du Temple a été joué dans les rues de Toulouse début novembre 2018.
Comme suite à la fermeture de l'Espace Croix-Baragnon à l'été 2018, les Archives municipales ont pris en charge et traité les archives conservées dans ce lieu de culture. Dans le fonds d'archives de la direction Recherche et Développement culture, se trouvent des dossiers sur le décollage du projet, de la construction de la Halle de la Machine à l'organisation de l'opéra qui a dévoilé le Minotaure. Il faudra encore un peu de patience pour découvrir le contenu du versement 1272W, actuellement en cours de classement et mis à la disposition du public en fin d'année 2019. En attendant, quelques pièces sur cette aventure sont consultables dans le versement d'archives de l'ancien directeur général des affaires culturelles, M. Jean-Louis Sautreau ( versement 1209W).
Construction du pont de Pinsaguel, XIXe s. Ville de Toulouse, Archives municipales, cote 1Z191.

Édile et poète à la fois


mai 2019

Il fut un temps où l'inauguration d'un pont, ouvrage d'art par excellence, donnait des envies d'envolées lyriques à nos hommes politiques. « Il suffit de passer le pont, c'est tout de suite l'aventure », disait l'un de nos poètes contemporains. C'est ce que dut penser le président Cazes lors de l'inauguration du pont qui enjambe la Garonne, reliant Pinsaguel à Portet-sur-Garonne.

Par deux fois, la fureur du fleuve fut fatale à ce pont construit par l'ingénieur Berdoulat en 1826, tout d'abord lors des crues de 1835 qui détruisirent trois arches en brique de la rive gauche. Reconstruites en 1838, elles subirent à nouveau le débordement du fleuve en 1875 qui anéantit le village de Pinsaguel, à l'exception de l'église Saint-Pierre. Les arches manquantes furent remplacées par un tablier métallique continu, de type Eiffel, ce qui donna un air curieux à ce pont réalisé pour moitié en maçonnerie et en métal. 

Ciel mon Zénith !


avril 2019
 

À Toulouse, si vous cherchez le zénith, vous le trouverez non seulement au-dessus de votre tête, mais aussi sur le plancher des vaches dans le quartier des Arènes ! Inauguré en 1999 et d'une capacité de 11000 personnes, le Zénith de Toulouse est l'une des plus importantes salle de spectacle de France. Grâce aux reportages photos de la mairie de Toulouse, vous pouvez admirer les différentes phases de construction de cet étonnant bâtiment aux allures de « soucoupe volante » !

 

 

 

 

 

Livre des proprietés des choses Barthélemy l'Anglais, traduit du latin par Jean Corbichon (1401-1425). Bibliothèque nationale de France. Département des manuscrits. Français 9141 (détail du feuillet 171 v°, enluminure réalisée par le maître de Boucicaut).

Jeune et jolie


mars 2019

Les procédures criminelles des capitouls nous entraînent dans un monde où les langues se délient, où les gestes et pratiques des uns sont scrutés par les autres.
À l'évidence, lorsque la voisine est jeune et jolie, les locataires du dessus, du dessous ou d'en face rivalisent de contorsions ou de subterfuges (pas toujours très discrets) afin de tenter d'apercevoir un bout de gambette, voire plus lorsque la chance leur sourit. D'autres se contentent d'écouter aux portes.
Lors de procès pour prostitution ou maquerellage, ceux qui viennent témoigner n'hésitent pas à se vanter d'avoir épié cette voisine « fort jolie et fort dégourdie » depuis leur fenêtre ou à travers les fentes et trous des cloisons ou du plancher. D'autres accordent même volontiers avoir eux-même ménagé ces observatoires de fortune en soulevant un carreau ou en creusant un œilleton.
Le sculpteur Loubeau n'est pas en reste, puisque par un trou du plancher il assiste aux ébats de sa... sœur !
« Par le trou de la serrure », le dernier dossier téléchargeable des Bas-Fonds fera peut-être le bonheur des voyeurs, mais que l'on se rassure : les scènes les plus torrides ont été sagement laissées dans les procédures et il faudra donc venir les consulter sur les documents originaux en salle de lecture.

Un petit conseil tout de même, essayez de rester discrets ou il pourrait vous en cuire comme à Hugues Larivière qui, en 1762, croyant surprendre l'intimité des soeurs Dupuy s'est fait attraper la main dans le sac (plutôt l'œil collé à la serrure) et vertement tancer en ces termes « F... vieillard si nous pouvions te jetter dans l'eau nous t'empêcherions bien de nous regarder ! »

Détail papier à entête du Grand Hotel Tivollier. Ville de Toulouse, Archives municipales, 1Z625/2.

Tivollier, l’empereur toulousain du pâté de foie gras !


février 2019
Menu du 18 février 1911 signé Henriot. Ville de Toulouse, Archives municipales,1Z264/1/.Difficile à Toulouse d'évoquer le gras sans parler du canard et plus particulièrement de foie gras, tradition culinaire ancrée dans notre région depuis des lustres. Déjà les capitouls, le 28 décembre 1788, se délectaient de cinq foies de canard servis avec un ragoût. Le « pâté de foy » de canard était un mets réservé aux personnes aisées et/ou aux grandes occasions. Grâce à la capacité de voyage des pâtés, surtout à la saison froide, ce foie gras jouissait d'une renommée qui s'étendait à toute l'Europe.  
À Toulouse, depuis Pâques 1858, le foie gras est synonyme de « maison Tivollier » avec son célèbre « pâté Tivollier ». Médailles et récompenses consacrent la réputation planétaire du « Pâté Tivollier » : Paris, Philadelphie, Londres, Liverpool, Moscou, Vienne, Chicago, etc. « Le pâté Tivollier » est incontournable et trouve place dans tous les menus, au milieu d'autres plats loin de répondre à nos préoccupations actuelles de santé puisque, à l'époque, le menu était une succession de mets et non pas un choix. Le temps passé à table lors des repas festifs était fort long.
Après avoir été préparé en sauce, en croûte, au sel, ou au torchon, aujourd'hui, modernité oblige, on peut même utiliser le micro-ondes et le congélateur.
Café - restaurant, 15 place du Président-Wilson. 3 février 1913. Plan d'ensemble de la terrasse du grand café restaurant Lafayette avec le personnel posant devant. Mention sur l'image: "Baron G. Duquesne, 3-2-1913". Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi1107.

De comptoir en comptoir


janvier 2019

Grâce aux photos que nous conservons précieusement aux Archives, vous pourrez voyager dans le temps, flâner de comptoir en comptoir, pour vous imbiber de l'ambiance des cafés de l'époque. Immersion totale des années folles jusqu'aux années sixties pour les amoureux de ces époques.
Devinez ainsi les conversations de ce groupe de badauds assis en terrasse  dégustant leur verre de vin au début du 20e siècle. Imaginez l'ambiance des années folles dans la grande salle du café-bar du Dix-Avril, à la manière des scènes décrites par l'écrivain américain Francis Scott Fitzgerald dans son livre Gatsby le Magnifique. Enfin, transportez-vous dans les années sixties, avec le snack des Nouvelles galeries dont le design du comptoir, des chaises et de l'éclairage, aux lignes pures et sobres, est inspiré de la mode américaine. Ce voyage spatio-temporel prend fin, à vous chers lecteurs de le prolonger à souhait.

Récit de carrière de Nicole Roux-Loupiac et Jean-Philippe Loupiac, architectes, Atelier 13 à Toulouse (1966-2017) : vidéo de présentation. Arrêt sur image. Nicole Roux-Loupiac et Jean-Philippe Loupiac (Atelier 13) / Annaëlle Guérin (Agence Bird) - Ville de Toulouse, Archives municipales, 3Num33.

Quand les archives donnent de la voix…


décembre 2018

Saviez-vous que nous comptons parmi nos collections des archives audiovisuelles ? Et saviez-vous que, parmi celles-ci, nous conservons également la parole de plusieurs témoins du XXe siècle toulousain ?

Recueillis par des professionnels lors de campagnes ciblées, auprès de personnes choisies pour le rôle qu'elles ont tenu dans les événements relatés, ces récits, le plus souvent filmés, apportent des informations que même le plus complet des dossiers administratifs ne peut laisser entrevoir : un côté sensible, palpable, « humain ».

Quatre thématiques ont jusqu'ici fait l'objet d'une collecte de témoignages :
• la restauration du couvent des Jacobins,
• le travail des architectes de l'Atelier 13, • l'ancienne usine papetière JOB,
• l'œuvre des photographes Jean Dieuzaide et André Cros.

Les enregistrements qui en sont issus sont librement accessibles en ligne et mis à disposition du public, dans le respect de quelques règles de réutilisation.

Alors, si vous ne supportez plus les films de Noël, tenez bon : vous savez désormais qu'il existe une alternative...

Portrait d'Émilienne Gosse posant à l'avant d'un canot sur la Seine à Courbevoie, 7 septembre 1917, négatif N et B stéréoscopique. Raoul Berthelé - Ville de Toulouse, Archives municipales, 49Fi1189 (détail).

Sans voix


décembre 2018

Il en est un qui n'a pas voix au chapitre au sein de la rédaction d'Arcanes. « Trop déprimant ! », s'entend-il répondre à chaque proposition d'article.
Pauvre de lui ; torturé depuis son enfance par des clowns faussement gais, des cirques miteux, des trapézistes rampants et des numéros d'écuyères sur de poussifs poneys, il porte cette indélébile blessure et traîne son mal ; il cherche sa voie dans une thérapie fort peu académique : l'image du moi(s) qu'il présente régulièrement sur le site des Archives.
Rejeté par Arcanes, contraint à faire cavalier seul, P... (nous pourrions aussi l'appeler Z...) nous offre depuis 2013 des billets d'humeur mensuels (mensuelle conviendrait aussi bien) autour d'une image forte conservée dans les collections des Archives. Au fil des mois, des années, nous avons pu mesurer l'océan infini de sa déprime devant les gens heureux, les vélos, les enfants, les walkman, les ados, les mobylettes, les post-ados, les quarantenaires en trottinette, les vieux-beaux gominés, sans oublier cette profonde aversion pour les clowns en tout genre.

L'écriture comme catharsis. Nul ne saurait dire si sa thérapie marche, mais, finalement, il faut avouer que l'on s'en moque : s'il écrit, c'est avant tout pour notre plus grand plaisir.

Le pastel. Gros plan sur les graines. 40 × 30 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 3Fi260 (détail).

En avoir un grain…


octobre 2018

C'est finalement drôlement cathartique de rédiger tous les mois un petit billet dans la lettre d'informations des Archives. En dépit des figures imposées, cela nous donne ainsi l'occasion de vous rouler (gentiment) dans la farine… tout en séparant le bon grain de l'ivraie. Car même si nous sommes parfois pris d'un petit grain de folie, nous nous efforçons toujours d'apporter une information fiable et (nous l'espérons) utile à votre moulin.

Mais revenons-en à la spécialité du jour : figurez-vous qu'il existe, dans le thésaurus de la bibliothèque, une entrée « Boulangerie », qui vous permet de consulter, d'un côté les notices des ouvrages indexés, et de l'autre, celles des articles de presse répertoriés. Toutes nos collections d'imprimés pertinentes accessibles en un seul clic !

Et si vous poussez un peu plus avant vos investigations, vous découvrirez que certains articles sont désormais lisibles depuis votre écran (en cliquant sur le contenu du champ Documents associés), sans même avoir à quitter votre chez vous… car si, en 1930, les boulangeries doivent fermer le dimanche sur décision du préfet, nos ressources numérisées sont, quant à elles, toujours disponibles.

Jeune fille transportant du pain, années 1960, fonds Ribière. Ville de Toulouse, Archives municipales, 41Fi359.

De la multiplication des pains...


octobre 2018

Il en est question dans les arrêtés municipaux réglementant l'établissement de la taxe et la vente du pain à la fin des années 1930 à Toulouse. Les temps sont durs, la guerre est à nos portes, et l'on ne rigole plus sur le prix du pain.

En 1939, finit les pains dits « de luxe » (ils n'étaient pas dorés à l'or fin, mais seulement faits sur commande avec de la farine de qualité supérieure, dite « de force » ou « de gruau »). En ces temps de restriction, la règle est aux pains dits de « consommation courante » et pour ce pain de tous les jours, la police administrative veille attentivement à ce qu'aucune farine gâtée ou avariée n'entre dans sa composition.

Toute règle ayant son exception, il reste possible, moyennant quelques centimes de francs supplémentaires, d'égayer sa table avec des pains « de fantaisie », des flûtes parisiennes ou des petits pains en forme de brioche ou de pistolet.

Sur le chemin du Do


septembre 2018
 

Depuis près de deux siècles, nombreux sont les jeunes Toulousains à être partis à la recherche de l'accord parfait sur les bancs du Conservatoire. Depuis 1820, cette institution dispense à la fois des enseignements de musique, de chorégraphie et d'art dramatique.

Bien que cet établissement soit désormais à rayonnement régional, ses archives historiques sont conservées aux Archives municipales de Toulouse. Vous pourrez, en ligne ou dans notre salle de lecture, parcourir au choix les palmarès des élèves, admirer les ornements de leurs diplômes et découvrir en images l'histoire du Conservatoire à rayonnement régional de Toulouse.

 

 

 

Archives municipales, 2 rue des Archives. 29 juillet 2016. Magasin de la bibliothèque. Collection du Journal officiel de la République française (PO16). Stéphanie Renard - Ville de Toulouse, Archives municipales, 4Num13 (vue 61).

Être bibliothécaire, ou comment veiller à toujours en avoir plein le dos...


septembre 2018
Rassurez-vous tout de suite : ceci ne sera pas une longue tirade sur la solitude du rat de bibliothèque, ni même un exposé circonstancié à la manière du monologue d'Hamlet… Non, je vais vous parler des livres, de leur structure, de leurs « habits » ; bref, de la reliure.

Tout comme on parlerait d'un petit animal, le livre possède une tête, une queue et… un dos. Il s'agit de la partie opposée à la gouttière, qui est elle-même la tranche qui n'est ni en haut ni en bas. Formé par le fond des cahiers, c'est-à-dire par la partie pliée des feuilles qui le composent, il peut, dans le cas des ouvrages anciens, posséder des nerfs, être complété par un « faux dos » et même être ornementé, grâce à la dorure ou l'estampage à froid.

Évidemment, les plus beaux dos de la bibliothèque appartiennent aux collections de la Réserve. Ce sont également les plus fragiles. Il faut donc veiller à les manipuler avec précaution (en évitant d'appuyer pour forcer l'ouverture) et lutter contre ses instincts (ne jamais attraper un livre par sa coiffe).
Vous voilà désormais avertis et prêts à consulter nos trésors. Ne reste plus qu'à les trouver !
L'Alouette, la meilleure lieuse du monde. Fabriquée par les usines Amouroux Frères, Toulouse. Pont-Neuf et place Saint-Étienne. Vers 1900. Carte postale illustrée, 14 × 9 cm. B. Sirven, imprimeur-éditeur - Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi4096.

Et la tête, alouette !


juillet - août 2018

Alors, voilà : ne sachant pas par où commencer la rédaction de cet article, j'ai décidé de revenir aux fondamentaux. Étymologie, quand tu nous tiens...

Caput, itis, n. : tête ; personne entière ; vie, existence ; personnage principal ; chef ; partie principale, capitale.

Merci Félix ! Grâce à toi, nos lecteurs ont ainsi l'occasion de découvrir notre magnifique collection de dictionnaires latin-français, ô combien capitale dans notre catalogue, et je sais qu'ils apprécieront...
On aurait pu aussi évoquer la bibliothécaire, la personne entière responsable des collections bibliographiques, mais je crois qu'il vaut mieux s'abstenir et garder une part de mystère… Avec un tel personnage principal, la saga de l'été risquerait de vous faire opiner du chef plus que de raison...

Nous reste donc la tête. Pensante ou chercheuse, de mort ou d'affiche, la perdre n'est jamais bon signe, si tant est qu'on tienne à la vie… Mais arrêtons-là avec ces pensées négatives : tâchons de passer un bel été (pourquoi pas à Toulouse ou dans un champ de blé ?) et forgeons-nous de beaux souvenirs, à conserver précieusement dans un coin de notre tête...

Affiche de propagande anti franquiste représentant un poing rouge terrassant un homme vert en costume.Crédit en bas à gauche : "Altavoz el frente. Informacion y propaganda para el pueblo en armas. Servicio de Mundo Obrero [Haut-parleur du front. Information et propagande pour le peuple en armes. Service de Mundo Obrero] - Ville de Toulouse, Archives municipales, 11Fi38.

Toulouse, capitale de l'exil républicain espagnol


juillet - août 2018

Dès 1939 et durant plusieurs décennies, notre ville a joué un rôle fondamental dans la continuation du fonctionnement des institutions politiques et culturelles de l'Espagne, pays ami et voisin, soumis à la dictature.

En janvier 1939, la chute de Barcelone sonne le glas de la république espagnole et l'exil pour des centaines de milliers de républicains. Durant la seconde guerre mondiale, les exilés espagnols s'organisent : propagande, réseau clandestin, résistance, guérilleros. A la fin du conflit, nombre d'entre eux comprennent que l'exil va s'installer dans le temps.

Dès septembre 1944, salle du Sénéchal, se tient le premier congrès en exil du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol). Les organisations politiques et syndicales telles que le PSOE, la UGT (Union Générale des Travailleurs) installent leur siège social à Toulouse et tiennent régulièrement des congrès rue Pargaminières dans le cloître des Jacobins ou rue du Taur, rue de Rémusat. La CNT (confédération nationale du travail) quant à elle, élit domicile rue de Belfort. Les journaux CNT, El Socialista, Ruta, Mondo Obrero sont imprimés à Toulouse. Peu à peu, les espagnols s'intègrent à la communauté toulousaine par le travail et l'éducation tout en maintenant une cohésion identitaire par de nombreux rassemblements culturels avec la création du Casal Catala en 1944, la 1re exposition intitulée « L'art espagnol en exil » en 1947 et l'Ateneo Espanol en 1959.

Aujourd'hui plusieurs associations perpétuent la mémoire de cet exil. De nombreuses manifestations culturelles et festives dont Cinespaña, « Toulouse Espagnole » réunissent les descendants de ces exilés, du temps où Toulouse était capitale de l'exil républicain espagnol. 

Être verni au musée


juin 2018
 

Eh oui, au musée des Augustins, il n'y a pas que les tableaux qui sont vernis !

Jean Escudier, gardien chef au musée des Augustins, en tient lui aussi une bonne couche lorsqu'il gagne à la Loterie nationale en 1952. Cet événement lui a valu d'être l'objet d'un reportage du photographe toulousain André Cros.

Nous avons ainsi un aperçu en image, façon « Martine à la plage », de la vie de notre employé municipal :
M. Escudier fait valider son ticket gagnant,
M. Escudier à son poste derrière son guichet,
posant avec un groupe d'enfants dans le cloître du musée,
seul dans sa cuisine,
en plein repas de famille,
jouant aux cartes au tripot du coin,
posant cigarette à la main devant un tableau…

Une autre époque en somme !

Loterie nationale, Chance & Fortune ,1re tranche (vers 1900). Reproduction. Carte postale couleur, 14 × 9 cm. André Galland - Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi4340.

Grattage ou tirage : tentez votre chance !


juin 2018
Ah… le loto du dimanche ! Les petites balles qui tournent, la main « innocente » qui les attrape, les numéros qu'on coche sur une petite grille achetée avec espoir, et parfois le cri de joie de votre mémé, qui a enfin réussi à remplir une ligne / colonne / diagonale (au choix) de son petit carton… Et tout çà pour quoi ? Des trucs à manger ou à boire le plus souvent… Nostalgie, quand tu nous tiens.

Bien sûr, il y a depuis longtemps maintenant la version télévisée : plus de joueurs, plus de gains… surtout pour la Française des Jeux. Alors, pourquoi ne pas utiliser cette manne financière pour aider à restaurer notre patrimoine qui en a, il est vrai, bien besoin ? C'est l'idée lancée par le plus royal de nos présentateurs télé : Stéphane Bern, inspiré par ce qui se fait notamment au Royaume-Uni.

Là-bas, les revenus générés par la loterie nationale ont permis de rénover le Royal Albert Hall, une des salles de concert les plus prestigieuses d'Europe, ou encore de restaurer la verrière du British Museum. Tout de même.

Alors, si vous souhaitez tenter votre chance, et contribuer par la même occasion à sauvegarder des monuments historiques, sachez que les tickets à gratter du « loto du patrimoine » seront mis en vente début septembre, et que le tirage du super loto correspondant aura lieu la veille des journées du patrimoine.

Et si l'histoire de la loterie en France vous intéresse, vous trouverez peut-être dans notre bibliothèque un livre ou deux à piocher dans notre collection...
École supérieure d'agriculture du Sud-Ouest. Purpan-Toulouse : "Le repas en commun des poules et des dindes couveuses". Voyagée en 1926. Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi4981.

Le sucre au secours des poules


mai 2018
On peut être comte et connaître des déboires domestiques bien contrariants. Au début du 19 e siècle, le lieutenant général, le comte Clauzel, domicilié rue Tolosane à Toulouse, voit son poulailler subir les assauts de nuisibles, en particuliers de rats, fléau des villes et des champs. Les poules et les rats devinrent le sujet de conversation dans tous les salons de notre ville. Comment se débarrasser de cette vermine ? Une recette infaillible fait alors son apparition. Il suffit de mélanger du plâtre avec de la farine de Millet et du… sucre. La bête qui a consommé cette mixture est alors assoiffée et se jette sur la bassine d'eau déposée à coté. Le mélange de l'eau avec la bouillie sucrée fait gonfler le ventre du pauvre animal et alors… 
Dommage que cette recette ne soit pas restée dans les annales, car il paraît que certains de nos contemporains connaissent des vicissitudes avec les rats des champs, surtout dans le nord du canton et que les produits modernes n'en viennent pas à bout. 
Extrait du plan de la façade côté rue Gamelin de la biscotterie Paré réalisé le 30 août 1963 par L.Cuvillier et H.Benard, architectes SN ING AM&ECP, ING CONSEIL. Ville de Toulouse, Archives municipales, 604W853.

Biscottes sucrées, biscottes Paré !


mai 2018

Les biscottes Paré, avant de devenir Heudebert et de passer sous l'enseigne LU puis Mondelez, embaumaient à Toulouse les environs de la rue Gamelin, dans le quartier de Fontaine-Lestang, où elles étaient fabriquées à partir des années 1950 (voir le projet de construction d'une usine de 2000 m² pour la fabrication des biscottes 708W4213).
En plein essor, en 1963, la biscotterie s'agrandit et prévoit l'extension de ses ateliers et entrepôts côté Nord ainsi que les espaces dédiés aux bureaux administratifs et commerciaux, vestiaires, service médical, locaux sanitaires et sociaux qui étaient devenus nettement insuffisants en raison de l'augmentation de personnel (voir le permis de construire relatif à l'extension de l'usine 604W853).
En 1974, elle emploie alors près de 300 personnes. Mais ses activités n'étant pas assez compétitives, un regroupement au nord de la Loire est envisagé. La société toulousaine de Minoterie, souhaite dès lors reprendre les terrains occupés par la biscotterie Paré avec un projet de construction de près de 1000 logements comme en témoigne « l'étude de possibilité de construction » réalisée le 10 avril 1974 (102W213). Finalement cette étude ne sera pas suivie de faits pour le plus grand plaisir de nos papilles même si l'usine a depuis longtemps abandonné la croustillante et cassante biscotte pour les barres céréalières et les pains grillés !

Sentence des capitouls, rendue le 19 décembre 1771 contre Jean Sacaley, imprimée et publiée le 21 dudit. Ville de Toulouse, Archives municipales, BB167, pièce n° 55 (détail).

100 sols, l'amende amère


avril 2018

Lorsqu'on a fait une bêtise quelconque (et l'échelle des bêtises est vaste), il faut s'attendre à être jugé par les capitouls. Les sentences sont adaptées à la gravité de l'acte, rien de bien étonnant à cela.

Dans l'échelle des punitions, suite à des sottises répréhensibles, on peut imaginer que les amendes décernées par les capitouls ne concernaient que celles des petites infractions.
Vrai, mais... pas tout à fait.
- Omettre de balayer les immondices devant sa porte, cela vaut bien une amende.
- Un pot de chambre déversé malencontreusement sur la perruque d'un passant, c'est non seulement une amende, mais aussi des dommages et intérêts (une perruque supportant mal le pressing, il faut en rembourser à son propriétaire la valeur d'une nouvelle).
- à ne pas tenir son chien à l'attache avant les vendanges et le laisser divaguer dans les vignes, on écope aussi d'une amende ; en prime, le vigneron peut, en toute impunité, mettre à mort votre cabot glouton.

Bon, vous admettrez qu'il n'y a pas là de quoi fouetter un chat, ces amendes restent raisonnables.

Elles apparaissent même ridicules lorsqu'on lit trop rapidement certaines sentences de nos anciens magistrats municipaux. En effet, nombre de leurs jugements portent que la personne fautive d'un crime quelconque est condamnée à 100 sols d'amende (en faveur du roi).
À s'arrêter là, on ricane et... non, revenons-y. Lorsqu'on tombe sur ces 100 sols, c'est au contraire le signe invariable d'une sentence plutôt coriace. En effet, ce terme clôt les jugements à mort où le condamné se voit aussi dépouillé de ses biens (distraction faite d'un tiers pour sa femme et enfant s'il en a), ou bien encore de ceux qui sont simplement fouettés et bannis de la ville, ou envoyés aux galères.

Bref, mieux vaut transcrire les sentences dans leur intégralité sous peine de se fourvoyer, car ces maigres 100 sols cachent bien une réalité autrement plus amère.

Société des sauveteurs toulousains et de la Haute-Garonne. Bateau de sauvetage dans la Garonne. Vers 1910. Carte postale N&B, 9 × 14 cm. A. Baudillon - Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi7272.

Vague à l'amer


avril 2018

En navigation, un amer est un point de repère fixe, situé sur la côte et identifiable sans ambiguïté (clocher, tour, bâtiment isolé), utilisé pour se guider. Un peu comme un phare au milieu de la tempête… ou une base de données dans un océan de ressources documentaires.
Affublée de différents noms et de différentes formes (inventaire, catalogue, fichier ; papier, électronique, en ligne), elle n'en reste pas moins le point d'ancrage de toute recherche effectuée dans les collections des musées, des bibliothèques ou des archives, interrogeable selon un chenal balisé ou la plupart du temps tous azimuts.
Pour faciliter la navigation des chercheurs, ou des simples curieux, l'équipe des Archives se réunit régulièrement pour partager, échanger, se confronter et finalement améliorer les notices descriptives des documents qu'elle conserve ou proposer des aides à la recherche.
Bien sûr, il y a encore quelques remous ici où là : l'ampleur de nos collections et la complexité de certains documents nous met souvent au défi, mais c'est bien là ce qui fait le sel de nos métiers… tout comme la volonté collective de ramer dans la même direction.
Alors, à votre tour de prendre la mer… et bon vent !

Bar-Restaurant « Au Tonneau », 9 place du Pont-Neuf. 1976. Vue de l'entrée de l'établissement encadrée par les menus proposés. Au premier plan voitures garées et chaises. Jean Ribière - Ville de Toulouse, Archives municipales, 41Fi283 (détail).

Choucroute garnie


mars 2018

Ce mois-ci, vous êtes « garnis » : avec un thème surgi des tréfonds d'un esprit vraisemblablement torturé, il a bien fallu trouver une approche particulièrement capillotractée pour vous parler des collections de notre bibliothèque, bien « garnie ».

Alors, j'ai cherché longtemps : bouquet, panier, choucroute… et pourquoi pas cassoulet ou bouillabaisse ? Une fois rendue à ces extrémités culinaires, j'ai dû me résoudre à vous « compter », par le menu, les mille et unes richesses de nos fonds bibliographiques...

Sachez donc que nous conservons plus de 12 700 titres. Certains sont parfois reliés ensemble à l'intérieur d'un même volume, ce qui réduit donc quelque peu le nombre d'objets « livres » posés sur nos rayonnages… Ils peuvent appartenir à différentes collections, identifiées par provenance (bibliothèque Hermet, dépôt de l'école des Beaux-Arts...), nature (usuels, instruments de recherches, travaux universitaires…) ou destination (bibliothèque professionnelle).
Mais ce n'est pas tout. Nous conservons également une importante collection de périodiques : 315 titres répertoriés au dernier recensement. Eux sont en revanche uniquement organisés par typologie (presse, revues, publications officielles…).

Toutes ces ressources sont à votre disposition, en salle de lecture, dans les limites que peuvent éventuellement imposer leur état de conservation. Elles sont là pour vous permettre d'approfondir un sujet, de compléter une étude ou de mettre en contexte un document d'archives. Alors, n'hésitez pas !

Et si, comme à moi, cet article vous a ouvert l'appétit, vous trouverez ici (en bonus) une recette à votre disposition.

« La violette de Toulouse », dessin avec une fillette qui propose des violettes à deux autres enfants. Au fond le donjon du Capitole. Marcel Pendariès - Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi5487.

Bouquet garni de violettes


mars 2018

Alors que nous bravons le froid, le vent glacial et multiplions les épisodes neigeux, une petite fleur d'hiver marquée par sa corolle d'un bleu tendre et son délicieux parfum est en pleine floraison.

La violette a trouvé dans la région toulousaine sa terre de prédilection dès le 19e siècle. Sa culture est alors entreprise par les maraîchers de Lalande, Saint-Jory, Aucamville et Castelginest, qui vendent les bouquets de fleurs fraîches présentés dans des paniers ronds en osiers dans la cour Henri IV du Capitole puis le réfectoire des Jacobins. En 1960 la violette de Toulouse obtient un label de renommée internationale et devient l'emblème de la ville. Mais sa culture décline peu à peu et les producteurs abandonnent sa production à partir des années 1970.
Quelques irréductibles amoureux de la précieuse essaient de la cultiver de nouveau dès les années 1990.
La violette de Toulouse se refait alors une beauté pour retrouver le devant de la scène : le Festival de la Violette, les expositions, la Maison de la Violette et diverses animations concourent à cette renaissance permettant ainsi à la ville de renouer avec un symbole de son histoire et de son patrimoine.

 

Références : ouvrages B4182 et B1847, périodique REV145

Squelettes d'animaux présentés dans la salle Edouard Filhol du Muséum d'Histoire naturelle de Toulouse, vers 1920. Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi7309.

Jauni be good


février 2018

Oui vieillir à parfois du bon, comme cette carte postale quasi centenaire. Le papier jauni, le grain de l'image ont un charme suranné qui nous mettent tout de suite dans l'ambiance de ce début de siècle. Mais de jaune, il n'en sera pas question dans les quatre volumes consacrés aux œufs de l'inventaire des collections du Muséum d'histoire naturelle de Toulouse de 2013 (1219W95 ; 1219W96 ; 1219W97 ; 1219W98).

Dans ces registres, pour chaque œuf conservé, il y a un numéro d'inventaire, la discipline concernée (ici l'ornithologie), le nom scientifique, la nature, la provenance, le mode d'entrée et bien sûr l'état du spécimen. Quant à savoir s'il y a un jaune dans l'œuf, l'histoire ne le dit pas !

[chien noir sur fond jaune] Tirage photographique noir et blanc contrecollé sur carton. Cliché Jean-Baptiste Allard, « La photographie Toulousaine » (entre 1872 et 1897) - Ville de Toulouse, Archives municipales, 1Fi169 (détail).

Jauni à la rage


février 2018

- Un cas de jaunisse, on en a vu un ; un seul c'est vraiment trop peu pour s'étendre dessus. Il s'agit de la mésaventure arrivée à cette pauvre Marie Rouzières qui, victime de ragots peu flatteurs sur sa vertu, colportés par des voisines, en attrape une jaunisse. Sautant sur l'occasion, Jeanneton va enfoncer le clou et la traiter de... vérolée ! C'en est là trop pour Marie qui va la poursuivre en justice pour cas de diffamation (FF834/1, procédure #026, du 6 mai 1790).
- La peste, c'est surfait et puis on pense immédiatement à peste noire, or là on est bien loin du jaune. Vous pourriez toujours faire un petit tour dans les registres de dénonce de peste (par exemple le GG997) mais, comme ils ne sont pas encore numérisés, il est à craindre que le bacille soit toujours actif... ce serait dommage de repartir de chez nous avec un bubon ! (à noter tout de même que nous avons été plusieurs à le manipuler et personne ne manque à l'appel).
- La suette miliaire, nous ça ne nous évoque aucune couleur particulière, je dirais le rouge vif ou le rose chaud à cause des violentes éruptions cutanées qu'elle provoque, mais après tout les cas manquent de nos jours à Toulouse pour s'en assurer vraiment. En tout cas ceux qui ont réchappé à l'épidémie qui surprend et assomme Toulouse en mai 1782 pourraient nous le dire. Quant aux victimes, vous les trouverez sagement rangées dans le registre GG1012.
- Finissons par la rage, et là on se rapproche insensiblement du jaune car, en effet, ne dit-on pas vert de rage. À Toulouse on parle souvent d'une recrudescence de la rage à la fin du 18e siècle, voir carrément d'une épidémie, mais en fait le danger rode depuis des siècles, il frappe épisodiquement et la moindre morsure de chien peut causer une réelle psychose. Mais, inutile de s'étendre plus avant, si vous voulez en savoir plus, il ne vous reste plus qu'à télécharger puis lire le dernier numéro des Bas-Fonds : "Cabots, dogues, mâtins et bassets".

Quant à la photographie qui vient égayer ce billet, rassurez-vous, elle n'a rien a voir. Ce caniche cycliste ne semble absolument pas atteint de la maladie hydrophobique, son maître non plus d'ailleurs : on le verrait à ses moustaches qui là sont tombantes et non hérissées. En revanche, ce tirage noir et blanc a bien jauni avec le temps.

Zone verte de Sesquières, entrée du camping municipal de Rupé, 1982. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi4385.

Poser ses valises "au Rupé"


janvier 2018

L'hiver est bien installé et voilà que nous pensons déjà à la chaleur, aux grillades et longues soirées d'été. Pour cette invitation au voyage, pourquoi ne pas songer à poser ses valises au camping municipal de Rupé ?

Situé près de la zone verte de Sesquières, au 21 chemin du Pont de Rupé, il doit son nom à un maître chaussatier (artisan du textile), Jacques de Rupé, qui possédait une métairie en ce lieu au 16e siècle. Pour développer le tourisme, la Ville, a acheté, en 1962, une parcelle de 28 000 m², a procédé à l'aménagement des installations et a décidé le classement du camping de Rupé dans le domaine public communal en 1970. Depuis sa création, la Ville a assuré son exploitation en régie directe.

Mais pour maintenir le classement du camping en trois étoiles, moderniser l'équipement et étendre la capacité d'accueil (jusqu'alors fixée à 600 campeurs), en 1991, il a été décidé de confier à un professionnel, par contrat de concession, l'ensemble des missions de construction, d'exploitation et de développement des activités de camping caravaning. C'est ainsi que la Société Financière Midi-Pyrénées s'est vue confier la délégation de service public de cet établissement pour une durée de 30 ans.

Lettre adressée à sa majesté l'empereur Napoléon III par J. Roaldès, ancien conseiller municipal au sujet de la construction d'un pont devant la gare de Toulouse. Ville de Toulouse, Archives municipales, 1Z449/1 (détail).

Quand les valises tombaient dans le canal


janvier 2018

Après maintes discussions et incertitudes sur son emplacement, la gare Matabiau fut inaugurée le 31 août 1856, en présence de l'archevêque Mgr Rioland, qui bénit 4 locomotives ornées de drapeaux, consacrant la ligne Bordeaux-Cette. La compagnie ferroviaire du midi s'était engagée à édifier un pont afin de permettre la circulation entre la ville et la gare, mais devant l'ampleur et le coût des travaux, la construction pris du retard. De ce fait, de nombreux voyageurs, ne pouvant s'offrir l'omnibus qui empruntait les contre-allées Louis Napoléon pour acheminer les voyageurs en ville, marchaient tout droit en sortant de la gare et tombaient dans le canal avec leurs valises.

Déjà en novembre et décembre 1857, plusieurs voyageurs furent repêchés sains et saufs mais leurs valises furent perdues ou bien détériorées. Malheureusement, le drame prévisible s'avéra et, le 20 janvier 1858, un soldat du 93e régiment qui venait d'Afrique se noya. La liste des incidents s'allongea encore le 11 février 1859. C'est ainsi que Le Journal de Toulouse relata que « vers 6 heures du soir, Gustave Saver, sergent fourrier au 88e régiment était tombé dans le canal en sortant de la gare et que heureusement il savait nager ».

C'en était trop, M. Roaldès, ancien conseiller municipal décida d'agir et envoya une requête à Napoléon III, empereur des Français et à M. Boselli, préfet du département. Sans doute fut-il entendu puisqu'en 1860 la construction du pont Bayard (aujourd'hui du 19 mars 1962) fut décidée et confiée à l'ingénieur Urbain Maguès.

Détail du plan de la façade Sud-Ouest de la résidence l'Orée du Bois (extrait du permis de construire délivré en 1974). Ville de Toulouse, Archives municipales, 614W422.

À l'Orée du bois


décembre 2017
En juin 1974, la ville de Toulouse accorde le permis de construire à la SARL MAP Saurat, une société civile immobilière familiale, pour la construction d'une résidence  étudiante située 71 rue Aristide Maillol, à deux pas de la nouvelle université du Mirail. Elle se distingue alors par sa forme, car construite sur le modèle d'un tripode de 9 étages, et par le nombre de logements (399), essentiellement des studios.
Malgré un si joli nom, tout n'est pas rose à l'Orée du Bois… Est-ce d'ailleurs pour cela, qu'en 1987, l'assemblée générale des copropriétaires change le nom pour devenir Les Castalides ? Assez rapidement la résidence souffre d'une mauvaise fréquentation et d'une gestion inadaptée. Vandalisme, insécurité, squats, trafic de drogue, insalubrité sont le lot quotidien des habitants. Dans ce contexte, un arrêté municipal d'urgence pour l'évacuation de l'immeuble est pris le 26 août 2013. En parallèle, la ville de Toulouse entreprend le rachat progressif des logements dans le but de démolir la résidence. Une démolition initialement prévue pour l'automne 2017...
Croix en bois de carolin, détail d'un dessin accompagnant la déclaration de cambriolage au couvent des Jacobins en 1967. Ville de Toulouse, Archives municipales, 332W82.

Croix de bois, croix de fer...


décembre 2017

« Si je mens, je vais en enfer ! ». C'est certainement ce que s'est dit un vieux monsieur l'an dernier avant de passer de vie à trépas. Cinquante ans plutôt, cet individu dont nous tairons le nom, participe à un cambriolage au Couvent des Jacobins. Il en profite pour dérober, entre autres objets du culte, une croix de procession en bois de carolin. En 2016, à l'aube de sa vie et pris d'atroces remords, il décide de confier ce qui subsiste de son larcin à un prêtre.
Pierre Esplugas-Labatut, adjoint au maire en charge des musées de Toulouse, expliqua alors à la presse que la preuve de ce vol avait été trouvée parmi les documents des Archives municipales de la ville.
Nous vous invitons aujourd'hui à découvrir les pièces de cette affaire conservées aux Archives dans le dossier portant la référence 332W82. En téléchargeant le fichier pdf, vous pourrez ainsi consulter :
- la copie pelure du courrier rédigé par Denis Milhau, conservateur du musée des Augustins, adressée au commissaire du 1er arrondissement, le 31 janvier 1967,
- la liste des objets dérobés,
- les croquis de ces derniers,
- et deux photographies de Jean Dieuzaide montrant un fragment sculpté et la fameuse croix en situation.

Encore un exemple de l'intérêt de bien gérer ses archives !

 

Catalogue de la XXX° Exposition Canine Internationale. C-A-C, Toulouse 26 octobre 1958. Parc des Expositions. XI° quinzaine de Arts Ménagers. Imp. A. Gomes. Toulouse. Ville de Toulouse, Archives municipales, 1Z370/1.

Quant la canne devient canine à quatre pattes.


novembre 2017

Notre engouement pour ne pas dire notre passion pour nos amis à quatre pattes est assez récente. En effet, il fallut attendre mai 1863 pour que les Parisiens puissent assister à la première exposition canine organisée en France.

Cette manifestation se déroulait au jardin d'acclimatation du bois de Boulogne, à Paris. Le but était de réunir une collection de chiens aussi complète que possible afin de distinguer les races pures, utiles ou d'agrément et les croisements à conserver. Bien qu'elle se déroule sous l'égide de Napoléon III, elle intéressa assez peu les Français, et ce n'est qu'en 1881 que la société centrale canine vit le jour. Les  débuts furent modestes car contrairement à l'Angleterre, les Français étaient indifférents à l'élevage de chiens de pure race. D'ailleurs, la société ne sera reconnue d'utilité publique que le 28 avril 1914.

A Toulouse, dès la fin des années 20, une exposition canine internationale fut organisée annuellement, révélant ainsi tout l'intérêt que nous portons désormais à nos animaux de compagnie. Le don de Madame Hermet nous permet de feuilleter une jolie collection des catalogues officiels de ces expositions, allant de 1958 aux années 2000.

Vie des Archives. Archives municipales de Toulouse, 2 rue des Archives. 26 mai 2016. Reportage de 341 clichés sur la vie des Archives de Toulouse réalisé pour la journée internationale des Archives du 9 juin 2016. Ici est illustrée la recherche documentaire, dans un magasin plein. Stéphanie Renard - Ville de Toulouse, Archives municipales, 4num12/95.

Un festival de cannes !


novembre 2017

A l'heure où tout se calcule, la canne, cette ancienne mesure remplacée par le système métrique, pourrait être réhabilitée le temps d'une lecture.

Les Archives municipales, c'est plus de 800 ans d'histoire : quelle distance, n'est-ce pas ? C'est d'autant plus vrai que, mises bout à bout, les archives conservées dans notre bon vieux réservoir de Bonnefoy représentent désormais la distance qui nous fait, à vol d'oiseau, traverser Toulouse, depuis sa limite avec Portet-sur-Garonne, jusqu'à ses confins avec Launaguet et l'Union. Alors, combien de cannes ? Grosso modo, sous l'Ancien Régime, on comptait 725 cannes. Et comme l'administration se modernise, on vous le donne en kilomètres : 14,5. Pour les sportifs des randos vélos, c'est une heure de bécane.

Avec la prise en charge des PACS par les mairies, ce sont 130 mètres de dossiers actifs que le tribunal d'instance va transférer aux services communaux… soit la longueur de la rue de Cannes !

Face à un tel volume, l'archiviste chicane, puisque ce sont désormais en moyenne 200 cannes (vous convertirez vous-mêmes) de dossiers et maquettes qui concourent chaque année à repousser nos statistiques, hélas bien plus extensibles que nos murs. Des murs qui ont une capacité de conservation de 2734 m², soit 1367 cannes carrées. Tempête dans un verre d'eau... ou hurricane dans un réservoir ?

Attention danger !


octobre 2017

Affiche annonçant une enquête publique sur l'établissement d'une porcherie au quartier de Périole, 1902. Ville de Toulouse, Archives municipales, dossier EC23, 119W3.Fin 19e, le bureau de l'Hygiène de la mairie de Toulouse est chargé de donner son avis sur les installations classées, à savoir toutes les industries susceptibles d'être dangereuses, insalubres ou d'incommoder leur voisinage immédiat.

Cette surveillance, organisée par les préfectures dans l'intérêt de la salubrité et de la sécurité publique, remonte à la fin du 18e siècle, lorsque l'explosion de la fabrique de poudre de Grenelle entraîna la mort de près de 1 000 personnes.
À Toulouse, les dossiers d'inspection des installations classées nous permettent d'avoir un panorama des activités artisanales et industrielles présentes sur le territoire depuis plus d'un siècle. On redécouvre par exemple les métiers de la fin du 19e siècle, à une époque où les vacheries, laiteries et porcheries étant en plein cœur des villes et où vous pouviez avoir une usine de fabrication de peignes et boutons en os au pas de votre porte, ce qui suscitait, quelques fois, des frictions entre les différents protagonistes.

C'est ainsi qu'en 1907, les voisins d'un chiffonnier établi rue de l'Industrie attirèrent l'attention de la municipalité en ces termes : « Il se dégage journellement des odeurs nauséabondes provoquées par les dépôts d'os et de peaux de lapins fraîches, [établissant] un véritable foyer d'infection ». Charmant !


Liens vers les fonds concernant les installations classées : 119W ; 274W ; 293W ; 755W ; 813W ; 1157W

Bourdon (?) écrasé dans un registre ancien. Ville de Toulouse, Archives municipales.

Attention le bug !


octobre 2017

Il vole, il vole le bourdon. Mais celui-ci était mal avisé lorsqu'il a entrepris de se poser sur la page de garde d'un registre laissé ouvert, En effet, le malheureux ne se doutait pas que le commis en charge de la tenue du livre veillait et que, dans un éclair, ce dernier aller refermer brusquement le volume !
Pim, paf ! Fixé pour l'éternité au registre...

Mieux encore, cet employé aux écritures du moulin du château Narbonnais qui, a réussi le tour de force d'en avoir cinq d'un coup. Oui, cinq ! Alors qu'il inscrivait les entrées de blé et le millet en cette année 1735, cinq mouches vinrent innocemment s'y poser. 14Z110 - cimetière de mouchesD'un coup magistral, elles y furent joliment aplaties pour l'éternité - ou presque. Il faut dire que nos commis du moulin s'était longuement entraîné auparavant, car une grande partie de ce "Livre des mistures", est un véritable cimetière de mouches !
Et si d'aventure un bug vrombissant se trouvait dans une salle de lecture d'archives ou de bibliothèque, là, à tournicoter et vous agacer, à vous déconcentrer dans votre recherche, de grâce ne vous prenez pas pour le vaillant petit tailleur du conte de Grimm, qui a réussi le tour de force d'en avoir sept d'un coup, respectez les documents (et éventuellement le monde animal).