ARCANES, la lettre

Sous les pavés


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Sous les pavés", dédiée à l'archéologie.

SOUS LES PAVÉS


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Extrait des procédures criminelles de 1733, Cour de justice des capitouls, Mairie de Toulouse, Archives municipales, FF 777/6, procédure # 168.

Anthique monastique


mai 2025

C’est dans un dossier de procédure criminelle de la justice des Capitouls de l’année 1733 que l’on trouve le document que nous présentons. Il s’agit du signalement d’un vol au couvent de Valbonne, probablement l’abbaye de ce nom située dans l’actuel département des Pyrénées-Orientales. Un jeune homme y avait dérobé « environ 30 médailles anthiques des Romains en argent » ainsi que d’autres monnaies et objets de valeur. Les religieux du 18e siècle étaient donc un peu archéologues, c’est-à-dire antiquaires selon le vocabulaire de l’époque ou plutôt « anthiquaires » dans notre cas. En effet, le goût de l’érudition avait envahi le monde monastique et beaucoup d’entre eux, comme les bénédictins de Saint-Maur, s’étaient lancés dans des études historiques pouvant déborder sur l’archéologie. 

D’ailleurs, plus près de nous dans le Tarn-et-Garonne, l’abbaye mauriste du Mas-Grenier possédait aussi une série de monnaies anciennes. Confisquée à la Révolution, elle fut incorporée aux collections publiques de Toulouse en 1796 où elle était conservée, dans des sacs, à la bibliothèque de la ville. Or un autre médaillier confisqué s’y trouvait aussi : celui de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse qui était enfermé à part dans une armoire scellée. Ces deux ensembles numismatiques auraient dû avoir un destin différent puisque l’Académie fut finalement autorisée à reprendre sa collection. Mais, le 17 mai 1815, ses représentants récupérèrent à la bibliothèque leur armoire… et, par erreur, les sacs de monnaies qui ne leur appartenaient pas. Ils mélangèrent ensuite inextricablement ces deux lots créant ainsi un ensemble au statut hybride et ambigu, mi-bien public de la Ville et mi-propriété privée de l’Académie. 

Triens en or à l’effigie Sévère III découvert lors des fouilles archéologiques de la ligne A du métro de Toulouse, infographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

L'or maudit de Toulouse (nouvel épisode)


avril 2025

Nous avions déjà parlé du consul romain Caepio qui, après avoir exhumé l’or que les Toulousains avaient caché dans des lacs, perdit rapidement son butin, donnant ainsi à toute richesse dorée provenant de notre ville, un parfum de malédiction. Et parfois l’histoire se répète. 

En 1990 et 1991, on procéda à des fouilles archéologiques préalablement à la construction de la première ligne de métro toulousaine. Puis, à l’ouverture de la station Station-Alsace, on décida d’y exposer temporairement les plus beaux artefacts découverts. Notamment le triens en or, illustré ci-contre, à l’effigie de Sévère III qui a régné de 461 à 465. Monnaie rare, d’autant plus qu’il ne s’agissait pas d’une frappe officielle mais d’une imitation locale dont le style approximatif ne présentait pas vraiment l’empereur sous son meilleur profil. Cette louable médiation s’arrêta prématurément dans la nuit du 5 au 6 décembre 1991 quand la vitrine d’exposition fut fracturée. Et voilà encore un objet en or toulousain qui disparaissait à peine mis au jour. Encore cette fameuse malédiction. Peut-être faudrait-il faire appel à un exorciste ? Qui conclura probablement qu’il fallait utiliser une vitrine plus solide. 

Miniature de l’année capitulaire 1516-1517, Annales manuscrites de la ville de Toulouse, 1er livre des Histoires, Mairie de Toulouse, Archives municipales, BB273.

La repentance, c'est féminin


mars 2025

C’est curieux de voir de parfaits synonymes trouver leur différence par le biais du genre. Prenez les termes pénitence et repentance. Dès le Moyen Age, on trouve des confréries de pénitents et pénitentes, regroupés dans un esprit d’entraide et de salut de leur âme. Par contre, pas de repentis, seulement des repenties. Essentiellement des femmes acceptant d’entrer en religion pour quitter la prostitution. Les historiens toulousains connaissent les repenties grâce à l’image que nous présentons : une miniature miraculeusement rescapée de l’autodafé révolutionnaire de 1793 qui a détruit le plus ancien manuscrit des Annales de la ville. On y voit les Capitouls conduisant au monastère des prostituées convaincues de quitter le péché à la suite d’un prêche. On trouve souvent la date de 1516 pour cet évènement. Peut-être faut-il la corriger. C’est bien l’année capitulaire 1516-1517 qui est concernée, mais les Capitouls prenant leur fonction en décembre ont plutôt réalisé leur projet dans le courant de l’année 1517. Le couvent créé à cette occasion, dit des Repenties ou de la Madeleine, subsistera jusqu’à la Révolution avant d’être démoli. Il se trouvait au niveau des numéros 41 à 49 de la rue des Couteliers. 

Mais il avait failli disparaître dès 1601. À cette époque, presque toutes les religieuses avaient été emportées par la peste et la seule nonne qui restait avait tourné démone. Elle avait installé son fils, qu’elle avait eu avant d’entrer dans les ordres, dans le monastère dont elle avait dilapidé les meubles et commencé à vendre les boiseries. De plus, elle l’avait transformé en lupanar en y organisant des rencontres entre des prostituées et leurs clients. Les Capitouls envisagèrent alors de fermer la baraque. Non sans une arrière-pensée : récupérer ce terrain pour y reconstruire la halle aux poissons de la ville qu’ils souhaitaient déménager. Mais, manquant de coordination de leurs politiques publiques, leur projet échoua. Car cette même année, ils avaient aussi lancé une répression vigoureuse contre la prostitution. Résultat : ils eurent bientôt sur les bras plus d’une vingtaine de nouvelles repenties qui avaient préféré la prière au fouet. Les Capitouls n’eurent pas d’autre choix que de restaurer le couvent pour les loger.

Détail d’un tableau représentant le Pont-Neuf de Toulouse attribué à Pierre-Joseph Wallaert, 18e siècle, Inv 43.5.1, © Musée du Vieux-Toulouse, photographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

En vent par deux.


février 2025

L’apparition du moulin à vent dans nos contrées semble remonter au Moyen Âge. Mais probablement d’abord sous la forme de structures charpentées légères qui tournaient en bloc sur elles-mêmes, plutôt que les grandes tours circulaires maçonnées à toit pivotant que nous pouvons, rarement, apercevoir sur le faîte de nos coteaux. Pourtant, jusqu’au 19e siècle, on en trouvait partout avant que l’activité de minoterie ne se centralise, notamment dans les grands moulins à eau fonctionnant sur la Garonne à Toulouse. Quand on avait repéré un spot exceptionnellement venteux, on pouvait en profiter au mieux en construisant deux moulins côte à côte comme on peut le voir sur l’illustration ci-contre. Ce sont les anciens moulins du village de Pouvourville, au sud de l’agglomération toulousaine, qui dressent leurs silhouettes en arrière-plan de ce tableau du 18e siècle exposé au musée du Vieux-Toulouse. Il n’en subsiste rien de nos jours mais ceux qui voudraient retrouver cette atmosphère donquichottesque pourront se rendre à Lézat-sur-Lèze, dans l’Ariège, où les moulins jumeaux de la Garde dominent encore le paysage. 

Les moulins à vent ne se trouvaient pas obligatoirement en hauteur et étaient quelquefois implantés en fond de vallée. Ils pouvaient même former des couples mixtes. À la limite des communes de Quint-Fonsegrives et de Saint-Orens-de-Gameville, on trouve encore un moulin à eau désaffecté, assis sur la rivière Saune. Or il était jadis accompagné d’un moulin à vent, maintenant disparu, édifié quelques mètres à côté. Ainsi quand le cours d’eau tombait à sec, le meunier pouvait très rapidement changer sa meule d’épaule. 

Restitution de la roulette protohistorique en terre cuite du Cluzel et silhouette d’une des roues en bronze de Fa à la même échelle. Infographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Protohistoire à roulette


janvier 2025

Le musée Saint-Raymond de Toulouse possède deux magnifiques roues en bronze appartenant à un char datant de la Protohistoire, plus précisément entre la fin de l'âge du bronze et le début de l'âge du fer. Découvertes à Fa, dans l'Aude, au 18e siècle, elles furent acquises par l'antiquaire Charles-Clément Martin de Saint-Amand, puis par l'Académie des sciences de Toulouse, avant d'intégrer le musée toulousain par le biais des saisies révolutionnaires.
D'un diamètre de près de cinquante-quatre centimètres, et parfaitement fonctionnelles, on évoque souvent à leur propos l'hypothèse d'un char cultuel plutôt que celle d'une simple charrette.

En 1983, l'archéologue André Muller qui fouillait l'habitat protohistorique du Cluzel, au sud de la commune de Toulouse, a mis au jour deux fragments d'une petite roue en terre cuite.
D'un diamètre de près de huit centimètres, c'est-à-dire six à sept fois plus petite que les roues de Fa, cette roulette est manifestement un morceau d'un modèle réduit de char.
On peut imaginer un objet cultuel utilisé dans le cadre domestique. Ou plus simplement un bimbelot pour enfants ? Mais jouer à la roulette, c'est hasardeux avec des objets fragiles en céramique.

En haut, pillage de l’or des lacs sacrés toulousains par les Romains, gravure de Sébastien Le Clerc publiée dans les “Annales de la ville de Toulouse” par Germain de La Faille, Toulouse 1687. En bas, copie du courrier du maire de Toulouse aux fabriciens de Saint-Sernin du 5 juillet 1808 - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 2D 266.

Limnai sacrés : balade dans une église


décembre 2024

La péripétie la plus fameuse de l’histoire antique de Toulouse est certainement sa soumission en 106 avant notre ère, par le consul romain Q. Servilius Caepio. Non seulement celui-ci mata la révolte des Toulousains, mais il s’empara aussi de leur or qui était caché en partie dans des lacs sacrés, orthographiés λίμναι ἱεραί (limnai hierai) par l’historien grec Strabon citant Posidonios. On sait que Caepio perdit ensuite une grande partie de son butin et sombra dans la déchéance, donnant à ce trésor un parfum de malédiction qui devint proverbial.

Certains archéologues contemporains auraient plutôt tendance à localiser ces plans d’eau quasi-légendaires au niveau d’une ancienne zone marécageuse qui existait en bordure sud de la ville actuelle. Les historiens du 19e siècle ont, quant à eux, cherché à des endroits plus improbables. Pour preuve le courrier de 1808 que nous présentons, dans lequel le maire de Toulouse avertissait les fabriciens de Saint-Sernin que les antiquaires de l’Académie des sciences allaient débarquer dans leur basilique pour y rechercher un lac…

Au mieux ont-ils pu visiter, pendant leur balade, un puits à eau dérobé qui se trouve effectivement sous cette église. Aménagement certes curieux mais certainement sans rapport avec la topographie lacustre antique. 

Antiquaires-numismates du XVIIIe siècle étudiant leur médaillier, graveur Franz Ertinger, illustration publiée en 1715 dans « La Science des Médailles antiques et modernes » de Louis Jobert.

Disparition feutrée


novembre 2024

Les archéologues d’aujourd’hui sont les héritiers des antiquaires d’autrefois qui étaient, avant tout, des numismates. Ils possédaient donc une collection de monnaies anciennes appelée médaillier, terme qui désigne aussi par extension le meuble qui sert à les conserver. Celui-ci est composé de plateaux en bois montés en tiroirs et divisés en cases. Ils sont de plus couverts de feutre. La raison ? C’est assurément plus joli et cela minimise les frottements. Isoler les pièces du bois peut probablement aussi éviter une altération, surtout pour les monnaies en bronze sujettes à l’oxydation. 

Le bruit court qu’une société savante de notre région aurait mis au rebus, il y a quelques années à l’occasion de la réorganisation de ses locaux, un vieux meuble-médaillier devenu trop encombrant. On aurait évidemment pris soin de le vider au préalable, mais on ne fut peut-être pas assez prudent. En effet, plusieurs monnaies dissimulées, qui avaient glissé inopinément sous le feutre déchiré et décollé par endroits, auraient pu alors être jetées. Désolante histoire que l’on préfèrerait imaginaire. Mais si quelqu’un pouvait témoigner de sa véracité, cela voudrait dire que ces monnaies n’auraient pas été perdues pour tout le monde… À l’occasion d’un prochain récolement de sa collection numismatique, cette société pourrait alors indiquer dans son inventaire, à propos des pièces disparues, non pas la classique mention « non retrouvée » mais plutôt « disparue dans le feutré ». 

Dans l’illustration que nous présentons, il est difficile de distinguer, faute de couleurs, le feutre qui garnissait les tiroirs du médaillier. Son auteur, Franz Ertinger, n’est pas étranger à notre ville. Il a gravé plusieurs scènes de l’histoire de Toulouse, commandées par les Capitouls en 1683 et dessinées par Raymond Lafage. 

Le double tracé du rempart romain de Toulouse observé lors des fouilles de 1993-1995 entre la place du Capitole et la rue Mirepoix, infographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Un risque professionnel en archéologie toulousaine : le strabisme.


octobre 2024

Les archéologues toulousains voient souvent double. Ou plutôt, ils peuvent littéralement déchiffrer le mot « double » dans la légende du revers des doubles tournois, l’un des types monétaires modernes le plus fréquemment retrouvé en fouille. Mais un véritable strabisme peut aussi se manifester pour des monnaies romaines. Sur les nummi au type « Gloria Exercitus » du Bas-Empire, on pourra loucher sur deux légionnaires parfaitement symétriques encadrant deux étendards identiques. Et au Haut-Empire, les deux portraits adossés d’Auguste et d’Agrippa des as de l’atelier de Nîmes nous pousseront à un strabisme cette fois-ci divergent. 

Cette pathologie peut aussi concerner des structures architecturales. Entre 1993 et 1995, l’Association pour les fouilles archéologiques nationales, devenue depuis l’Institut national de recherches archéologiques préventives, a effectué une fouille importante dans l’îlot situé entre la place du Capitole et la rue Mirepoix. Bien qu’elle soit mal documentée, car aucun rapport n’a jamais été rendu, on sait néanmoins qu’on y fit une découverte étonnante. À quelques mètres en arrière du rempart romain de la ville construit au premier siècle de notre ère, on a observé un tracé initial sous la forme de fondations creusées mais abandonnées avant d’être utilisées. Le croquis que nous présentons montre les vestiges du repentir avorté en rouge, mis au jour dans les périmètres fouillés en orange, et le tracé définitif du rempart en vert. Il ne reste plus qu’à essayer de comprendre ce double alignement. Pourquoi abandonner des travaux déjà bien engagés pour se déplacer de seulement quelques mètres ? On pourrait penser qu’on construisait simultanément plusieurs tronçons du rempart qui devaient normalement se raccorder. Mais on aurait commis une erreur de visée en adoptant une trajectoire trop déviante pour pouvoir être rattrapée. Il n’y a pas que les archéologues qui ont vu double, apparemment certains arpenteurs romains aussi.

Cour Henri IV du Capitole à Toulouse, vers 1873-1884, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi47 (détail).

Tours de passe-passe au Capitole


septembre 2024

Quand on entre au Capitole, l’hôtel de ville toulousain, l’œil se porte immanquablement sur une porte monumentale au fond de la cour centrale. Le point qui focalise d’abord l’attention est naturellement la statue du roi Henri IV qui la domine. Puis on est ensuite attiré par un grand texte en lettres d’or sur marbre noir qui s’étale sur toute la largeur du passage : HIC THEMIS DAT JURA CIVIBVS, APOLLO FLORES CAMŒNIS, MINERVA PALMA ARTIBVS qu’on traduit Ici Thémis donne la loi aux citoyens, Apollon les fleurs aux poètes, Minerve les palmes aux artistes. Cette inscription avait été placée là en 1771 pour témoigner qu’on rendait la justice au Capitole et qu’il abritait les académies des Jeux-Floraux et des Arts. Depuis cette date, on pourrait croire qu’elle n’a jamais bougé. On l’aperçoit, bien à sa place, sur les gravures du 19e siècle, les premières photographies connues du Capitole ou les cartes postales anciennes.
Et puis un jour, aux archives municipales de Toulouse, on tombe sur le cliché que nous présentons et que certains détails permettent de dater : après la restauration de la cour des années 1872-1873, mais avant la construction de la façade orientale du Capitole en 1884 qu’on ne voit pas en arrière-plan. Premier réflexe : elle est bien floue cette photo pour ne pas distinguer l’inscription HIC THEMIS… Mais en se rapprochant, on réalise qu’en fait elle n’est plus là ! En effet, on distingue à sa place un très long laïus qu’on ne parvient malheureusement pas à déchiffrer à cause de la petitesse des lettres. Il faudra alors consulter les notes de Ferdinand de Guilhermy, conservées à la Bibliothèque nationale à Paris, pour en savoir plus. Après de précédentes visites à Toulouse, il y revient en novembre 1873 pour examiner les restaurations en cours, s’étonne de ne plus voir l’inscription d’origine et transcrit le texte qui la remplace. Texte que nous pourrons ensuite retrouver dans les annales conservées aux archives municipales de Toulouse : c’était une inscription commémorant, en 1552, la construction du portail du Grand Consistoire. Cet ancien bâtiment du Capitole, situé derrière la porte que nous étudions, avait été démoli au début du 20e siècle.

Alors pourquoi vouloir rappeler son souvenir en 1873 en sacrifiant une inscription bien plus spectaculaire ? Mystère. En tout cas, cela ne plut pas à tout le monde. Les photographies postérieures à 1884 que nous connaissons montrent que l’inscription HIC THEMIS fit rapidement son retour. En fait, ce n’était pas son premier tour de passe-passe. On sait par le témoignage de l’archéologue Alexandre Dumège qu’elle avait déjà momentanément disparu en 1848 avant d’être promptement rétablie.

Médaille récompensant le concours de poésie de la société des Lanternistes de Toulouse, dessin publié dans le Mercure galant d'avril 1694.

Lumière dans la nuit, Ariège dans les débris


juin 2024

C'est en 1640 que fut créée, à Toulouse, la société des Lanternistes, précurseur de l'académie des sciences, inscriptions et belles-lettres, et non pas de la compagnie d'éclairage public. En effet, cette curieuse dénomination ne vient pas des lanternes utilisées par les sociétaires pour se rendre à leurs réunions nocturnes, mais plutôt de leur désir d'éclairer les esprits. C'est ce qui transparaît de leur devise apposée sur la médaille en argent qu'ils distribuaient comme prix de leur concours de poésie annuel : Lucerna in nocte. Comme le montre le dessin que nous présentons, cette légende entourait une étoile à l'avers, tandis que le revers montrait Apollon jouant de la lyre et légendé Apollini Tolosano. Avant de disparaître en 1704, les Lanternistes instituèrent aussi un concours de louange au Roi, récompensé cette fois-ci par une médaille en or portant d'un côté le portrait de Louis XIV et de l'autre Pallas s'appuyant sur un bouclier aux armes de Toulouse. Il semble qu'aucune de ces précieuses médailles ne soient parvenues jusqu'à nous. Le numismate toulousain Emmanuel Delorme, probablement frustré de ne pas posséder un original dans sa collection, fit même fabriquer en 1885 des reproductions en cuivre de la médaille Lumière dans la nuit.

Il faudra bien de la chance pour retrouver, lors de fouilles, l'une de ces raretés numismatiques, voire l'une des copies de Delorme. Pourtant, des médailles, on en exhume parfois. Lors d'une intervention récente dans le sous-sol de l'église Saint-Exupère, la cellule archéologique de Toulouse Métropole a découvert, parmi des débris jonchant une ancienne loge funéraire, la médaille d'une exposition-concours tenue à Foix en octobre 1894. Personne n'a su expliquer comment, à partir du centre du département de l'Ariège, elle avait fait son chemin jusqu'à la crypte d'une église toulousaine.

Graffiti animalier sur tesson de poterie gauloise découvert dans le quartier Saint-Roch à Toulouse, infographie Marc Comelongue, d’après un dessin d’André Glory paru dans Gallia en 1947.

L’oie qui fait cygne


mai 2024
Quand on cite Toulouse, on peut penser au Capitole. Et quand on évoque le Capitole, on peut se rappeler du mythe des oies qui l’ont défendu d’une attaque des Gaulois. Sauf que cette histoire concerne le Capitole antique de Rome, pas l’édifice toulousain bien plus récent. Alors, pas d’oie à Toulouse durant l’Antiquité ? Peut-être que si.

Lors de fouilles effectuées dans le quartier Saint-Roch par Léon Joulin, au début du 20e siècle, de nombreuses céramiques gauloises ont été découvertes. L’une d’elles est exceptionnellement décorée de graffitis animaliers et, conservée au musée des Toulousains de Toulouse dans les années 1940, elle y fut dessinée par André Glory.
Comme le montre son croquis que nous présentons ici, on y trouve, accompagnant cerf et sanglier, une silhouette d’oiseau à long cou que cet archéologue a pu interpréter comme une oie… ou comme un cygne.
Effectivement ce bec bossu, c’est peut-être un signe. On peut aussi y voir un flamant rose, mais là on passe du Capitole à la Camargue.
Portraits des capitouls et tour occidentale du pont de la Daurade, anonyme, Chronique 132, 1437-1438, Annales manuscrites de la Ville de Toulouse, 1er Livre des Histoires, 1352-1516. Mairie de Toulouse, Archives municipales, BB273.

On nous raconte des histoires


avril 2024

Sous l’Ancien Régime, la commune de Toulouse publiait ce que l’on a maintenant l’habitude d’appeler des "Annales", pour immortaliser les actions les plus remarquables de l’administration de l’année passée. Mais, quand on consulte ces manuscrits, on s’aperçoit que les titres originels de ces chroniques annuelles utilisent plutôt le terme "Histoires". On les embellissait aussi avec des enluminures où les archéologues peuvent faire quelquefois leur marché. Pour exemple, nous présentons ici l’illustration montrant une tour qui défendait l’ancien pont de la Daurade, rebâtie durant l’exercice 1437-1438. Image précieuse car, même si la pile qui la supportait existe encore, cette tour fut rasée en 1734. Malheureusement, beaucoup de ces enluminures ont été détruites lors d’un autodafé pendant la Révolution. On sait d’ailleurs qu’on perdit à cette occasion la représentation de l’écroulement du Pont Vieux en 1485, qui aurait pu constituer un témoignage exceptionnel sur cette structure mal connue.

Les textes mêmes de ces "Livres des Histoires" abondent évidemment d’indications utiles pour reconstituer Toulouse disparu. Il faut toutefois rester prudent. Ces bilans étaient rédigés par un administrateur dont on peut se douter qu’il avait été témoin d’une partie des évènements qu’il décrivait. Et pour le reste, il pouvait s’appuyer sur les procès-verbaux des délibérations des conseils municipaux. Mais la synthèse conduit parfois à des approximations. Les Annales nous apprennent, par exemple, que l’on construisit un nouveau pont, dit de Clary, en 1613. Jeté sur la Garonne entre l’île de Tounis et le quartier Saint-Cyprien, elles nous disent aussi qu’on acheta la maison du teinturier Guillaume Pinel que l’on démolit pour aménager l’entrée du pont. Démolie ? Pas si sûr, en tout cas pas tant que ça. Si l’historien se plonge dans les archives les plus précises dont il dispose, c’est-à-dire les devis de travaux, il comprendra alors que, si le rez-de-chaussée de la maison fut bien dégagé pour servir de passage, ses deux étages furent néanmoins laissés en place. L’archéologue pourra ainsi, au lieu d’indiquer faussement que la maison Pinel fut détruite en 1613, nous apprendre que l’on inventa, cette année-là à Toulouse, un nouveau concept architectural : la maison-pont.

Grenouille sculptée dans un bénitier de l’église Saint-Paul de Narbonne, photographie Frédéric Vialelle, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Fouille à la grenouille


mars 2024
Les Égyptiens ont produit, durant l’Antiquité, des lampes en terre cuite représentant une grenouille et l’une d’elles a été retrouvée à Bordeaux vers 1910. Elles restent malgré tout rares en Europe et aucune des fouilles effectuées jusqu’à présent à Toulouse n’a apparemment révélé ce type d’objet. Néanmoins, une petite grenouille en bronze, servant de pendentif, fut recueillie lors de recherches sur le site gaulois de Vieille-Toulouse.

Un archéologue médiéviste ou moderniste aura, quant à lui, peut-être tendance à rechercher des grenouilles dans les bénitiers d’église, influencé par la proverbiale expression. Mais il faut avouer qu’à Toulouse, ni même aux alentours, la pêche ne sera pas bonne. Il faudra qu’il explore le département voisin de l’Aude pour enfin trouver, dans l’église Saint-Paul de Narbonne, le joli batracien taillé dans le marbre dont nous présentons une photographie. Il pourrait d’ailleurs en trouver d’autres tout près de là, à l’abbaye de Fontfroide, ou plus loin dans les Corbières, dans l’église de Montjoi. Mais si vous tenez absolument à dégoter un amphibien toulousain, on peut vous suggérer d’aller examiner, au musée des Augustins, un chapiteau provenant de la Daurade qui représente l’histoire de Job. Le diable qui y est sculpté a quelquefois été décrit comme ayant les traits d’un crapaud. Mais c’est assez subjectif, comparé à la rainette narbonnaise.
Chapiteau représentant l’histoire de Job provenant de la Daurade à Toulouse, H. Révoil dessinateur et A. Guillaumot graveur, publié en 1873 dans le troisième tome de l’Architecture romane du midi de la France.

Les archéologues toulousains ont deux Jobs


janvier 2024
Non, il ne s’agit pas ici de dire que le travail d’archéologue est si précaire qu’il en faudrait prendre un second job pour survivre. Pourtant nombre de ceux qui exercent cette profession pourraient témoigner que l’on commence souvent sa carrière de façon chaotique. Entre institut public et entreprises privées, entre université et musées, il faut souvent enchaîner incommodément les missions avant d’obtenir, comme Job après ses épreuves, la divine reconnaissance : un CDI…

En fait, c’est bien Job, le personnage biblique, que nous voulons évoquer. Nous avons la chance, à Toulouse, de pouvoir étudier deux chapiteaux romans représentant son histoire, conservés au musée des Augustins. Le plus beau, dont nous présentons une illustration, a été récupéré lors de la démolition du cloître de la Daurade au début du 19e siècle. L’autre, incomplet, présente une déclinaison identique mais plus fruste du décor du précédent. Sa provenance est problématique bien que l’inventaire actuel du musée indique la cathédrale Saint-Étienne, d’après le catalogue Rachou de 1912. Henri Rachou disait retenir cette origine d’après la Société archéologique du midi de la France, donatrice de cet objet. Or, quand cette société l’a elle-même récupéré en 1887, c’est l’abbaye Saint-Sernin qui avait été évoquée. Donc Rachou a manifestement commis un lapsus entre ces deux églises toulousaines.

Objectivement, personne ne pouvait vraiment savoir d’où il venait car il avait été retrouvé sans pedigree dans les locaux de l’Institut catholique, alors que sa forme rectangulaire indiquait qu’il avait été retaillé pour servir de simple moellon. Néanmoins si Saint-Sernin n’était qu’une spéculation, on peut deviner son inspiration : on avait aussi précédemment découvert à l’Institut, en remploi dans des constructions, des pierres tombales qui provenaient bien de cette abbaye. De là à supposer que tous ces matériaux de récupération avaient une même origine… Il faut noter que l’historien Jules de Lahondès proposa de son côté, sur l’argument de la forme, une même provenance de la Daurade pour ces deux chapiteaux.
Double tournois de Louis XIII découvert dans un sarcophage de l’enfeu des Comtes à la basilique Saint-Sernin de Toulouse, photographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Sus à l’intrus : Louis XIII chez les comtes de Toulouse


octobre 2023
Les archéologues n’aiment pas trop les intrus. Tout d’abord ceux qui s’introduisent sur leurs chantiers pour dérober ou dégrader du mobilier. C’est déjà arrivé à Toulouse, notamment lors de fouilles de cimetières anciens à la halle aux grains en 1999-2000 ou dans la rue des Trente-Six-Ponts en 2014 où des sépultures ont été vandalisées. Et puis il y a les intrus qu’ils découvrent dans les couches archéologiques. En général, c’est un objet plus ancien que le milieu où il se trouve. On comprend alors sans difficulté qu’il y a pu avoir un mélange : un habitant du Moyen Âge a pu, par exemple, en creusant dans son jardin, déterrer une monnaie antique et la transplanter dans son espace chronologique.

Par contre, c’est quelquefois un objet plus récent qui perturbe la datation d’un ensemble et il est difficile d’expliquer sa présence. Récemment, le service archéologique de Toulouse Métropole a fouillé à Toulouse, sous la direction de Bastien Lefebvre, l’un des sarcophages de l’enfeu qui se trouve à l’extérieur de l’église Saint-Sernin. Réputé contenir les restes des comtes médiévaux de Toulouse, on eut la surprise de découvrir dans ce tombeau une monnaie de Louis XIII, plus précisément un double tournois des années 1620 dont nous présentons une photographie, accompagné d’ailleurs de tessons de poteries d’époque moderne. Nous passerons sur l’ironie de voir, à côté des ossements des comtes, des fleurs de lys, emblème des rois de France qui ont justement mis fin à la dynastie comtale au XIIIe siècle. Alors, que s’est-il passé ? On pourrait presque imaginer quelqu’un balayant autour de la basilique vers 1700 qui, ne sachant pas trop quoi faire des déchets qu’il a ramassés, aurait soulevé le couvercle du sarcophage pour l’utiliser comme une simple benne à ordures…