ARCANES, la lettre
Zoom sur
Chaque mois, les Archives présentent dans la rubrique "zoom sur" un document issu de ses fonds, nouvellement acquis ou bien un document exceptionnel. Retrouvez ici une petite compilation de tous ces articles.
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J'aimerais dire que "les photographes, ça ose écrire sur leurs photos ! C'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnaît", mais je n'oserai pas. Ceci dit, je pourrais vous le montrer, notamment chez Jean Dieuzaide.
Il a toujours écrit, ainsi que ses équipes, sur ses albums et ses tirages. On pourrait croire qu'il remplissait des champs de métadonnées : lieux, personnes, légendes, dates, éléments de contexte, ou encore indications de cadrage, à des fins de publication ou d'exposition. Quand on est au cœur de l'œuvre, on sent la présence de son auteur au travail, ses choix, ses directions. Parfois la voix est claire, très claire, parfois elle l'est moins, voire beaucoup moins.
Dès 1944, Jean Dieuzaide écrit, d'abord à l'encre bleue, puis noire, au crayon à papier, au feutre, qui est l'un de ses outils favoris, notamment le fameux feutre marron. J'en trouve partout : dans les albums, sur les contacts, au dos des tirages de presse, des tirages d'exposition ou de collection, dans les dossiers, sur les courriers. La main est omniprésente à l'atelier Dieuzaide, celle de Jacqueline bien entendu, mais aussi celles de toutes les personnes qui y ont travaillé. La seule* qui utilise le feutre marron, c'est celle de Jean.
* à l'heure où vous lisez ces lignes, j'ai repéré des contre-exemples mais je me garderai bien de vous les exposer. Explorez, explorez, vous finirez par les trouver :)
Non, ne vous inquiétez pas, ce n'est pas votre vue qui vous fait subitement défaut à la lecture de ce billet. Inutile de contacter en urgence votre ophtalmologue, vous n'êtes pas atteint de diplopie ; vous êtes simplement confronté à une photographie stéréoscopique. Cette technique fascinante, popularisée dans les années 1850, repose sur des principes découverts dès 1838 par Charles Wheatstone, permettant au spectateur de percevoir une image en trois dimensions. Ces deux vues jumelles, presque identiques, sont conçues pour tromper notre perception et créer une sensation de relief, c'est le principe de la vision binoculaire. Nos yeux, espacés d'environ 6 cm, regardent ces clichés décalés, et notre cerveau synthétise ces informations pour nous donner l’illusion de profondeur. Afin d’éviter une fatigue oculaire certaine pour le restant de votre journée, je vous conseille d’utiliser un stéréoscope au lieu de vous épuiser à tenter de loucher des heures durant devant vos écrans. Cet outil permet de visionner ces deux mêmes images de manière qu’elles se juxtaposent pour n’en faire apparaître plus qu’une. Et là, la magie opère : des éléments en premier ou dernier plan se détachent du décor. On s’immerge dans l’image, qui nous semble parfois même s’animer.
À ses débuts, le procédé stéréoscopique était encore mal maîtrisé et principalement utilisé par des professionnels ou quelques amateurs éclairés. Cependant, à partir de 1893, cette technique connaît un véritable regain d'intérêt grâce à la commercialisation du vérascope Richard. Cet appareil, réputé pour son format compact, est beaucoup plus facilement transportable que l’imposante chambre photographique de l'époque. Dans le commerce, on trouve désormais de petites boîtes contenant une douzaine de plaques de verre prêtes à l’emploi, rendant ainsi la stéréoscopie accessible à un public plus large.
Dans nos fonds, il est possible de découvrir de nombreuses vues stéréoscopiques.
Les supports et types de documents sont variés : des négatifs et positifs sur plaques de verre, ainsi que des cartes sur lesquelles des tirages contacts étaient collés. Sur certaines d'entre elles, l’auteur a fait preuve d’une grande créativité, souhaitant accentuer l’aspect spectaculaire qu’apporte cette technique, en ajoutant de la peinture ou en réalisant de fines entailles pour laisser passer des filets de lumière. D'un autre côté, la stéréoscopie a également été utilisée dans un cadre plus réaliste et documentaire. Une grande partie des images provient de photographes mobilisés pendant la Première Guerre mondiale. Parmi elles, le fonds Louis Albinet, en cours de traitement, renferme plus de 2 000 stéréoscopies sur plaques de verre. Dès ma première découverte, j'ai été fascinée par ces clichés.
Aujourd'hui, je les redécouvre, toujours avec émerveillement, mais consciente de l'intention qui animait le photographe : je perçois mieux sa volonté de jouer avec la perspective d'un paysage renversant, ou avec l'architecture monumentale des villes qu'il visite. Chaque image est soigneusement pensée, cadrée et composée pour transmettre une véritable sensation de relief. Dans cette même lignée, je vous invite aussi à explorer sur notre base de données les photographies réalisées par Raoul Berthelé et Antonin Ruffié.
Nous sommes en 1952. L’Association française des éclairagistes1 organise, comme régulièrement depuis 1937, les journées nationales de la lumière. Cette année un concours photographique est lancé, qui incite photographes professionnels et amateurs à se saisir de la nuit à l’occasion de la Semaine de la lumière. L’idée est de collecter des images mettant en exergue le soin apporté par la Ville à l’éclairage de l’espace public et des édifices patrimoniaux, mais aussi celui des commerçants à leurs vitrines. Les pratiques changent, nous sommes dans une période d’expansion économique où l’on ne se préoccupe pas de l’accès aux ressources énergétiques et où l’attractivité se joue tant sur la sécurité accordée aux habitants aux heures sombres qu’à l’esthétique : être bien dans sa ville, c’est aussi la trouver belle.
Le fonds du concours photographique “Lumières sur la ville” compte près de cinq cents tirages dont plus de soixante-dix sont de Jean Dieuzaide. Certains ont été réalisés pour l’occasion, d’autres pour les besoins de clients.
Si les images de nuit sont courantes aujourd’hui, celles du 20e siècle nécessitaient une maîtrise technique qui n’était pas à portée de téléphone. Il fallait s’équiper d’un trépied, d’une cellule pour mesurer la lumière et régler l’appareil, de patience pour faire la mise au point et de son expérience pour évaluer le type de pellicules à embarquer. Mais le résultat était souvent si inattendu qu’il avait quelque chose de magique.
Ce fonds nous embarque parfois dans une atmosphère de polar, rues désertes aux pavés luisants. On pourrait voir Bogart surgir d’une voiture à traction, ouverture des portes vers l’arrière et marche-pied, vêtu d’un imper, borsalino et cibiche au bec, à Toulouse-sur-Chicago.
1. L’association existe toujours, sous le nom d’Association française de l’éclairage.
Des oies et des jeux ! Non, nous ne sommes pas dans un cirque romain, mais bien dans l’enceinte du Stadium où, en ce 24 mai 1953, le Toulouse Football Club rencontre le Cercle Athlétique de Paris. Sur le terrain, se tiennent côte à côte les joueurs du club toulousain devant leur nouvelle mascotte, une oie baptisée « Jeanne-Marie ». Le palmipède leur aura porté chance puisque, à l’issue de cette saison, le club toulousain est sacré champion de France de deuxième division.
Réalisée par André Cros, cette image révèle toute la malice du photographe. Captant l’air amusé des joueurs observant l’animal, puis nous le donnant à voir, il créé un ping-pong visuel efficace. « Les observateurs/scrutateurs observés » pourrait-on lire en légende du cliché.
Pour la petite histoire, l’oie devient l’emblème du TFC en avril 1953, suite au déplacement du club à Strasbourg, lors d’un match décisif de la division 2. Souhaitant offrir un cadeau à leurs homologues alsaciens, les dirigeants toulousains leur apportent une oie… vivante ! Hélas, un penalty sifflé en faveur du TFC – qui remporte la rencontre 2-1 – provoque la colère du président strasbourgeois. Hors de question qu’il garde l’animal ! Jeanne-Marie est ramenée à Toulouse, fêtée avec les joueurs à leur arrivée, devenant ainsi la mascotte du club avant de finir empaillée.
La découverte d’un fonds d’archives s’accompagne, bien souvent, de son lot de surprises et d’étonnements. Très récemment, celui du photographe toulousain Louis Albinet (1850-1938) a encore frappé. Après avoir évoqué les apparitions inattendues à l’image de son ombre lors d’un précédent billet, cette fois, c’est celle de cet escalier monumental qui est restée solidement ancrée dans ma mémoire. Nos lecteurs cinéphiles ont peut-être déjà une petite idée, mais aujourd’hui on voyage à Odessa, et je vous raconte à quel point une seule photographie peut avoir le pouvoir de témoigner si subtilement de l’histoire. En 1925, une scène mythique de l’un des monuments de l’histoire du cinéma, Le Cuirassé Potemkine, fait entrer dans l’Histoire les 192 marches de l’escalier Richelieu d’Odessa. Réalisé par Sergueï Eisenstein, le film raconte un épisode historique de la Russie : la révolte et la mutinerie de l’équipage du Cuirassé Potemkine survenues pendant la révolution de 1905, considérées comme prémices de la Révolution d’Octobre 1917. Ce long-métrage, en plus d’être pour l’époque une véritable prouesse technique usant d’un des premiers travellings du cinéma, est surtout réputé pour être une des œuvres de propagande majeure du XXe siècle. Sous la demande du gouvernement soviétique en place, l’auteur romance et transforme l’histoire, usant de procédés esthétiques révolutionnaires, pour appuyer la nouvelle philosophie idéologique en place.
Attendez, pas la peine de vous essouffler en grimpant à toute allure ces 142 mètres qui s’étendent entre ces deux différents récits d’une seule et même histoire. Prenons tout de même un peu de temps pour faire une pause, et arrêtons-nous sur un des neuf paliers intermédiaires pour écouter celle de Louis Albinet, l’auteur de cette vue stéréoscopique sur plaque de verre. Au cours de la Première Guerre mondiale, le photographe est mobilisé sur le front d’Orient et intègre le Service Archéologique de l’Armée d’Orient. Dans ce cadre, il produit une importante quantité de clichés et nous fait voyager en Grèce, allant de Salonique à Delphes, puis en Turquie, pour terminer sa course, en mars 1919, dans la ville d’Odessa. Peu avant son retour en France, il nous dévoile l’atmosphère hivernale de cette ville et arpente ses avenues enneigées. Situé en contrebas de cette enfilade interminable de marches, il double de quelques années le réalisateur russe, et révèle cet ouvrage architectural qui deviendra, des décennies plus tard, si célèbre.
Croyez-le ou non, les escaliers ont bien des histoires à nous raconter. Je ne peux d’ailleurs pas m’empêcher de terminer cet article par une de mes dernières trouvailles, encore signée de la main de Monsieur Albinet. Il nous emporte avec lui à Sienne, en Italie, en compagnie de sa très chère épouse. Qui sait, peut-être que cet escalier fort photogénique, mis en valeur par les douces lumières des vacances, ainsi que la pose de Juliette Albinet vous évoqueront quelques belles histoires et raviveront les scènes les plus marquantes issues de vos films ou séries favoris.
Ce qui est incroyable avec le fonds Dieuzaide c’est que vous tirez sur un fil et toute la pelote se déroule. Un peu comme quand je cherche un titre à mon article. Par exemple, sur le thème de la grenouille, une première recherche nous permet de découvrir un reportage de 1946 intitulé « Quatre jeunes filles en vacances à la campagne » où une des photographies porte la légende « chasse à la grenouille ». C’est maigre pour un article Arcanes. A peine peut-on parler du fait que ce sont les premières vacances post-guerre et que Jean Dieuzaide, comme ses contemporains, souhaite passer à autre chose, montrer que la jeunesse française peut se détendre, profiter de la paix, sortir les bikinis et taquiner le batracien. Sorte de mantra pour conjurer la morosité. D’ailleurs, dès 1945 il avait photographié les premières vendanges en temps de paix après 6 années de répression.
Mais en creusant plus avant, de frogs en rosbifs, s’impose la question de la cuisine traditionnelle ou, plus largement, de l’alimentation. Et là, il y a. Plus qu’on ne pense. Il y a de quoi illustrer une évolution de la production agroalimentaire et de sa communication pendant les Trente Glorieuses.
Joie. Et frustration parce que l’exhaustivité est une illusion.
Nous avons donc, pour la production, le gavage des oies à la main et avec le sourire (toujours en 1946 et visible en ligne), la transformation et le conditionnement du lait dont la production de beurre (Union laitière coopérative), de biscottes (Paré), la cueillette (alimentation de Provence). Le conditionnement n’est pas en reste avec un reportage sur la verrerie ouvrière d’Albi et la verrerie BSN. Signalons un reportage dédié à la production de berlingots pour le lait et des images de produits à fins publicitaires chez ULC.
Et la commercialisation, on en parle ? Le fonds regorge de prises de vues dans les foires et les marchés, que ce soit autour de joueurs de rugby, de célébrités résidant ou de passage à Toulouse et bien entendu des reportages spécifiques sur les activités économiques. Cela nous mène inévitablement aux foires-expo ou au marché-gare, dont il a également suivi la construction, des maquettes (pour la municipalité de Toulouse) à la fabrication par les Ateliers de la Rive (nous en avions exposé un tirage aux Jacobins en 2021-2022) et l’entreprise Loupiac. Inauguré le 21 avril 1964, André Cros s’y trouve, alors que Jean Dieuzaide est à Arnaud-Bernard pour suivre sa dernière journée de vente. Rassurons-nous, il a suivi de près l’arrivée de l’Épargne et de Monoprix. Ceci nous permet d’affronter un choix cornélien : architecture ou industrie ? Mais si nous restons fidèles à notre idée de départ et que nous nous en tenons à l’alimentation, d’un marché à l’autre nous passons à Victor-Hugo et aux Carmes, dont Dieuzaide nous offre des avant/après reconstruction. Poussons encore d’un pas et partons dans le Gers, nous y trouvons le marché au gras de Trie-sur-Baïse ; continuons à l’étranger : la nourriture reste très présente dans les reportages au Portugal, en Turquie et en Espagne. Poursuivons plutôt vers le nord : même à Londres, il nous délecte d’étals. Nous voici presque au point de départ, un petit saut de grenouille et nous voilà sur nos pattes.
Deux hommes – l'un muni d'une épuisette, un filet de pêche autour du cou, l'autre affublé d'un étonnant costume – encadrent un petit chien déguisé posant, sous une ombrelle, en équilibre sur une bicyclette. Une représentation de l'absurde ou de la fête, qui prend parfois un tour déraisonnable, extravagant. On notera l'air malicieux du personnage de droite et les sourires de ceux qui assistent à la scène, à l'arrière-plan. Sa casquette vissée sur la tête, le personnage de gauche essaye quant à lui de garder son sérieux, le temps de la photo s'entend. Sans élément de contexte, que dire de cette image sinon qu'elle illustre un certain sens de la fête ?
Nos fonds iconographiques comprennent de nombreux clichés réalisés lors de cérémonies, banquets, foires, bals populaires, cavalcades et carnavals… qui nous offrent un témoignage unique de la façon de faire la fête, de célébrer et de commémorer les événements à Toulouse au fil du temps. Cette photographie extraite d'un reportage du photographe et homme de presse, Marius Bergé, montrant comment se déroulaient les festivités du 14 juillet dans les années 1920, n'en fait pas exception. Pendant l'entre-deux-guerres, la célébration de la Fête nationale donnait lieu à l'organisation de toute une série de manifestations : à la traditionnelle revue des troupes pouvaient ainsi succéder des Joutes Cettoises ou des régates sur la Garonne, des courses hippiques ou taurines, une fête de gymnastique, l'arrivée d'un critérium cycliste, un concours de bébés et voitures fleuries au Grand-Rond. Mais ce n'est pas tout.
L'image que nous vous présentons a été prise en marge du fameux concours de pêche initié alors sur les bords du Canal, chaque 14 juillet, par la Société des pêcheurs à la ligne de la Haute-Garonne. Concours qui était précédé d'un défilé costumé – et en musique – lors duquel les pescofis ou pêcheurs toulousains rivalisaient d'originalité. « Les pêcheurs à la ligne ont eu leur journée le 14 juillet » rapportait Le Cri de Toulouse du 28 juillet 1923. « Ils n'ont pas pris la Bastille… mais dans le canal de Brienne, une quantité notable de poissons. 800 lanciers avaient bravé une journée torride pour pincer un chevesne ou un barbillon, voire même un coup de soleil. »
Je vous amène aujourd'hui dans l'immédiat après-guerre, dans une photographie vivante, qui peut provoquer une sensation de vertiges en cascade.
Des lignes horizontales sur la gauche confrontées à une soudaine verticalité puis à un enchevêtrement de barreaux sur la droite, aucune rondeur, pas d'humain : la lecture est malaisée au premier abord. L'œil cherche un appui, une référence et tout à coup la surface granuleuse du sol boueux apparaît. Alors suivent les tubes, les bacs où l'on voit couler la boue, l'échafaudage, puis le point de vue : le photographe perché au sommet d'une plateforme qui repose sur une tour étroite et vide nous oblige à sonder le trou vertigineux. On imagine la machinerie, les exhalaisons soufrées, le vacarme des moteurs avec leurs moyeux d'acier graissé, les mécaniciens contrôlant, changeant les trépans, têtes aveugles perforant l'intimité de la terre à des profondeurs encore jamais atteintes.
Une première percée à 1900 mètres en 1939 sur la commune de Saint-Marcet, dans le Comminges, permit à la France de s'approvisionner en gaz naturel « local » jusqu'à ce que le gisement soit réputé épuisé, en 2009. Avant d'avoir des idées, nous avions un peu de pétrole.
Jean Dieuzaide réalise ses premiers reportages sur les hydrocarbures pyrénéens dès 1945-1946. Il documente le ravitaillement en gaz à Toulouse par wagons chargés de bonbonnes. Il se rend dans le Comminges où il photographie les chercheurs dans les laboratoires de géologie de Saint-Gaudens puis le site de forage, les installations et les ouvriers au travail.
Plus tard, il œuvre pour la Régie autonome des pétroles (RAP), se rend dans le Sahara algérien sur la base d'In Amenas, travaille pour la société nationale des pétroles d'Aquitaine (SNPA). Une partie non négligeable de ses photographies industrielles a été réalisée autour du pétrole et ses dérivés et en 1993 l'entreprise Elf achète la quasi-totalité des négatifs issus de ce travail*. Nous avons encore, aux Archives de Toulouse, tout ce qui concerne le client Heurtey, ainsi que les premiers reportages de 1945-1946, visibles en ligne.
*Vous pouvez venir sur place consulter le contenu de ce reportage de 1964 en Algérie, cédé par l'auteur au groupe pétrolier.
Début des années 1950, le tourisme se développe à grandes enjambées dans une France où la voiture est une botte de sept lieues, sur un réseau routier qui se modernise. Michelin (pneus, cartes jaunes, guides verts et chefs étoilés) fait des émules : les guides touristiques se répandent, s’attachant une suite de spécialistes du patrimoine dans laquelle Jean Dieuzaide s’insère.
On sait qu’il rencontre Benjamin Arthaud dès 1950 lors d’une réunion du groupe des XV à Paris (groupe dans lequel le photographe Lucien Lorelle le fait entrer), et qu’il débute, à partir de 1953, une grosse décennie de collaborations avec l’éditeur isérois, après avoir fait ses preuves dans La Gascogne. On sait aussi qu’en 5 ans il illustre 13 volumes de la collection « La France illustrée » chez Alpina, petits ouvrages faciles à sortir du sac pendant les vacances ou à utiliser pour faire visiter la région aux amis de passage. Après Alpina il entame une collaboration avec Dom Angelico Surchamp pour les éditions Zodiaque. Une nouvelle rencontre marque l’œil de Dieuzaide, celle de l’art roman, et plus largement du patrimoine religieux médiéval, qui fait écho à sa spiritualité. Après une participation en 1956, il signe la photographie de 6 volumes entre 1958 et 1963 et obtient en 1961 le prix Nadar pour Catalogne romane. Parallèlement il œuvre aussi pour l’éditeur toulousain Privat avec des publications sur l’histoire régionale entre 1955 et 1967.
Ce sont les Trente Glorieuses et il faut alimenter l’appétit de découverte et de voyages avec des publications étoffées ou faciles d’accès mais toujours alléchantes. L’illustration, et particulièrement la photographie, y tient une place de choix. Majesté d’un monument, authenticité de traditions, mise en valeur de richesses locales, le photographe doit traduire l’atmosphère qui donnera envie de venir sur place, il séduit le chaland. En cela, Jean Dieuzaide est un métatouriste. Il parcourt une grande partie du sud de la France et de l’Europe, mais pas que, cahier des charges en poche et valise pleine de documentation sur les destinations pour lesquelles une publication est programmée.
Il visite ainsi une vingtaine de régions et pays en un peu plus de 15 ans, participe à une trentaine de publications et engrange une matière photographique qui remplit plus de 60 albums, consultables sur rendez-vous aux Archives. C’est en partie par ces pérégrinations que Dieuzaide se forge une patte. Son regard s’aiguise, son réseau se développe, il se forge une place notable auprès des directeurs d’entreprises et institutions et répond à leurs très nombreuses commandes, dont nous parlerons lors d’un prochain billet.
Sale/salle/salé… Je ne sais si cela tient à la saison estivale – propice aux voyages en tous genres et tous azimuts – mais le sujet abordé ce mois-ci dans Arcanes ouvre, aux rédacteurs et « passeurs de mémoire » que nous sommes, un vaste champ des possibles. Que de directions s’offrent à nous ! Alors pourquoi ne pas les emprunter toutes ?
C’est au bord de l’eau, sur les quais de la Garonne, que je m’engage. Là, sur le port Saint-Pierre, le port de la Daurade et le port Viguerie, les lavandières sont au travail. Leurs étendoirs de linge
(sale)
immaculé ponctuent de blanc les représentations anciennes que nous avons du fleuve, nous éblouissant encore de leur clarté et nous procurant une sensation de fraîcheur. Un peu plus loin, c’est sur une île que nous arrivons – Le Ramier – où, dans les années 1925-1930, l’architecte Jean Montariol conçoit, à la demande de la municipalité socialiste, le parc municipal des Sports, véritable palais d'éducation physique et d'hygiène. Une étonnante série de plaques de verre, réalisées en juillet 1931 à l’occasion de l’inauguration de la piscine d’été, nous montre la salle des Fêtes ou salle Jean-Mermoz encore en travaux, comme vous ne l’avez jamais vue.
De la salle Jean-Mermoz à l’aérodrome de Montaudran, il n’y a qu’un pas… ou qu’une association d’idées. A bord d’un avion Latécoère, mettons le cap vers le Sud. Après avoir survolé le détroit de Gibraltar, fait escale à Casa la blanche, longeons les côtes africaines en direction de Dakar en passant par le mythique cap Juby. Sur cette ligne, Saint-Ex, Mermoz, Reine… affrontaient quotidiennement la brume, la chaleur et le vent de sable pour acheminer le courrier au péril de leurs vies. Sale temps pour les pilotes, pourrait-on croire ! Or, pour beaucoup, comme Emile Lécrivain, il n’y avait pourtant de plus beau trajet. « On y grille, on y est pris par les Maures, on y reste. Mais on ne peut s’en détacher. Il n’y a pas de plus belle ligne que Casa-Dakar. Quand le temps est clair, qu’on a la mer bleue d’un côté, le sable tout fauve de l’autre et le ciel au-dessus, que le moulin tourne rond, tout chante à l’intérieur1. »
Ce voyage au fil de l’eau, à travers les époques et nos fonds photographiques, ne serait pas complet sans un bain régénérant dans l’eau salée. Ici, au Cap Ferret, en 1908. Plouf !
1. Joseph Kessel, Vent de Sable (Gallimard, Paris, 1966).
En préambule à l’exposition Ce qui arrive (Fondation Cartier, Paris, 2002), imaginée par le philosophe et urbaniste Paul Virilio sur le thème de l’accident, le visiteur pouvait lire ces lignes éclairantes : "L’un des principaux phénomènes opposant la civilisation contemporaine à celles qui l’ont précédée est la vitesse. L’accident en découle. Il est une accélération qui affecte la vie, l’art… Les sociétés qui développent la vitesse développent l’accident." L'accident – défini comme "ce qui arrive" et qui produit toujours un effet de sidération et de surprise – fait partie intégrante de l’histoire contemporaine. Et les photographies en sont les premiers témoins.
La recherche par mot-clé « Accident » dans notre base de données dédiée aux images donne lieu à une foule de résultats illustrant la diversité de la thématique. Depuis les catastrophes naturelles comme les inondations, aux sinistres artificiels de type industriels ou techniques, tous les aspects ou presque de l’accident y sont archivés : des accidents d'avions, de trains ou de voitures – plus attendus – à celui, plus rare, d'un attelage désuet renversé sur « l’ânodrome » des Amidonniers... Et comment évoquer les accidents à Toulouse sans parler de la catastrophe de la Dalbade, fait marquant de l'histoire locale, largement documenté par les photographes Louis Albinet et Marius Bergé ?
Sur le cliché que nous vous proposons, c’est pour les passagers du tram de la ligne 16, reliant Capitole à Guilheméry, que les choses se sont gâtées. Samedi 3 mai 1941, il est presque 14h30 quand un tramway remonte l’avenue Camille Pujol. A l’arrêt situé à proximité du Caousou, un court-circuit se produit. Alors que le wattman descend pour constater l’accident, relate La Dépêche du 4 mai 1941, la motrice fait subitement marche arrière et, prenant de plus en plus de vitesse, sort de ses rails, rentre dans la rue Jean-Goujon, traverse le boulevard de la Gare pour finir… dans les eaux du Canal. Certains passagers vont même jusqu’à sauter de voiture lors de cette course folle. « Jusqu’à une heure avancée, une foule considérable stationnait sur les bords du Canal, témoigne le journaliste. En ville, ce tragique accident a provoqué une profonde émotion ». De la sidération, sans doute.
Une personnalité dont je n’ai pas retenu l’identité aurait déclaré que Dieu, dans sa grande clémence, a donné la soif aux humains pour qu’ils puissent profiter du raisin. Etrangement, dans ces moments, un grand verre d’eau me semble plus approprié et le raisin, je m’en empiffre sans modération lorsque la saison arrive (avec une préférence pour le muscat qui poussait sur la vigne grimpante dans le jardin de mes grands-parents). Je vous laisse tirer les conclusions que vous préférez quant au vin.
En revanche, je peux vous parler de ce que j’observe dans le fonds photographique de Jean Dieuzaide que j’ai la chance d’entretenir tous les jours comme une vigneronne cultive sa vigne. L’agriculture y tient une bonne place, notre photographe montrant une inclination pour le monde rural, ses paysages, ses habitats, ses productions, l’organisation et les gestes du travail de la terre par les animaux, les femmes et les hommes. Parmi ces sujets, la vigne et le raisin témoignent d’un intérêt persistant, mais aussi d’une commande constante de photographies viticoles.
À partir de 1951 l’activité de Yan, qui se présente comme photographe reporter, se diversifie. Il pratique la photographie d’illustration pour plusieurs maisons d’éditions, travaillant ainsi pour Arthaud, Alpina, Zodiaque, Braun, Privat, entre autres. Il s’agit, dans ces années, de relancer le tourisme et de valoriser les richesses régionales : patrimoine religieux, industriel, mobilier, bâti, immatériel, paysages. La France est un pays de vin, chaque région productrice souhaite mettre en avant son terroir et ses pratiques ancestrales. Les commandes que Dieuzaide honore comptent inévitablement des passages dans les vignobles, de préférence au moment des vendanges. Nous conservons ainsi des reportages en Armagnac, Gascogne, dans le Tarn, en Gironde (notamment au Château Lafite), dans le Minervois, à Banyuls, Moissac, en Haute-Garonne, Charentes Maritimes, Anjou et en Alsace.
La plupart de ces photographies sont issues de reportages ou de commandes spécifiques réalisés pour des éditeurs, mais sont regroupées dans l’album « Agriculture », consultable sur place et sur rendez-vous.
« Il est tout à fait d’un philosophe ce sentiment : s’étonner », déclare Socrate au début du Théétète, dialogue platonicien sur la science. « La philosophie n'a point d'autre origine ». Or l’étonnement ne saurait pourtant lui être réservé, loin s’en faut.
Ainsi est-il fréquent, dans les services d’archives figurées, d’entendre les uns et les autres s’étonner, s’émerveiller ou même s’émouvoir devant certaines images qu’ils voient défiler. Et l’interjection Oh ! de compter parmi les favorites des archivistes/iconographes.
Quelle n’est pas en effet notre surprise quand l’on retrouve, après maintes investigations, le contexte de prise de vue ou la localisation d’une série d’images d’abord énigmatiques, ou lorsque l’on voit ressurgir, au détour d’un cliché, un édifice, une place ou même tout un quartier aujourd’hui disparu, si non entièrement transformé. Parfois, c’est le sujet même qui nous interpelle par la rareté de sa représentation, son étrangeté ; parfois c’est son caractère désuet qui nous touche. Il arrive même que la beauté de certaines images vienne à nous couper le souffle. Le sentiment du sublime n’est pas loin. Comme cette photographie du pont Saint-Pierre, sur plaque de verre, prise en 1927 par le photographe toulousain, Louis Albinet, que je soumets à votre regard.
Si le nom de Jean Dieuzaide évoque inévitablement la photographie en noir et blanc, beaucoup ignorent que dès la fin des années 1940 il s’intéressait déjà à la couleur. Lorsqu’il conçut les plans de son nouvel atelier1, rue Erasme, en 1964, il prévit même un laboratoire spécialement dédié. Les processus de développement des négatifs, des diapositives et des papiers couleur sont très spécifiques, les tirages doivent être effectués dans le noir total, les chimies employées pour les développements sont différentes de celles utilisées pour le noir et blanc. En entrepreneur dynamique, toujours à la pointe de la technologie et à la tête d’un laboratoire renommé dans tout le sud de la France, Jean Dieuzaide s’est naturellement lancé dans l’aventure.
Diapositive ou négatif, les deux supports ont été utilisés pour des commandes de clients. En revanche de nombreux clichés à destination de la presse ou des éditeurs, illustrant des ouvrages sur Toulouse, sur les régions et les pays dans lesquels Jean Dieuzaide a été missionné, ont fait l’objet de variantes en diapositives.
Vous n’avez pas encore vu de numérisations de photographies en couleur issues du fonds Jean Dieuzaide sur notre base de données, c’est normal, nous œuvrons en priorité pour rendre visible le noir et blanc. Cependant vous avez pu croiser des indications de leur existence. En effet, le fonds est très organisé, avec ses propres codes : couleurs, abréviations, vocabulaire. Ainsi, sur les albums de contacts vous verrez parfois des petits carrés de couleur en bas à droite des images. Le vert indique que pour l’image en question il existe un exemplaire sur négatif couleur, et le rouge pour les diapositives. Parfois ce sera exactement la même vue, parfois légèrement différente.
Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet des duplications de prises de vues lors d’un prochain article, en attendant je vous invite à l’observatoire du pic du Midi pendant l’hiver 1952-1953, après la mise en service du premier téléphérique permettant au personnel d’y accéder plus facilement et tout au long de l’année. L’image illustrant cet article est une diapositive couleur, identifiée grâce à ce contact. Les diapositives, très sensibles aux altérations, ont généralement “viré”, c’est à dire que certaines couleurs ont complètement disparu, laissant des images presque monochromatiques, souvent magenta. Le reportage entier, et en noir et blanc, est consultable en ligne (pages 37 à 43).
Avant de nous quitter, et juste pour le plaisir, voici une photographie issue d’un reportage sur les festivités du 14 juillet 1959 à Toulouse, dont vous avez sans doute déjà vu un tirage en ville, sous les arcades de la place du Capitole.
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L’un des principes de base en archivistique est le « respect des fonds », selon lequel chaque document doit être maintenu ou replacé dans le fonds dont il provient. Un fonds est défini comme un ensemble de documents, de toute nature, constitué de façon organique par un producteur dans l'exercice de ses activités et en fonction de ses attributions. Un document d’archives ne revêt donc de sens et de valeur que par rapport à cet ensemble, à ce tout dont il procède.
Il en va de même pour les photographies d’archives. Isolées, prises séparément, celles-ci pour la plupart – au mieux – nous interpellent, attisent notre curiosité ou nous séduisent. Elles ne finissent par faire véritablement « sens » qu’une fois appréhendées dans leur ensemble. Ainsi réunies, mises « bout à bout », les images s’éclairent soudain les unes les autres. Re-contextualisées, elles passent du statut d’œuvres quasi muettes à celui de témoignages délivrant des informations précises, documentant un événement, l’histoire d’un lieu, d’un individu, d’une entreprise, etc.
Sur ce cliché : deux sacs postaux en provenance ou en direction de la France posés sur le sol, devant un avion. A son bord, un pilote supervisant la manutention du courrier assurée par deux hommes en tenue de mécano. Isolément, que nous dit cette image, sinon qu’il s’agit là d’un témoignage de l’Aéropostale ? C’est une fois replacée dans son fonds d’origine, mise « bout à bout » avec celles issues de la même série, que l’image va dévoiler ses secrets. On apprend alors qu’on est ici au début des années 1920, à Barcelone précisément, où « La Ligne » imaginée par Pierre-Georges Latécoère pour le transport postal, faisait alors escale.
Et l’on découvre que le jeune homme timide, dissimulé sous sa casquette, est Amédée Jayet (1899-1981) qui a connu dans l’aéronautique civile, un étonnant destin. Entré en 1922 aux Usines Latécoère de Toulouse-Montaudran comme simple mécanicien, il a gravi rapidement les échelons pour finir directeur-adjoint du Centre de Révision de Toulouse d’Air-France. Proche de Mermoz, d’ailleurs rencontré à l’Escale de Barcelone, à la même période que notre photo, c’est à lui que ce dernier aurait confié avant sa disparition : « Vivement que je reparte en courrier sur l'Atlantique ! Au moins, là-haut, on vit ! »… Si la consultation de ce fonds (5Fi) récemment traité vous intéresse, les images numérisées sont accessibles ici.
Novembre 1947, Nérac (Lot-et-Garonne), des robinets de la fontaine de Fleurette, se met à couler de l’essence. En deux temps trois mouvements, l’affaire occupe la presse locale et nationale qui voient deux avis s’affronter : les uns assurent qu’un gisement se réveille, arguant que le sous-sol recèle un filon pétrolifère, les autres restent sceptiques et s’en remettent aux experts.
En attendant le verdict, Dieuzaide, méthodique, revient donc de Navarre avec des clichés qu’il classe soigneusement en album. D’abord des vues générales de la bourgade, sa rivière la Baïse, son château de la maison d’Albret, puis la fameuse fontaine à conter des histoires. Mise en situation de la population devant les robinets, on montre que le liquide s’enflamme, on tente même une mise en scène « à la façon d’un laboratoire », où, installé à un établi, l’on fait manipuler une bouteille avec une pince… tout en tenant une cigarette allumée à la main. Chaque élément décrit dans les articles parus est illustré, l’ensemble est localisé, daté et organisé*, un personnage est identifié, le reportage est paré pour la vente. Nous avons découvert que France Soir a publié une des photographies dans un article du 6 novembre 1947.
Pendant ce temps, les analyses se poursuivent et les conclusions tranchent le débat : le liquide recueilli est bien raffiné. La voix de la raison corrobore une enquête de police qui atteste de la disparition, possiblement dans le secteur, d’un camion de carburant dérobé en 1940. La piste de l’enfouissement puis de la détérioration des cuves sous terre semble la plus sérieuse, selon plusieurs papiers en date du 7 novembre 1947.
De là à savoir qui était le plus siphonné du camion dérobé ou de certains spécimens de la population, il y aurait un pas que nous ne franchirons pas. En revanche, lorsque nous franchirons une frontière, ce sera sans doute à pied pour aller constater de nos propres yeux si réellement du vin rouge coule de la fontaine d’Irache. Siphonner ou conduire, on a toujours dit qu’il fallait choisir.
* cliquer sur la vignette puis chercher les vues 64 et 65 pour voir les pages de l’album
Pour aujourd’hui, vos lunettes et jumelles ne suffiront pas, je vous conseille de vous équiper d’une longue-vue, ou même d’un télescope, et vous invite à plonger la tête dans les étoiles, et dans une brève histoire de l’astronomie. De tout temps, et même à Toulouse, le ciel et ses mystères ont toujours fasciné les foules. Après des prémices au cours du 17e siècle, inspirées des mouvances et avancées scientifiques de l’époque, c’est au 18e siècle, où Toulouse, acquiert un début de renommée dans ce domaine. Le tout premier observatoire s’installe dans une tour des remparts de la ville, mais rapidement jugé peu adapté, plusieurs scientifiques de l’élite toulousaine décident d’aménager leur propre espace dédié à l’étude des astres. Parmi eux, la personnalité de François Garipuy se démarque tout particulièrement, il installe son observatoire, au rez-de-chaussée, puis au tout dernier étage de sa demeure, située au 16 rue des fleurs, en plein cœur du quartier Saint-Étienne et à deux pas du Palais de Justice.
Presque un siècle d’observations et de découvertes a passé, avant la conception de l'actuel Observatoire de Jolimont. A partir de 1839, il fallait gravir la longue rue du 10 avril, pour atteindre un des points culminants de la ville, la butte de Calvinet, depuis lequel on construisit ce tout nouveau site dédié à l’astronomie. En ces lieux, c’est toute une histoire des sciences, mais aussi d’hommes et de femmes, pour certains devenus célèbres, tel que Benjamin Baillaud, d’autres anonymes, mais œuvrant avec passion en tant que techniciens, calculatrices, ou auxiliaires, à l’étude des phénomènes célestes. C’est depuis ces coupoles, à l’époque isolées de toutes nuisances lumineuses, qu’ils usaient d’instruments pointus, ou bien mystérieux (tout dépend du point de vue), afin de scruter de plus en plus près, ce qui nous paraît encore et toujours si inatteignable.
De nos jours, les études astrales ne sont plus réalisées au sein de cet établissement. Il nous faut maintenant côtoyer des sommets, certes pas au point d’atteindre les étoiles, mais c’est bien depuis le Pic du Midi, à 2 877 m d’altitude, qu’une partie des travaux de l’observatoire astronomique de Midi-Pyrénées est menée. Sur cette photographie, issue du fonds du préhistorien Émile Cartailhac, il nous donne à voir le site à l’aube de ses premières années. On distingue à l’image, les bâtiments nouvellement conçus, depuis 1880, portant tous deux le nom des fondateurs : Charles du Bois de Nansouty et Célestin-Xavier Vaussenat. On remarque aussi l’absence de la coupole Baillaud, construite quelques années après, au tout début du XXe siècle, en 1908. Apparaît aussi sur ce cliché, un photographe, sur le point d’immortaliser ce moment historique, ou bien de capter l’admirable point de vue dont il est aussi spectateur.
En février 2021, les archives ont fait l’acquisition d’un ensemble d’objets ayant appartenu à un ancien gardien de la prison Saint-Michel : une casquette brodée d’une étoile, une médaille et un diplôme délivré par l’administration pénitentiaire. Sans oublier la pièce maîtresse du lot : un étonnant portrait en buste dudit homme. Sur cette peinture, décorée d’un cadre blanc et doré, le surveillant est vêtu de son uniforme et coiffé de son couvre-chef réglementaire en feutre.
Mais l’aspect le plus intriguant de cette œuvre s’avère être la signature peinte en noir en bas à gauche, indiquant le nom de l’artiste et la date : Arthur Finemann, 1952. La légende familiale raconte que le portrait aurait été réalisé dans l’enceinte de la prison et par un des prisonniers. Après moult recherches, le verdict est tombé (sorti du chapeau), Arthur Finemann, était bel et bien un ancien détenu de la maison d’arrêt de Saint-Michel.
En juin 1951, convoqué par le tribunal militaire de Toulouse, il est condamné pour des crimes de guerre perpétrés lors de la Seconde Guerre mondiale. Ancien membre de la Gestapo à Rodez, il est jugé responsable du massacre de Sainte-Radegonde d’août 1944. Appelé le « Grand Luc », il hérite aussi du sinistre surnom de « terreur de l’Aveyron ». Après trois années d’emprisonnement à Toulouse, il quitte la France et finit par rejoindre son pays natal, l’Allemagne, pour y poursuivre son activité de peintre et de marchand d’art.
Il est vrai que le portrait lui-même présentait certaines caractéristiques, pour ne pas dire un air de famille - notamment en termes de pilosité - qui auraient pu nous donner des indications sur la personnalité de son auteur.
- « Rhaaa… mais c'est plus du grain là, c’est des patates ! »
Parmi les photographes qui ont travaillé en argentique, celles et ceux qui ont entendu ou prononcé cette phrase sont légion. On fait alors référence à l'aspect granuleux des films qui s'observe sur les émulsions très sensibles à la lumière, comme les 3200iso, ou, bien sûr, les pellicules de mauvaise qualité ou mal traitées. Ce qu'on ne sait pas toujours, même lorsqu'on est né au temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, c'est que la pomme de terre a réellement été utilisée en photographie.
En 1907, Louis Lumière met au point un nouveau procédé qui permet de restituer les couleurs sur une plaque de verre : l’autochrome. À la couche de gélatino-bromure d'argent désormais traditionnelle, il adjoint une couche de fécule de pomme de terre dont les grains ont été teintés en rouge, vert et bleu. Oui, je sais "that rings a bell", ou "ça dit quelque chose", comme on dit par chez nous. En effet, il s’agit du principe de restitution des couleurs par synthèse additive, dont les écrans de télévision cathodiques (que les moins de 20 ans, etc.), par exemple, utilisent le principe. C’est-à-dire que ce sont de petits points lumineux, alignés de manière régulière, qui reçoivent une quantité de lumière différente et la renvoient sur la rétine, le cerveau se chargeant d’analyser le mélange et de traduire l’information. L’espace colorimétrique restitué est donc très dépendant des teintes utilisées pour colorer la fécule, ce qui explique les couleurs surprenantes que l’on observe sur ces autochromes, difficiles à numériser.
La photographie qui illustre cet article est tirée d’une boite de 4 plaques montrant l’atelier de photographie de L. Ader, en 1907 justement. Outre les instruments et objets mis en scène et qui feront l’objet d’une autre publication, ce bouquet de fleurs est parfait pour montrer un grossissement de cette couche de poussière organique (ci-dessous).
Le percepteur d’impôts Charles Chevillot (1891-1980) a travaillé au Sénégal et au Mali ; il fut affecté à Aspet à son retour en France, puis dans la Sarthe, avant de revenir à Toulouse pour sa retraite. Il a pratiqué la photographie en amateur tout au long de sa vie. Son fonds compte près de 900 photographies, dont 160 plaques stéréoscopiques autochromes, réalisées entre les années 1910 et les années 1930, en Afrique, dans les Pyrénées et à Toulouse. Elles offrent une vision colorée rare de scènes et paysages que les moins de 90 ans…
Pour résumer, les premiers enregistrements en couleur de la réalité ont été rendus possibles avec de la poussière de pomme de terre. C'est patatique !
Ce n’est pas ce que vous croyez. Il est vrai qu’un virage constitue un changement d’orientation, que le terme peut être pris à la lettre ou à la légère, même si un virage est souvent lourd de conséquences. Point de brutalité ici, restons délicats, comme les virages photographiques.
Le procédé consiste à « combiner le dépôt métallique (argentique donc) avec des métaux nobles comme l’or, le platine, ou des éléments comme le plomb, le sélénium, le souffre, etc. »1. Utilisé dès le 19e siècle pour améliorer la stabilité des tirages, cela permet également de donner une teinte (du jaune au brun, du bleu au rouge en passant par le pourpre) à des photographies monochromes. Si l’on peut pratiquer le virage sur la totalité du tirage il est également possible de se restreindre à certaines parties de l’image, mais cette technique n’est pas une colorisation pigmentaire et n’est pas considérée comme une retouche.
Nous conservons peu de tirages virés aux Archives municipales. Le fonds Jean Dieuzaide en compte une trente-cinquaine, dont 8 sont actuellement exposés dans la rétrospective Jean Dieuzaide – 60 ans de photographie au réfectoire du Couvent des Jacobins. Parmi les autres, cette photographie issue de la très belle série Les orgues, initiée par une commande de l’État à l’occasion de l’Année du patrimoine en 1980.
1 Bertrand Lavedrine, (re)Connaître et conserver les photographies anciennes, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 2007, p. 146.
Ceci est une déclaration. Une déclaration à Toulouse, ma ville natale, que j’aime tant.
Quelle vue le photographe nous en donne-t-il là ! Lui qui s’est péniblement hissé à l’aide d’un comparse, avec son appareil et ses plaques de verre, sur le toit de la cathédrale Saint-Étienne. Il a l’air de faire si chaud ce jour-là. Des canotiers les protègent du soleil de plomb. Sous leurs yeux ébahis, la ville comme elle s’offre rarement au regard et sur laquelle semble flotter comme un air de vacances et de dolce vita. Toulouse n’est-t-elle pas d’ailleurs célébrée – depuis Stendhal et Henry James – pour son allure italienne ?
Les silhouettes des Augustins et des Jacobins comme les coupoles du Grand Hôtel ou de La Grave nous ramènent cependant à Toulouse. Et cette image, empreinte de douceur, est une invite à la découvrir autrement. « Si vous voulez flâner à travers Toulouse, conseillait Pierre Cabanne, ne prenez pas de guide, empruntez le lacis de rues caillouteuses et fraîches qui part de la place Saint-Étienne… le long des demeures des parlementaires, des nobles, des parvenus ou des marchands, regardez les façades, levez le nez sur les porches, entrez dans les cours, montez les escaliers… et, si vous le pouvez, grimpez sur les toits et rêvez. C’est la chose la plus agréable du monde que rêver à Toulouse1. »
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1 Pierre Cabanne, Toulouse (Paris : Éditions du Temps, 1963, coll. « Lieu-dit »).
La magie aujourd'hui a la cote. Et pas seulement dans cette Lettre consacrée à l'attribut du magicien ! Alors que se tient l'exposition « Magies et Sorcelleries » au Muséum de Toulouse, me revient en mémoire un beau livre sur lequel, dans une autre vie professionnelle, j'ai travaillé : le catalogue d'une exposition sur la photographie spirite, organisée par le Metropolitan Museum (New York) et la Maison européenne de la Photographie (Paris), retraçant les liens entre sciences occultes et photographie1. Au fil de l'édition de l'ouvrage, je découvrais stupéfaite des clichés aussi étranges que fascinants. Transes, lévitations, visions fantomatiques, apparitions de fées (!), médiums faisant surgir de leurs corps de mystérieux ectoplasmes... Autant de manifestations de l'invisible que les photographes avaient réussi – avec plus ou moins de bonheur et souvent de trucages, diront les plus sceptiques – à capter. Sur cette image, point de médium en transe ni de tables qui tournent, mais un illusionniste, avec ses accessoires, proposant ses tours de magie à un public qui lui semble acquis.
Si la photographie entend documenter le réel dans toute sa matérialité, ses liens avec l'occulte sont plus nombreux qu'il n'y paraît. Les daguerréotypes n'avaient-ils pas, selon Walter Benjamin, le pouvoir de capturer l'aura ? Et de saisir cet inconscient optique qui échappe à notre regard ? « La nature qui parle à l'appareil photographique, écrivait-il, diffère de celle qui s'adresse à l'oeil »2... De même, la vision en relief de cette image stéréoscopique colorisée ne relevait-elle pas du tour de magie pour ceux qui, à la fin du 19e, la découvraient ? Et que dire enfin de ce médium qu'est la photographie qui permet, comme d'un coup de baguette, de nier l'espace et remonter le temps, nous mettant en présence de contrées lointaines et d'êtres disparus ou absents ?
1. Le Troisième œil : la photographie et l'occulte, Denis Canguilhem, Clément Chéroux et Pierre Apraxine (Paris, Gallimard, 2004).
2. Petite histoire de la photographie, Walter Benjamin (Paris, Allia, 2012).
Qu’il s’agisse du cachet de la poste sur une carte postale, de celui d’un photographe, d’un organe de presse ou d’une administration au dos d’une photographie, le tampon est ce qui peut permettre de dater l’image, d’en révéler l’histoire, parfois la raison d’être mais surtout la provenance. Simple tampon au verso ou timbre sec apposé à même le cliché (cf. notre illustration), il reste un outil de choix qui nous renseigne sur l’auteur et les droits d’utilisation de l’image. Plus souvent qu’on ne croit, le tampon reste pourtant le grand absent des photographies que nous traitons, nous privant d’informations essentielles et transformant celles-ci en « images muettes », selon le mot de Semprun.
Comment savoir alors quel regard se cache derrière ces photographies ? Il est ainsi assez fréquent – ce qui rend notre métier encore plus exaltant – que nous menions un véritable travail d’enquête pour remonter, d’indices en indices, jusqu’à leur auteur. Des investigations parfois longues, minutieuses, pouvant aboutir à des résultats que l’on n’espérait pas !
Ainsi d’une série de 1300 plaques de verre documentant la vie toulousaine dans les années 1900-1920, mais aussi des opérations militaires menées en Afrique du Nord, notamment au Maroc, avant l’établissement du protectorat français. Des documents conservés dans nos fonds depuis plusieurs années et dont l’auteur demeurait une énigme. Aidés d’un petit carnet de notes – souvent sibyllin – attribué au photographe qui n’y livrait jamais son identité, d’une occurrence d’un nom de famille qui s’est avéré être celui de la femme qu’il avait épousée, ce n’est pas sans émotion que nous avons réussi, en épluchant les actes d’état civil, à retrouver notre homme. Ces photographies avaient maintenant un auteur dont nous connaissions désormais, grâce à l’acte de naissance et au matricule militaire de ce dernier, les grandes dates de la vie. Et quelle ne fut pas notre surprise de tomber un jour par hasard, en salle de lecture, sur l’arrière-petit-fils de ce dernier auquel nous avons eu la joie de faire découvrir ces clichés !
Un enfant dans un nid : pourquoi pas dans un chou ou une rose, tant qu’on y est ! Celui-ci est en robe de baptême ; ne lui manque qu’un ruban sur le crâne, et nous voilà avec un bel œuf pascal. Songez-y, parents, cette pauvre diablesse n’a rien demandé, et la voici pour la postérité, posant, le regard incrédule, mains sur les hanches et doigts de pieds en éventail. Ce bébé-là est habillé, mais à cet âge ils sont souvent représentés nus, ce qui est le cas depuis au moins le Moyen Âge si vous regardez bien. Il faut donc concevoir la nudité comme une incarnation* de la pureté, de la naïveté ou de innocence. Soit. Mais les choux, nids et autres rosiers, de quoi sont-ils l’expression ?
*Cet enfant n’est pas nu et je lui ai attribué le terme d’incarnation. Le coussin dans lequel il est calé forme deux petites ailes derrière lui, qui font de lui un ange. C’est une référence à l’Annonciation, qui, dès l’iconographie médiévale, marque l’incarnation divine.
Et si l’on poussait nos sens jusqu’à l’étourdissement, jusqu’au vertige ? Et si l’on s’évadait, le temps d’un billet, sur les allées Jean-Jaurès quand elles s’appelaient presque encore « Lafayette » et que s’y déroulaient, chaque année, les populaires « Foires de Mai »… ?
C’est à une immersion totale et joyeuse dans une fête foraine bruyante, odorante, colorée, que je vous invite. Vous aussi êtes en manque de sensations fortes, de sourires et de promiscuité ? Saisissez cette occasion de vous mêler un instant – du moins en pensée – aux visiteurs arpentant les allées. Que leur flot vous emporte et vous grise ! Entendez-vous le grondement de la foule ? Et cet air entraînant et désuet que jouent, à pleins poumons, les cuivres de la fanfare voisine ? A côté, c’est une autre musique : celle du rugissement des tigres de la ménagerie Pezon, dont se dégage une forte odeur de cuir... Vous y êtes ?
Un peu plus loin, après le coin des lutteurs et les baraques des marchands de bibelots, les magiciens font concurrence aux cartomanciennes et autres vendeuses d’espérance. Puis, ce sont les manèges et leur promesse de tourbillon vertigineux. Que ne laissez-vous transporter et découvrir le monde – sinon Toulouse – à l’envers, à bord d’un wagon lancé sur les montagnes russes ? Ne manquez pas non plus la fameuse roulette et autres jeux de hasard. Tout est prétexte pour tenter sa chance. Alors faites vos jeux !
Notre lettre est donc ce mois-ci consacrée au « soupir ». Superbe occasion, me suis-je dit, d’évoquer Venise – à laquelle je suis aimantée – et son pont fameux. Une opportunité, ai-je pensé, de faire (re)découvrir à nos lecteurs les belles photographies sur plaques de verre réalisées par Eugène Trutat et ses confrères de la Société de Géographie de Toulouse lors de leur périple en Italie dans les années 1880-90. Et de conclure ce billet par une citation s’apparentant à un soupir : "Voir Venise et mourir"... L’affaire était dans le sac !
Or, après vérification… il s’avère que ce ne sont pas les charmes de la cité des Doges qui ont inspiré à Goethe cette citation. Loin s’en faut ! Le poète ayant été subjugué, comme il l’écrit dans son Voyage en Italie, par les magnificences de… Naples.
Me voilà donc partie pour rédiger cet article avec, pour seuls bagages, une citation et un soupir ! « Voir Naples et mourir ». Changement de cap, donc ! Quittons les canaux de la mystérieuse et brumeuse Venise pour la lumière de la Campanie. A nous l’Italie du Sud, ses routes escarpées, la côte Amalfitaine qui n’est que poème, les ruines de Pompéi et le Vésuve dont la cime enveloppée de nuages surplombe le golfe de Naples. Cela ne tombe pas si mal, me direz-vous : Eugène Trutat et ses amis géographes nous ont laissé des souvenirs enchanteurs de leur séjour là-bas. Un album-photo que les voyageurs, désormais immobiles, peuvent consulter en un clic, sans sortir de chez eux.
Un pourpoint, une cape, une barbiche, des bas, des souliers, des froufrous, une fraise, un chapeau à panache, des gants : le costume est riche, et renvoie au 16e siècle. L’artiste, dans une attitude presque bouffonne, soigne son image. Mais quoi d’autre ? Nous avons peu d’informations : une notice descriptive, la numérisation du recto et celle du verso.
La photographie est collée sur un carton orné d’un cadre. Ce décor compte plusieurs motifs en référence à la musique, qui ne sont autres que les attributs des muses de la poésie et de la danse. Sans chercher très loin, on peut supposer qu’Eugène Merlin, qui comptait des artistes dans sa clientèle, avait aussi de quoi présenter ses travaux. Nous avons trois portraits de petit format montrant trois personnages dans le même studio à décor peint, mis en évidence sur un carton avec cadre, destiné lui-même à être encadré. Quelle mise en abîme !
Il est des détails qui peuvent passer inaperçus ou que l’on croit insignifiants. Et pourtant…
Quand on examine un portrait ancien conservé dans les fonds, on regarde généralement le tampon du photographe, l’arrière-plan et son décor, la tenue vestimentaire ou encore la coiffure du personnage. Autant d’indices qui vont nous aider à dater l’image, à la contextualiser et à la faire parler. Or, à se concentrer sur ces seuls éléments, on peut manquer l’essentiel : un geste, un regard, une posture, qui pourtant nous font signe(s).
Ainsi du geste, tout en délicatesse, de cette jeune femme posant dans le studio d’un photographe toulousain. Elle est assise, accoudée à une banquette, la main – à première vue – nonchalamment posée sur le dossier. A y regarder de plus près, il n’en est rien. Approchez-vous. Aiguisez votre regard. Voyez cet avant-bras et la texture de la peau. Percevez-vous, dans cet instantané, comme un frémissement – savant mélange de tension et d’abandon, d’appréhension et de confiance devant l’objectif du photographe ?
« Rien de ce qui semble furtif n'est négligeable car il révèle ce souffle de l'air qui entourait ceux qui nous ont précédés et qui nous effleurent encore » témoigne l’historienne Arlette Farge citant Walter Benjamin, qu’elle apprécie tant. Pour elle, certaines photographies sont une « forme de vibration ». Alors que l’histoire officielle passe sous silence les singularités, ces photographies de l’intime exhument les personnages invisibles et les âmes oubliées.
Le monde se partage en deux catégories de personnes : celles qui aiment le mois de septembre et celles qui ne l'aiment pas. Toutes les raisons sont valables, quel que soit le groupe dans lequel on se trouve. On peut déplorer la fin des vacances ou apprécier que leur interminable longueur ait enfin trouvé un terme. On peut se réjouir de retrouver les camarades de classe, les enseignants, les collègues, les entraînements de rugby, de porter enfin ces jolis vêtements neufs mais un peu trop épais pour le mois d'août, ou pas. Les bouchons se reforment gentiment sur des axes trop fréquentés, ce qui conduit à des décisions fracassantes : « puisque c'est comme ça, je vais prendre les transports en commun ! ».
Eh bien, il était temps. Cette possibilité est offerte aux toulousains depuis le milieu du 19e siècle, lorsque la ligne de chemin de fer ralliant Bordeaux et poursuivant vers Sète dépose ses paquets de voyageurs, leurs valises, malles, mallettes et boîtes à chapeaux dans le quartier Matabiau. Le réseau de tramways d'alors, conçu pour convoyer les voyageurs entre les différents quartiers de la ville et le chemin de fer, est très bien représenté sur le portail UrbanHist, avec ses 4 lignes au départ de la gare. Vous apprendrez notamment que celle-ci est agrandie tout juste 50 ans après son inauguration. Des plans indiquent l'emplacement prévu pour les consignes à bagages, ce qui vous permettait de laisser votre bagagerie sur place le temps de faire un tour en fiacre pour rapporter quelques souvenirs, puis de repartir fissa : direction l'étang de Thau, le port de Sète, les tielles et le muscat. Parce que oui, il y a d'autres avantages au mois de septembre : celui de partir en congés sans emporter la foule dans son balluchon, les familles bruyantes, les bambins criants, les voisins de plage envahissants, et autres désagréments pour juillettistes et aoûtiens.
Quant aux joies de la circulation à la rentrée, certains semblent leur avoir trouvé une parade : marcher sur les voies, mallette en main. Il n'est pas certain que ce soit efficace, ni confortable, ni sûr.
Parfaite illustration du vers de Baudelaire, cette photographie des années 1910-1920 est une invitation au voyage. Un voyage aux Pyrénées. Celui-là même qu'a entrepris Ludovic Gaurier né à Bayon-sur-Gironde en 1875, descendant d'une longue lignée de marins, entré dans les ordres avant de devenir professeur de sciences naturelles. Alors qu'il n'a pas 30 ans, la surdité le frappe et l'isole : il s'installe alors à Pau et décide de consacrer son temps aux Pyrénées qui le fascinent depuis l'adolescence. A lui, désormais, les grandes explorations solitaires – le surnom d'« ours » lui est attribué –, l'ascension des sommets, l'étude des glaciers, la limnologie…
C'est d'ailleurs sur les rives d'un lac pyrénéen que l'abbé Gaurier a installé ici son campement, réduit à l'essentiel : deux simples tentes de toile. Juste à côté, les mains posées sur les hanches, un chapeau vissé sur la tête, un homme contemple ce paysage grandiose. S'agit-il de notre pyrénéiste communiant avec cette nature ordonnée ?
Dans son journal, celui-ci relate une nuit d'été passée au clair de lune, au bord d'un lac de montagne. Un éblouissement que je vous partage, en vous souhaitant de bonnes vacances : « Décidément, il fait trop chaud dans mon sac en peau de mouton... Si j'allais faire un tour de canot ?... Quelle nuit magnifique !... Calme complet. Je détache le bateau et me voilà parti sur le lac. La lune à droite du petit Pic se reflète d'une rive à l'autre. Je nage dans la lumière et chaque coup de rame soulève des paillettes d'argent… Longtemps, je vogue ainsi, goûtant avec ivresse le calme divin de cette nuit. » Ordre, calme et beauté.
Le doux verbe, dont la seule pensée alimente chez moi des rêves d'autre-part ! Souffler, partir loin, à plus de 100 km, plus loin que la station spatiale internationale, pour plus longtemps que 55 jours, sans masque d'où les sourires ne peuvent plus jaillir que d'yeux, ni mètre, sans télé, sans travail, sans injonctions à la rentabilité du vide, sans école et sans maison. Partir juste dans un grand jardin ensoleillé, à bicyclette avec la liberté sur le porte-bagages. Soyons patients, ce sera pour bientôt. Nous retrouverons peut-être la même émotion qu'Eugène sur le quai de la gare Matabiau devant la fière mécanique fumante prête à l'embarquer vers les flots sétois en un éternuement !
Si nous ne pouvons attendre, il reste une solution : le visio-dépaysement. Cela consiste à se rendre sur une base de données bien garnie d'images, comme celle des Archives municipales, et à y entrer ses propres invites à la rêverie.
Nous sommes en mai 1936. Et, comme chaque année depuis des siècles, l'Académie des Jeux Floraux célèbre sa « fête des Fleurs ». L'éloge de Clémence Isaure, figure inspiratrice mystérieuse, ayant été prononcé en salle des Illustres, une délégation de membres de la plus ancienne société savante d'Europe se rend à la Daurade. Les fleurs d'orfèvrerie désormais bénites, il n'y a pas de temps à perdre.
C'est à pied et à un rythme soutenu – en témoignent les visages un peu flous saisis au premier plan – que les « mainteneurs », comme il est d'usage de les appeler, quittent la basilique, leurs fleurs de poésie en main. Après une halte à l'hôtel d'Assézat où la société a établi son siège, ils sont attendus au Capitole pour remettre aux lauréats du concours poétique leurs récompenses.
En 1819, c'est à un poète naissant – le jeune Victor Hugo, âgé de 17 ans – que l'Académie décerna, lors de ce même concours qui l'opposait à Lamartine, la plus haute distinction qui soit. Son « Ôde pour le rétablissement de la statue d'Henri IV » déchaîna, paraît-il, l'enthousiasme quand elle fut déclamée dans les salons du Capitole : elle méritait bien un Lys d'or ! Les années passant, Hugo n'oublia pas l'Académie des Jeux Floraux qui, la première, sut reconnaître et encourager son talent. Ces quelques vers extraits de son recueil, Les Feuilles d'automne, se font l'écho de ce passage toulousain : « Toulouse la romaine où dans des jours meilleurs, j'ai cueilli tout enfant la poésie en fleurs ».
Ceci n'est pas une injonction, seulement un titre – choisi avec soin – pour désigner cet article. Et il est de saison ! Que nous donne à voir cette image prise en 1949, peut-être un jour de printemps ? Une devanture de magasin, celle du « Parfait jardinier », institution toulousaine proposant depuis près de 150 ans aujourd'hui, aux numéros 2 puis 16 de la rue de Metz, des graines potagères, fourragères et de fleurs.
Difficile me direz-vous, en cette période de confinement, de se procurer fleurs et semences pour vaquer insouciant à sa passion du jardinage. Détrompez-vous…
Ce temps particulier, pour le moins distendu, n'offre-il pas l'occasion de cultiver d'autres jardins, cette fois intérieurs ? Ne peut-on transcender ce printemps confiné pour faire éclore, en « parfaits jardiniers », une créativité, des dons ou des ressources qui ne cherchent qu'à s'exprimer ? C'est à une éclosion de ce genre que je viens d'assister admirative, dans mon service : plusieurs de mes collègues et néanmoins amis s'étant portés volontaires pour prêter main-forte au personnel des centres médicaux avancés mis en place par la ville. Une action solidaire parmi tant d'autres qui me fait dire qu'en 2020, les qualités humaines font aussi le printemps !
Cette photographie ancienne sur plaque de verre exerce sur moi un pouvoir mystérieux. Elle capte mon regard, retient mon attention. Pourquoi certaines images nous aimantent-elles autant ?
Est-ce dû à leur sujet – à un événement, un visage, une attitude qui nous interpellent, à un endroit qui nous est familier ou que l'on affectionne ? Ou cela tient-il à des considérations esthétiques de forme : à une lumière, un contraste, une composition particulièrement léchée ?
Sur ce cliché, tout y est – ou presque. Une combinaison parfaite de fond et de forme. La forme d'abord : la prise de vue, en plongée, d'un chantier sur la Garonne qu'encadrent élégamment, au premier plan, le muret du Cours Dillon et, à l'arrière, le tablier et les arches du Pont-Neuf. Le sujet ensuite. Nous sommes en été 1937 et, conséquence des récentes crues, d'importants travaux sont engagés pour défendre Toulouse contre les inondations et renforcer les piles du pont.
En contrebas, des ouvriers s'affairent sur une machine noire aux cheminées fumantes : la sonnette, chargée d'enfoncer les palplanches qui isoleront les piles le temps des travaux. A l'arrière-plan, dissimulés derrière un nuage de fumée, le pont et ses arches revêtent un aspect étrange.
J'aime l'atmosphère qui se dégage de ce cliché. Et peu importent, en définitive, les considérations de fond et de forme, tant que les images continuent ainsi de happer notre regard.
En ce moment, aux AMT*, il se passe de drôles de choses. L'équipe au quasi grand complet, c'est-à-dire 24 personnes (car il y a tout de même quelques exemptions), s'adonne aux joies du récolement.
- Mais qu'est-ce donc, mon cher ?
- Nous comptons, ma mie !
- Vous comptez, j'en suis fort aise ! (Ainsi donc chez ces gens-là on compte …qui l'eût cru, moi qui pensais qu'on s'y abîmait les yeux sur de vieux parchemins poussiéreux !)
- Absolument. Nous comptons ce que nous avons dans nos fonds. Un mètre ruban dans une main, un ordinateur dans l'autre, nous mesurons les boîtes, nous contrôlons, comme des fourmis, centimètre après centimètre, les près de 18 km de rayonnages (du Capitole à Montastruc en ligne droite). Et croyez-moi, des documents, il y en a tant et tant ! C'est un vertige de cotes, une danse de numéros sur des tableaux, des croix dans des cases, des heures dans un magasin réfrigéré à scander des incantations de lettres insensées, à chanter des successions de phrases sans verbe, une poésie de chiffres à vous faire prendre des lignes de code pour du Rimbaud. Et tout ça pour quoi ? Je vous le donne en mille, ma mie !
- Je suis toute ouïe, très cher.
- C'est réglementaire. Oui, c'est obligatoire. Une municipalité se doit de faire le compte de ses collections tous les six ans : ce qui est entré, ce qu'il y a, ce qu'il manque.
- Vous m'en direz tant !
- N'est-ce pas. Alors oui, ces temps-ci, on récole.
*Archives municipales de Toulouse, pour les intimes.
Si vous avez été éduqués par ma mère ou ma grand-mère, vous connaissez sûrement l'expression « curieux comme un pot de chambre ». Si, comme je le soupçonne, vous avez grandi dans d'autres maisons, peut-être que la sonorité de cette phrase est nouvelle. Dans tous les cas, nous nous accorderons pour qualifier cette image de truculente. Inutile de poursuivre un master en histoire de l'art pour analyser l'iconographie : on comprend bien le propos.
Maintenant, imaginer qu'un homme, sûrement un soir de réveillon, s'est échauffé : « Moi, Môssieur, je peux tout vendre, et je le prouverai ! », puis le lendemain est allé trouver un photographe, lui a exposé son projet, et est revenu tirer les rois, brandissant fièrement sa nouvelle carte postale publicitaire, pourquoi pas ? C'est d'ailleurs forcément ce qui s'est passé. Mais je suis sceptique sur l'efficacité du résultat. Je serais même curieuse de savoir si les clients du sieur Raynaud ont apprécié.
J'enfourche, relève avec énergie la pédale avec le bout de mon pied droit puis pose sa pointe sur la petite plateforme mobile. J'aime la sensation que ce geste produit, il me galvanise. Je suis prête. J'attends de faire enfin tourner la transmission, de me balancer de tout mon poids sur une jambe puis sur l'autre. J'emmagasine l'adrénaline ; dès le coup de feu, je me jetterai avec elle et avec puissance sur mon guidon, le dos plat, le buste au-dessus de la roue avant. La vision en tunnel, je fixe déjà mon point de fuite, droit devant. Au bout de la première ligne droite, quand les autres prendront le virage, je prendrai la poudre d'escampette, et à moi la liberté ! Finie la course, vive les vacances, un bout de saucisson par ci, un grand bol d'air par là, je me poserai sur un bout de gazon et compterai fleurette aux coccinelles en regardant les nuages, les oreilles bercées par les grillons et chatouillées par les bourdons butinant leur trèfle.
Pas sûr que ces fiers cyclistes aient eu de telles pensées, ils ont l'air plutôt ravi, prêts à lancer leurs jambes droites par-dessus leurs selles comme dans un ballet classique, à virevolter de part et d'autre de leurs montures en poussant leurs corps au-devant des gravillons, un sourire à bouffer du moustique en travers de leurs gueules d'anges. Mais au bout du compte, pour eux comme pour moi, l'important est de prendre du bon temps et de revenir contents.
Si d'aucuns trouvent du patrimoine sous les sabots d'un cheval, ici, aux archives, nous pouvons dire que nous sommes assis sur une mine. Quand, de surcroît, les fonds photographiques se recoupent et qu'on y on trouve des pépites, l'iconographe atteint la quête ultime, l'absolu, et porte un toast au travail des photographes qui nourrissent chaque jour son cerveau d'hirondelle et lui permettent de tricoter entre les cotes.
L'album « sport » du fonds Dieuzaide dispose, dans la catégorie « cyclisme », de quatre contacts qui n'ont, à première vue, rien à voir avec la petite reine. Sous les pavés, le boulodrome… Les quatre hommes en train de rejouer la partie ne sont pas boulistes, mais cyclistes en plein Tour de France, et précisément en plein jour de repos avant d'attaquer les étapes de montagne le lendemain. C'est André Cros qui documente le moment, lequel a repris possession de ses négatifs et en a fait don aux Archives municipales de Toulouse. Pendant ce temps, Jean Dieuzaide était au bord d'une autre piste, celle du Grand Prix d'Albi où Fangio prenait le départ…
Le fonds Cros est entièrement numérisé et en ligne. Le fonds Dieuzaide, qui est en cours de traitement et de numérisation, est consultable sur place et sur rendez-vous.
20 h 30. Les spectateurs massés dans le ventre du chapiteau retiennent leur souffle, les yeux écarquillés, levés vers la plateforme où deux femmes en paillettes aiguisent leurs jambes et poudrent leurs mains. Les trapèzes se balancent déjà, prennent de la vitesse et décrivent des arcs de cercle sur la voûte étoilée. Deux genoux se plient, les mollets se bandent, l'impulsion se propage des métatarses aux épaules, un corps se propulse hors du temps. Des mâchoires serrées se relâchent, des bouches béent, des mains se tendent, des doigts puissants se serrent sur des poignets attentifs et le balancier s'accélère jusqu'à provoquer une inspiration collective et sonore lors du triple salto final, précédant de peu les applaudissements déchaînés du public exalté.
Si les « Compagnons du ciel » effectuèrent leurs sauts aussi périlleux que millimétrés sous les yeux incrédules d'un public sans aucun doute très nombreux, il ne nous reste qu'une image de cette troupe de voltige au complet. L'histoire ne dit pas si la bande comptait l'homme à la dentition de fer parmi ses membres, mais elle raconte que Francine Parry, l'une de ses membres (la jeune femme sur la gauche), battit le record du monde de durée sur fil sous le regard attentif de Jean Dieuzaide. C'était en 1957, trois ans avant l'image illustrant cet article, et c'est consultable sur rendez-vous aux Archives municipales.
L'accueil réservé le matin à nos deux aviateurs à leur entrée en gare Matabiau avait été chaleureux. À la hauteur de leurs exploits. Il faut dire qu'à bord de leur bréguet 19, le Nungesser et Coli, Dieudonné Costes et Joseph Le Brix avaient accompli, du 10 octobre 1927 au 14 avril 1928, un tour du monde. Et réalisé pour cette occasion la première traversée de l'Atlantique Sud sans escale, ralliant après 20 heures de vol Saint-Louis-du-Sénégal à Natal (Brésil). Depuis leur retour, ils étaient reçus en héros dans les grandes villes de France.
À peine arrivés à Toulouse étaient-ils attendus au Capitole : le maire, Étienne Billières, souhaitait leur remettre le diplôme de citoyens honoraires de la ville. Alors qu'ils sont conviés au Grand-Hôtel à un banquet organisé à grands frais en leur honneur, c'est au stade Ernest-Wallon qu'on les retrouve sur cette image. Car à Toulouse, dimanche 6 mai 1928, journée faste, se jouait une finale de rugby. Avant un tour de piste triomphal resté dans les mémoires – si original, relate un journaliste, que le speaker en oublia de présenter les équipes (!) – nos deux aviateurs, leur chapeau à la main, rendent hommage aux joueurs du Stade Toulousain morts pour la France.
Ils ont le bel âge. Tout leur sourit. Dieudonné Costes, une gerbe de fleurs dans les bras, arbore un sourire insolent. Joseph Le Brix a ce regard si particulier qui, selon Saint-Exupéry, éclairait et ennoblissait tout ce qu'il touchait.
Trois ans plus tard, lors d'un raid aérien devant le mener de Paris à Tokyo, Joseph Le Brix disparaîtra au-dessus des monts Oural. En vol.
Si 2019 est l'année de la teuf, l'ivresse et ses tournis coulent à flot sur les ponts depuis bientôt 35 ans. Les bateaux ne passent plus dessous mais bien dessus*, leur tangage nous donne des hallucinations. Liquéfiés dans le flux des véhicules qui roulent, eux, non sous la table, mais sous le tablier, les automobilistes restent au sec et s'interrogent sur la couleur de l'ouvrage : vert ou rouge (nous serions tentés de dire « un verre de rouge », mais la bienséance nous l'interdit je crois) ? Pont ou canal ? Soyons fous, prenons les deux et allons faire un tour sur la fiche UrbanHist du pont-canal des Herbettes.
* En cliquant sur ce lien vous arrivez sur la première photo de l'album de reportage sur les canaux à Toulouse. Pour voir l'image dont il est question dans l'article, il faut chercher la 63e.
"Toulouse sut toujours honorer ses morts. De mémoire de Toulousain, jamais elle ne donna le spectacle grandiose des triomphales obsèques qu'elle vient de faire au religieux qu'elle se plaît à appeler son saint1."
"Le saint est mort !" Vendredi 8 février 1907, à 5 h du matin, la ville était encore assoupie quand se propagea la nouvelle : le père Marie-Antoine, dit "le saint de Toulouse", s'était éteint à l'âge de 82 ans dans le couvent qu'il avait fondé. Deux jours durant, 4 000 personnes défilèrent devant son corps exposé au pied du maître-autel de la chapelle des Capucins : certains déposant des lettres à ses pieds, d'autres emportant à la hâte un morceau de sa robe ou un poil de sa barbe en guise de reliques.
Dimanche 10 février, en début d'après-midi, le cortège funèbre quitte le couvent de la Côte-Pavée et se met en marche vers la cathédrale Saint-Étienne où les obsèques vont être célébrées. Tout au long du parcours, la même foule noire, compacte, venue lui rendre hommage. "À combien peut-on évaluer cette foule ? À quarante, cinquante mille personnes ?" s'interroge un journaliste de l'époque avant de conclure, philosophe : "Il y a des foules qui ne se dénombrent pas 2. Cette photo a été prise peu après la cérémonie, alors que l'imposant cortège s'engage rue Riguepels, en direction de Terre-Cabade, où l'inhumation est prévue. Au premier rang, les représentants du clergé diocésain et des congrégations religieuses. Puis le cercueil, porté par un groupe de fidèles, recouvert de l'étole du père et de la chasuble revêtue lors de sa dernière messe.
Or, à y regarder de plus près, ce n'est pas tant la foule qui attire notre attention, mais le cercueil dont se dégage comme une lumière étrange, quasi... surnaturelle. Rien de surprenant venant du père Marie-Antoine, qui se voulait un saint depuis l'enfance, et qu'on louait pour ses miracles ! N'avait-il pas d'ailleurs interpellé à Lourdes l'écrivain naturaliste Émile Zola en ces termes ? "Eh bien, Monsieur Zola, ici le réel n'est pas le réalisme. Le réel est divin3 !"
Notes
1. L'Express du Midi, 11 février 1907.
2. Id.
3. Le saint de Toulouse. Vie du P. Marie-Antoine des FF. MM. Capucins, Père Ernest-Marie de Beaulieu, Toulouse, L. Sistac, 1908, p. 448
Du jeune, du neuf, du frais : ce mois-ci, la naissance d'un pont. Oui, si vous regardez parmi les articles de la rubrique zoom, vous constaterez que je suis assez friande de ponts. C'est fascinant un pont, poser un tablier sur des piliers pour enjamber une voie ferrée, un fleuve, une route, une flaque de boue, une vallée, pour aller de la Terre à la Lune ou conférer un caractère ludique à une assiette de petits pois en tentant de faire tenir les carottes debout pour les couvrir de la feuille de salade cuite en déshérence, rien de tel qu'un pont.
Ici en l'occurrence il s'agissait de relier l'école vétérinaire au reste
du monde
de la ville. Après une passerelle en bois dont nous n'avons pas de photographie, une première structure en dur est mise en place (avouez que dans une fulgurance, vous avez regardé les tas de cailloux et d'IPN au premier plan comme s'ils étaient sortis d'une assiette de la cantine... et la statue de Riquet, fraîchement installée elle aussi, comme un bouquet de brocoli dressé sur sa base).
Pour la suite de l'histoire en images, du moins celle du pont, je vous invite à consulter notre base en ligne avec les mots-clés @pont@ et @vétérinaire@. Vous tomberez notamment sur ceci, et cela, ou encore là.
Mais pourquoi diable le fils fuit-il ainsi sa mère ? Est-il attiré par une assiette de crêpes, posée non loin de lui, et diffusant son alléchant parfum de fleur d'oranger, de vanille, et autres garnitures sucrées ? Ou bien, la voyant absorbée dans des pensées funestes, il prend ses responsabilités et tente d'éteindre un début d'incendie que des projections d'huile auront provoqué ? Ou encore, a-t-il été figé par le sculpteur alors qu'il tentait d'échapper à son costume de pierre, pour ne pas risquer d'être tripoté par des centaines de doigts, pleins de confiture ou non, qui ne manqueraient pas de le caresser au fil des siècles ? Je ne pense pas qu'il puisse s'agir d'un obscur quidam graissant la patte du minot à coups de galettes ou de jus de raisin en vue d'obtenir des miracles de sa part.
Que les vêtements de Notre-Dame de Grasse, qui est svelte, et de son Fils, à peine replet, fussent peints avec des pigments jaunes et oranges liés par un corps gras ne justifie pas une telle attitude. En revanche, il est bien plus envisageable que le groupe, présenté hors de son contexte, fût conçu pour être entouré d'autres personnages. Qui ? Pourquoi ? Quand ? Il reste encore de quoi discuter le bout de gras sur cette question.
Vois-tu, lectrice ou lecteur, ces voies ouvertes et avenantes, couvertes d'un goudron lisse et prometteur ? Vois-tu comme ton véhicule glissera aisément et en silence sur une route désormais neuve et propre ? Vois-tu comme tes mignons souliers ne seront désormais plus souillés par la boue des rues terreuses ?
Nous sommes au début des années 1950 et une commande, dont nous ignorons tout, a conduit Henriette et Robert Patez, photographes installés rue Saint-Rome sous l'enseigne de Super-photo, à documenter l'état de quelques rues de Toulouse avant, puis après les travaux du bitumage de la voirie. Or, ce que nous n'ignorons pas du tout, vois-tu, c'est qu'une délibération du 10 décembre 1948 précise qu'un marché est conclu avec 3 sociétés différentes pour la fourniture de 1400 tonnes de matériaux enrobés destinés au Service de la voirie, pour une somme globale de 20 millions de francs prélevée sur les crédits de l'année 1949.
Quelques rues disais-je... nous avons ébauché une carte des voies (plus d'une centaine) photographiées par le couple (merci à notre sigiste, au passage). Nous laissons ton regard ébahi contempler l'ampleur des travaux. Automobiliste d'aujourd'hui, transporté en commun, cycliste, piéton, pousseur de poussette, au masculin comme au féminin, avoue que tu es ravi d'avoir échappé à cet enfer.
Si ces près de 700 images te semblent rébarbatives à consulter, admire ces trois aspects : d'un, l'angle de prise de vues, qui ne laisse aucun doute sur le fait que le sujet de la photographie est bien la voie, et non la rue, nuance ; de deux, le témoignage sur l'état d'urbanisation de la ville au mitan du siècle dernier ; et de trois, le repos visuel généré par la quasi-absence de l'automobile !
Oui, j'ose aborder le pain de ce jour, pardonnez-moi cette offense, mais la tentation est trop forte. C'est un mal pour un bien.
Nous avons, voyez-vous, engrangé un certain nombre de documents photographiques ces derniers temps, dont un fonds du musée des Augustins composé de plaques de verre, en cours de traitement et accessibles en ligne. Elles sont pour une bonne partie l'œuvre de Marius Bergé, homme de presse qui fonda Le Cri de Toulouse et La Gazette de Toulouse, et illustrèrent le Bulletin municipal, notamment les articles concernant l'action sociale de la ville. Je me devais de vous en faire part, d'autant que les Archives municipales utilisent à leur tour plusieurs photographies de ce fonds à l'occasion de l'exposition sur la fin de la Première Guerre mondiale qui se tiendra du 24 octobre au 18 novembre dans la salle des ventes du Crédit municipal, rue Urbain Vitry.
Ainsi, le Bureau de Bienfaisance est doté à partir de 1869 de sa propre boulangerie, rue Traversière-Saint-Georges, dans l'ancien quartier éponyme. Les images de ces miches alléchantes font rêver, on en devine le parfum et la chaleur, en penchant l'oreille on entendrait même les clapotis de la mie encore en expansion sous l'épaisse croûte craquante. Et si les horaires décalés, la chaleur du four, la rudesse de l'effort, la sueur perlant sur le front et creusant sont lit vers le foulard à travers la peau couverte d'une fine couche de farine ont raison de certaines velléités de reconversion, elles n'entament pas la motivation d'une chargée d'inventaire prête à tout pour se consacrer à la noblesse de la tâche.
Une humeur prétendument badine me pousse à aborder le thème galvaudé de « ce qui se cache derrière les images ». Le public aime voir des dessous en général, être invité à pénétrer des chambres secrètes, faire partie d'une élite qui aurait accès à des informations confidentielles, être considéré comme unique et se hisser hors du troupeau anonyme et homogène. Oui moi aussi, je l'avoue, j'aime qu'on me susurre à l'oreille de folles révélations. Voyons donc. Penchons-nous sur les collections iconographiques, dont nous écartons d'emblée les supports transparents (plaques de verre et diapositives), pour nous intéresser, une fois n'est pas coutume, aux versos.
Contrairement aux « faces B » des 45 tours, ils tendent à donner de la profondeur aux rectos. Souvent manuscrites (mais pas toujours), les notes apportent un supplément d'humanité. À mi-chemin entre l'impression et l'humain, nous avons le tampon. Sorte de mention apposée en série, il donne un cadre administratif ou documentaire avec notamment les noms des auteurs, des propriétaires successifs, parfois des dates d'intervention ou des droits d'utilisation. Enfin, il se peut que le verso soit un recto, ou vice-versa, selon ce que l'on considère comme étant la « face A ». Au moins deux types de documents se trouvent dans cette catégorie. Les cartes postales, dont l'image présente un intérêt documentaire, mais où la partie épistolaire est parfois fort intéressante ; et ce que je me risquerai à appeler les « écrits d'urgence » : les témoignages déposés par la population sur la place du Capitole aux lendemains des attentats de 2015.
À examiner les supports utilisés à cette occasion, on a une idée du contenu des poches d'un quidam du début du 21e siècle, et qu'il est prêt à abandonner pour s'exprimer : ticket de métro, prospectus, sujet d'examen, ou notes de cours. Le document, pour si rudimentaire qu'il apparaisse, est riche d'informations sur son contexte de production.
Lorsque les dos des images présentent de telles informations, ils sont numérisés et mis en ligne. Pour les voir, il suffit de cliquer sur les flèches, tout en bas, sous l'image principale, comme ici par exemple.
Effectivement en lisant ce qui va suivre vous pourrez penser qu'on travaille du chapeau aux Archives. Mais c'est de rigueur. Normal en ces temps de rigueur. Les rigidités systémiques nous font perdre la raison comme d'autres perdent la tête à cause d'un coup de tête lors d'un banquet : la coupe se remplit, un jour elle est pleine et on finit par trancher dans le vif. Inutile de se prendre la tête et revenons au sujet : « la décollation pendant la collation », iconographie appréciée de tous temps et guest star des cloîtres romans.
Les deux chapiteaux représentant la mort de Jean-Baptiste conservés au musée des Augustins ont eux aussi été bringuebalés au fil du temps. Déjà ils ont perdu leurs corps, tout comme JB, mais leur présentation a aussi été l'objet de fantaisies diverses : le tailloir sous lequel est placé aujourd'hui le chef-d'œuvre de Gilabertus n'a pas toujours été le même, comme le prouve cette plaque de verre tout droit sortie du 51Fi (fonds des Toulousains de Toulouse, que vous connaissez depuis le temps que je vous le sers à chaque occasion). Sorte de couvre-chef de chapiteau, le tailloir est rarement absent de l'équation, sauf sur cette carte postale où l'on voit très bien la place que s'est octroyée l'artiste sur le bloc de pierre, couvrant totalement la corbeille, débordant même sur la partie structurelle inférieure en faisant reposer les pieds des protagonistes sur l'astragale. Il suffit de comparer avec cet autre chapiteau de la décollation du Baptiste, où la sculpture est contenue à la place qui lui était allouée en ce début de 12e siècle.
Je vous laisse apprécier la finesse d'exécution, l'élégance des postures, la souplesse des cheveux et des mains et la richesse des costumes.
Le filon toulousain du trafic de balances aurait été démantelé récemment. C'est plutôt une bonne nouvelle pour les enragés des régimes printaniers : inutile donc cette année de chercher à perdre quelques grammes en prévision d'une exposition de marchandise sur un étal ensablé, il sera impossible de peser les colis. De toutes façons il manque l'élément indispensable au hâlage des chairs, le soleil a décidé de prendre une année sabbatique, le veinard. L'occasion est trop belle pour être manquée, ne pesons plus rien si ce n'est le pour et le contre, et goinfrons-nous de balades à vélo en bikini sans la moindre vergogne et adieu les obsessions.
Maintenant que les complexes vous ont quittés, si par chance, vous, derrière l'écran de votre appareil téléphonique portatif et intelligent, ou même celui de votre terminal informatique, vous aviez le sourire en coin en train de pointer le bout de son nez parce que vous connaîtriez le où-quand-quoi-pourquoi-et-comment (dans cet ordre) de ces appareils de mesure sur cette photographie de Joseph Saludas prise dans les années 1920-1930, virgule et respiration, alors vous nous procureriez un plaisir immense en voulant bien nous faire parvenir ces précieuses explications. Voilà plusieurs années que cette énigme m'empêche de dormir, il est certain que l'interrogation commence à me peser.
Ces derniers temps c'est plutôt gris sur la ville rose. Malgré les rouge et or qui se déplacent chez les rouge et noir. Malgré les violets courant sur la pelouse du Stadium, malgré la coulée verte du canal, malgré le pastel – sa fleur jaune n'a rien à voir dans la transformation de la feuille -, malgré la brique, les marbres, les tuiles, malgré le noir des pavés de la rue Alsace. Même les cerises passent inaperçues, sauf à quelques pigeons si gros qu'ils pourraient passer pour des colverts. Revenons à nos couleurs et savourons des photographies en noir et blanc.
A cette période, je suis censée commencer à vous apporter un peu de fraîcheur, « mais c'est de chaleur dont nous avons besoin » me crierez-vous sans l'ombre d'un doute. Alors fermez les yeux et plongez-vous dans un jardin au printemps. Plongez sur la pelouse, au ras des pâquerettes, tout près des violettes. Plus près encore, leur parfum sucré se hume le nez dessus, exactement comme le pratique la dame sur la photo qui plonge son nez dans un bouquet.
Travaillant dans l'une des exploitations toulousaines des années 1950, cette dame est peut-être devenue violetholique, comme l'est ma grand-mère : elle a développé une addiction sévère au parfum de la fleur, qui a fini par coloniser l'ensemble de sa peau, ce qui a pour effet que mon aïeule est précédée (et suivie) d'une odeur de bonbon au sucre partout où elle se rend. Il y a pire, c'est vrai.
La violette cristallisée sévit dans la capitale languedocienne depuis le milieu du 19e. Elle s'invite partout : sur les cartes et dans les coffrets souvenirs, elle trône sur les pâtisseries, elle tente même de supplanter la crème de cassis dans certaine boisson alcoolisée.
Promenez-vous donc dans le fonds Jean Ribière et vous y trouverez le reportage complet sur la culture et la transformation de la fleur en confiserie.
- Quelle chance de vivre à Toulouse, vous avez la mer n'est-ce pas ?
Voici un exemple de remarque désobligeante servie généralement par nos congénères vivant au nord de la Loire, de ceux qui ne savent pas les noms des viennoiseries, et qui vous placent allègrement sur une carte la ville rose près de Palavas-les-Flots. Donc non, il n'y a pas la mer à Toulouse. En revanche, nous avons la piscine Nakache sur l'île du Ramier : Toulouse-plages avant l'heure. Un rayon de soleil et nous voilà rêvassant mollement au prochain apéritif siroté crânement sous un parasol, les yeux plissés en regardant les enfants se baigner et les jeunes premiers exhiber leurs corps sculptés.
Les goûts se suivent et ne se ressemblent plus, car si les amers furent en vogue jusqu'aux années 1970 (soyons sérieux, nos souvenirs de Suze-cassis remontent bien à l'époque des cols de chemise en pelle à tarte), ils déclinèrent au profit, entre autres, des vins cuits, plus sucrés, que nous leur préférons aujourd'hui. Et, loi Evin oblige, c'en est terminé des placards vantant les mérites des Campari, Bitter, Suze et autres élixirs de gentiane. Heureusement, il nous reste les archives photographiques pour apprécier un affichage à faire se retourner n'importe quelle vésicule biliaire.
Quel humour mes amis, quel humour. En vérité je vous le dis, les temps ont bien changé. Il fut une époque où l'on pouvait peindre une caille sur canapé au propre et au figuré sans être inquiété. Repris quelques années plus tard par une autre équipe de publicitaires, le procédé fut réprouvé lorsqu'il s'est agi de crème fraîche. Les gender studies sont passées par là : on ne prend déjà plus les vessies pour des lanternes, pourquoi faudrait-il prendre les humains pour des volatiles ? Quoi que, si l'on retourne le document (vous pouvez le faire de chez vous en consultant la vue n° 2 depuis le bouton situé tout en bas à gauche de cette page) la question devient légitime. En effet, la lecture du menu servi à une association de randonneurs en 1937 pourrait bien faire passer l'homme pour un canard gras. Espérons que la présence d'une pintade sur la liste des mets était aussi fortuite que le fait que ce billet soit rédigé le 8 mars.
Il vous faut des explications, tout de suite. D'abord la couleur jaune, puis une indication de souffrance, et enfin cette photographie : tout ceci vu depuis votre côté de l'écran peut paraître décousu, mais en réalité c'est lié. Une photo, avec ses strates chimiques, est un objet vivant qui évolue dans le temps. Et selon le chemin que prend son existence, les traumatismes qu'elle subit, les choix opérés par les personnes qui l'ont constituée puis transformée et conservée, son intégrité est parfois menacée. Vous avez déjà vu des tirages jaunis par le temps, affaiblis, presque illisibles. Il s'agit bien souvent du résultat de l'oxydation des grains d'argent contenus dans l'émulsion, qui peuvent produire, entre autres, du sulfure ou de l'argent colloïdal. Les deux combinés donnent naissance à cet intéressant voile jaunâtre aux reflets métalliques*. Sur un support transparent comme une pellicule ou une plaque de verre, l'image observée sur un fond clair apparaît en négatif, sur un fond sombre on la voit en positif. Revenez sur l'article d'avril 2016 , il était déjà question de cette particularité.
Le temps accomplit donc son travail de sape, inexorablement, le fourbe. Si on ne peut le stopper, un ralentissement du déclin est envisageable, en conservant ces documents très sensibles en atmosphère fraîche et sèche (moins de 14°C et de 40 % d'humidité). Cependant, nous ne maîtrisons pas l'état des documents lorsqu'ils arrivent chez nous : ils sont parfois mal en point.
Vous apprécierez donc l'abnégation de cette plaque de verre qui souffre en silence, altérée par l'oxydation de son émulsion. Notez bien que la numérisation est étonnamment précise, aucune retouche n'étant apportée. Quant à la couleur rouge, il s'agit probablement d'un vernis de masquage qui s'est dégradé. On en trouve aussi du jaune, parfois appliqué de part et d'autre de la plaque de verre, pour être bien sûr que la lumière ne passera pas au moment de réaliser le tirage.
Pour des informations complètes sur l'hôtel Mansencal de la rue Espinasse, rendez-vous sur UrbanHist !
*Source Bertrand Lavédrine, Les collections photographiques. Guide de conservation préventive, Arsag, Paris, 2000.
Ne cherchez pas, c'est un mot-valise. Un de ces mots à tiroir dans lesquels on fourre ce que l'on veut, en l'occurrence ici à la fois le contenant et le contenu, la valise et l'ustensile. Et quelle valise ! Avec ça vous passez soit incognito, soit pour un sniper, c'est au choix.
Ce tirage photographique est le fruit du travail de Joseph Saludas, dont vous trouverez près de 450 clichés dans nos fonds en faisant une recherche par auteur. Il a documenté foires et vitrines de commerces, groupes de sportifs et d'écoliers. Vous reconnaîtrez au moins une image déjà proposée ici, issue d'une série sur les cuisines collectives.
Mais pour en apprendre plus sur ce photographe qui œuvra pendant près de quarante ans à Toulouse et dans la région, consultez donc le tome 2 de l'Encyclopédie historique de la photographie à Toulouse, de François Bordes, paru en décembre 2017. On en parle ici, et comme il est bien entendu dans nos rayons, vous pourrez le « loeilleter » en salle de lecture, et l' « exapouiller » pour vos recherches sur la photographie toulousaine entre 1914 et 1974.
Et en passant, « excellonne » année à vous !
Naturellement, il ne s'agit pas de l'enfant, resplendissante de bonheur dans sa tenue de princesse épousée, maquillage et voile immaculé à l'appui. Non, il faut regarder le fauteuil. Pour une fois intéressons-nous un instant aux accessoires, nous reviendrons à la petite fille plus tard. Avez-vous remarqué qu'il est canné ? Peut-être le voit-on mieux sur l'image agrandie et non recadrée. Parce que la canne, c'est surtout cette grande tige fine et droite qui pousse près de l'eau, dont on tire les cannes (à pêcher ou à marcher), et auxquelles on fait allusion pour désigner les guibolles, car oui, n'a pas de cannes de serin qui veut. Notre fauteuil, donc, tissé de lanières de jonc, est canné.
En revanche, en découvrant cette photographie, j'ai bien failli canner. Car vêtir une petite fille en mariée, c'est une sorte d'endoctrinement, un mode de pensée inculqué très tôt, non ? Gageons que les parents se sont amusés pour un carnaval à transformer leurs petits en adultes. Parce que oui, vous avez le garçonnet affublé d'un très beau costume trois pièces avec haut de forme et souliers vernis, et dans la même série, comble du mignonesque, l'image de l'union, forcément factice. Ah, je canne, j'expire !
Au moment où les ténèbres rattrapent la lumière, quand les nuits deviennent aussi longues que les jours, à l'équinoxe d'automne, on peut se sentir un peu fatigué, vidé. Une faible pression artérielle provoque des chutes de tension, laissant inertes les sujets affectés. Difficile alors de porter attention aux tâches délicates, ce qui peut, dans des situations extrêmes, s'avérer dangereux. Imaginez un chirurgien épuisé, entre les mains duquel vous laisseriez votre vie. Il pourrait, par une bête seconde d'inattention, attenter à vos jours. Il faudrait alors vous brancher, si possible sur haute tension, pour tenter de remettre un peu de jus dans la machine. Les hommes et les femmes de l'art marchent donc sur un fil, celui de la vie, à maintenir tendu.
Prenant l'expression au pied de la lettre, des étudiants en médecine du début du siècle dernier l'ont appliquée dans leur photo de groupe. Cette dernière, charmante, présente avec l'humour que nous leur connaissons une classe de la faculté de médecine de 1906, présentée il y a moins d'un an sur le compte Flickr des Archives municipales.
Mais il en est d'autres moins répandues. L'une montre une classe de dissection, avec le même esprit potache mais un peu plus douteux. Que d'hommes, direz-vous ! Et fiers d'exhiber leur quotidien de travail, quitte à heurter les sensibilités. L'image est fascinante. L'autre l'est encore plus, à plusieurs titres, mais attention ! Je ne saurais trop recommander aux personnes sensibles de ne surtout pas cliquer sur ce lien. D'abord, il faut comprendre à quel point il est encore rare de confier des corps aux femmes au début du 20e siècle. Quant à les photographier avec un sujet d'anatomie disséqué, vous n'y pensez pas. Ensuite, il émane de la femme en blouse, instruments en main, le regard sûr, un calme presque reposant, loin de toute tension. Enfin, le corps, ou ce qu'il en reste, déposé devant elle sur la table d'analyse présente une texture étrange. En y regardant de plus près, on constate des traces de rayures, ou plutôt de grattages, manifestement présentes sur le négatif. Aurait-on par le passé souhaité soustraire à la vue des chairs peu ragoutantes ? Quelle charmante attention !
Si d'aventure vous accusiez un goût pour les descriptions de corps altérés, précipitez-vous sur le dernier dossier des bas-fonds, en ligne ici.
1905 : des échafaudages se dressent contre des murs blancs, neufs. Des pavés se pressent contre une balustrade qui semble clore la scène, comme pour être au plus près, voir ce qu'il va se passer. On les sent aux abois, tendus vers ce chantier impressionnant, incrédules. Oui, un événement incroyable se prépare, on en voit les coulisses. On distingue même un attroupement d'ombrelles venues spécialement se placer aux premières loges. La gare, oui, la vieille gare Matabiau va être très prochainement engloutie. Ou habillée d'une nouvelle parure. On lui a déjà passé la manche droite, bientôt la tête va disparaître, ou plutôt son fronton triangulaire à base interrompue surmontant un édicule bordé de deux pilastres. Ce dernier est flanqué de deux tables où sont inscrits les noms des villes que la ligne de chemin de fer relie : Bordeaux et Sète (qu'on écrivait Cette, avant 1928).
La première gare, inaugurée en 1856, est en travaux car ses dimensions ne suffisent plus à réguler le flot continu des voyageurs qui ne cesse de croître, préfigurant sans doute les ballets de pas chassés et croisés qui fleurissent depuis le milieu des années 1930. Un nouveau bâtiment, manteau vibrant de blancheur et d'opulence, est donc ajouté. Il emmitoufle tant le précédent qu'il finit par le faire disparaître. La gare que nous connaissons est achevée en 1906, elle a complètement digéré la précédente, conservant toutefois un souvenir des grandes arcades sur la façade extérieure du bâtiment des arrivées, ainsi que sur la façade postérieure, donnant sur les voies.
Pour en (sa)voir plus : aux archives, diantre ! Et en ligne s'il vous plaît : vous pouvez y consulter une vue du premier édifice. Et chemin (de fer) faisant, de fil en fibre (optique), vous pouvez vous promener sur Urban-hist, et découvrir d'autres illustrations, ainsi qu'une notice complète sur la gare Matabiau.
S'il fallait retenir quelque chose de l'évolution des pratiques photographiques de ces dix dernières années, ce serait sûrement l'avènement du selfie. De mon collégien de neveu au président des États-Unis, tout le monde doit désormais se conformer à ce nouvel usage sous peine de ringardise. Les smartphones sont devenus les miroirs dans lesquels se mire notre époque. Faut-il s'en inquiéter ?
D'aucuns y voient un symptôme du narcissisme ambiant. Certes, mais le selfie existait bien avant le 21e siècle, il s'appelait juste l'autoportrait. Et d'ailleurs, il fut un temps où les photographies étaient de véritables miroirs. Un daguerréotype n'est pas autre chose qu'une plaque de cuivre recouverte d'une couche d'argent polie, sur laquelle est impressionnée une image inversée, comme un reflet.
On remarquera, comme c'est le cas ici, l'air contraint du sujet. Cela s'explique par le temps de pose qui pouvait parfois dépasser trente minutes. Pour éviter tout mouvement durant cette phase, on utilisait des mécanismes de maintien du corps qui pouvaient s'apparenter à de véritables instruments de torture. Mais que ne ferait-on pas pour devenir immortel ? Et, en même temps, si c'est pour avoir une éternelle tête de nœud...
Ou « ouahhh ! », tout dépend de l'intention. Le gavage des oies, entre muguet, urnes et fête des mères, n'est pourtant pas vraiment de saison. C'est qu'en tant que nullipare, les mots « merci maman » résonnent chez moi d'une particulière façon. Me reviennent à l'esprit les gentils dessins, colliers de pâtes, bonbons, gâteaux et autres douceurs confectionnées avec candeur, puis apportés, avec une bonne dose d'excitation débordante en sautant sur le lit pour réveiller l'auteure de mes jours. En vraie mère poule, elle me gratifiait alors d'un sourire aussi large que ses bras ouverts, malgré la rencontre fortuite entre le café et la couette, l'équilibre du bol n'ayant pas résisté à ma délicatesse légendaire. Elle prenait ensuite le livre que j'avais apporté, sans doute Les contes de ma mère l'Oye, et me faisait trembler de fausse peur et d'impatience. Blottie contre elle, je me sentais prête à affronter tous les fléaux de la terre.
Ce qu'elle pensait, je n'en sais rien. Et elle ne dira jamais si je la gavais avec mes nouilles. Peut-être qu'elle aurait préféré que j'apprenne une chanson, que la maîtresse aurait inventée, et dont les paroles auraient pu être quelque chose comme « j'vous ai apporté du foie gras, parc'que les fleurs, c'est périssable... ». Nous aurions ensuite passé l'après-midi au museum, et je serais restée des heures à contempler cette vitrine approuvant de son sceau institutionnel l'entrée du gavage volatile dans le patrimoine méridional.
Le plus fascinant dans l'affaire, est sans doute la souplesse du cou de la bête, à moins que ce ne soit la tendre dextérité de mains expertes, celles-là mêmes qui tournaient les pages du livre alors que je digressais...
Ne poussons pas mère-grand dans les orties, ni même ailleurs, et plongeons-nous dans « le 9Fi » ou le fonds des cartes postales qui, comme nous vous le disions dans ce reportage, comprend près de 8000 pièces, consultables en ligne !
Chaud devant !
Pour les sensibles au froid, rien de tel que se pelotonner devant un radiateur en marche, et pour ne plus claquer des dents, prenons une douche chaude. C'est sûr, dit comme ça, tout paraît simple. Mais les conduites, elles, ne se posent pas d'un coup de marteau-piqueur magique. Il en va d'une ville comme d'une dentition, et refaire la plomberie n'est pas chose anodine.
Grands travaux, creusement de galeries qui mettent au jour les parfois très anciennes tuyauteries, opérer des changements de direction, fixer les conduites au moyen de bagues et de vis, le tout avec force gravats, poussière, bruits stridents et douleurs… Promis, j'arrête là.
Car vous le savez autant que moi, nous vivons tous ces dérangements liés à la modernisation des équipements pour une meilleure qualité de vie. Quelle joie de pouvoir à nouveau croquer dans une pomme sucrée et juteuse, de cuisiner pour recevoir des amis sans se préoccuper de devoir recharger le poêle, bref, le luxe, comme avoir la lumière et le gaz à tous les étages. Une nouvelle conduite quoi !
Et tout cela est devenu possible à Toulouse en 1942 grâce à l'installation du réseau de chauffage à distance. Oui, m'assure-t-on, il y avait réellement de l'eau chaude dans ces tuyaux, qui fonctionnaient par paires, un pour l'aller, l'autre pour le retour à l'usine de production. Nous conservons dans les fonds deux séries de tirages représentant ces phases de travaux, où les entrailles du centre-ville ont été mises à nu.
Le mois de mars accueille la fête des grand-mères, suivie de peu par la journée internationale du droit des femmes. Après, plus rien, à part peut-être le printemps, le renouveau, les bourgeons, le retour de la sève, la vie, tout ça. Ce n'est pas pour rien que le mois de mars était le premier mois de l'année avant que Jules César ne s'en mêle, mais ce n'est pas notre sujet. En revanche, il me plaît de penser que la figure divine, symbole de la guerre, de la force, de la virilité, de l'homme (diantre !), abrite en son sein la petite journée dédiée aux droits des femmes, perdue parmi une horde d'autres journées hostiles. Comme si les femmes se logeaient quelque part sur une côte, brindilles apportant aussi dans leurs bourgeons vie et renouveau. Finalement, le monde est fait de contradictions, d'imbrications, souvent en faveur des uns et au détriment des unes.
Qui censure, pourquoi, et que censure-t-on ?
Le pouvoir (je vous incite à vous rapprocher des ouvrages de Michel Foucault pour comprendre que le pouvoir est partout, se loge dans chaque relation sociale, et n'est pas nécessairement le produit d'une hiérarchie). Pour se protéger d'un danger. Il censure donc tout ce qui pourrait mettre en cause son pouvoir et l'ordre qui en découle. Finalement, pour résumer, on censure pour protéger l'organe qui censure. On empêche de savoir, parce que chacun sait que la connaissance est dangereuse. Regardez où la soif de savoir a conduit ce pauvre Adam, lui qui se ramollissait doucement le cerveau bercé d'illusions, d'équité, et de fruits défendus. Heureusement qu'Eve l'a aidé à sortir de sa torpeur, lui a montré la vérité en face. Rendez-vous compte ! Il n'aurait jamais su que nous serions condamnés à vivre nus, avec une pancarte noire sur nos attributs, privés de jus de pommes, entourés de serpents dans un monde où les frères s'entretueraient et la grande majorité des femmes n'aurait leur mot à dire...
Revenons à notre mouton, qui n'est pas censuré, lui, du moins pas dans les archives en ligne. Photographié par Eugène Trutat, il fait partie de la collection des Toulousains de Toulouse en dépôt dans nos magasins, comme les près de 3000 plaques de verre numérisées et accessibles en ligne du fonds 51Fi.
Feu. Feu les embouteillages, feu les difficultés de stationnement, feu la pollution aux particules fines, feu le bruit des moteurs, feu le casse-tête pour ranger les valises et mamie dans le coffre, et les disputes pour savoir qui prend le volant. La voiturette électrique serait LA solution à tous nos problèmes existentiels. Et comme elle vivrait avec son temps, elle pourrait se trouver en version « responsive » !
Imaginez la berline dans le garage de la maison : elle ferait l'émerveillement des amis, vous pourriez y prendre place en famille, prêts à partir pour les pistes. Adaptable à la ville, elle se faufilerait partout en taille mini, se garant comme sur la photo, et puis le soir, on la rangerait comme le téléphone, dans la poche arrière du jean, après l'avoir repliée comme une tente de camping. Pop ! Eh bien, elle a existé cette voiture, il y a des preuves, photos non retouchées à l'appui.
Alors quoi, trop en avance sur son temps ? Trop individualiste pour une France en explosion démographique ? Trop petite pour une société qui voulait voir les choses en grand ?
Dans ces années-là, faute de pétrole, on avait des idées… Pour une plongée dans le Toulouse des années 1970, faites donc un petit tour du côté des nouvelles numérisations du « 15Fi », le fonds de la direction de Communication de la ville, créé par Pierre Baudis en 1972 sous le nom de STC (service des techniques de communication), et qui contient près de 11 000 reportages, dont 3 000 sont en cours de traitement et déjà en ligne.
Ou presque grillagé, ou derrière les barreaux, ou comme un lion en cage. Ou alors quadrillé, tiens, oui, quadrillé. Comme un artiste qui, en voulant reproduire son paysage, aurait aussi reproduit la grille lui permettant de le faire... C'est bien, on peut jouer à la bataille navale avec toutes ces cases : touché-coulé ! Soyons un peu légers, ce monde est bien lourd. Nous avons la vue obstruée par les grilles du quotidien, le corps empêché par l'armure de la société, les idées toutes pensées par le carcan de l'habitude, nous manquons d'air, étouffés que nous sommes par la pollution atmosphérique de ces temps apocalyptiques... Ce qu'il nous faudrait, c'est prendre un peu de hauteur. Tiens, essayons. Sortons du cadre de cette photo, et grimpons sur le toit de l'immeuble, oui, celui-là, là. Ou si vous avez le vertige, placez-vous au moins à la fenêtre la plus haute. Voilà. Comme ça, à l'air libre, la vue dégagée, du moins en 1974 elle l'était encore.
A cette époque, la circulation alternée n'existait pas, on pouvait rouler sur n'importe quelle voie, on pouvait brûler du gasoil, klaxonner, griller les feux, rouler sans casque : la circulation à Toulouse était un enfer. Ville engorgée, ville asphyxiée. On n'y croit pas quand c'est dit comme ça, mais je vous assure, j'ai vu des photos (et vous en verrez aussi sous peu...). D'ailleurs ce fut un des grands chantiers de Pierre Baudis : réguler la circulation, fluidifier les déplacements dans et autour de la ville. Comment ? En mettant en place les rocades, les bretelles à deux fois deux voies, comme ici, boulevard du Maréchal Juin, près de l'Île du Ramier au niveau du pont de Garigliano. Mais aussi en sensibilisant la jeunesse à la civilisation routière, vous voulez voir ? Montez donc salle Henri-Martin [NDLR : au Capitole] à partir de demain... l'exposition sur Pierre Baudis vous y attend ! Allez, un petit teasing en attendant.
Comme une chaloupe de pierre échouée en pleine Garonne, fermant la porte sur un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, l'ancien pont Saint-Pierre expirait ici, soufflé par la dynamite. Boum.
La photographie du sous-œuvre éventré que nous avons ici nous livre sans ambages la face cachée de la pile, son intérieur, son intimité, son moi profond, si je puis dire. Et, nous transformant un instant en augure, on voit très bien dans ces entrailles le blocage (ou remplissage) de béton derrière le parement de briques, remontant à la construction du premier pont. L'autopsie ainsi réalisée détermine donc que le cadavre naquit en 1852 : paix à son âme.
Des restes de cette pile, tel un bateau de pierre ivre de soleil sous un ciel d'azur, allaient renaître en 1986 un ouvrage d'art, d'esthétique plus légère sur une nouvelle structure, réalisé par l'entreprise Campenon-Bernard. Le cinquième pont Saint-Pierre, le nôtre, avec ses piles neuves, est parti pour durer au moins deux fois plus longtemps que les quatre précédents. En revanche, l'arche suspendue des temps jadis est, elle, bel et bien perdue.
Oui, il y a un olifant au musée Paul-Dupuy, celui-là même qui aurait servi au neveu à prévenir son Charlemagne d'oncle que l'arrière-garde était tombée en embuscade, pour faire court. Mais laissons le cor où il est, et prenons le décor à bras le corps.
La composition étagée de l'image montre des strates minérales, plus ou moins accidentées, qui s'étendent du premier à l'arrière-plan, de gauche à droite, avant de laisser un morceau de ciel, là, tout en haut, respirer. Ouf. À la lisière entre la terre et l'air, une curieuse bande rocheuse en pointillés s'érige, mystérieuse, dans un sourire édenté.
Nous ne sommes pas au Far West, John Wayne ne va pas dévaler la pente sur un cheval fougueux, pas plus que Tornado ne va se cabrer sous un éclair vengeur. Non. En revanche, nous pouvons admirer le résultat de la colère (ou du désespoir) de Roland qui, voulant détruire son épée avant de mourir, la jette contre la montagne... qui ouvre une brèche (oui m'sieurs, dames) ! À moins que ce ne soit son cheval qui frappa du sabot, mu sous les mêmes tourments que le maître. Peu importe la version, pourvu qu'on ait l'ivresse, la féerie de l'imagination, et que, par le bout de la lorgnette montagneuse, l'on puisse voir, de l'autre côté... l'Espagne !
L'abbé Ludovic Gaurier (1875-1931) était un pyrénéiste et limnologue éminent du début du 20e siècle. Il a laissé de nombreuses photos de ses expéditions en montagne, dont les Archives municipales de Toulouse conservent un fonds constitué de plaques de verre. Vous les trouverez dans la sous-série 67Fi.
Comme un sou neuf, ils brillent. Que sont-ce ? Deux cadrans solaires horizontaux, en laiton, avec boussoles intégrées s'il vous plaît, conservés au musée Paul Dupuy. De tels instruments de mesure furent créés par un ingénieur de Louis XIV, ceux-ci étant signés de l'un de ses successeurs, Jean Lefébure, actif sous Louis XV.
Voyez-donc sur ce détail le petit index en forme d'oiseau dont le bec pointe sur les graduations des latitudes. Oui, parce que nous ne sommes qu'au 18e siècle, et que Tom-Tom® n'est pas encore sur le marché, il faut indiquer à la montre à quelle distance et inclinaison se trouve le soleil. Ces petits objets, dont nous n'avons ici que des photos, sont apparentés à la section horlogerie du musée. Normal : ils donnent l'heure. Et le nord.
Et avoir un nord, c'est bien. Pour les tête-en-l'air et les déboussolés, pour les voyageurs et les indécis, pour ceux qui vont et ceux qui viennent, c'est important d'avoir une direction, un chef de travaux, une ligne directrice, un fil d'Ariane. Nous sommes le territoire, nous avons la carte, arrive la rose des vents, le point cardinal : nous avons un nouveau directeur !
« Hit the road, Jack », dehors et place à la relève, à la nouveauté, à la technologie. Autrement dit, on ôte les vieux rails qui commencent à dater (1887, on peut dire que ça date) et on dote la place Esquirol de l'aiguillage complexe qui lui échoit. En tant que croisée des chemins, ou du moins des deux axes du cœur de ville, elle est centrale dans le réseau des transports de la Société des Transports en Commun de la Région Toulousaine.
Nous sommes en avril 1929, et, depuis 2 ans, Léon Planchot, qui a du pain sur l'ouvrage, remet sur rails et dans le droit chemin la STCRT. L'heure est au changement -c'est-maintenant-, et quand il s'agit de moderniser, on n'y va pas avec le dos de la pioche : on remplace. C'est pourtant le début de la fin, le déclin pas encore annoncé du tramway toulousain, qui, tandis que la Garonne continue de filer sous ses ponts pavés de bonnes intentions, se voit peu à peu concurrencé puis remplacé par l'autobus, dont les premières lignes circulent déjà en cette année 1929.
Aujourd'hui, les rails ont disparu mais pas la circulation, les bâtiments sont toujours là même si les commerces qu'ils abritaient ont changé. Ainsi va la vie, les routes se croisent et s'en vont, chacune vers son horizon, ou du moins jusqu'à la station suivante. Estacion venanta esquiròl [ɛstajubenɛntoɛskirɔl].
Recycler, c'est réutiliser ce qui existe et qui ne sert plus, autrement dit, faire du neuf avec du vieux. Et en matière de vieux, aux Archives, on a de quoi faire (non, je ne parle pas du personnel.) Mais de là à dire que le vieux ne sert plus, il y a plusieurs pas que je ne franchirai pas (je tiens à ma place). Et même, je vais vous faire une confidence, les archives ne sont pas recyclées. Non non non, on n'envoie pas les tonnes de papier entreposées dans les magasins se faire mâcher, digérer, et finir en cahiers d'écoliers.
En revanche, on recycle ce que l'on veut pour Arcanes. La photographie étant plutôt mauvaise élève en matière de recyclage, je me suis dit que mine de rien, j'allais dévier de la trajectoire. Car, voyez-vous, deux solutions s'offraient à moi : soit recycler un article ancien de cette lettre, soit parler de réutilisation au sens plus large. Alea jacta est, j'ai choisi la deuxième, et par l'exemple, s'il vous plaît.
Et hop, ni vu ni connu, voici une image d'André Cros commandée par la pépinière de la Flambelle en 1964. Nous la recyclons ici, sur le site des Archives, pour illustrer l'outil de recherche en ligne, où vous trouverez certainement de quoi vous éviter le déplacement, et les émissions de CO2 qui vont avec !
La prochaine fois, on la sérigraphie sur des tee-shirts ;)
Faut voir. D'autres sont vus, ou regardés. C'est une question de point de vue. La grande tradition des non moins grandes expositions internationales de la fin du 19e et début du 20e siècles en faisait son sujet : venir voir. Tout. Et le tout Toulouse, en 1908, se pressa pour mirer les avancées techniques, agricoles, industrielles, la mode, les génies civil et militaire, l'éducation et l'enseignement, et les colonies. Oui, les colonies, pas celles que l'on chante et qui sont jolies, non, les autres, celles qui déchantent. Et vraiment, fallait le voir, il y avait Le Village Noir. Avec de vrais noirs dedans, venus tout exprès, de fort fort loin, Sénégal, Congo et Soudan. Presque cent personnes ont ainsi vécu six mois au Jardin des plantes, sous les yeux curieux des visiteurs toulousains.
Cette idée est gênante aujourd'hui, parquer des quidams d'outre-méditerranée ou d'ailleurs, d'ailleurs, voyons ! L'homme n'est pas un animal ! Enfin, en ces temps-lointains, du moins. Parce qu'il a suffi, d'avancées scientifiques en progrès technologiques, que l'usage de la caméra, déjà en vogue, s'immisce dans nos vies, et de nos jours, c'est une autre histoire. Non, maintenant, on enferme les gens de leur plein gré dans des maisons avec jardin à plantes et bassin d'agrément, simplement pour les regarder vivre pendant 6 mois... Et si l'origine de la télé-réalité remontait finalement à l'exposition internationale de Toulouse de 1908 ?
Surtout. Il le faut encore humide sur sa plaque de verre, pendant l'exposition, mais surtout, il le faut encore humide au moment du développement. Parce qu'une fois sec il devient imperméable, donc indéveloppable. Nous parlons ici de collodion. Humide. Collodion humide. C'est LE procédé photographique moderne des années 1850-1851, celui qui révolutionne la prise de vues, qui permet de passer de plusieurs minutes de pose à quelques secondes, tout en conservant une très grande finesse de rendu.
Imaginez, vous pouvez enfin prétendre photographier un être vivant ET reproduire l'image obtenue (ce qui n'était pas possible avec le daguerréotype). En revanche, vous devez être parfaitement équipé d'un petit laboratoire portatif, pour passer fissa la plaque exposée dans ses bains de révélateur et fixateur. Bertrand Lavédrine* nous raconte dans son ouvrage sur les photographies anciennes que l'une des premières expéditions parties photographier le Mont-Blanc en 1861 transportait pas moins de 250 kg de matériel, nécessaires même s'il n'y avait eu qu'un seul négatif. Nous sommes d'accord, un smartphone aurait aussi bien fait l'affaire. (Ah, non, nous ne sommes pas d'accord ? D'accord.)
Mais à propos de montagne, de grand air et d'environnement, le collodion humide, ce n'est pas de l'eau de source. Entrent dans sa composition : du nitrate de cellulose, de l'alcool, et de l'éther. Puis, pour le rentre sensible à la lumière (et lui donner un quelconque intérêt, fut-ce celui de devenir une photographie encore exploitable 166 ans après sa création (... qui parlait de smartphone...?) ), il faut encore y adjoindre les sels d'argent (de la photographie argentique, la boucle est bouclée).
Sincèrement, je ne me risquerais pas à aller goûter au contenu du flacon (même s'il y a l'ivresse), mais je veux bien vous montrer le résultat, qui fait toujours son petit effet, puisque la plaque de verre apparaît comme un négatif lorsqu'elle est posée devant un fond clair, et comme un positif si elle est devant un fond noir.
*Source : Bertrand Lavédrine, (re)Connaître et conserver les photographies anciennes, C.T.H.S., Paris, 2007.
Promotion. Promouvoir. Pro-mouvoir, littéralement mouvoir en avant, bouger, se mettre en marche quoi. Ou aller au marché, se balader dans les rues au gré du marché, battre le pavé ou le jeter dans la mare... non, je m'égare. Alors la promotion, qu'est-ce finalement, et pourquoi une photo de badauds et badaudes à l'arrêt devant le ruban ?
Est-ce que Pierre Baudis inaugurant la « piétonté » de la rue Saint Rome est en pro-mouvance ? L'heure est plutôt à l'a-motion (im-motion... im-mobilité) en ce moment de recueillement devant les deux lames de métal qui se meuvent l'une contre l'autre dans un crissement sourd avant de séparer à tout jamais deux bandes de fibres qui s'en sont allées choir sur les pavés provocant l'acclamation de la foule en liesse...
A moins que ce recueillement ne soit celui de rigueur devant la roideur immobile d'un article en promotion, là, à quelques centimètres au-dessus de l'édile prononçant, qui sait, l'oraison de la crise battant son plein en ces années noires... 1974, ou comment l'un des deux axes principaux de la ville antique s'était transformé (ou finalement si peu), en mille neuf cent soixante ans ?
D'une rue de mouvement en une rue de mouvance, d'un donjon à une réserve d'eau, des archives à un ailleurs, de Toulouse à Paris, tout bouge. Notre conservateur en chef se meut, il a de l'avancement, il est promu.
Enquête.
Une porte, sans porte, ouverte sur un étagement de matériaux de construction qui bloquent entièrement l'accès à l'intérieur, est surmontée d'une croix. A gauche de la porte, une fenêtre, barrée d'une grille scellée dans la maçonnerie, reçoit les montants d'une échelle. Au sol des débris de ce qui peut passer pour la porte, une poutre, une hache et un pied de biche. Contre le bord droit de la photographie, une gouttière descend discrètement le long du mur avant d'y disparaître et d'en ressortir au bas, gueule ouverte.
Tout dans cette image est muralité, obstruction, enfermement. Qu'est-ce ?
Parfois l'on n'y voit goutte. J'ai beau chercher un indice, rien.
Au dos du carton une inscription mentionne « porte du couvent des Dominicains à Toulouse au moment des expulsions ». Bon. Suis-je plus avancée ? J'aimerais comprendre, mais je commence à divaguer. Finalement, cette porte n'ouvre sur rien, la foi, qui pourrait m'aider, comme l'indique fièrement la croix, attestant la bonne foi du bâtiment, est bafouée. Une échelle, vite, sortir de ce mauvais pas, je grimpe et me heurte aux barreaux, c'était un leurre, quel effroi.
Mais pourtant, en 1905, quand l'État se démet de l'Église et expulse les congrégations de leurs fiefs, les dominicains ne sont déjà plus là depuis belle lurette. Ils ont pris la poudre d'escampette à la Révolution, remplacés par des chevaux nous a-t-on dit, mais manifestement par des briques, planches et linteaux, sagement étagés, en ordre de bataille, prêts à bondir sous la hache, grimper à l'échelle et s'atteler à la restauration du lieu. Et moi, à la mission à laquelle je m'étais dignement assignée dans le but de vous offrir une réponse à l'incandescente question de où-quand-comment-qui-et-pourquoi, du haut de mon ignorance, au faîte de la technologie moderne, abondamment abreuvée d'informations à portée de soif, au terme échu, j'ai chu. Le photographe m'a enfermée dans son cadre, j'y finirai sans doute, gueule ouverte, à moins que... par la gouttière... mais chut !
Ah mais... moribonde, je perçois dans mon oreillette une voix grésillante s'élever doucement. « Pas si vite » me susurre-t-on, « les congrégations, qui auraient dû demander dès 1901 (et sa fameuse loi) une autorisation pour exister légalement, furent donc jetées à la rue, sans autre forme de procès, dès 1903. » Quelle fin ! J'en agonise de plus belle. « Et ce n'est pas tout », assure la voix sibylline qui me semble à présent venir d'outre-monde : « détruit bien plus tard, le bâtiment laisse aujourd'hui la place à la résidence d'habitation « Hôtel Mansencal », au 3bis rue Espinasse ». C'en est fait de moi comme du reste de mon corps, j'expire mon dernier souffle. Je fus.
Allez... parce que c'est vous, une version retouchée de notre Sainte Echelle, téléchargeable.
Les 23 et 24 juin 1875, la Garonne a déferlé sur Toulouse et ravagé la ville, des Sept-Deniers à Saint-Michel. Jules Chalande évoque 208 morts. On aurait dénombré, entre autres, 1219 maisons écroulées et 3 ponts balayés (Saint-Michel, Empalot, Saint-Pierre). Seul le Pont Neuf a résisté. Ce bilan accablant a marqué Toulouse car cette crue reste la plus dévastatrice que la ville ait connue dans son histoire.
La Garonne menaçait les zones de plaine depuis le 21 juin. Aux pluies diluviennes sont venues s'ajouter les eaux résultant de la fonte des neiges. Le 23, la prairie des Filtres était recouverte et progressivement le fleuve s'est transformé en torrent qui dévasta tout sur son passage.
Le quartier Saint-Cyprien a été particulièrement touché par l'inondation. « Saint-Cyprien, hier encore si florissant, si animé, si vivant, repose aujourd'hui dans le lugubre silence de la mort, qui l'a enveloppé d'un double linceul apporté par le même fléau, - l'eau du fleuve débordé et les matériaux de ses constructions, qui ne sont plus que des décombres souillés de boue », voici ce qu'écrit Théophile Astrie en 1875.
Joseph Provost et son fils, photographes officiels des inondations de Toulouse avec d'autres, ont pris de nombreux clichés à cette occasion, images diffusées dans des albums commémoratifs. Cette vue spectaculaire pourrait, sans légende, donner à croire qu'un séisme, ou une guerre, a ravagé la ville.
L'invention par Eugène Disdéri, en 1854, du portrait au format carte-de-visite, va connaître un succès exceptionnel, et toute la bonne société du Second Empire va vouloir disposer de son album de famille.
On y trouvera en bonne place, à côté des ancêtres, les images des membres de la famille impériale, de ministres, de militaires, d'ecclésiastiques. Et l'on aura également à cœur d'y présenter bien évidemment sa propre famille. Mais pour pouvoir soutenir la comparaison avec le reste de la société bourgeoise de l'époque, il fallait se montrer sous ses meilleurs atours. Pour cela, les photographes mettent à la disposition de leurs clients à la fois toute une garde-robe, une série d'accessoires allant du fauteuil et du guéridon et, pour les enfants, un assortiment de jouets qui devait faire ressembler la salle d'attente en une annexe de la Samaritaine.
Ici, le choix s'est porté sur un superbe tricycle doté d'un guidon en forme de cheval de bois. C'est un type d'objet que l'on retrouve souvent sur les clichés de cette période et qui semble avoir été en tête du hit-parade des jouets de l'époque. On notera cependant le sérieux de l'enfant qui paraît hypnotisé par le photographe...